Namor, l’interview « 10 Bons Sons »

S’il n’est pas le rappeur marseillais le plus médiatisé, Namor est néanmoins à coup sûr un personnage important de la scène phocéenne. Tombé dans le hip-hop à la fin des années 1980, il se sera distingué sur cassette, sur maxi, sur vinyle, sur CD, sur MySpace, sur les plateformes de téléchargement, du milieu des années 1990 à nos jours. En dehors de la galaxie IAM et de son rayonnement, avec l’indépendance chevillée au corps, Namor a été et continue d’être un artiste, un citoyen engagé. Qu’il soit en groupe, en collectif ou en solo, en featuring, sur posse cut ou sur freestyle, sa discographie incarne celle d’un homme honnête, lucide, très attaché aux valeurs du hip-hop. L’histoire de Namor croise celle d’Uptown, de la Fonky Family, de Cercle Rouge, de Double Pact, du MIB, de Kery James, de Rockin’Squat, de Soprano, de Keny Arkana, de Philippe Roizès, des Nubians, d’Al Iman Staff, de Jul, notamment. Namor, c’est surtout une autre histoire du rap marseillais.

Photo: Antoine Fortunato ©

1 – Prodige Namor – « Le Mistral » (Dans le bizness, 1995)

« Le Mistral » est un des premiers morceaux que j’ai enregistrés en tant que Prodige Namor, en juin 1995 il me semble, au studio L’Affranchi, qui est une structure associative marseillaise qui œuvre pour le hip-hop et les musiques actuelles depuis très longtemps. A cette époque, j’avais enregistré cette démo pendant une semaine je crois, qui comportait 5 ou 6 titres. C’était les débuts de Prodige Namor. Je sortais d’une période un peu difficile où j’étais passé par différents groupes, dont les Hardcore MC’s dont on parlait avant l’interview, et j’ai ce besoin en 1995 de refonder un groupe.

Ce titre « Le mistral », c’est moi qui l’ai composé, et la démo en question, c’est vraiment la concrétisation de mes premières prods. Ce morceau symbolise la création de Prodige Namor qui en réalité était plus un collectif qu’un groupe à part entière, parce qu’à cette époque-là, j’écrivais, j’interprétais et je faisais les musiques. Petit à petit le groupe a évolué, Saïd est passé au micro, puis Maroco aussi, sur le tard. On avait aussi un danseur, une danseuse, un DJ, une chanteuse. On va dire que « Le Mistral » s’est imposé comme le titre phare de ce mini projet. Au passage, c’est un titre que j’avais déjà enregistré auparavant, avec une autre prod, et j’ai eu le besoin de le refaire avec une prod à moi. Ce titre m’a permis de candidater à une sorte de concours grâce auquel j’ai pu faire une mini tournée dans la région.

Il me semble que cette démo est sortie en cassette. Comment les aviez-vous produites ?

Quand je fais cette démo en juin 1995, peu de temps après je suis sollicité par Uptown pour participer à leur album. Donc je vais poser sur leur posse cut « Mon kartier passe avant tout ». Ils ont essayé de trouver un moyen pour sortir leur album, sans y arriver, mais par la force des choses, ils l’ont sorti en indé, en cassette, ce qui leur a permis de faire connaître leur musique à l’échelle nationale, même s’ils avaient été découverts sur « Bang Bang » d’IAM, quelques années plus tôt. Ils m’ont donc filé le plan et je suis allé faire presser la cassette dans une usine artisanale à Septèmes-les-Vallons. Je crois qu’on en a fait une centaine. Je les ai posées dans les magasins à Marseille, Aix, Toulon. Mon manager Victor Mendy l’a envoyé aussi à ses contacts à Paris, notamment le manager de la Mafia Underground ainsi que DJ Seck de Time Bomb.

2 – Prodige Namor : « Bienvenue dans le traquenard » (Bienvenue dans le traquenard, 1996)

(Dès les premières secondes) Ok, le traquenard. C’est mon premier maxi 45 tours. Au terme de la mini-tournée dans la région dont je viens de te parler, tu bénéficiais d’une subvention pour t’aider au développement. Cette subvention a contribué à m’aider à produire ce maxi parce qu’à la base, quand j’ai commencé à rapper, je voulais que mon DJ, Majestic, qu’il repose en paix, puisse scratcher ma voix sur vinyle.

