Chronique : Stick – « Glossolalie »

Chez certains malades mentaux, utilisation d’une langue inventée, incompréhensible pour les autres.” Larousse n’y va pas de main morte pour décrire la glossolalie de Stick. Ainsi intitulé, ce deuxième album particulièrement acidulé ne propose rien de réjouissant, tant visuellement que textuellement. Dissection des thématiques sanguinaires du punk le plus rappeur qui soit.

La tracklist à elle seule évacue toute idée d’entertainment, que les présences de Dolor, BBP ou Al’Tarba à la production viennent confirmer en seconde instance. Très vite, on atterrit dans un univers volontairement sombre, anxiogène, dans lequel l’humour noir remplit son rôle de seconde lame effrayante et malaisante. La gêne se ressent assez facilement, tant par les images crachées par le Stick que par sa gouaille presque fière d’ouvrir ses tripes avant de les vomir dignement aux oreilles des imprudents. Ce deuxième opus prend une tournure bien plus négative que le précédent, pourtant déjà pas en reste en matière d’éviscérations et de crises en tout genre. Les quatre années écoulées n’ont visiblement rien apporté de joyeux, ne faisant que renforcer l’écorce du Toulousain qui ressasse éternellement l’alcoolisme dévastateur de son beau-père ou crie sa rage anti-cléricale à chaque occasion.

Affranchi de tout code moderne du hip-hop, il rappe avec un besoin saisissant, kicke fort à en oublier son accent. Véritable exutoire autobiographique, son album s’adresse à lui-même en premier lieu mais contamine peu à peu des auditeurs qui cherchent (encore) du rap technique, bien écrit, et qui raconte du vécu avec une vulgarité spontanée, presque incontrôlée.

“Oh Stick ! Fais gaffe à ce que tu dis, y a des jeunes qui t’écoutent ! Mais les jeunes qui m’écoutent ont été élevés par des junkies !”

L’un des bons points de l’écriture de Stick, c’est cette capacité à jouer avec ses propres références, que ça soit en donnant une suite à un morceau (« Mémoires d’un sale from 2 ») ou en prenant le contrepied évident d’un titre (« Quelques MCs de moins », la suite de son album intitulé 1 MC 2 plus). Se réinventer sans se mettre en quête d’une direction artistique nouvelle, ne lui ressemblant pas, c’est là l’un des buts forts que l’on entend et l’on attend dans sa musique. Le traumatisant « Exorcisme » sera peut-être le premier et dernier morceau réussi d’un hybride entre rap et métal : une méditation fidèle à son auteur, sans filtre, retraçant chronologiquement les drames de son parcours. Il déroule le fil d’un épisode mi-Strip Tease mi-Confessions intimes, mêlant simultanément des sentiments de rire, gêne, compassion et perversion d’un point de vue de spectateur du désespoir.

Stick pousse parfois la provocation à la limite de la liberté d’expression, comme sur cette promesse de « faire une Charlie Hebdo mais chez Def Jam France ». Pardonneront ceux qui comprendront. S’il n’est pas foncièrement méchant, il chante ce qu’il pense quitte à blesser (ou pire). Tel Cartman de South Park, il s’amuse à dézinguer les têtes d’affiches du rap français (PNL, SCH, L’Artiste, MHD…) mais pas uniquement, puisqu’il invoque sur le même titre des noms disparus comme Diam’s, Manau ou Alliance Ethnik, preuve qu’il ne fait pas une fixette maladive sur les artistes les plus en réussite aujourd’hui, mais qu’il grimace justement à l’écoute des sons de ces artistes. Le clip réalisé sur Paint appuie autant le côté dérisoire que l’aspect gore de son imagination.

Débordant d’ironie tout au long de son projet, il reprend les discours du retraité Mysa sur le satanisme dans le rap français, le faisant revivre précisément là où il ne voulait plus être. L’excellent « Ghostwriter », avec Goune et Bazoo en invités, relie trois plumes encore méconnues du grand public et pourtant si proches d’un certain Vald, tant artistiquement qu’humainement : « Je suis plus si mignon, j’ai brisé le miroir, y a le sang d’une vierge qui coule sur le pentacle / S’ils font de ma vie un vieux docu-fiction, ma crucifixion sera le clou du spectacle » clame Stick, quand Bazoo rit : « Ils se baladent tous une plume dans le cul puis un jour ils se la sortent pour écrire de la merde ». Exquis.

“Qu’un rappeur blanc utilise des nègres, c’est plus un MC, c’est un esclavagiste”

Thème original, le mal-logement est abordé sur « 666 euros », une chanson qui déchaine les Enfers et vaut son pesant de punchlines ! Incarnant « Sheitan Plaza », il brille de noirceur en jouant des clichés racistes et des préjugés sur la banlieue, à la manière d’un sketch, toujours dans cet esprit à la fois souriant et dérangeant. Inenvisageable de passer à côté, ni d’oublier l’angoisse de la prod rappelant les meilleurs frissons des films d’horreur et autres slasher méticuleux. Poids lourd dans sa catégorie « punchliner lucide », Stick s’auto-parodie -sans se bouffonner- représentant de la scène « White Trash ». C’est sûrement la couleur la plus proche de sa musique, entre riffs de guitare rock et flow de rappeur habile, encore qu’il devient difficile de l’enfermer dans un style défini. Seule sa signature vocale permet de l’identifier formellement : S.T.I.C.K, Crazy Mother Fucker !

Disponible en CD ici.

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