[Rencontre] Que deviens-tu, Kadaz ?

Religion, Alain Souchon, ancienneté, souvenirs, Strasbourg, Le Pen, Dieudonné, Charlie Hebdo, Ben Arfa, Abd Al Malik, politique, satanisme, FIFA 15 et même rap allemand. On a dû aborder tous les sujets possibles dans une interview du volubile Kadaz, ancien membre de La Mixture qui a toujours des anecdotes croustillantes pour assaisonner la discussion. Bon appétit !

Kadaz, ça fait combien d’années dans le rap ?

Depuis… fin 90 (l’année, ndlr). Ça fait 25 ans.

Et en morceaux, des centaines ?

Ouais plein !

Tu peux revenir brièvement sur ton parcours pour nos lecteurs ?

J’ai commencé le rap fin 90 avec Mariano et DJ Aze qui est encore actif chez nous au niveau de la radio locale. On a créé un groupe qui s’appelait « Le Royal ». On était du même quartier que le premier groupe de rap de Strasbourg qui est venu fin 88 / début 89 et qui s’appelait Le Colorz. Il y avait Frérot, DJ Zoom, Insolent, Myce qui était danseur et graffeur. On a suivi les grands frères du Colorz, et avec les années, on a formé « La Mixture » avec Moz, Frérot, DJ Antar et moi en 1993/1994. On sort en 1998 un maxi, Les têtes à battre qui a bien marché, très bien même.

Il n’est plus trouvable aujourd’hui, si ?

Si ! Putain mais j’étais choqué d’ailleurs, je l’ai trouvé sur eBay à plus de 250€ ! Je sais que j’en ai confié cinq à Antar parce que je savais que si je les gardais, je les aurais cassés ou perdus. On a sorti ça en 1998.

Et là, il y a le tremplin….

Voilà. On enchaine le feat avec la Fonky Family sur l’album « Si Dieu veut… ». On les avait fait venir à Strasbourg en concert, c’est comme ça que la connexion s’était faite.

En première partie ?

Même pas ! A l’époque, il n’y avait pas d’histoire de première partie, ça rappait. Y’avait une scène, un micro, et à un moment ou un autre ça partait en rap ! Après on allait trainer à Marseille, on a aussi beaucoup trainé à Paris, dans le 18ème Métro La Fourche où on rencontrait les gars de la Scred. Puis Fabe nous a ramené sur la compile de Cut Killer avec « Le dos au mur ».

C’est LE classique de La Mixture ?

Pour moi, j’ai envie de te dire que le classique de La Mixture c’est « Les têtes à battre ». Après ce morceau, c’est le classique au niveau national parce qu’il a eu un grand succès d’estime. Il a bien marché. Mais mon classique de cœur c’est « Les têtes à battre », c’est LE morceau de La Mixture.

« J’avais rien à voir dans l’histoire mais j’étais là avec mon pote. Il lui a défoncé sa voiture, a pris une bombe et a taggué « Abd Al Kadaz ». Il n’avait rien à voir avec le rap. »

Kadaz, c’est ton prénom ?

Non, même pas, je m’appelle Christophe.

Donc, Kadaz, pourquoi ?

En fait, c’est une histoire bizarre. Il y a un pote qui avait une embrouille avec un autre gars, il lui devait de l’argent. Cette histoire a trainé, trainé, trainé, trainé… et un jour, on tombe sur sa voiture. J’avais rien à voir dans l’histoire mais j’étais là avec mon pote. Il lui a défoncé sa voiture, a pris une bombe et a taggué « Abd Al Kadaz ». Il n’avait rien à voir avec le rap. Quand j’ai vu ça, j’ai dit : « J’aime bien le nom. Je peux le prendre ? » et il m’a répondu « Vas-y, sers-toi ! ». J’ai enlevé le « Abd Al » et j’ai gardé « Kadaz ».

Et La Mixture, ça symbolisait quelque chose entre vous ?