On est à l’été 1996, je suis proche d’Uptown, j’ai participé à leur projet, j’aimais beaucoup leurs productions musicales et Mounir a commencé à me faire des titres. A cette période, j’ai 22 ans et je suis très influencé par le rap indé et le discours d’Assassin contre l’industrie musicale. Donc j’explique dans ce morceau qu’on ne rentrerait pas dans ce système, qu’on sortirait notre musique en indé, j’avais pas mal de rêves et d’utopies, comme monter une structure où on pourrait sortir nos projets et produire des artistes… Il reflète également les hauts et les bas que j’ai connus entre 1990 et 1996. Pour l’anecdote, il a été enregistré après le posse cut avec Uptown, Soul Swing, Assassin, Kabal, Artno, MP, Boss One. Le lendemain il me semble.

Ce morceau, dans lequel tu dis d’ailleurs que tu « boxes avec les mots », soit avant Arsenik, s’est retrouvé scratché par Cut Killer, sur l’intro d’Opération Freestyle, ce qui prouve qu’il a été écouté.

Quand le maxi sort, Cut Killer l’a, Crazy B et Faster Jay l’ont, Poska aussi, et ils jouent le morceau. Au départ, on avait déposé le vinyle dans les magasins spécialisés à Paris et on obtient une distribution avec Night and Day et Chronowax. C’est grâce à des contacts qu’on s’est retrouvés chez Night & Day. Il se trouve qu’au moment où je fais « Bienvenue dans le traquenard », le Soul Swing enregistre Le Retour de l’Âme Soul et Gilles, le manager du groupe deale une licence avec Night & Day. De notre côté, on comptait sortir en indé, on a fait le pressage du maxi, on en sort 500, on les vend tous et on represse. De là, je vais chez Night & Day et on se met d’accord pour une distrib’. On se retrouve alors chez les disquaires comme la Fnac, Virgin… Ce maxi nous a permis d’avoir une visibilité nationale avec la presse hip-hop, ainsi que Captain Café avec Ambre Foulquier.

3 –  Prodige Namor – « Que fait la police ? » (Que fait la police ?, 1998)

(Dès les premières notes) C’est « Que fait la police ? », produit par Cercle Rouge. C’est le maxi vinyle qui a fait suite à notre signature chez Crépuscule France. (Il réfléchit) On avait déjà maquetté l’album et c’est grâce à ces maquettes que j’ai obtenu la signature. L’album était prévu pour la fin d’année 1998. Ce titre était prévu sur une autre prod et on nous met en contact avec Cercle Rouge pour qu’ils réalisent l’instru. Ça nous permet de connaître White and Spirit, on va à Meaux, on enregistre là-bas. La face B du maxi est produite par Yvan de Double Pact. Le titre « Que fait la police ? » est censé annoncer l’album, grâce à lui on a nos premiers passages radio. C’est un titre qui me tient à cœur. J’étais jeune adulte, sensibilisé aux violences policières, j’avais enregistré un morceau pour le MIB, Mouvement de l’Immigration et des Banlieues. C’était la triste époque de Ouardia Aoudache, Makomé, Brahim Bouharram, d’Ibrahim Ali. On était peu de temps aussi après les municipales de 1995 où le Front National arrive au pouvoir à Toulon, Vitrolles, Marignane, notamment. Le hip-hop était alors très conscient, porté sur les injustices, les inégalités, les abus policiers.

Tu étais aussi engagé dans la vie locale avec les ateliers d’écriture en prison et à la Friche Belle de Mai, qu’on a pu voir dans le documentaire Je rap donc je suis en 1999.

L’engagement social m’a toujours tenu à cœur et j’anime ces ateliers à partir de 1998 à la Friche, et deux ans plus tard en maison d’arrêt. C’est dans la lignée de mes convictions. Mes parents étaient très sensibles à l’injustice. A l’époque, le discours de la gauche était encore très porté sur les ouvriers et les prolétaires. Pour revenir au film de Philippe Roizès, je le trouve vraiment brut, en phase avec la réalité de l’époque. Y avaient participé La Rumeur, Ministère Ämer, Intik, etc. Pour synthétiser tout ce qu’on vient de dire, pour moi engagement et hip-hop, ça va de pair.

