C’est sous un soleil estival que nous avons pu discuter avec trois piliers du collectif barcelonais Just A Live. Très actifs ces deux dernières années, ils ont réussi à faire naitre une réelle dynamique autour du beatmaking dans la capitale catalane en proposant régulièrement des événements. Rencontre avec Felabeats, Oka Miles et Zeack.
Comment est né le projet Just A Live ?
Felabeats : Il est né du souhait de plusieurs beatmakers de la ville de mettre en commun des connaissances et d’échanger sur des méthodes de travail avec les MPC. Concrètement c’est Zeack qui après avoir acheté une machine a appelé des gens de son entourage pour essayer de lancer cette initiative. On a commencé à se réunir chez lui et ensuite plus régulièrement dans une association cannabique afin de jouer en live.
Peux-tu expliquer à nos lecteurs ce qu’est ce type d’asso ?
Felabeats : A Barcelone il existe des entités qui fonctionnent sur la base de la culture collective. Leurs adhérents font des dons et en contrepartie peuvent accéder à un local de type bar et se retrouver pour chiller. Certains de ces lieux sont équipés logistiquement pour accueillir des petits événements culturels, et notamment des concerts avec des capacités d’accueil de 30 à 100 personnes maximum. Beaucoup de DJ, rappeurs et producteurs s’y produisent régulièrement. Quand on a commencé à jouer dans l’un d’entre eux, rapidement des MC’s qui étaient dans la salle nous ont demandé de brancher un micro pour faire des open mics. On a donc décidé d’organiser assez souvent des petits événements que l’on a toujours filmés et mis en ligne sur le net.
Qui sont donc les différents composants du groupe ?
Felabeats : Au niveau des beatmakers, Dj Zeack et Tian qui forme aussi le duo Thick Beats, Oka Miles qui est le producteur d’Herida Abierta, Drako et moi. Nos ingénieurs du son sont Mr Sutra et Ramón. Au niveau de l’audiovisuel, on bosse avec Mind Game Films et Ahdi Riks.
Vos sessions sont particulières car vous jouez les 5 ensemble sur la même mélodie et exclusivement en improvisant. Connaissez vous d’autres collectifs en Espagne ou dans le monde qui fonctionnent de la même façon ?
Felabeats : Il y a quelques années sur Barcelone il existait le collectif Tribute Corp qui faisait quelque chose de similaire. Parfois ils envoyaient des sons chacun leur tour et aussi proposer des Jam avec des DJ, des MPC, des musiciens.
Zeack : Une semaine ils décidaient de faire une session spéciale Jay Dilla par exemple. Ses composants étaient Mosfonic, Zemo, Dj Ches, Iron F4c3.
Felabeats : Nous on a voulu vraiment ouvrir ça aux MC’s et aussi proposer une plateforme sur internet qui soit axée sur le beatmaking pour montrer le travail de nos membres mais pas seulement. On invite régulièrement d’autres producteurs de Barcelone mais aussi de toute l’Espagne à participer à nos sessions. Par exemple on a ouvert une section sur notre chaîne qui s’appelle « Beat it » où l’on filme des intervenants extérieurs. On a aussi le concept « Just A Knife » où les membres de notre collectif doivent sampler à leur tour le même vinyle pour composer un beat. En tout cas dans le monde il doit y avoir pas mal d’initiatives similaires.
Oka Miles : Ce qui est sûr c’est qu’on essaie de mettre beaucoup de sérieux en axant le projet sur la continuité et c’est souvent ce qui fait défaut.
Zeack : Moi je connais un collectif de Sydney qui se nomme The Chop. Ils mélangent actuations en solo et Jam avec des platines et des MPC. Les mecs ont vraiment un bon niveau. C’est similaire à ce que l’on fait mais pas exactement identique. Je vous conseille d’ailleurs de jeter un œil à leur taf.
Avez-vous des rôles différents lorsque vous jouez en live ?
Felabeats : En fait, vu qu’on prend ça pour du partage et qu’il n’y a pas de compétition entre nous, on essaie d’arriver à la meilleure production finale ensemble. On est cinq producteurs fixes et parfois six lorsque l’on a un invité. On doit se focaliser constamment sur le fait de ne pas être de trop sur un élément du beat ou voir où on pourrait apporter notre touche. On est comme un groupe de musique ou une équipe de basket.
Oka Miles : A chaque son, on change les rôles. On passe de jouer les drums, à jouer la basse ou à lancer le sample.
Zeack : Après chacun à ses spécialités. Par exemple je dirais qu’Oka est meilleur que les autres avec la basse. Peut-être parce qu’il en a déjà joué. On est autodidacte en général, sans formation musicale. On fonctionne à l’oreille.
Oka Miles : Avec le temps chacun s’est spécialisé mais on continue de toucher à tout.
A chaque début de son c’est au feeling, sans savoir ce que son voisin va jouer ?
Oka Miles : Oui. On commence toujours par le sample et chacun vient se greffer au fur et à mesure.
