Youssef Swatt’s – L’interview « Vers l’infini et au-delà »

Dans tout juste une semaine, le jeune rappeur originaire de Tournai sortira enfin son premier album intitulé « Vers l’infini et au-delà ». L’occasion pour nous de revenir en détail sur sa carrière et de l’interroger sur la conception de cet opus entreprise il y a plusieurs années maintenant.

Lorsque l’on évoque ton parcours, un des premiers éléments qui nous vient en tête est la précocité avec laquelle tu es arrivé dans le panorama du rap francophone. 

Mes premiers pas dans le rap, je les ai faits très jeune en tant qu’auditeur, vers mes 10 ans environ. Mon grand frère en écoutait beaucoup donc inévitablement j’ai été bercé par des artistes comme Sniper, Soprano, Sinik, Kery James. J’ai commencé d’abord par l’écriture de nouvelles, d’histoires, qui n’avaient pas de lien direct avec le rap. Vers mes 12 ans, un professeur de français m’a poussé à écrire. J’ai même conçu un roman sur lequel je suis retombé il y a peu de temps. Quand j’avais 13 ans, mon meilleur pote a écrit un texte de rap et est venu me voir pour que j’en fasse de même. On a donc commencé sur un délire sauf que moi je me suis rapidement projeté sur le long terme. Je voulais devenir rappeur et faire ça avec sérieux.

Dans ton travail, on peut noter une claire influence du rap français des années 1990-2000. Tu l’évoques d’ailleurs dans ton morceau « Mon rap ». Qu’est-ce que cela te fait d’être validé et mis en avant par plusieurs artistes de cette génération comme la Scred Connexion ou Demi Portion?

Honnêtement, c’est assez difficile à exprimer. Je ne pouvais pas rêver mieux. Je n’ai pas encore un gros parcours derrière moi et je n’ai rien prouvé pour le moment en termes de ventes par exemple. Mais à la base, ce qui m’a motivé à faire de la musique, c’est de monter sur scène, faire des sons qui parlent aux gens et rencontrer d’autres rappeurs. La Scred ou Demi Portion font partie des artistes que j’ai adoré comme un grand fan. De fil en aiguille maintenant on s’appelle, ils me soutiennent, on va d’ailleurs organiser un show case à la Scred Boutique le 17 juin pour la sortie de l’album. C’est juste merveilleux, je suis très reconnaissant. On ne va pas se mentir, au-delà de faire des vues, cela fait partie de mes rêves de gosse. Monter sur scène et rencontrer des rappeurs de ce calibre, c’était mon objectif premier. Me dire que c’est en train de se réaliser, c’est assez fou.

Nous t’avons découvert en 2013 lors des deux premières Poignées de Punchlines du label Give Me 5. Tu as senti que ce moment-là était un tournant pour toi?

Lorsque j’avais 13 ans, j’avais sorti le clip d’un morceau qui s’appelle « Ma tristesse », de façon totalement amateur. Peu après, les deux premières Poignées sont parues avec entre les deux le clip de « Le blues ». J’ai vraiment senti que quelque chose se passait. Beaucoup de personnes ont partagé et notamment des rappeurs de la scène belge. J’ai senti que j’étais un peu écouté et cela m’a permis d’avoir une carte de visite.

A l’époque il était difficile de connaître l’ampleur qu’allait prendre ce concept des Poignées de Punchlines. Il est devenu une référence dans les rap francophone.

Effectivement, ni Depar One ni moi-même nous attendions à cet engouement. Il m’avait proposé depuis longtemps de me donner un coup de pouce. Give Me 5 pour moi c’était une référence en Belgique. J’étais donc très motivé à l’idée de participer à ce concept. Je suis très content pour lui de l’ampleur que cela a pris.

Parlons maintenant de  ta discographie. Ton premier projet s’appelle L’amorce. Dans quel contexte l’as-tu sorti?