4 – Kery James, Namor, G.Kill, Gued1 – « Meilleurs vœux » (1998)

« Meilleurs Vœux ». On l’a enregistré peut-être une semaine ou deux avant Noël. C’était la directrice artistique – productrice de Crépuscule France à l’époque, Marie Audigier, qui avait été contactée par Arte. La chaîne voulait via l’émission Tracks faire un Noël hip-hop. Marie me soumet l’idée. A cette époque-là, j’avais enregistré un titre pour L’Hip Hopée, qui était une compilation de reprise de chansons françaises. On décide de faire le titre au Blackdoor Studio. Les 2 Bal étaient très proches de Marie, elle leur propose de participer et moi j’avais un bon contact avec Kery. Finalement, on se retrouve peu de temps avant Noël à faire ce morceau sur une prod de Kilomaitre, Tefa et Masta.

Vous écrivez sur place ?

Non, on avait écrit avant. Il s’agissait de travailler son écriture. Les séances étaient chères et rares, on préparait donc les titres avant d’être en studio. J’allais poser avec G-Kill et Kery donc mon texte devait être cohérent. Sur place on fait quelques modifications ensemble sur nos textes, la prod est réalisée le jour-même, on enregistre et on le mixe. Le morceau est donc sorti le 25 décembre pour Tracks. On a tellement kiffé le titre que Crépuscule a décidé de le sortir en maxi vinyle et maxi CD dans la foulée. Ils l’ont proposé aux radios et finalement il est rentré en playlist sur la radio « numéro 1 sur le rap ». Ce morceau est un très bon souvenir. C’était notre définition de Noël mais plus à l’échelle sociale.

5 – Eben, Fonky Family, Basic, Sinistre, Abou, Dadoo, Akhenaton, Sako, Yazid, Mystik, Namor, Niro, Ménélik, L’ame du Razwar, Insomniak, Driver, Soldafada – 16’30 contre la censure (1999)

Ça c’est les « 16’30 contre la censure ». Pareil, connexion Cercle Rouge via Crépuscule France qui était leur producteur ou éditeur. Ça fait suite aux « 11’30 contre les lois racistes » qui est vraiment LE morceau que je trouve intéressant et qui voulait dire quelque chose. Il était dans la même démarche que ce que j’ai souhaité faire à l’époque avec le morceau « Que fait la police ? », en terme d’engagement citoyen et de dénonciation des injustices. Les 16’30, c’est un posse cut, c’est la suite des 11’30 qui a super bien fonctionné. Je considère qu’ils ont surfé sur la vague. A titre perso, ce n’est pas le meilleur titre que j’ai réalisé.

Peut-être que le thème n’était pas le mieux choisi, peut-être que le niveau inégal des participants n’a pas aidé. Sur ton passage, on sent pourtant que tu as fait un effort sur les allitérations, sur la forme.

A l’époque on se prenait toujours la tête sur la forme, avec des morceaux plus réussis que d’autres, mais c’est vrai que j’ai fait attention. Tu te challenges parce que tu ne sais pas qui va participer mais tu imagines forcément et au final tu te retrouves avec la Fonky Family, IAM, 2 Neg’, Mystik, etc.

On est début 1999 là, « Meilleurs Vœux » est sorti, tu es convié aux « 16’30 » qui fait suite aux « 11’30 », l’album L’heure de Vérité s’apprête à être dans les bacs ; tu te dis que ça y est, tu as les deux pieds dans l’industrie de la musique, tu es en train d’y arriver ? Dans quel état d’esprit tu te trouves ?

Je me dis qu’on est bien engagé. Après, est-ce que je vais y arriver ? Je doute à ce moment-là et puis ce n’est pas trop une question que je me pose. A cette époque j’ai un job d’éducateur, j’ai un loyer à payer, l’équilibre est super fragile quand même. Je suis focus sur la musique mais j’ai été élevé dans un milieu où on me disait que je ne vivrais pas de mon art. J’ai donc toujours eu cette retenue, d’autant que je n’étais pas signé en major, que j’étais chez un indé. Alors eux, ils y croyaient beaucoup, mais moi je ne voyais pas l’argent rentrer… (Il réfléchit) J’avais ce discernement qui me permettait de voir que certains en vivaient et que moi j’étais encore loin du compte. Je voyais des artistes se payer des voitures, s’habiller bien, moi j’étais encore en mode prolo. Il y avait un espoir mais restait un gros point d’interrogation. J’étais surtout content de me dire que j’allais pouvoir faire des disques. J’ai toujours fait primer la passion, j’ai toujours aimé les artistes indépendants, même d’autres courants musicaux. Le discours et le message sont très importants pour moi. Je voulais m’exprimer et être écouté.