Je t’ai dit, c’est le regroupement des gars du Colorz. Ils ont fait le concours « Nation rap » avec Sidney, et ils s’appelaient « Une certaine mixture ». Mariano est parti dans une autre voie, Tomb a arrêté, et puis « Le Royal » a plus ou moins splitté, puis on a gardé La Mixture. Ce qui était bien, ce qui était fort, et pourquoi ça représentait bien le nom, c’est qu’on était quatre entités. Sur le fond on était pareils, mais dans la façon d’écrire, de rapper et de voir les choses, on avait trois styles différents et le DJ complétait bien le truc.

Tu rappes toujours en 2015 et tu as toujours un public. N’ayant pas bénéficié de la constance, de l’exposition et des succès d’anciens comme la Scred, qu’est-ce qui explique ta longévité ?

L’erreur qu’on a faite, c’est qu’après « Le dos au mur », il y a eu plusieurs opportunités qui se sont présentées. On devait être sur Taxi 1 et ça ne s’est pas fait parce que le délai était super court. Ils ont pris les artistes marseillais et ceux en tournée autour de Marseille. Sur Taxi 2, ils voulaient clairement un des trois de La Mixture pour le groupe avec Jalane, Disiz La Peste et Nuttea. Ils voulaient une grosse tête, et je crois que c’est Faf Larage qui est entré dans le groupe. A cette époque-là, on avait un petit buzz tu vois, on était en relation avec pas mal de maisons de disque. On a foiré par notre comportement parce qu’on était jeunes, on ne leur disait pas « On veut signer », on leur disait « On veut du travail ! ». On voyait la maison de disque comme une ANPE. « On sait écrire, on sait rapper, on sait faire les ziks, on veut du travail ! »

Jeune, tu le voyais comme un boulot potentiel ?

Non, je le voyais comme une porte de sortie parce qu’à l’époque il y avait plein d’argent dans le rap. Les groupes qui signaient, signaient avec des avances de disques mirobolantes qui permettaient de vivre bien. Et puis je te dis, au niveau comportement… Je vais te donner une anecdote : quand on était chez Sony, la première question que j’ai posé au directeur artistique c’est « Est-ce que je peux rouler un joint ? » Je pense que ça a dû le refroidir. Après, on était chez EMI, il y a eu d’autres soucis mais ce n’était pas de notre volonté. Il y a un autre gars qui m’avait pris de haut au téléphone, je m’étais embrouillé avec lui, je l’avais insulté carrément et il se trouve qu’il est devenu après le boss de EMI. Donc il y a eu plein de conneries comme ça et puis surtout beaucoup de concerts. On tournait énormément à cette époque-là.

« Quand on était chez Sony, la première question que j’ai posé au directeur artistique c’est « Est-ce que je peux rouler un joint ? » Je pense que ça a dû le refroidir. »

« On m’a dit de me taire, et je l’ai ouvert… » Ça t’évoque quoi ?

Ahhh c’est un couplet que j’ai lâché sur Labyrinthe 2 avec le pote Kertra ! Très très bon gars. Mais oui méchant souvenir même ! Junior était avec moi d’ailleurs. Junior, c’est un gars de Strasbourg qui rappe toujours. J’étais parti à cet enregistrement, il y avait de tête Koma, Dry, Demon-One et Rachid sur le morceau et on était censé faire chacun un 8 mesures. Je suis rentré en premier dans la cabine, j’ai dit « Rachid, s’il te plait, j’ai écrit un 16 sur le chemin. », lui m’a répondu « Tu fais chier ! Pose ton 8 et ciao ! » . Au final, j’ai réussi à poser le 16 et j’ai même réussi à poser le refrain en plus. C’était dans un studio à Paris. C’était un putain de souvenir, de un parce que j’étais salement content de ce couplet, de deux ça me fait plaisir d’avoir des retours dessus parce que je tenais beaucoup à ce 16. Fréro a posé aussi un 8 dessus. Ça me fait plaisir que tu m’en parles de ce morceau !

