Rencontre avec Tarmack Film

Depuis plusieurs mois, le logo de Tarmack Film apparaît régulièrement au début des clips de la scène rap nationale. Nous avons pu interviewer Sylvain qui forme avec son binôme Cédric cette entité qui ne compte pas moins de 130 réalisations en tout juste deux ans d’existence. Zoom sur cette équipe qui monte.

Vous êtes tous les deux originaires du Nord et basés en région lilloise. Comment s’est faite votre rencontre et comment avez-vous décidé de travailler ensemble ?

Nous nous connaissons depuis longtemps par l’intermédiaire d’amis en commun. Je savais qu’il bossait sur les montages et nous avions collaboré une fois ensemble. Quand j’ai décidé de me professionnaliser un peu plus dans la vidéo, j’ai pensé à lui pour monter une équipe. Cela fait deux ans que nous avons créé Tarmack Film. Notre première réalisation a été la « Poignée de Punchlines » d’Ywill de La Jonction.

L’entité Tarmack Film est composée de deux membres aux tâches bien définies. Peux-tu nous les présenter et nous expliquer vos fonctions au sein de l’équipe ?

Pour ma part, je m’occupe de toute la partie de gestion clientèle, élaboration de scénarios et je suis en charge de faire les prises de vue pour les clips. Cédric s’occupe lui du montage, de l’étalonnage et des petits effets.

Ces rôles sont-ils interchangeables ?

Parfois nous pouvons travailler ensemble, pour le scénario par exemple, mais en règle générale chacun reste à sa place et gère sa spécialité.

Comment êtes-vous arrivés à la production audiovisuelle?

Nous sommes tous les deux des autodidactes. Nous venons du milieu hip-hop. Nous rappions et produisions nos propres beats. Quand nous avons voulu commencer à clipper, nous avons vu les tarifs et nous nous sommes dits : « Au lieu de mettre 500 euros dans un clip, autant louer du matériel et essayer de le faire nous-mêmes. » Chacun de notre côté, nous avons eu la même démarche.

Au sein de quel groupe et vers quelle année avez-vous commencé à rapper ?

Pour ma part cela doit faire dix ans à peu près. J’avais un groupe à l’époque qui s’appelait Le Syndic’. J’ai continué et j’ai fait partie d’un autre groupe, le 109 où je rappais avec des musiciens. Un de nos points forts dans la production audiovisuelle est que nous venons du milieu rap donc nous connaissons les bases. On connait le rythme, on sait ce qu’est un quatre temps, une caisse claire, un charley. Cela nous permet d’organiser les images sur les sons.

Et pour Cédric ?

Cédric est beatmaker et MC depuis 15 ans environ sous le nom de FLS. Il avait un groupe il y a quelques années avec Prince de La Jonction et Elixir qui s’appelait Sens Interdit. Il continue en solo et prépare actuellement un projet où il rappera sur ses propres instrumentales.

Beaucoup de gens en France ont découvert les premiers clips de rap par le biais de la télévision et notamment grâce à des chaines comme MTV. Quels sont tes premiers souvenirs ?

Pour moi, les clips du Wu-Tang, d’Onyx et tous les clips où les rappeurs apparaissaient en bande, bien énervés, où il y avait beaucoup de mouvement devant la caméra. Bizarrement ce n’est pas du tout ce que je fais. Je suis plutôt à la recherche de la belle couleur, d’une image proche de celle du cinéma avec un petit scénario. Sinon côté rap français, les clips d’IAM et NTM de l’époque m’ont forcément bien marqués. Depuis ce temps, on en a vu des milliers.

La France compte de nombreux réalisateurs français talentueux comme Chris Macari, Biggs ou Armen Djerrahian par exemple. Suis-tu particulièrement le travail de l’un d’entre eux ?

Pour moi, le numéro un de très loin c’est Romain Gavras. C’est un réalisateur qui se fait rare, qui sort peu de clips sur une l’année. Le dernier en date est pour un morceau qui s’appelle « Gosh » de Jamie xx. Il m’a mis une énorme claque, comme d’habitude.

Comment se déroule le processus du tournage ? Le client arrive-t-il toujours avec une idée de base ou avez-vous l’occasion de vous exprimer pleinement ?

Quelques artistes avec lesquels nous avons travaillés nous ont laissé carte blanche mais c’est tout de même assez rare. Souvent, ils ont une vague idée comme par exemple des plans drones en nature. Dans ce cas, on sait tout de suite vers quel type de clip se tourner. D’autres veulent vraiment un scénario et désirent placer des figurants. On essaie de s’adapter. On travaille souvent avec les artistes pour les conceptions de scénarios.

Concernant les lieux de tournage, comment les choisissez-vous ?

C’est peu fréquent que les artistes nous les communiquent au préalable. Généralement, on prépare tout en amont. Une fois que l’idée du clip est bien définie, nous essayons de rechercher sur internet, de trouver des lieux intéressants qui soient proches de chez l’artiste. Tu imagines bien que pour les clips qui se déroulent dans le sud de la France, je ne peux pas faire un aller-retour juste pour du repérage.