6 – Prodige Namor – « D’où viens-tu ? »  (L’heure de vérité, 1999)

Alors « D’où viens-tu ? » est un morceau de notre premier album L’Heure de Vérité, qui arrive en mars 1999 et qui était prêt depuis fin 1998. On l’avait enregistré à l’été 1998, à Marseille et on le mixe entre septembre et décembre. Quand je présente ce morceau en démo avant de signer, il est très différent, avec une prod beaucoup moins léchée. Notre productrice avait senti un « potentiel » commercial. Mounir, qui revenait de la production de l’album des Nubians qui avait cartonné aux États-Unis notamment, bossait avec des guitaristes, des bassistes, plein de musiciens. Il était alors dans cette démarche d’amener quelque chose de très produit et (il réfléchit) mainstream, disons-le. Il reprend Shalamar, il invite les Nubians et je me laisse porter. On enregistre, ils font venir un quartet de violons, un super bassiste de Jazz, un guitariste affirmé. Quand on fait la prod de l’album au studio Cactus à Marseille, sur la majorité des titres produits par Mounir, il y a beaucoup de musiciens et d’arrangements. Pour moi, c’était nouveau. C’était un souhait (il réfléchit) que j’ai subi mais assumé. Les maquettes étaient beaucoup plus brutes au départ, j’ai subi ces choix artistiques du réalisateur majoritaire de l’album mais je l’ai assumé.

Ces choix m’ont aussi permis de rencontrer l’ingénieur du son de Pete Rock avec lequel j’ai pu bosser sur trois titres et ça m’a enrichi musicalement. Même si le morceau est très différent de ce qu’il était à la base, je l’assume totalement. Je l’écris en 1996. Quand il sort, il y a toute cette hype autour de Marseille. On a pu penser que c’était prémédité, que je voulais surfer sur la vague, mais quand je l’ai écrit, je faisais une déclaration d’amour à ma ville, à sa diversité, à la manière dont elle m’a construit, à travers ce que j’ai pu découvrir dans mon parcours et au travers tous les milieux sociaux que j’ai pu côtoyer. C’est ça que j’ai voulu véhiculer dans cette chanson. Avec le recul, 25 ans plus tard, je trouve qu’elle a super bien vieilli. A l’époque, la maison de disques, qui était un label indé, mais qui a souhaité bosser comme une major a voulu orienter le titre vers un côté un peu mainstream pour le rendre accessible et toucher les radios. Elle n’y est pas forcément parvenue mais là où elle a réussi, c’est que le morceau perdure. Il est très bien réalisé et sans prétention, il est assez intemporel, en terme de qualité musicale, de rendu sonore.

En préparant l’interview, au moment où il fallait choisir un titre issu de l’album L’Heure de Vérité, j’ai hésité entre plusieurs morceaux, notamment « Le Complot de la haine » parce qu’il cochait plusieurs cases des codes du rap de l’époque qui fonctionnaient d’ailleurs très bien : la prod, le propos, le refrain, les scratches. Ce titre te ressemblait davantage que « D’où viens-tu ? » et ressemblait au rap de la fin des années 1990. Est-ce qu’il n’aurait pas plus plu au public en terme de premier single ?