Après les Poignées de Punchlines, je sentais qu’il y avait un peu d’attente et qu’il fallait que je sorte un projet dans de bonnes conditions. J’avais pas mal de textes et de morceaux de côté. Je n’avais plus qu’à enregistrer. On a fait ça avec les moyens du bord, sans trop d’investissement en termes de temps, d’argent, d’énergie. Il a été enregistré chez mon pote Mahery, dans son petit studio, en quelques semaines. Kekro et Beni Luzio sont venus poser leurs parties. En janvier je voyais le bout du tunnel et j’ai pensé pouvoir le sortir en février, sans promo. Le fait d’avoir le CD dans les mains me tenait à coeur. C’est pourquoi nous l’avons fait presser à 100 exemplaires de manière symbolique. C’est la sortie de L’amorce qui m’a vraiment donné envie de préparer un album.

Par la suite c’est Petit Youssef qui est paru alors que tu avais déjà annoncé l’album…

Avant la sortie de Petit Youssef, j’étais déjà en train de bosser sur Vers l’infini et au-delà. Lorsque j’ai lancé le Kiss Kiss Bank Bank et annoncé l’album, je n’avais rien de préparé. Je me suis rendu compte que sortir un album c’est comme écrire un livre. Il faut que chaque mot, chaque chapitre soient bien pesés. Je ne voulais pas travailler en vitesse. L’idée de Petit Youssef est donc née, un EP réalisé avec des morceaux que j’avais de côté mais qui n’étaient pas destinés à l’album. J’ai pu donc par la suite me concentrer pleinement sur le long format.

Ce fût donc une manière de faire patienter les auditeurs en quelque sorte?

Exactement. Ce projet nous a aussi permis de faire des concerts. Nous étions pas mal sollicités pour des scènes sans avoir d’opus récent à présenter.

Pour ton album, tu as eu directement l’idée du crowfunding?

J’ai eu l’idée de faire album et j’ai rapidement fait les calculs des coûts que ça allait engendrer. Je n’avais pas du tout les moyens en tant qu’étudiant. Certains personnes qui auraient pu me produire m’ont approché. J’ai eu des propositions mais je voulais rester indépendant comme je le suis aujourd’hui. Le but étant de pouvoir travailler en famille, sans contrainte ni direction artistique imposée. Si je m’étais précipité, certes les choses auraient été plus vite pour moi, mais tout ce que l’on a fait jusque là, on ne le doit à personne. Au final, mes producteurs sont mes potes et mon public. Pas de signature en label. J’ai réussi à trouver un contrat de distribution super réglo avec Modulor et je suis très content comme ça.

Qui sont les différentes personnes qui font partie de ton équipe et qui ont participé à la conception du disque?

Cyrille Nys qui a bossé sur la pochette et l’ensemble des visuels. Johakim Chajia qui est le meilleur pote de mon grand frère. Il me suit depuis le début et il vient de prendre le relais presse pour la Belgique. Il m’assiste également pour toutes sortes de démarches. Ash.K.L c’est mon DJ qui monte sur scène avec moi. Il est la première personne à avoir conçu le projet à mes côtés. C’est grâce à lui que j’ai eu accès à tout le matériel pour faire du son. Il m’a guidé en termes de musicalité et a donc une place particulière sur cet opus. Julien Piris travaille d’arrache-pied pour la communication et la promo en France. Au niveau des concerts, je collabore avec La Cellule et HipHop Support qui s’occupent de me booker en France. Nicolas Deprez s’occupe lui de cette tâche pour la Belgique. J’ai la chance aussi de pouvoir compter sur Oeil 2 Boeuf et Frankee Franz pour tout le travail audiovisuel.

Quelles sont les contraintes auxquelles tu ne t’attendais pas et qui ont fait que la sortie du projet ait tardé un peu plus que prévu?

Je pensais, comme beaucoup, qu’il suffisait d’écrire 15 titres, enregistrer en studio, que quelqu’un allait s’occuper de les mixer et puis que l’album allait sortir. En fait, pas du tout. J’ai dû voir avec mon pote Cyrille Nys pour la pochette et tout gérer de A à Z, à quelques exceptions prêt. J’ai dû m’occuper des clips, de la communication sur les réseaux sociaux, aller chercher les pistes séparées pour les envoyer au mix, échanger avec les beatmakers, m’occuper de tout l’aspect juridique et des déclarations des droits, gérer mon booking, les interviews… Quand j’ai entrepris la conception de l’album, j’avais 16 ans. A cet âge-là, tu ne sais rien de tout ça. J’ai essayé d’être réactif, d’être pragmatique tout en prenant le temps. Au final, je ne considère pas toutes ces tâches comme des contraintes car tout ce que je fais, même si c’est pesant, je le fais car je kiffe à cent pour cent. Si je n’avais pas voulu me compliquer avec ces démarches, j’aurais sans doute signé lorsque l’occasion s’est présentée.

