Un disque d’or une semaine après la sortie. Peu de rappeurs en indépendant peuvent se vanter de tels chiffres. Dans la légende de PNL semble donc être un titre tout particulièrement bien trouvé pour des rappeurs qui se sont imposés comme des figures incontournables du rap français. Présents dans tous les médias, s’exportant même à l’international, PNL a depuis longtemps quitté la sphère du rap pour devenir un véritable phénomène de société. Que certains se soient étonnés de leur succès dans les grands médias, cela n’a rien de surprenant tant les médias généralistes ont l’habitude d’orienter leurs publications en fonction des tendances. Mais la presse spécialisée, Captcha Mag et L’ABCDR en tête de file, a rapidement pris la mesure de ce qui se jouait ici : un vent nouveau soufflait sur le rap et il allait laisser une trace de son passage.
En essayant dans un article d’être dithyrambique ou critique avec PNL, on ne ferait qu’amener un énième avis de plus. D’ailleurs, on serait même tenté de se demander ce qu’il y a encore à en dire, et préférer en rire à l’instar de Yérim. Occuper l’espace médiatique coûte que coûte est un véritable enjeu pour les grands médias, mais que cela puisse se faire grâce à du rap, voilà un phénomène qui est à bien des égards étonnant. Qu’il soit possible de vendre cinquante mille albums en une semaine sans aucune promotion et en indépendance, voilà qui est surprenant. Que ceux qui écoutent du rap avant tout pour les textes se soient laissés envoûter par un groupe dont l’un des faits d’armes est d’avoir sacralisé le gimmick, voilà qui est intrigant. Alors, il reste à prendre le temps de l’analyse. Trois projets en trois ans, une cinquantaine de titres et des dizaines d’articles plus tard, il y a de la matière pour en apprendre peut-être davantage sur nous, auditeurs, qui troquons parfois dans nos playlists notre boom-bap pour le cloud non sans quelques interrogations. Avons-nous vendu notre âme au diable ?
Le rap n’est pas que de la musique. Ou plutôt, la musique, ce n’est pas qu’un plaisir sensoriel. L’art, comme l’ensemble des champs d’une société, est l’enjeu de luttes. Il y a dans le rap des pouvoirs en concurrence, et la représentation la plus naïve de ces pouvoirs est l’opposition entre le « rap commercial » et le « rap indépendant ». Le rap commercial aurait pour finalité la vente, plaire aux masses et toucher le public le plus large possible, au prix d’un sacrifice pour l’artiste qui n’aurait plus la liberté créatrice censée le caractériser, dominé qu’il est par une maison de disques ayant des impératifs de rentabilité. Le rap indépendant aurait une liberté bien plus grande mais rencontrerait alors l’impossibilité de toucher un large public qui, moutonneux, ne serait bon qu’à avaler les déjections d’une industrie prête à le traire comme une vache à lait.
Peut-être ne pardonnera-t-on pas à PNL d’avoir fait voler une telle catégorisation en éclats. Le jour de sa sortie, PNL a battu le record de l’album le plus écouté sur Spotify France. En une semaine, ce sont plus de cinquante mille albums qui ont été vendus (physique et numérique confondus). Des chiffres inimaginables pour de nombreux artistes indépendants (JUL mis à part). Et pourtant, PNL a réussi là où beaucoup ont échoué. Force est donc de constater qu’il y a du rap indépendant qui peut fonctionner à grande échelle. On ne pourra pas accuser le groupe des Tarterêts d’avoir baissé son froc, et cela est bien embêtant car on aurait aimé haïr ce groupe, souligner à quel point ce succès n’est pas mérité, mais à l’examen la seule chose que l’on éprouve, c’est plutôt un certain respect.
Musicalement, l’effet de surprise n’est plus le même que lors du premier projet QLF. Une prise de conscience à grande échelle a eu lieu. Nous nous sommes faits à l’idée que le rap a muté, s’est transformé, et que l’uniformité des commencements a laissé place à une multiplicité de courants. Même les plus réfractaires d’entre nous doivent le convenir : on ne peut plus parler de « vrai » rap sans qu’il n’y ait une part de mauvaise foi. Il n’y a plus de vrai rap mais différents courants qui dessinent un ensemble que l’on peut appeler « rap ». PNL a porté une telle vérité au grand jour dans le rap français. Il est certain que la fracture était bien réelle, en témoignent les réactions épidermiques engendrées par les premiers succès du groupe, mais il est également certain qu’aujourd’hui les choses ont un quelque peu changé. C’est en cela que PNL a été un vent nouveau. Les deux frères nous ont fait nous interroger sur nous-mêmes, et le rapport que nous avions au rap s’en est trouvé modifié.