C’était quand même une sacrée connexion…

Kertra je l’avais rencontré sur le morceau avec la Fonky Family sur le morceau « Sans faire couler le sang ». Ça s’est fait naturel. On s’était vus deux, trois fois à des concerts d’Express Di à Strasbourg. C’est lui qui nous avait appelés pour faire ce truc-là, toute l’initiative revient à lui. Tu peux pas t’imaginer comme ça m’a fait plaisir quand j’ai découvert « Dealer pour survivre »… C’est le premier groupe de rap français à avoir ramené la touche « quartier », ils l’ont ramené tels qu’ils étaient. Je me suis senti très proche de cette musique-là, parce que je me rappelle que quand on débarquait de Strasbourg, on n’était pas en Karl Kani, on n’avait pas des gros Starters, des gros baggys et tout ça. On débarquait de Strasbourg, c’était Stan Smith, Lacoste, Sergio Tacchini. Quand on venait ici, les gars nous prenaient pour des grosses cailleras, et quand on rappait, ils fermaient leur bouches. T’es fou, je suis trop fier de ce morceau avec Rachid !

Dans une interview, tu évoques ton soulagement de ne pas être devenu une vieille star du milieu rap…

Pas une vieille star du rap. A l’époque, j’étais pas quelqu’un de stable. Il y avait tout : l’alcool, les filles, le shit… Si tu rajoutais à ça l’argent et la gloire, j’avais tous les ingrédients pour partir en couilles.

Puisqu’on parle de Strasbourg, on est obligés de parler de N.A.P. Il n’y a pas un peu de frustration par rapport à leur éclosion ?

Si bien sûr… Non. On serait 20 ans ou 15 ans en arrière, je cracherais sur Abd Al Malik et le taf des N.A.P. On s’insultait, on se tapait dessus, pas régulièrement mais c’est déjà arrivé. C’était même pas des histoires de quartiers, c’était des histoires de gamins, de cour de récréation. Strasbourg, c’est petit, on se croisait tous les jours avec Abd Al Malik sauf qu’on faisait tous les deux du rap et on voulait tous les deux êtres les meilleurs de Strasbourg. On se revendiquait chacun comme le premier groupe de Strasbourg. Mais même ça c’était gentil, on n’allait pas se mettre des coups de couteaux non plus.

Avec le recul, que penses-tu des N.A.P ?

Il y a un morceau, quand il est sorti je ne le disais pas mais, je te le dis franchement j’étais fou de ce morceau : « Je viens des quartiers » ! Je le connais par cœur. A l’époque je fermais ma gueule mais j’écoutais en scred ! Quand Abd Al Malik a sorti « La ligne du 14 », je suis rentré chez moi et j’ai écrit « La ligne du 9 ». Ça faisait partie de nos petites vies de mecs du rap de Strasbourg.

Vous êtes en contact aujourd’hui ?

Parfois on s’envoie un petit SMS, un petit coup de téléphone. Je ne suis pas fan de ce qu’il a fait en slam. Je l’ai même dit sur un titre où j’étais un petit peu trop explicite au niveau de la gestuelle. Je me suis excusé par rapport au geste, pas par rapport à ce que je dis parce que je le pensais. J’ai un grand respect pour la carrière qu’il a fait, qu’on le veuille ou non.

« Quand Abd Al Malik a sorti « La ligne du 14 », je suis rentré chez moi et j’ai écrit « La ligne du 9 ». Ça faisait partie de nos petites vies de mecs du rap de Strasbourg. »

Est-ce que tu as vu son film ?

Ah ça, par contre, avant d’en parler avec toi je vais d’abord en parler avec lui.

Il n’existe aucun morceau de vous deux, si ?

Eh bien figure-toi que Mess Bass m’a soufflé l’idée. J’ai appelé Régis un jour, il a accepté mais ça ne s’est jamais fait. Il a un emploi du temps de ouf. Moi, personnellement, j’aimerais bien faire ce morceau-là parce qu’on est les deux derniers de l’époque à Strasbourg encore en activité.

Aujourd’hui, tu promènes ton vinyle « L’Esthète » dans toute la France. D’abord, pourquoi le format vinyle ?