Peux-tu revenir sur le choix du titre « Vers l’infini et au-delà ». En plus de la métaphore, il y a une référence cinématographique.

Pour commencer, je suis fan de Toy Story et du personnage de Buzz l’éclair. C’est un album que j’ai écrit avec des yeux d’enfant. A son écoute, on peut ressentir une atmosphère spontanée. Buzz l’éclair se persuade de savoir voler et fait croire aux autres qu’il en a la capacité. Cela ressemble un peu à mon parcours: aller dans la cour des grands tout en sachant que je suis encore un petit. « Vers l’infini et au-delà » était également mon qualificatif lorsque j’étais chez les scouts.

A la base, tu devais enregistrer le projet chez Rootscore en Suisse. Pourquoi ce choix, sachant que vous avez des studios de qualité en Belgique.

C’est ce qui était prévu à la base. Petit Youssef a été enregistré en Belgique mais mixé chez Rootscore. Cependant, nous nous sommes vite rendus compte que la distance était un frein pour la réalisation du disque. C’est pourquoi, l’album a été enregistré et mixé au Studio 87 à Bruxelles et masterisé chez Equus. Neka de Rootscore m’avait proposé son aide au début de l’aventure car je n’avais pas de studio de qualité professionnelle à disposition. C’est le premier à m’avoir tendu la main. Nous sommes encore en contact mais malheureusement notre collaboration n’a pas été faisable du fait de l’éloignement géographique.

Comment as-tu fait le choix des beatmakers? Il y a certains artistes avec qui tu avais déjà collaboré mais d’autres associations sont plus surprenantes comme celle avec le sicilien Vimash. 

Quand je travaille sur un projet, je n’ai pas envie d’avoir des morceaux qui se ressemblent. J’essaie donc de faire appel à plein de producteurs différents. Tout d’abord ceux qui sont dans mon entourage comme Stab ou Ash.K.L  et également des gens avec qui j’avais déjà des connexions : Mani Deïz, Crown… Il y a aussi des prods que j’ai prises sur le tas comme celle d’Aslan ou de Phasm. Parfois j’ai le texte et je cherche la prod qui pourrait correspondre. Pour le morceau « Moha » par exemple, je cherchais une atmosphère très sombre. J’ai appele Stab et je savais qu’il allait pouvoir me proposer ce que je cherchais. Vimash connait bien Ash.K.L. Il lui avait envoyé ce beat via soundcloud. Quand Ash.K.L l’a entendu, il l’a réservé directement pour moi, avant même de me l’envoyer. Il était sûr qu’il me plairait, que j’allais le sélectionner.

Pour les featurings avec les MC’s, cela n’a pas été trop compliqué de choisir les invités?

Pour Demi Portion, on s’est rencontrés par le biais de concerts. Au bout d’un certain temps, on s’est dit que ce serait bien de partager un morceau ensemble, Je l’ai invité et il a dit oui directement. Nous avons pris le temps de choisir l’instru et de réfléchir à un thème. C’est un privilège pour moi. J’ai pu rencontrer Lacraps aussi. Je me suis dit que ce serait bien de l’avoir sur l’album. Seyté, je pense que c’est le morceau le plus ancien du disque et pour le clin  d’oeil, il s’appelle « Le temps passe ». L’Hexaler, c’est quelqu’un qui m’a rendu service à de nombreuses reprises, sans jamais rien attendre en retour. C’était logique qu’il soit dessus, au même titre que Beni Luzio et P-pito qui font partie de la famille.

En ce qui concerne le format du projet, pourquoi avoir choisi de réaliser un album quand actuellement les artistes tendent plutôt vers des formats plus courts?