Probablement. Aux radios, peut-être pas, à Sky peut-être, la preuve « Meilleurs Voeux » a tourné sur la radio en question, « Mission » avec Rockin’ Squat, qui est produit par Mounir, a beaucoup tourné aussi à l’époque. La maison de disques a souhaité entendre tourner « D’où viens-tu ? », je ne vais pas dire qu’elle était en avance, mais les morceaux avec une connotation soul / R’n’B sont arrivés plus tard. Là où je vais dans ton sens, c’est que « Le Complot de la Haine », ça correspond au Prodige Namor de l’époque. En terme de prod, d’interprétation, de texte, les scratches de Majestic, qu’il repose en paix, c’est ce qu’on représente quand on est en concert, c’est ce qu’on véhicule dans nos démarches sociale et sociétale. (Il réfléchit) En fait, Crépuscule France m’a imposé le truc, n’ayons pas peur de le dire, comme si on était signé en major. Ils ont mis beaucoup de moyens dans la production de ces titres-là mais ils n’avaient pas l’envergure d’une major. C’est là où, je ne vais pas dire qu’il y a eu un dysfonctionnement, mais où les choix stratégiques peuvent être remis en question.

En dépit de morceaux à thème de qualité, de feats de renom (Rockin’ Squat, Kery James, l’excellent Stress de Double Pact avec lequel tu perpétues la connexion Marseille / Suisse), de prods travaillées (Mounir Belkhir donc, mais aussi Time Bomb et Yvan), l’album est un échec commercial, alors qu’à l’époque, les disques d’or étaient courants. Pour toi, y a-t-il une ou des causes qui explique(nt) cet échec : il y avait beaucoup de rap marseillais à l’époque, peut-être qu’il y a eu embouteillage ? Peut-être que le propos était trop conscient ?

Je ne pense pas que ce soit dû au propos conscient parce que la Fonky est arrivée avec un album de rue mais avec des textes conscients, 3e Œil pareil, Freeman et K-Rhymes Le Roi aussi, et ça ne les a pas empêchés d’avoir des succès commerciaux. (Il réfléchit) Je n’ai aucun regret et je suis reconnaissant envers Crépuscule, mais à la différence de nous, la FF, le 3e Œil, Freeman et K-Rhyme Le Roi, Chroniques de Mars aussi, sont produits par les labels indépendants d’IAM qui savent bosser le hip-hop. Je ne dis pas que Crépuscule ne savait pas bosser le Hip Hop, ils ont fait disque d’or avec 2Bal 2Neg’, mais peut-être que notre album était trop varié. Je pense que les gens qui aimaient le commercial ne s’y sont pas retrouvés totalement parce qu’il y avait des morceaux comme « Le Complot de la Haine » et les hip hopers purs et durs ne s’y sont pas retrouvés parce qu’il y avait « D’où viens-tu ? », « Coup de Poker », d’autres titres comme ça. L’équilibre était très difficile à trouver. J’ai juste essayé d’être intègre, en accord avec ce que je représente dans ma musique, mais peut-être que la forme n’a pas été perçue à sa juste valeur à l’époque, que le public était dans un délire boom bap, comme je l’étais à l’époque de « Bienvenue dans le traquenard ». Ce que je revendique dans « Bienvenue dans le traquenard », je ne me l’applique pas dans « D’où viens-tu ? », au niveau de la forme. Le public a dû le ressentir. Je te disais aussi que l’album était prêt en décembre 1998 et rapidement le morceau « Mission » tournait, peut-être aurait-il fallu sortir en janvier ou en février, mais Crépuscule craignait parce qu’untel et untel sortaient à ce moment-là. Peut-être que l’album est arrivé après la guerre ?

7 – Prodige Namor – « Inédit pour les bandits » (CD Groove, 1999)

« L’inédit pour les bandits » qui était sorti dans le CD de Groove. C’était une édition spéciale Marseille. On enregistre à Blackdoor juste avant l’été.

Je t’ai proposé ce morceau en lien avec l’époque de l’âge d’or du rap marseillais. En tant qu’acteur du mouvement, avais-tu conscience qu’il y avait un âge d’or qui se déroulait ?

Franchement non. (Il réfléchit) Tous les artistes de cette époque-là avions évolué sur des chemins similaires ou parallèles pendant une dizaine d’années et les projets sortis à la fin des années 1990 étaient la concrétisation de ce tout ce que nous avions pu semer. On n’avait pas conscience qu’on était dans un âge d’or. C’est après que tu t’en rends compte. Avec le recul, tout ce qui est sorti entre 1995 et 2000 est très différent et me correspond plus que ce qui est sorti entre 2000 et 2010, qui était plus synthétique, plus composé.

En 1999, en plus d’être absent des projets d’IAM, contrairement à tant d’autres groupes et artistes marseillais, c’est surtout pour toi la fin de l’aventure Prodige Namor, tu pourrais revenir dessus ?

