Chronique : Karna – « Inconnu mais style reconnu »

Karna c’est l’histoire d’un MC passionné, que la reconnaissance et le succès d’estime auront boosté à ses débuts, mais qui, crescendo, et après avoir stagné dans sa carrière, aura remis en question son rapport à la musique avant de mettre un terme à une discographie pourtant conséquente. Non pas qu’il fasse figure d’exception, si l’on se fie au nombre croissant de rappeurs en France (et dans le monde) ces dernières années éclos avec l’arrivée d’Internet dans les foyers et la démocratisation de la musique, et pour qui la dématérialisation aura facilité une part du travail. Son talent indéniable, son goût pour l’écriture bien ciselée et les assonances percutantes, et ses phases très imagées ne se sont pas noyés dans la masse de rappeurs actifs sur la toile, méritant que l’on s’y arrête sur Le Bon Son.

Porté par un engouement sincère et chaleureux, il se sera fait un nom petit à petit. Si dix années se sont donc écoulées entre son premier et son dernier album, il pourra(it) regretter de ne pas avoir joui d’une popularité croissante qui l’aurait aidé à se renouveler, à moins que ça ne soit le contraire qui soit à l’origine de ce déficit d’image. Qu’en pense le principal intéressé ? « Je ne regrette rien. J’ai fait ce que j’avais à faire avec mes moyens du moment. J’aurais aimé juste être un peu plus écouté mais le rap c’est un milieu chelou donc je ne suis pas trop mécontent de ne pas trop m’y attarder… J’ai toujours fait ça par plaisir rien de plus. La preuve, je sors des trucs gratuits ! »

Karna s’en va. La nouvelle a été annoncée sur Facebook un jour d’octobre 2016 et en a surpris plus d’un. Il arrête, et offre donc un dernier cadeau à ceux qui l’aiment et qu’il aime. Un joli clin d’œil de celui qui n’aura jamais vécu le succès économique dans la musique, en dépit d’efforts non calculés. Lassé de cette époque où la course aux likes et vues Youtube prévaut sur le contenu plus que jamais, il a décidé de sortir un dernier projet et de le donner, gratuitement, à ceux qui apprécient son rap, sa vision du milieu, ceux qui l’ont suivi et accompagné. Point de distribution, de prises de tête, de plan marketing, ni de retombées économiques, point de sortie physique non plus. Mais un dernier au revoir travaillé, abouti. Un au revoir discret, à l’image de ses clips et de ses rares apparitions en featuring sur les albums d’autres MC’s ou compilations.

« Inconnu mais style reconnu », en clin d’œil à son fameux gimmick « T’as reconnu le style ? », restera donc digitalisé mais pourrait survivre quelques temps à son époque, tant l’effort fourni rend un album complet, actuel et riche. Complet, car le natif du 11ème aborde une mixité de thèmes (l’amitié, la jeunesse, son parcours dans le rap…) comme il a toujours su le faire sur ses opus. Actuel, car il se risque à des instrus trap quand son terrain de prédilection est celui des prods typiquement rap français piano/violon. Riche, car les 16 titres, composés pour moitié de « Punchliners » (particulièrement plébiscités par ses auditeurs les plus fidèles), ainsi que de chansons inédites, dans une alternance parfaite, contiennent un paquet de « punchlines » et de phases marquantes, que ça soit quand il parte en egotrip au sujet des femmes ou qu’il évoque la réussite et les belles voitures.

En ce qui concerne les prods, justement, inédites, il a ramené Loko, Nizi et des prods « volées sur le Net ». Pas de surprise pour les invités, puisqu’on retrouve uniquement ses « frangins » Loko, Lofty et John Dope, ceux qu’il a pour habitude de retrouver en priorité lorsqu’il repasse par Paris : « Toujours les mêmes potes, c’est peut-être un signe ».