Pour moi un projet reste un projet. Je ne calcule pas les histoires de format. On peut se dire que le mot « album » est un peu noble, que cela reste le summum du projet. Mais je n’ai pas réfléchi de la sorte. Mon précédent EP avait 9 titres et avait été conçu avec les moyens du bord. J’ai donc voulu réaliser un opus plus abouti, avec une vraie pochette, de la promo, inviter des artistes… C’est plus dans ce sens que je voyais la distinction entre le passage d’un EP à un album. Faire un disque de 15 titres, c’est un peu comme monter sur scène et faire un show de 45 minutes au lieu d’un quart d’heure. Quand tu montes pour 15 minutes, tu vas faire trois morceaux, mais tu n’auras pas forcément fait les titres que tu avais envie chanter. En 45 minutes, tu peux jouer sur l’intensité, faire une pause dans le show avec un morceau assis sur une chaise, repartir en pogo… Je conçois le rap comme une mission, j’ai la chance d’être écouté. Je dois donc faire passer mon message de la meilleure façon possible. Si je veux passer de morceaux réfléchis à d’autres plus egotrip, il me faut une quinzaine de sons. Honnêtement ce n’est pas spécialement à mon avantage car je ne suis pas quelqu’un de très productif.

Actuellement, la scène rap belge est particulièrement mise en avant dans les médias francophones. Quels sont les artistes dont on parle moins et qui mériteraient, selon toi, d’avantage d’exposition?

Kekro par exemple est très fort. Convok aussi est une grosse pointure, de même que B-lel, un véritable patron de la rime. L’Hexaler en termes de plume, il a dépassé le simple registre du rap, c’est un véritable écrivain. J’apprécie aussi énormément K-otik et Pako. Enfin, le Dé qui se fait maintenant appeler Ledé Markson. MC et producteur, il a sorti le projet Deltaplane qui reste pour moi l’un des meilleurs opus qui soit sorti en Belgique. Pour les beatmakers, Phasm, et Stab qui est clairement l’un des plus doués.

Tu vas bientôt être sur la scène du festival de Dour. En tant que belge, cela doit être un véritable honneur pour toi?

C’est clairement un rêve caché et un aboutissement. Je ne m’en rends même pas compte encore. C’est un événement auquel j’ai participé en tant que festivalier. J’ai kiffé voir les artistes sur scène et j’ai osé rêver chaque fois que je voyais un artiste sur scène en pensant qu’un jour ce serait mon tour.

Est-ce que tu t’attendais à y être programmé cette année?

Secrètement un petit peu. Cela a beau être un grand festival et même s’ils programment des artistes américains, les organisateurs ont l’habitude de faire croquer les groupes locaux. Cette année, nous sommes trois groupes à être invités de ma ville Tournai. Il y a toujours eu une scène locale. Je savais que ce n’était pas impossible pour moi, sachant que j’ai réalisé des concerts en France. Certains pensent que si tu apparais sur l’affiche de Dour, tu as percé mais ce n’est pas une fin en soi. Pour moi, cela a une valeur fortement symbolique mais je garde les pieds sur terre.

Tu as participé au Télédon accompagné d’un piano sur scène. As-tu dans l’idée de reproduire ce genre de collaboration dans le futur?

Depuis un moment j’avais cette idée de ramener un instrument sur scène mais c’est très compliqué en termes de moyen. Je ne peux pas encore déplacer un piano à queue avec moi. Cependant, je savais que l’an passé, l’équipe du Télédon avait un piano sur scène car plusieurs artistes l’avaient demandé. Cette année aussi nous avons été plusieurs à en solliciter un. Vivre un show en tant que rappeur en faisant le même morceau pour la énième fois, cela devient un peu automatique. C’est un aspect qui me dérange donc j’essaie d’innover le plus possible. Monter sur scène avec des instruments reste la meilleure façon d’y arriver. Je vais me diriger de plus en plus vers cette alternative car c’est quelque chose de plaisant et nécessaire. Même si rien ne vaut un bon breakbeat sur un vinyle, il faut une place pour chaque atmosphère. Mon prochain objectif est de trouver le bon équilibre.

Le mot de la fin?

« A quoi ça sert de faire des rêves si tu n’en réalises aucun? »

Crédit photo : Cebos

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