Dans la légende se situe dans la continuité du Monde Chico. Ou du moins, il réalise ce qui n’apparaissait qu’en puissance dans le premier album : une diversité musicale qui s’exprime davantage, une utilisation du vocoder et de l’autotune plus importante laissant moins de place aux couplets rappés, avec des rythmes plus lents accroissant l’effet planant. Un titre comme « Luz de Luna » arrive encore à nous surprendre, tant par les rythmes que par les sonorités, mais il est moins représentatif de l’album que le titre éponyme ou « Da ». Enfin, par-dessus tout car c’est ce qui constitue la marque du groupe, la musicalité est toujours à même les paroles. Alors que l’on est habitué à séparer les paroles de la musique dans le rap, PNL inverse le phénomène et s’approprie l’instrumentale par les paroles. L’effet est surprenant, autorisant la multiplication d’onomatopées qui misent les unes après les autres semblent encore davantage appauvrir des textes qui paraissent bien faibles.
Toutefois, il y a indéniablement quelque chose qui se cache derrière la superficialité apparente des paroles. Au-delà de thèmes très égocentrés, tournant autour de leurs propres vies de dealers et la nécessité d’en sortir (thème ô combien peu original !), PNL traine ce spleen qui nous renvoie en permanence à la finitude de notre existence individuelle et la contingence de notre histoire en tant que société : ce désir impossible d’union avec les autres parce que trop différents. « On n’est pas comme eux » revient comme une litanie, comme pour souligner encore et encore que ce qui règne est l’incompréhension entre nous. Que cela parle à des milliers de personnes, alors que tous nous sentons cette incompréhension gagnée l’ensemble des classes et des individus de notre société, est rassurant à bien des égards. Cela signifie que nous avons encore, par-delà les différences, le désir de nous comprendre.
Alors, si en un sens nous avons eu l’impression de vendre notre âme au diable en écoutant PNL, c’est parce qu’il ne semble y avoir aucun signe de conscience politique. Triomphe des valeurs de l’idéologie néolibérale à travers la mise en avant de la compétition, du succès individuel (« entrer dans la légende »), de l’argent comme but ultime (« j’cours après l’oseille »), il semble que l’on se perde sur un terrain idéologique troublant. Les moins sensibles habituellement à ce genre de paroles ne peuvent qu’éprouver un sentiment étrange, et on se retrouve rapidement à se demander ce que l’on fait là. Cela est particulièrement vrai de Dans la légende qui dégage davantage de sérénité que Le monde chico ou Que la Famille. Mais c’est finalement la même impression du premier au troisième projet.
En réalité, tout cela serait détestable s’il n’y avait pas au cœur de tout cela un minimum de conscience de soi. « J’recrache le mal » (« La vie est belle ») affirme N.O.S., « J’dois tuer mon monstre » (« Humain ») renchérit Ademo. L’histoire de PNL est celle d’une rédemption, mais le seul horizon de celle-ci est l’échappatoire. Entre la pénitence et la fuite, on décèle rapidement le tiraillement. Véritable témoignage à destination des autres, de ceux qui ne sont pas comme eux, sur les désirs que l’on a lorsque l’on ne possède rien, PNL s’impose comme le miroir grossissant de notre société. Nombreux sont les gamins qui désirent « le monde » et « entrer dans la légende », qui ont soif du monde mais dont l’univers se limite à leur quartier. Ecouter PNL, c’est d’une certaine manière s’ouvrir un espace dans lequel transparaissent les idéaux qui fascinent la jeunesse. Mais c’est surtout prendre conscience de cette tenaille dans laquelle nous nous trouvons tous : quand tout nous révolte autour de nous, devoir malgré tout faire avec pour protéger sa famille. Il n’est jamais question d’exploiter ou de marcher sur les autres mais de porter haut des valeurs, en témoigne la déclaration d’Ademo dans « Je t’haine » : « Coño y’a rien d’humain dans ces fils de mmh j’le sais moi, Coño j’suis pas comme eux fils de bonhomme j’le fais moi ».