Quand sort l’album L’Heure de vérité, même si ça ne change rien sur les ventes, moi, je ne suis plus dans le truc, j’ai la tête ailleurs parce que ma fiancée vient de faire un AVC. En plus, j’ai commencé un an avant les ateliers d’écriture à La Friche Belle de Mai et je suis salarié. Je fais alors de ces ateliers ma priorité parce que je prends conscience que la transmission, c’est quelque chose qui me tient à cœur. D’ailleurs, MC Solaar et Fabe avaient dirigé des ateliers d’écriture à La Friche qui avait besoin d’intervenants résidents, et vu qu’ils n’étaient pas sur place, je me suis retrouvé à animer ces ateliers auprès de jeunes, que ce soit Keny, K-ra de Sale Équipe et bien d’autres.

Suite à la sortie de l’album, on ne fait pas beaucoup de concerts. En fait, quand ça se termine, on a des aspirations différentes, principalement Saïd et moi. Saïd est chanteur à la base, il est rentré dans le groupe en tant que danseur et petit à petit, il s’est affirmé au micro, d’abord comme backeur et de là je me suis rendu compte qu’il avait une voix extraordinaire. Il a commencé à intervenir dans les chansons et on a vu qu’on avait des aspirations différentes. On n’en a pas parlé malgré les perches que tu m’as tendues, mais en terme de pertinence artistique, j’étais dans une direction et Saïd tendait à autre chose. (Il cherche ses mots) J’étais plus un auteur, quelqu’un qui avait besoin de se réaliser dans son écriture et Saïd est davantage un showman, qui se réalise dans sa prestation scénique, dans sa démonstration visuelle. Les deux côtés faisaient une bonne complémentarité, mais moi j’étais plus under dans l’esprit. Attention, il connaît tout le hip-hop par cœur, il est plus âgé que moi, il était là avant moi, mais il était fan des gros clips américains, de ce qui brille et à un moment, nos différences qui étaient très enrichissantes ont fait qu’il a eu besoin d’autre chose et moi aussi. Nos personnalités aussi étaient très différentes, très affirmées et les choses se sont faites naturellement. On ne s’est même pas dit que le groupe se terminait mais chacun a pris son chemin.

8 – Al Iman Staff – « Mets les gosses à l’abri » (Mets les gosses à l’abri, 2005)

Le morceau « Mets les gosses à l’abri », qui sort en 2005 mais est prêt fin 2004. C’est la conséquence de mes ateliers d’écriture dont je te parlais. Au terme de Prodige Namor, je me concentre sur les ateliers d’écriture, je rencontre beaucoup d’artistes et notamment Comodo, qui est un jeune de mon quartier et T.O.M., qui est du centre-ville. Une connexion se fait et dès 2000 on commence à travailler ensemble. Au début, je les accompagne sur la construction de leurs textes, sur la structure de leurs couplets, je leur propose des prods. Comodo était très talentueux, Tom Parker était un diamant brut. On fonde Al Iman tous les trois. De là, Maroco qui se retrouve orphelin de Prodige Namor intègre Al Iman. Je déménage à Endoume et je retrouve Mesrime, qui y vit et que je connais depuis que l’époque où j’étais barman, il venait boire des coups au bar où je travaillais.

Il a toujours été dans les bars ce mec ! (rires)

Mesrime a grandi dans les bars, il le dit dans une chanson, mais c’est vrai. Il intègre à son tour Al Iman et on change en devenant Al Iman Staff. Quand je termine mes ateliers d’écriture, on se sert du local pour répéter et écrire ensemble. On passe par différents studios jusqu’à ce qu’on arrive au studio Impulsion. On se constitue un capital de titres là-bas. On fait pas mal de dates à Marseille et dans les alentours. Fin 2004, on a un album de prêt et le morceau « Mets les gosses à l’abri » s’impose, on l’a donc clippé et il a pas mal tourné. En mars 2005 je crois on sort l’album chez Night & Day, en distribution. Pour moi, c’était un nouveau départ, certes, long à se mettre en place. On revenait aux fondamentaux du rap et du hip-hop.

Il t’a fait du bien ce collectif.