Vous arrivez à répéter ensemble régulièrement ?
Felabeats : On essaie en plus des lives de se voir tous les 15 jours au moins pour bosser notre entente et la dynamique pour l’improvisation. Il y a peu, on a monté un show pour la chanteuse Kyne en première partie de DJ Premier et un autre pour Marga Mbande. Dans ces cas- là on a été obligé de les préparer pour qu’elles puissent se régler sur notre musique. Mais en règle générale c’est toujours de l’impro.
Quand vous produisez en solo, vous avez tous la même technique de travail qui consiste à partir d’ un sample de vinyle ?
Zeack : Effectivement c’est une des choses qui nous unit. Après on n’est pas sectaire là-dessus et on considère que tout est utilisable. Personnellement, 90% de mes instrus doivent partir d’un sample de vinyle.
Felabeats : On a tous des cartons de vinyles bien remplis. Ça nous est même arrivé, au cours d’un événement organisé par un disquaire, de dépenser notre cachet entièrement dans la boutique à la fin de notre session. Mais personnellement j’ai samplé du CD ou des jeux vidéos par exemple.
Zeack : Le sampling n’a pas de limite.
Pouvez-vous donner des noms de rappeurs et producteurs avec qui vous avez collaboré?
Felabeats : Il y en a eu énormément. Nous avons collaboré de plusieurs façons avec des producteurs. Au cours des « Just A Live MPC Show », le concept où on organise les Open Mics, certains sont passés pour jouer les drums ou balancer un sample. M Padron, Dj Swet, Hartosopash, Kumar, Ribon… Pour le concept des « Beat it », DEPS, Sior, Rels de Majorque, Lactus, Mosfonic et plein d’autres.
Pour Noël, vous avez monté une session « Just A Live MPC Show » en pleine « Plaça Catalunya », épicentre de la ville de Barcelone. C’est assez rare que le rap en Espagne ait l’occasion de pouvoir s’exposer d’une telle façon. Comment cela s’est fait?
Felabeats : C’est grâce à une association qui s’appelle « El Ritme al carrer » qui était la promotrice. Sa particularité est qu’elle ne cherche pas à faire les traditionnels événements commerciaux. Ses membres essaient que du lien se tisse entre acteurs et participants. Des ateliers ont été organisés sur plusieurs jours avec la participation de beaucoup de disciplines artistiques en lien avec le hip-hop et l’art de rue en général. Tout cela au milieu de la place. Il faut souligner aussi que le rôle de la la mairesse actuelle (NDLR: Ada Colau du parti « En Comú Podem ») a été important. Elle a décidé cette année de renoncer à l’installation de l’habituelle patinoire, trop onéreuse, afin de miser sur un projet social et participatif.
Zeack : Il y a eu beaucoup de public avec des profils différents. Familles, amateurs de hip-hop, passants curieux. Au final notre musique est assez accessible pour tout le monde.
Felabeats : D’ailleurs pour les fêtes de la Merce de septembre (NDLR: équivalent à Barcelone de la Fête de la Musique), grâce à la mairie, on va rejouer en plein air dans un parc. Leur objectif n’est pas de mettre une scène commerciale et de faire du chiffre au bar comme on avait l’habitude de voir avec l’ancien maire.
Quels artistes issus du hip-hop français connaissez-vous ?
Felabeats : Moi j’aime beaucoup Lunatic, la Mafia K’1 Fry et IAM.
Zeack : Moi j’écoutais beaucoup Shurik’n. La compilation Mission Suicide m’a marqué au même titre qu’Oxmo Puccino, 2Bal 2Neg’ et la B.O. de « Ma 6-T va cracker ». Kery James bien sûr. Le Peuple de l’Herbe aussi. J’avais des projets de ces artistes en cassette. Je ne comprends pas le français mais ces sons me parlent. J’ai toujours essayé de demander autour de moi à ce qu’on me traduise les textes.
Oka Miles : Au niveau des producteurs plus actuels, moi j’écoute Mani Deïz que je trouve très bon. Juliano aussi dans un même registre boom-bap. C’est ce genre d’instrus que l’on apprécie beaucoup.
Avez-vous pensez à sortir un CD ou un projet en numérique car il n’y a rien à votre discographie en tant que collectif ?
Felabats : On a plusieurs idées en tête. Une beat tape sortira avant la fin de l’année et on prépare aussi des projets avec des MC’s. On va se concentrer sur là-dessus.
Oka Miles : Je voudrais rajouter aussi que l’on a commencé à inviter des musiciens et que l’on souhaiterait développer ce modèle de live. On a eu un bassiste, un pianiste, un batteur…
Est-ce que vous avez des dates de programmées pour cet été?
Felabeats : Oui, on va jouer dans plusieurs assos, on nous contacte aussi maintenant pour jouer sur les de toits d’hôtels qui font office de bar. En septembre on bougera à Madrid. On aimerait bien enchaîner sur plusieurs dates en Espagne.
Le mot de la fin?
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