Parce que je trouve qu’il n’y a plus de musiciens dans le rap au sens propre du terme, parce que je ne suis jamais monté sur scène avec un band, parce que j’ai connu le rap comme ça et que je pense que c’est ça le rap. Et puis parce que ma première apparition c’était sur un vinyle. Et avec tous ces petits moments d’absence, je trouvais que c’était intéressant de revenir sur un vinyle… Pour l’objet. Je n’exclus personne, si tu n’as pas de platine vinyle, je te l’envoie. Mais c’est moi qui te le donne. Je suis 100% contre les plateformes de téléchargement.

Tu ne pirates jamais toi ?

Non. Depuis que j’ai iPhone, je télécharge les artistes que je soutiens même si ça fait longtemps que j’en ai pas acheté. Mes prochains achats, ça va être Dragon Rash et Lino. Le dernier achat que j’ai fait dessus, c’était l’album de Mysa.

En parlant de « rap d’adulte » comme dit Flynt, il y a aussi JP Manova qui…

(Il coupe) Je ne connaissais pas lui ! Je l’ai découvert sur Facebook sur un clip qui vient de sortir. Putain, le mec il rappe hein ! Ça fait plaisir de voir des artistes comme ça tu vois !

T’es pas blasé du rap alors ?

Non, non, mais j’écoute autre chose aussi. Après, bien sûr, tu montes dans mon taxi, tu vas écouter du rap de 1993, 1994. Dans l’iPhone, j’ai l’album des Little encore. C’est vrai que je ne suis pas fan de ce qui sort actuellement à la radio, à la télé ou ce que les enfants te ramènent. Bien sûr qu’il y a toujours des vrais artistes : JP Manova, Jeff le Nerf je suis un grand fan…

Tu dis écouter beaucoup de styles de musiques différentes et te nourrir de ces influences. Tu peux préciser ?

J’aime beaucoup Souchon, Balavoine, Reggiani, Sanson…

Tu envisagerais un son avec un chanteur français que tu affectionnes ?

Bien sûr ! J’ai loupé Souchon dans une petite salle à Strasbourg. Si j’avais su qu’il était là, je serais allé le voir pour lui dire « Je veux faire un morceau avec toi. » J’ai fait une reprise de Christophe, je l’ai croisé, je lui ai fait écouter le morceau, il m’a dit qu’il allait m’envoyer les bandes pour le refrain, j’ai dit « Non, j’aimerais que tu viennes faire le refrain ! » J’aimerais écrire pour un mec comme Souchon, Eddy Mitchell même s’il écrit déjà très bien lui-même.

Tu as déjà en tête ton projet solo. Tu sais quand il arrive ?

L’album est fini. C’est « Le prologue ». Initialement, il s’appelait « Le boulevard de la paix ». Mon ami avec qui je bossais a eu un souci personnel et je ne voulais pas continuer à avancer sans lui donc j’ai mis le frein sur l’album « Le boulevard de la paix » donc entre temps j’ai écrit « L’Esthète » et « Le prologue ». Ça va être un espèce de pré-album où tu trouveras quatre sons dont les clips sont déjà en ligne : 3G avec Akhenaton, Stéphane, Viens on en parle et L’amertume de l’ancien. Ça m’a servi de colonne vertébrale au projet. Tu retrouveras en feat Driver, Icham sur un morceau très funky, Faf Larage, et de Strasbourg : Mess Bass, Junior, Sianna & Maeva.

Tu t’es imposé des thèmes ?

Non, j’ai gardé le concept de La Mixture, mais c’est trop sur la vie. On me le reproche parfois. C’est pas que tu tournes en rond, mais c’est un moment de vie. Chaque morceau c’est un moment donné. J’ai écrit des egotrips mais même mes egotrips ils ne sont pas comme ceux que tu écoutes. Le délire de punchlines, ça me parle pas. J’aime trop la rime.

Quel effet a pu avoir la campagne « Le rap c’était mieux avant » sur toi ?