Carrément ! Dans Prodige Namor, en terme de rap, je me sentais un peu seul. Là, avec Al Iman Staff, quand on répétait, les backs tombaient au bon moment. On faisait dans l’ancien Molotov (salle de concert à Marseille) des concerts de deux heures ! On jouait tout notre répertoire devant nos collègues ainsi que le public de La Friche, de Radio Grenouille, les jeunes des ateliers d’écriture faisaient la première partie. C’était une belle période. On se concentrait sur nous : à une époque où il y avait beaucoup de compositions, on est arrivés avec quelque chose d’intègre. Je suis très fier de ce morceau et de ce projet.

9 – Namor feat Soprano – « L’héritage de l’amour » (Canal Historique, 2011)

« L’héritage de l’amour », avec Soprano, qui sort en 2011 sur un projet qui s’appelle Canal Historique. (Il cherche ses mots) C’est un des morceaux que j’aime le plus. Le morceau a en fait été réalisé bien avant, il a été long à sortir puisque je travaille et j’ai une vie de jeune papa. Je fais de la musique quand je peux. Cet album a d’ailleurs été réalisé sur quatre ans, entre 2007 et 2011. J’ai dû écrire ce titre en 2008-2009. J’avais envie de m’adresser à mon fils, d’autant que j’ai été papa tard. Je n’avais jamais imaginé plus jeune construire une vie de famille avec des enfants. J’étais dans mon truc d’adolescent attardé. Ce titre est une déclaration d’amour à nos enfants et je suis super content de l’avoir fait avec Sopra’. Sa fille Inaya a le même âge que mon fils Ibrahim je crois. Ça me tenait à cœur de le lui proposer et j’ai été très honoré qu’il participe à mon projet.

Il me semble que tu as été le premier à convier Soprano sur « Où sont les enfants ? », titre de L’Heure de vérité, alors qu’il était membre d’un groupe, qu’il était très jeune et inconnu, par rapport aux autres invités de l’album (Squat, Kery James, Stress, Les Nubians). Pourquoi avais-tu fait ce choix ?

Quand on fait « Bienvenue dans le traquenard », le vinyle marche bien et on le sort en CD, avec deux titres supplémentaires. Pour la release, on fait un concert gratuit à L’Affranchi, la salle est pleine, DJ Majestic invite Funky Maestro, DJ Poska, c’est une super soirée ! Au freestyle de fin, un type maigre avec une capuche monte, kicke et casse la baraque. Ce gars, je l’avais rencontré dans d’autres circonstances, dans des mariages… On avait des amis en commun et on m’avait dit : « Ecoute-le rapper, c’est une pépite ». On s’est connectés, il est passé me voir plusieurs fois à La Friche à l’occasion de mes ateliers, il m’a fait écouter ce qu’il faisait. Il nous est arrivé d’être sur les mêmes plateaux avec les Psy4. J’aimais beaucoup ce qu’ils faisaient. Je trouvais que pour son âge, Sopra avait une sacrée maturité, une qualité d’écriture qui était incroyable et une insouciance dans l’interprétation. Contre toute attente, j’ai souhaité l’inviter sur L’heure de vérité. Quand je faisais les maquettes dans la cave de Mounir Belkhir, il venait régulièrement. DJ Mej venait aussi. J’ai voulu faire un titre sur le passage de l’enfance à l’âge adulte. J’avais 24 ans à l’époque, Sopra devait en avoir 16 ou 17 et je lui ai proposé ce concept. On a fait la maquette ensemble et quand je signe chez Crépuscule, le morceau est déjà réalisé.

Avec cette prod ? Parce qu’elle n’est vraiment pas classique et pour un jeune rappeur comme Soprano à l’époque, ça n’a pas dû être chose aisée.