Sur quels point se basent la conception du devis ? Vous semblez proposer des tarifs relativement bas par rapport aux prix pratiqués sur le marché.

Notre volonté principale est de pouvoir offrir le travail le plus professionnel possible tout en proposant un petit budget. Du coup, nous sommes contraints de demander aux artistes de collaborer sur plusieurs points. Nous pourrions demander une plus grosse enveloppe et tout gérer, c’est ce que nous espérons faire à terme mais pour le moment pour environ 500 euros, nous ne pouvons pas payer des figurants ou de la location de matériel. Nous demandons aux artistes de s’impliquer et de trouver leurs propres figurants par exemple. Une des conditions que nous exigeons est le fait que notre logo apparaisse toujours au début du clip. C’est important pour nous. Sachant que nos devis restent toujours accessibles pour nos clients, nous pensons que c’est une contrepartie nécessaire à notre développement.

Vous avez pris l’initiative de promouvoir la scène du Nord en offrant vos services à moindre coût pour les artistes issus de cette région. Comment est née cette initiative ?

Avec certains artistes nationaux qui ont une renommée, nous faisons parfois des concessions au niveau du tarif pour pouvoir bosser avec eux. Lorsque tu fais ce genre de concessions avec des artistes qui te donnent de la visibilité mais que tu ne fais pas la même chose avec d’autres artistes avec qui tu as fait de la musique ou que tu as croisé dans les soirées hip-hop de ta région, cela peut poser un dilemme moral. D’où cette initiative. Nous n’avons pas eu énormément de retours mais le projet a été compris et quelques personnes nous ont contactées. Elles auront donc un beau clip pour un tarif peu élevé.

Quelles sont les clés qui permettent d’obtenir un clip de qualité ?

Avoir un beau clip se joue dans la préparation. Si on arrive à faire beaucoup de clips en ce moment, c’est parce qu’on sollicite les artistes en amont. On leur demande de travailler dessus aussi. Sinon, nous n’aurions pas le temps de tourner dix clips par mois. Dans l’ensemble, tout le monde est satisfait du résultat. Nous n’avons jamais eu de mauvais retours ou de grosses critiques. Les « haters » s’en prennent plutôt aux rappeurs et à la qualité de leur musique mais cela reste inévitable avec internet.

Vous avez réalisé quelques productions hors rap. Nous pensons par exemple au morceau de Be4t Slicer ou au clip pour la styliste de la marque CSL.5. Tentez-vous d’ouvrir votre travail au maximum vers d’autres univers ou préférez-vous vous concentrer sur le monde du hip-hop ?

Nous venons du hip-hop donc inévitablement, lorsque nous avons commencé à faire des vidéos, nous avons commencé par évoluer dans ce milieu, notamment avec les mecs de La Jonction. Par la suite, nous avons pu collaborer avec d’autres artistes rap. Cependant, depuis le début, nous n’avons pas la volonté de nous cantonner au seul milieu hip-hop. Nous avons envie de nous ouvrir à d’autres univers, comme le rock ou l’électro. Nous sommes très contents d’avoir pu travailler avec des gens de la mode. La publicité et les court-métrages nous intéressent aussi. Nous nous tournerons vers tous les domaines où on fera appel à nous.

Vous avez apporté un univers différent par rapport aux réalisations que l’on avait l’habitude de voir dans le rap indépendant. Comment qualifierais-tu la touche Tarmack?

Je pense que nous n’avons pas vraiment de touche. Nous avons une technique particulière mais la touche, c’est l’artiste qui la ramène. Nous essayons de l’accompagner dans ce sens. Nous devons nous adapter à chaque projet en essayant d’amener des images qui soient le plus proche possible de ce qui se fait au cinéma, de maîtriser les travelling, de mettre bien en avant le sujet et de bosser sur la lumière. Nous sommes conscients que nous avons commencé il y a peu donc nous tentons de nous améliorer tous les jours. Ce n’est pas facile, car il faut savoir que nous ne sommes que deux, alors qu’on devrait être une dizaine. On doit donc toucher à tout et être polyvalent au maximum. Bosser la couleur, c’est un travail à part entière. Cédric doit travailler dessus en plus du montage, des effets de transition… Pour ma part, je dois me centrer sur le scénario, les techniques de prises de vues. On apprend au quotidien.

Est-ce-que vous avez senti qu’il y a eu une réalisation importante dans votre carrière qui vous a permis de toucher du monde et de recevoir des commandes par la suite ?

Clairement depuis que nous avons collaboré avec Lacraps. Nous l’avons rencontré par le biais d’Abdel d’ HipHopSupport qui est de notre région. Nous avons mis le paquet en réalisant plusieurs clips pour lui à quelques mois d’intervalles. Je suis parti deux fois une semaine à Montpellier et nous avons bien charbonné. Grâce à cela, nous avons eu de l’exposition car il commence à bien tourner sur le web. Il nous a permis de travailler avec d’autres personnes en nous mettant en contact. Des artistes comme Nizi ou Mani Deïz ont pu voir notre travail et forcément, cela nous a ouvert des portes. Récemment nous avons pu collaborer avec Saké ou La Smala. Nous sommes très contents de pouvoir évoluer de la sorte dans le milieu du rap indépendant.