J’ai envie de te dire « Oui, je m’y retrouve », j’écoute encore le rap d’avant… Mais après c’est normal, tu me demandes à moi, 40 piges, si c’était mieux avant : j’avais pas de soucis de loyer, de charges, d’enfants, j’avais que du rap, du shit dans la tête, et des concerts donc oui c’était mieux avant.

La scène, t’en as encore envie ?

J’ai carrément envie ! Dès que je peux rejoindre Rachid (Demi Portion) ou La Rumeur sur scène, j’y vais.

La Rumeur justement, c’est des proches. Tu as déjà rappé avec eux en dehors de la scène ?

Ekoué avait produit un morceau qui s’appelle « Un putain d’son » sur une compile qu’il avait lui-même produite « La Bande Originale ». Y’avait Specio aussi (Keuj et son pote dont j’ai oublié le nom), ce morceau c’était une tuerie ! Il a lâché un couplet avec Ekoué… Un des tous meilleurs en France pour moi. Y’a eu « Nord Sud Est Ouest volume 1″ aussi. Ekoué, je l’ai connu sur un morceau d’une mixtape d’Assassin « L’underground s’exprime » et j’avais pris ma gifle, je le connaissais pas. J’ai été fan d’Assassin à l’époque du maxi « Note mon nom sur ta liste », pour moi c’est une anthologie. Après, j’ai un peu lâché l’affaire, tout ce qu’il y avait après c’était pas trop ma came. J’avais entendu Ekoué et j’avais pris ma claque sur la façon dont il était rentré dans le morceau. J’étais sur un concert avec la Fonky Family à Lille au Zénith, et Ekoué était là-bas avec Casey… Non, Casey était venue avec NTM ce soir-là. Je me souviens de Casey avant qu’elle quitte La Rumeur et tout, quand elle rappait avec Anfalsh. La période Casey/Sheryo c’était ma préférée. La meuf, elle rappe, y’a rien à dire.

« Mais je ne pourrais pas chanter les trucs des autres, parce que je suis interprète de ce que je vis, ce que je raconte. Par contre, la liberté que j’ai trouvé en écrivant pour les autres, c’est que t’as pas de barrière. »

On parle de gens installés dans la musique et qui en vivent. Toi, tu vis de la musique ?

Non, j’essaye d’en vivre depuis peu. Depuis un an. J’ai travaillé beaucoup dans le social, et là je suis chauffeur de taxi depuis 2007. Je viens d’arrêter, je fais que de la musique depuis septembre 2014. J’ai produit « L’Esthète », j’ai écrit un album pour quelqu’un d’autre aussi de A à Z. C’est Ludo, d’un groupe strasbourgeois qui s’appelle « Lyre le temps » et qui tourne très très bien. Je suis allé à un de ses concerts et j’ai pris une gifle. C’est pas ma musique, mais musicalement, c’est très fort. C’est électro-jazz, un truc comme ça. Je lui ai dit que ça me parlait pas parce que c’était en anglais, je lui ai écrit un couplet, et deux mois après on avait un album.

Les « Ghostwriters » du rap, ça reste pourtant un sujet tabou…

J’ai aucun tabou par rapport à ça. Les trucs que moi je chante, j’assume tout. Mais je ne pourrais pas chanter les trucs des autres, parce que je suis interprète de ce que je vis, ce que je raconte. Par contre, la liberté que j’ai trouvé en écrivant pour les autres, c’est que tu n’as pas de barrières.

Tu t’en imposes ?

Je ne m’en impose pas, mais psychologiquement elles sont là, de par ma façon de voir les choses, parce que j’ai des enfants, parce que je suis croyant, il y a des limites que je ne traverserai pas. Ce qui est fort quand tu écris pour quelqu’un d’autre, c’est open bar. C’est un gars avec qui j’ai passé pratiquement trois mois, minimum trois, quatre fois par semaine. Je ne voulais pas écrire de la merde donc je parlais beaucoup, on discutait des sujets des morceaux ensemble. J’ai ramené beaucoup mes influences externes sur ce projet, Renaud, Cabrel… J’avais besoin que ça lui parle à lui.