Le discours propre à PNL est difficile à saisir car il oscille en permanence entre les valeurs néolibérales et des valeurs de solidarité et d’entraide, de manière beaucoup plus marquée que Booba ou SCH qui tendent eux davantage vers le néolibéralisme. L’honnêteté qui s’en dégage est pourtant réelle, et on comprend que le tiraillement qui est au cœur de ce discours n’est pas de façade : il est celui de tous les individus qui sont en désaccord avec le monde. En témoigne le rapport à la femme, toujours complexe, dont le véritable accomplissement est la relation amoureuse qui se solde inévitablement par l’échec : « Elle est belle mais elle kiffe trop PNL, j’pourrai jamais lui présenter mes séquelles » (« Banbina »). Le succès du groupe n’est pas uniquement un succès musical, c’est également celui d’un discours qui reflète notre temps. C’est la raison pour laquelle PNL est si difficile à imiter, car derrière les apparences il n’y a rien de facile : la capacité des deux frères à retranscrire leurs émotions de cette manière n’est pas imitable car elle est authentique. « Parfois je voudrais sauver la terre, parfois je voudrais la voir brûler » dit N.O.S. dans « Jusqu’au dernier gramme ». Tout PNL est là.
Le succès de PNL signifie bien quelque chose. Il témoigne des fractures qui existent dans notre société. Il nous met face à nous-mêmes, peut-être davantage que des artistes avec lesquels on serait spontanément d’accord. Ce succès, ce n’est pas celui de l’idéologie néolibérale comme on pourrait le croire et immédiatement l’interpréter. C’est davantage la reconnaissance du mal-être qui se déploie dans nos consciences. Finalement, si on devait dans le futur trouver un artiste qui symbolise l’esprit de notre époque, PNL ne sera pas un mauvais choix : ils incarnent le bien et le mal de notre temps. On les verra alors entrer dans la légende.
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Encore une énième branlette sur PNL. Hummm…Ouai comme dirait les autres.
Tu remarqueras que ce papier ne contient aucun jugement de valeurs. Ce que j’ai essayé de faire, c’est expliquer pourquoi PNL rencontrait du succès, aussi bien à grande échelle que chez certains qui auraient tendance à ne pas aller vers ce type de rap. Cet article, c’est un peu pour tenter de comprendre pourquoi j’ai moi-même accroché alors que ce n’est pas du tout mon style.
Merci pour ton com’ original et constructif Nox ! As-tu au moins lu l’article avant de l’écrire ?
Excellent article qui à mon avis touche au vrai concernant le succès mais aussi le pourquoi et l’idéologie (ou de la négation d’idéologie) qui traverse le discours de PNL. La seule nuance que j’apporterais, si je peux me permettre une énième branlette sur PNL, est que les paroles, aussi simples, onomatopées et déconstruites soient-elles, forment un tout bien plus complexe et profond qu’il n’y paraît au premier abord. De nombreux morceaux se répondent en réutilisant des morceaux de phrases d’une chanson à l’autre, les onomatopées forment parfois des silences qui invitent à plonger par l’imagination dans ce que veulent exprimer Ademo et NOS comme par empathie et la déconstruction des phrases donnent parfois quelque chose de très cinématographique, très visuel (« Regard dans l’ciel / Corbeau qui passe ») qu’on retrouve aussi chez SCH (« Trois sur le carrelage / Deux sur la moto ») et certainement d’autres. Bref, je pense qu’on se branlera longtemps sur PNL parce que justement il y a matière à et qu’ils apportent quelque chose de particulièrement novateur et paradoxal, comme cet article le souligne bien, notamment entre « rap commercial » et « rap indépendant ».
Je trouve que ton article est très juste et comme dit « Olivier » les paroles paraissent simples au premier abord mais il y a beaucoup de fond, de remise en question, de tristesse, d humour, les deux frères sont bons et leur stratégie (pas de feat, pas d interview) fonctionne à merveille. J ai 35 ans et Pnl m a giflé depuis Qlf.