Rap français et échantillonnage, un récit en 300 samples

C’est au début des années 90 qu’apparaît le sample dans le rap français. En 1990, le succès de « Bouge de là » de MC Solaar et son sample du groupe de funk anglais Cymande marque le début de l’existence médiatique du rap en France, mais également le point de départ d’une ère bénie pour le rap français, durant laquelle il fut possible de sampler à peu près tout ce qu’on voulait sans représailles juridiques (même si le procédé existe depuis quelques années déjà Outre Atlantique). Une époque folle en somme durant laquelle il était possible de puiser dans l’immense répertoire de la musique en général, sans que ce soit encore répréhensible, mais, paradoxalement, avant qu’elle ne devienne si facile d’accès. En effet, l’absence de législation en la matière permet aux beatmakers de l’époque d’aller puiser dans tous les registres : soul, jazz, funk et rythm’n’blues bien sûr, mais aussi rock, pop, variété française… et tous les sous-genres d’un peu partout dans le monde. Jusqu’au début des années 2000 et les premiers procès, les architectes musicaux s’en donnent à cœur joie, et creusent dans tous ces répertoires avec comme but de tomber sur la boucle qui fera mouche.

Quand certains crient alors au plagiat, d’autres y voient un hommage aux artistes samplés, une façon de donner une deuxième vie à leur œuvre, voire d’apporter de la lumière à certains génies méconnus. Peu à peu, dès la fin des années 90 et au vu des sommes générées, les ayant-droits de certains artistes samplés se font connaître, et réclament des sommes colossales en vertu d’une législation nouvelle sur les droits d’auteur, obligeant les groupes de rap à triturer les boucles de manière à les rendre méconnaissables, ou bien à les déclarer, sous peine de se voir retirer leurs disques des bacs (on pense notamment au morceau « Prisons » de Chiens de Paille ou plus récemment « Amnésie » de Damso). Les années 2000 verront également s’opérer une bascule progressive (mais pas totale) vers des instrumentales entièrement composées, le sample devenant peu à peu une pratique moins dominante.

Il y a deux ans, Corrado, disquaire toulousain et activiste reconnu, actif depuis plus de vingt ans et auteur de dizaines de mix thématiques aussi pointus que qualitatifs pour l’émission « Built To Last » sur Radio Campus Toulouse, compilait une heure trente durant pas moins de 300 échantillons samplés par des artistes majeurs du rap français. Cet hommage, car c’en est un, est le fruit d’un travail colossal, pas seulement en matière de reconnaissance de samples, mais également de recherche des versions originales dans leur meilleure qualité. Pour éviter de perdre l’auditeur et ne pas l’obliger à faire des bonds dans le temps pour reconnaître les morceaux de rap ou artistes correspondants, Corrado a découpé son mix en plusieurs « chapitres » correspondant chacun à un groupe, un artiste (Oxmo Puccino, Svinkels, Fabe, Rocé…) voire un projet comme avec Ma 6-T va crack-er.

De « Nouveau western » à « Izi monnaie » en passant par « La Cosca », « Le son qui tue », « Touche d’espoir » ou « De larmes et de sang », cette sélection permet à l’auditeur averti de tester son expertise. Mais au-delà de balayer tout un pan de l’histoire du rap français en un temps limité, ce mix souligne surtout le fait que cette musique possède un répertoire riche de centaines de morceaux classiques. « 300 samples de rap français » fête aujourd’hui ses deux ans, et cela méritait bien qu’on s’y (re)penche, et qu’on vous le recommande.

 

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Olivier LBS

Doyen et autocrate en chef de cette incroyable aventure journalistique. Professeur des écoles dans le civil. Twitter : @OlivierLBS

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