Le clip du morceau « Fin 2012 » de Furax a fait plaisir à beaucoup de monde. Comment s’est faite cette connexion avec l’artiste toulousain?

Je vais te raconter l’anecdote. En fait, pour nous remercier du travail effectué à ses côtés, un jour Lacraps m’a demandé « Qui aimerais-tu clipper ? ». Sur le moment, je ne savais pas vraiment quoi répondre donc j’ai consulté Cédric. Il m’a répondu Furax sans hésitation. On a été mis en contact rapidement. Nous avons eu besoin de temps pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions, trouver les lieux appropriés et écrire le scénario.

C’est un morceau très complet, classique pour beaucoup, qui a dû être compliqué à clipper…

Tu n’imagines même pas. J’ai énormément de respect pour Chaz Shandora, le clippeur avec qui il a beaucoup travaillé. Essayer de mettre des images sur un mec comme Furax, c’est très complexe. En 32 mesures, il peut te faire faire le tour du monde.

Avec quels artistes avec lesquels vous n’avez pas encore collaboré souhaiterais-tu tourner?

En ce moment, je kiffe bien l’école belge. Après, tant que l’on me propose un projet sympa, je suis partant. Il y a peu, j’ai clippé Freez de Stamina. Ça m’a fait plaisir car c’est un artiste que j’ai écouté au même titre que Ron Brice ou Ockney. Ce serait aussi un plaisir de collaborer avec eux même s’ils n’ont pas la visibilité qu’ils mériteraient.

De plus en plus de monde se tourne vers la photographie ou les clips vidéos grâce au fait que le matériel audiovisuel soit de plus en plus accessible à tous. Est-ce que vous voyez cela d’un bon œil ou est-ce que vous pensez que cela sature le marché de la production?

Nous sommes clairement pour car nous sommes des autodidactes. Il y a deux ans, j’ai fait un petit stage chez un clippeur de la région pendant deux semaines mais c’est tout. Heureusement que la matériel est devenu accessible sinon nous n’en serions pas où nous sommes aujourd’hui. Il y a 15 ans, c’était tout simplement réservé à une élite du fait du prix du matériel. Maintenant, pour 2000 euros tu as un boitier très correct pour faire un peu de tout et c’est tant mieux.

Justement, quel type de matériel utilisez-vous?

Auparavant nous utilisions le GH4 mais nous venons d’acquérir le GH5 de Panasonic. Nous avons un stabilisateur et un drone. Le GH5 permet de faire des ralentis en 4K et offre une qualité professionnelle pour environ 2000 euros. Si tu veux l’équivalent chez Canon, il faudra débourser aux alentours de 4000 euros. Pour que tu aies une idée, une caméra pour le cinéma vaut aux alentours de 150 000 euros minimum.

L’aventure Tarmack vous a permis de voyager à de nombreuses reprises…

Je suis le seul à bouger car Cédric a une vie de famille dans le Nord. Je ne voyageais pas avant de faire des réalisations. J’ai pu aller trois ou quatre fois au Maroc, en Italie, dans le sud de la France. J’ai été aussi à Nice, Toulouse, Montpellier, Lyon je vais aller à Rennes et Besançon prochainement pour clipper l’équipe du 32G, un groupe de la région lilloise qui monte. Ça me permet de voir du pays et c’est très cool. Souvent je suis hébergé chez l’artiste donc il y a une rencontre humaine et je peux découvrir pleinement son univers. C’est important pour la réalisation du clip.

Avez-vous de nouveaux projets pour la rentrée?

Au fur et à mesure, on arrive à bosser avec des gens qui ont une bonne visibilité donc c’est tant mieux. Notre objectif est de continuer à travailler dans cette optique. On essaie de ne pas trop se projeter en allant là où on nous appelle. Notre évolution nous va très bien pour le moment. Nous sommes surpris de notre accomplissement en seulement deux ans. 130 réalisations ce n’est pas rien.

Comment expliquez-vous justement que l’on ait fait autant appel à vous en si peu de temps?

Peut-être parce que nous sommes arrivés au bon moment. Des réalisateurs, il n’y en a pas tant que ça et ils ne sont pas toujours disponibles. Le fait de ne pas faire beaucoup de bénéfice par clip est quelque chose qui peut rebuter aussi. Nous avons choisi d’être accessibles, mobiles, réactifs en proposant un tarif bon marché. Nous avons senti que beaucoup de rappeurs avaient envie d’avoir un clip de qualité, monté rapidement et à moindre coût. Si j’étais encore rappeur actuellement, même si je vivais dans le sud de la France, j’aurais envie de faire appel à une équipe comme Tarmack. Même si je devais payer un billet pour le déplacement, cela resterait toujours moins cher que de m’offrir les services d’un professionnel qui prendrait 5000 euros pour un clip.

Le mot de la fin?

Merci à l’équipe du Bon Son pour cette interview.

Vous pouvez visiter le site internet de Tarmack Film en cliquant ici. 

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