Chronique : !llmind & Joell Ortiz – human.

Mastodontes ou talentueux newcomers, les hip-hopeurs US ont enflammé la toile tout l’été au rythme de leurs sorties. Au pays du Big Mac, il faut dire que cette fournée 2015 avait de quoi faire saliver : un Dr Dre qu’on n’attendait plus, le retour en solo de Method Man, le nouveau Jedi Mind Tricks, ou la confirmation Vince Staples pour ne citer qu’eux. Et puis le 17 juillet sortait human. de !llmind & Joell Ortiz.

Un Joell Ortiz qui ressentait à nouveau le besoin d’être le Master of Ceremony en chef sur la longueur d’un album. Car malgré quelques sorties convaincantes ici ou là, c’est souvent comme membre du quatuor Slaughterhouse qu’est cité le rappeur de Brooklyn. On a envie de dire à Joell que les vrais savent, que sa qualité lyricale n’est plus à démontrer, que son flow est souvent apprécié, qu’on a kiffé ses précédents solos, ou son défonçage en règle de Kendrick Lamar voilà deux ans. Mais voilà, le garçon voulait se re-présenter à nous.

 « I miss talking about what I come from.  You know what I’m sayin’? Like, I’m a quarter of the best rap group, in my opinion, ever assembled, but I’m 100% of Joell, and I want to tell that story some more »  – Human (Intro)

« Ça me manque de raconter d’où je viens, tu vois ce que je veux dire ? Je suis un quart du meilleur groupe de rap jamais constitué, d’après moi, mais je suis 100% de Joell, et je veux raconter un peu plus de cette histoire là. »

Qui de mieux pour l’épauler dans sa tâche qu’!llmind ? Les deux se connaissent bien et ont notamment taffé ensemble sur House Slippers, le dernier album d’Ortiz, sorti en 2014. Et !llmind possède l’une des plus belles cartes de visites de la côte Est en mettant en rythme la crème de la crème : Skyzoo, J.Cole, Drake, Ludacris, le regretté Sean Price, KRS One… on a vu pire. L’association fait saliver.

Première observation : en comparaison avec House Slippers, human. est court, et le nombre d’invités est limité. 11 pistes seulement, dont uniquement 3 comprenant des featurings. Après l’intro, ça commence très fort avec « New Era » , véritable démonstration d’authencité. Non, le MC ne change pas devant les caméras, clame sa vraie vie sans artifices:  « 7 and a half Yank New Era / It’s real underneath this 7 and a half Yank New Era ». Si les rimes sont bonnes, on est plus dans le slogan que dans l’envolée lyricale, plus dans la revendication que la poésie. Mais le phrasé, brut, s’associe à merveille au beat ciselé d’!llmind, à ces quelques notes de piano qui viennent saupoudrer le tout. L’ambiance est lourde, suffocante, et diablement plaisante.

Si la présentation de l’album laissait à penser que ce disque était taillé pour Ortiz, c’est le cas. Mais il est également à 50% la propriété d’!llmind, qui dès les premiers beats, nous démontre qu’on peut utiliser dignement une boîte à rythme, associer lourdes basses et caisses claires, sans tomber dans le cliché trap qui nous inonde parfois un peu trop.

« I Just Might » s’inscrit dans ce ressenti. JO apporte son écot lyrical aux beats d’!llmind gonflés à l’écho. La moiteur s’intensifie sur cette piste. Titre à double lecture, on nous explique les tentations du quotidien d’un rappeur un tant soit peu connu : se pavaner au bord des terrains NBA avec Jay-Z, se pointer partout avec 30 minutes de retard tel un Kanye, se pervertir à l’arrière de la Merco avec des filles de joie. La première interprétation voudrait voir Joell Ortiz embrasser ce style de vie. La seconde, plus subtile, soulignera l’emploi du conditionnel dans la bouche du MC de Williamsburg, et le difficile équilibre entre envie et raison, rêve et réalité. human. Voilà où on voulait nous emmener avec cette sortie.

L’album ne fait certes que 10 véritables titres (si on soustrait l’intro), mais ceux-ci se suivent et révèlent un ensemble cohérent. Comme un mélange d’El-P et Aesop Rock teinté de Havoc, on reconnaît dans les ambiances d’!llmind celui qui bosse avec Mobb Deep. Vous retrouverez cette coloration sur « My N***** » où Joell Ortiz, amer, fustige les pairs du quartier, devenus haters devant ses succès. Thématique récurrente dans le rap. Puis « Light a L », « Six Fo' » montent encore la pression jusqu’à un « Lil’ Piggies » d’anthologie. L’atmosphère est irrespirable, !llmind s’imagine en juge intransigeant, Ortiz en bourreau psychopathe, prêts à punir les MC’s bas du front qui s’inventent une vie devant le champ des caméras. Les paroles sont explicites, le clip l’est tout autant.

« I’m a VIP nigga sittin’ at the bar
The nigga that you see when them cameras on
Is the nigga that you meet when them cameras off
I am who I am, that’s not who they are » – Lil’ Piggies

« Je suis un nigga posé au bar (analogie avec bar = mesure)
Le nigga que tu vois quand les caméras sont branchées
Est le même nigga que tu vois quand les caméras sont éteintes
Je suis ce que je suis, ce n’est pas ce qu’ils sont » – Lil Piggies

Le temps des featurings, avec un excellent « Latino pt 2 » (avec Emilio Rojas, Bodega Bamz et Chris Rivers) est aussi le temps que choisit !llmind, pour alléger un peu les productions, la pesanteur se faisant alors un (tout petit) peu moins présente. « Who Woulda Knew » (featuring Father Dude) ou « Bad Santa » (featuring Jared Evan) sont sans doutes un peu plus accessibles pour les non-initiés aux sons sombres.

« Human (outro) », clôt un album d’une grande qualité aux sons des cuivres, des choeurs, et du piano, comme un générique, un clap de fin. !llmind a aidé Ortiz à se livrer, exprimer sa sincérité. On ose penser après ces 11 pistes que le discours est honnête. Une chose est certaine, cet opus est probablement le meilleur de cet été 2015 de l’autre côté de l’Atlantique.

Vous pouvez vous procurer human. chez tous les bons disquaires et e-disquaires.

Date de sortie : 17 juillet 2015 // Label-distribution : Roseville Music Group, Yaowa! Nation

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