Pour l’anecdote, quand on a été en studio pour le mix, l’ingé a voulu mixer la batterie « militaire » de façon un peu plus « classique hip-hop » et on s’y est opposé. On a souhaité garder cette couleur un peu militaire, un peu martiale dans le jeu de batterie. On est passé par un autre studio, via l’ingé qui avait travaillé « Meilleurs Vœux » et qui a pu faire ce qu’on attendait en terme de restitution sonore. C’était la preuve que Sopra était un OVNI à l’époque et qu’il était déjà prédisposé à rapper, chanter et s’adapter. C’est un caméléon et il en fait la démonstration sur ce titre-là. Au moment où on fait « L’héritage de l’amour » où on parle de nos enfants, il est devenu une méga star. C’était l’époque de « Ferme les yeux et imagine-toi » avec Blacko. Je m’en rappelle parce que j’appelle pour le studio et c’est Mej qui me répond en me disant qu’ils sont à l’aéroport, qu’ils partent au Maroc pour faire le clip avec Blacko. Il était vraiment sous les projecteurs. Je lui suis extrêmement reconnaissant d’être venu au studio. Ensuite, j’ai fait le clip avec DJ Duke, rest in peace. Sopra vend des tonnes d’albums et fait des clips qui coutent un bras alors que nous, c’était avec des moyens assez modestes. Il est venu et on a tourné le clip en deux heures au Pharo, tôt le matin pour être discret parce que sinon, c’est impossible, vu sa notoriété. Pour conclure, c’est un morceau important, où on dit de vraies choses, où on s’adresse aux gens qu’on aime, à nos progénitures, c’est un morceau dont je suis très fier.

Freestyle 13 Organisée 2 (2024) A l’époque, je connaissais un beatmaker, Kakou, qui travaillait avec Jul. Djel me dit que Kakou aimerait que je participe au freestyle de 13 Organisé 2. Je reçois la prod et je me dis que ça va être chaud de poser dessus ! Je l’ai faite tourner et puis je me suis adapté. C’était un super challenge parce qu’aujourd’hui en 2025, j’écoute surtout du jazz-rock. Mais je travaille comme éducateur dans un centre d’insertion professionnelle et quand les jeunes sont en temps libre, je dispense toujours des ateliers d’écriture, je les enregistre. Le public que j’ai a entre 17 et 25 ans, ils rappent quasiment tous ! Eux, ne posent que sur des prods comme celles du freestyle donc ça m’a familiarisé avec ce type d’instru même si ça n’aurait pas été mon choix initial. Pour en revenir à 13 Organisé 2, j’écris de mon côté. Kakou m’annonce le jour de la séance d’enregistrement, c’était durant l’été 2024 et j’y vais avec mon fils. Je kicke mon 12 mesures, au studio, on est seul. Je ne sais pas combien on sera le freestyle final, je ne sais pas comment ça va se passer. D’un coup, on m’ajoute dans un groupe Whatsapp où on devait être 150 ou 200 et on nous donne à tous rendez-vous au stade Vélodrome. C’est là que je comprends l’ampleur de ce freestyle. Ça m’a permis de rencontrer plein de gens que je n’avais plus vus depuis 20 ans pour certains. C’était un super bon moment.

10 – Prince Fellaga feat. Namor – « Balle au centre » (Étincelles d’humanité 2, 2025)

C’est le morceau le plus récent qui est sorti. C’est « Balle au centre », un duo avec Prince Fellaga, un titre qui est issu de la compilation Etincelles d’humanité 2 et dont tous les bénéfices vont aux enfants malades de l’hôpital La Timone à Marseille, pour l’association Les Minots de l’hosto. J’ai été sollicité par le producteur de la compil’, qui s’appelle Kimprod. C’était une période où j’avais peu de disponibilités pour écrire et enregistrer. Il m’a fait écouter des instrus, des titres et m’a dit que Prince Fellaga avait prévu de faire un couplet. Il se trouve que j’aime beaucoup ce que fait Prince Fellaga, je me retrouve à fond dans sa démarche artistique, dans son écriture, dans le choix de ses prods, dans l’esthétique. Il me propose donc de faire un morceau avec lui et c’était vraiment un plaisir ! J’ai gratté mon couplet, que j’ai enregistré chez moi, je lui ai envoyé et au final ça a donné « Balle au centre ». J’aime beaucoup ce titre, je trouve que la combinaison fonctionne bien. Je suis très content de participer à cette cause, à ce projet, j’espère qu’il va marcher, d’autant qu’ils le sortent en indé, c’est difficile. Dans la démarche et dans la promo, je retrouve un peu ce qu’on faisait nous au milieu des années 1990, où on allait coller des stickers, faire des radios. Ils ont un peu cette façon artisanale de promouvoir le projet et il mérite de marcher.

Partagez:

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *