On a écouté « Pièce d’orfèvre » de Saké

Huit ans. Autant dire une éternité que les auditeurs qui avaient mis la main sur cette mystérieuse Clef de la cave attendent du nouveau de la part de Saké. Huit ans entrecoupés de trois singles dévoilés en 2015, 2016 puis 2017 avant une inexplicable disparition du lyriciste francilien exilé à Marseille depuis 2013. Le compère de Wira (et un temps de Nir.K) au sein des Zakariens, a pris le temps, et décidé de revenir en solo au point de n’inviter personne sur les douze titres qui composent son nouvel opus. Ecoute éclairée en exclusivité à quelques heures de la fin du suspens.

« P’tet qu’un jour cet album aura l’étoffe de pièce d’orfèvre, je représente le vrai hip-hop comme à l’époque de Flavor Flav » A l’image de son clip éponyme, Saké a pensé et mené ce deuxième album solo comme une pièce rare, une œuvre de collection longuement mûrie avant de la dévoiler au grand jour. « Parce que j’ai travaillé chaque détail, que j’ai pas calculé les années, j’ai écouté mon inspi et rien d’autre. Je me suis investi à tous les niveaux, j’ai passé un temps fou à tout préparer. Les gens qui me connaissent savent que je suis minutieux donc le nom « Pièce d’orfèvre » se prêtait bien à ce projet » nous explique-t-il. Il aura donc fallu près d’une décennie pour entendre la suite d’un premier album couronné d’un vrai succès d’estime, sur lequel on retrouve notamment le classique « Je m’en sors bien » en duo avec Swift Guad. De longues années à écrire, gratter, poncer et re-poncer ses textes a la mano. Le parallèle avec le métier de joaillier / bijoutier brille de lui-même comme une évidence. Même s’il ne le rabâche pas constamment sur ses réseaux sociaux comme certains de ses confrères, sa musique le positionne comme l’un des derniers gardiens du temple. Samples, 90 BPM, scratchs, il incarne une certaine idée préservée du rap français. Artisanat et tradition sont les maîtres mots d’une ossature que se sont chargés d’habiller ces cinq beatmakers : Mani Deïz, Crown, Itam, Pedro le Kraken et Clem Beatz. Des experts en matière de recherche archéologique et d’utilisation méthodique du sample, des spéléologues de la production.

La tracklist annonce d’emblée la couleur (« Froidement », « Original MC », « Couleur basique », « Je m’déteste »). Basique peut-être, mais toujours soignée, la plume de Saké ne peut pas faiblir, ne peut pas le déshonorer. Après tant d’années à placer sur les mixtapes, les compilations, poser un 16 sur le projet des potes, faire des scènes et reposer encore et toujours avec ses proches, quand il ne colorie pas les murs de sa ville, on connait l’attitude et la visée du passionné jusqu’à la couleur de son encre. Sa musique sert avant tout d’exutoire à lui-même, et de thérapie à laquelle prendront part tous ceux qui s’identifient à ce caractère solitaire, cette trajectoire tristement banale. Les « fans de Johnny » passeront leur chemin, les amateurs de rap français se hâteront de venir lever la main au prochain concert post-confinement. L’absence de surprise était donc fortement prévisible et finalement pas désagréable. On aime Saké qui rappe, qui rappe ça, qui rappe comme ça, qui rappe sale et sérieux. Des phrases comme « Mon auditeur, moi je le considère comme un meilleur pote » sont des paroles qui ne peuvent venir que du cœur. Et c’est ça qu’il faut retenir. Pas de changement de flow, de rythme, ni de nouvelles influences marseillaises sur ses prods modernes donc, mais une notion un peu nouvelle dans sa musique : l’introspection. 

« Je représente la France d’en-bas comme une photo de Bouna et Zyed »

Sur « Je m’déteste » ou « Rayon de soleil » notamment, Saké se livre un peu plus qu’à l’accoutumée. Il fait l’effort de ne pas s’épancher que sur son amour du rap bien fait et montre qu’il sait aussi se confier. De ses liens familiaux, il prend le temps de prendre du recul pour choisir les bons mots, réussissant à transcrire son mutisme en chanson de fort belle manière. Dans son décor de tunnel glacé, où les colombes ont les ailes cassées, Saké avance tant bien que mal, mène son bâton de pèlerin dans une société qui l’enchante peu et le ramène sans cesse à l’angoisse du jour d’après. C’est pour le pragmatisme qu’opte constamment notre homme, qui se définit lui-même d’ailleurs comme cartésien. Et c’est clairement pour sa fille qu’il se lève chaque matin avec un but bien précis. Pièce d’orfèvre, c’est le juste dosage entre l’amertume de l’ancien, la tendresse d’un père comblé et la sincérité d’un amoureux du rap. Le chien sale tend désormais une patte de grizzly, à considérer autant avec tendresse qu’avec prudence.

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