Tu parles de la religion dans tes textes, tu es croyant. Médine, Ali et consorts ont souvent été confrontés au dilemme « rap et/ou religion », car certains pensent que les deux ne font pas bon ménage. Quelle est ta position là-dessus ?

Arrive un moment où tu te questionnes. Quand tu vas à la mosquée, les gars vont te dire que c’est pas hallal de faire de la musique. Toi, tu ne sais pas trop… Alors la chose que j’ai faite une fois, je suis allé voir Abd Al Malik, ça remonte à l’époque où il était encore sous N.A.P. Il s’était converti avant moi, et comme il lit beaucoup, il apprend beaucoup, et qu’à ce moment-là de ma vie, il en savait plus que moi. Je le voyais comme un référent, quelqu’un qui pouvait répondre à cette question. Je suis allé chez lui sonner, on a discuté dans sa chambre et je suis sorti de chez lui, je n’avais toujours pas ma réponse. Même s’il m’a donné des arguments et son point de vue à lui, qui est plus que respectable. Un autre jour, un gars qui s’appelle Chakim qui rappait à Strabourg, qui dit : « Putain c’est fou de voir ainsi Dieu, y’en a qui se chient dessus, à nous de savoir en studio ».

Au final, tu te retrouves face à toi-même dans la cabine ; est-ce que tu vas assumer ce que tu dis ? Est-ce que tu ne vas pas assumer ? Je suis bien conscient de ne pas emmener les gens dans le… Je ne suis pas un exemple hein ! Je m’impose le fait de ne pas raconter de la merde aux gens : glorifier le shit, l’alcool, raconter que tuer c’est bien, violer une femme dans une cave c’est bien… Là où ça m’a conforté dans mon choix, c’est qu’un jour j’ai rencontré un frère de Strasbourg, qui est quelqu’un de très pieux. On se retrouve suite à rendez-vous inter-musulmans, mon pote Aziz m’invite à manger et je me retrouve face à ce gars-là. Cette personne-là me dit « Alors, toujours dans le rap ? », et là j’ai cinq secondes de réflexion en pensant « Putain, il va me défoncer ». Je lui dis « Oui », et lui me dit « Ah, c’est bien ». J’ouvre les yeux et lui demande des explications, et lui me dit « J’ai des enfants, et même si je leur dis que c’est de la merde, quand ils sortent dans la rue, ils vont écouter le rap via leurs potes. J’ai envie de pleurer quand je vois ce qu’il se fait dans le rap. Heureusement que vous êtes encore là pour donner une alternative à ces jeunes-là. » Je ne me suis pas senti missionné, mais ça m’a fait plaisir. Même si toute passion est dangereuse, je suis quand même bien dans ma musique encore.

Tu parlais d’Abd Al Malik. Il y a eu cette histoire sur le soufisme entre lui et le joueur de foot Hatem Ben Arfa. C’est le genre de sujets dont vous parlez ?

Pas encore, et je m’en fous. Je connais l’histoire, j’ai de quoi te donner mon point de vue, mais ce n’est pas intéressant car c’est un autre débat. Je l’ai entendu se défendre car je suis un fan de foot, et Abd Al Malik avait réagi sur « Jour de foot ». Mais je m’en fous, parce que je pourrai aussi aller voir Chill (Akhenaton) et lui dire « Ah, on m’a dit que tu étais illuminati… » Au final, chacun fait ce qu’il veut de sa vie. Mais je peux te dire qu’Abd Al Malik n’est jamais venu avec un coran sur la table. C’est son problème, ce n’est pas le mien.

« C’est un truc qui a frappé le monde entier, tes potes avec qui tu bosses depuis 20 ans se sont fait assassiner à côté de toi à cause d’un dessin, pourquoi tu vas recommencer la même chose ? »

C’est un thème d’actualité, l’extrémisme dans la religion. Est-ce que c’est quelque chose que tu vas aborder dans ton rap ? Et comment te positionnes-tu, étant à la fois rappeur et religieux ?