Sous l’incitation motivante et bénéfique de son copain de longue date Loko, Karna a donc livré un dernier opus abouti. Respecté par ses pairs et suivi de près par quelques connaisseurs, amateurs de rap à thème et de rimes affûtées, il faut reconnaître que l’injuste manque de médiatisation tout au long de sa carrière aura participé à l’affaiblissement progressif de son envie de rapper. Si les héritiers de l’école « rap sincère » et « rap à message » basés sur l’écriture et le vécu sont en voie de disparition à l’ère de l’avènement des figures de proue de la trap sur OKLM, c’est une bien mauvaise nouvelle que cette retraite d’un MC qui va rapidement manquer à ses adeptes. Il incarne l’énième triste preuve vivante que la sous-exposition l’emporte sur la qualité de la musique proposée. Le trop peu de succès n’aura en rien entaché son cahier de rimes, bien entretenu et respecté à chaque morceau, bien que le nombre d’heures dépensées à se prendre la tête pour éviter les rimes faciles n’aura pas été récompensé. Dès lors, et comme c’est d’actualité, citons Dosseh, qui crève l’écran avec son album Yuri Barbarossa après plusieurs longues années passées à trimer dans l’art de la rime, et qui s’est tourné vers un schéma plus rentable, basé sur des textes plus légers mais des prods plus attrayantes. Chose qu’il reconnait lui-même aisément, et en rimes : « Un jour un ami m’a dit : « Ton problème c’est qu’tu rappes trop fort / Tu gaspilles ton énergie pour tchi, tu donnes du caviar aux porcs » / Alors j’ai dû simplifier mes écrits / Mais y’a des fans qui sont pas d’accord / Ils réclament du Dosseh tah l’époque / Désolé mais la loi du plus grand nombre l’emporte »

Force est de reconnaître qu’il est en train de remporter son pari. Pour ce qui est de Karna, Sébastien de son prénom, on peut ne peut donc que déplorer et respecter sa mise en retrait, à l’instar de vrais paroliers reconnus que sont L’Indis ou R.E.D.K. et qui ont opté pour cette même décision ces dernières années.

Mais quelles sont donc les raisons qui l’auront empêché de développer sa notoriété ? Le manque de concerts ? Le choix de l’éloignement de la France métropolitaine ? Un manque de créativité ? Un rythme pas assez compétitif ? Une moins bonne gestion des réseaux sociaux que ses concurrents ? Le trop peu de featurings ?

« Je pense que c’est un mélange de tout ça, mais aussi du fait d’avoir toujours pris le rap comme un loisir et non un vrai travail d’où mon manque d’agressivité, de détermination. En 2010, ça aurait pu tourner en ma faveur avec les différentes rencontres que j’ai faites. Mais c’est très bien comme ça car je suis tellement épanoui dans ma vie professionnelle désormais, pour rien au monde je ne ferai un retour en arrière. » nous confie-t-il comme pour mieux tourner la page.

Dans la difficulté d’exister, Karna aura eu le mérite de se démarquer et de laisser six albums au total, soit quatre solos (L’avant-goût en 2006, Soif de réussite en 2007, Petit miracle en 2009, Inconnu mais style reconnu en 2016) et deux projets de groupe (III éléments avec Loko et Chris Taylor en 2013 et l’album commun avec Loko Décalages horaires en 2014).

Serein par rapport à ce qu’il aura apporté au hip-hop et bien conscient du rang auquel il appartient (« Je ne fais pas l’unanimité comme un sandwich jambon »), il a vraisemblablement trouvé la formule magique… un peu tard : « Le travail, la chance et le talent, c’est le cocktail parfait ». S’il n’aura pas réussi à détrôner l’autre Karna sur Google, « l’un des principaux héros de l’épopée indienne du Mah?bh?rata, fils de Kunti et de S?rya le dieu du soleil », il aura réussi à imposer son nom au rap français. Mais au fait, d’où vient-il ? « Mon blaze ? C’est un délire entre potes, rien de bien méchant. Ils disaient de moi que j’étais un genre d’escroc, d’arnaqueur, dans le sens où j’essayais toujours d’obtenir ce que je voulais en utilisant des moyens tordus donc j’étais une Karna… »

Karna a donc claqué la porte. Sans faire de bruit. Évoquer cet ultime projet était surtout un prétexte pour revenir sur sa carrière, décortiquer sa technique et son rap et débroussailler une si singulière discographie. Et finalement, qu’importe de trouver la ou les raisons qui l’ont détourné d’un tremplin, l’essentiel est ailleurs pour le « Petit miraculé », rescapé de dix ans d’hôpital. Preuve en est, sa page artiste Facebook annonce encore aujourd’hui, à l’heure de ce jubilé, un « nouveau solo pour fin 2013 ».

Salut l’auteur, le kickeur, le Punchliner. Et bonne route !

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