Je ne me rappelle pas de religion dans ma musique déjà. En m’écoutant, tu vas savoir de quel bord je suis. Je ne vais inciter personne à me suivre, je ne parlerai pas du Prophète dans mes chansons. J’ai un morceau dans mes inédits qui s’appelle « Je laisse la gloire à Dieu », c’est celui où je suis allé le plus loin. J’ai énormément de respect pour Kéry James, parce qu’écrire « Le combat continue » à l’âge qu’il avait… Mais je ne l’ai pas suivi dans son délire religieux avec ses instruments à corde pas à vent… J’ai plus de respect pour un mec comme Mysa. C’est un des tous meilleurs de France, techniquement il met tout le monde d’accord, il a une plume de ouf. Mysa, c’est quelqu’un de très cultivé, très intelligent. Pour moi, son meilleur album c’est le dernier. Il est arrivé à un moment dans sa vie où il n’était plus en accord avec la musique. Il préfère s’asseoir autour d’une table et te parler. J’ai plus de respect pour ces gens qui à un moment donné se mettent en retrait. Pour moi la religion n’a rien à faire dans la musique. C’est comme Dieudonné. Dieudonné, je kiffe ses spectacles. Mais quand il sort ses idées dans la rue, ailleurs que sur les planches, je ne le suis plus. Libre à toi en tant que spectateur de rigoler, mais quand il sort de son cadre à lui…

C’est quoi la limite de la liberté d’expression selon toi ?

La liberté d’expression, je pense qu’elle n’a pas de limite(s). Il y a une phrase de Desproges qui défonce tout : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. » Si on revient sur ce qu’il s’est passé en janvier, je regrette une chose, c’est de m’être exprimé sur les réseaux sociaux. Je ne regrette pas ce que j’ai écrit, je l’ai écrit spontanément et avec de bonnes intentions. Je crachais à la gueule des six survivants, parce qu’en plus du côté commercial et qu’ils soient passé à 7 millions de lecteurs, ils font la une avec le Prophète. Lâchez un putain de message de paix, et pas d’ambiguïté ! C’est à ce niveau-là que j’en voulais à ces gens-là à ce moment-là. Je me suis fait tuer par ma chérie, par des personnes… Tout le monde dans l’émotionnel, d’un côté ou de l’autre, c’est dur de communiquer. Pour moi, c’est une faute grave de représenter le Prophète en une.

Tu viens de me dire qu’il n’y a pas de limite à la liberté d’expression. Donc, il y en a une finalement ?

Je suis d’accord avec toi, mais là y’a quand même des morts mon frère… Ce que je leur reproche, c’est pas foncièrement d’avoir mis le Prophète en une, parce qu’un journal ça reste un journal, t’aimes pas, tu le lis pas. Comme dit Booba, c’est comme la musique « T’aimes pas, t’écoutes pas et puis c’est tout ». Ce que je trouve vraiment dommage, c’est qu’on est dans un monde où tout est basé sur le buzz. Et quand tu fais du buzz, tu vends. Et là, c’est un truc qui a frappé le monde entier, tes potes avec qui tu bosses depuis 20 ans se sont fait assassiner à côté de toi à cause d’un dessin, pourquoi tu vas recommencer la même chose ? Moi en tant que musulman, ça me ramène à tout ce que vous avez fait avant. Après oui j’ai du recul, oui je vois le message « tout est pardonné »… Il y avait moyen d’être moins ambigu que ça. Le pape qui se fait enculer, j’ai trouvé ça choquant. Tu peux tout caricaturer, le mal comme l’amour. La liberté d’expression, si on doit lui fixer une limite, c’est quand on ne blesse pas la personne qui est en face de soi. C’est plus de la liberté là, c’est de la bêtise. Il fallait que ça soit un truc fort, que même un gamin de 5 ans il voit que c’est un cœur. Le premier pied de nez, bien sûr, c’était de ressortir dans la foulée. Même si je ne l’ai jamais lu de ma vie.

Ça dépasse la simple ligne éditoriale selon moi, la politique c’était…

(Il coupe) Je ne vote pas moi.

Désintérêt ?

Complètement ! Je suis frustré de la politique parce que j’ai travaillé pendant 18 ans dans le social. Je suis passé par la prévention, l’animation, la réinsertion qu’elle soit sociale, professionnelle ou scolaire, et du plus jeune au plus grand. J’ai bénéficié de tous les contrats de la gauche. Quand t’es dans le social, tu te rends compte que c’est une grosse mafia. Suivant les époques, certaines personnes se font du fric en créant des postes comme « Les Grands Frères », puis « Les Correspondants de Nuit » et ainsi de suite Au final, la merde elle n’a pas changé. Dans le social, tu ne peux pas parler dans le long terme alors que c’est vraiment ça qu’il faut que tu bosses : le lonnnnng terme ! T’es dépendant des changements de mairie, des changements présidentiels, ministériels, régionaux… Je peux t’en raconter plein en tant que chauffeur de taxi ; j’ai eu Madame Le Pen dans mon taxi, j’ai eu Harlem Désir qui est un gros fils de pute, excuse-moi de parler comme ça. Imagine-toi qu’il rentre dans le taxi, vers 21h30, il dit au téléphone à son gars « J’aurais dû être là à 14h mais je vais juste au Parlement pour pas perdre mes indemnités. » Le mec est plein de tralala, le même mec qui faisait les discours « Touche pas à mon pote », « SOS Racisme » et tout… J’ai passé vingt minutes dans le taxi, j’avais envie de lui défoncer sa gueule. Pour la petite note du pourquoi je ne vote pas, c’est parce que tous les dimanches après-midi je joue au foot (sourire).

T’as eu Marine Le Pen dans ton taxi ?

Pas Marine, Madame Le Pen, la femme de Jean-Marie. J’ai bien rigolé avec elle ! Je suis allé la chercher, elle est rentrée dans mon taxi. Moi, c’était un plaisir, je parle avec tout le monde. C’est plutôt elle qui était choquée que moi. Je la mets à l’aise, en plus le trajet devait durer un quart d’heure et à cause des embouteillages, ça a duré 40 minutes. Je me rappelle que c’était à l’époque où le Front National devait choisir entre Gollnisch et Marine. Je lui dis que Gollnisch était tellement moche qu’il allait effrayer les électeurs ! Elle me disait « Oui, oui, vous avez raison. » Et je lui disais aussi que Marine faisait trop « vieille femme » et elle me répondait : « Ça tombe bien que vous dites ça, je n’arrête pas de lui dire ça, qu’elle doit prendre un styliste et un relookeur. » Ce qui est marrant, c’est que peu après… bon je dis pas que c’est moi qui lui ai donné l’idée hein, mais effectivement tu vois la Marine de cette époque-là et la Marine de maintenant, sans dire qu’elle est belle, elle est mieux qu’avant. On a beaucoup discuté. Elle me disait que Jean-Marie aime ses petits-enfants, je lui répondais qu’heureusement, car c’est un être humain quand même. Je suis fan de Chirac, j’ai jamais voté pour lui mais pour sa personnalité. L’autre jour j’ai eu un mec qui le connaissait bien, ça m’a fait du bien de parler de ça, il me racontait les moments intimes. Edouard Martin, je l’avais dans mon taxi l’autre jour. Il m’a donné les deux salaires, celui qu’il avait avant l’affaire Florange et maintenant en tant que député européen, je lui ai dit « T’as gagné ! » Il a triplé son salaire, il a réussi à ramener trois potes avec lui, humainement il est comme ça (il lève le pouce, ndlr). Je respecte ça, ça c’est de la politique pour moi, parce que je ne pense pas que la politique va changer le monde. C’est pour ça, quand je te dis que j’ai lâché avec Assassin, c’est à cause de ça.

Et le complotisme aussi ?

Ouais, ça me fatigue ça. J’ai eu ma période où je me renseignais sur le Net. En tant que croyant, le bien est personnifié par les livres saints. Mais s’il y a le bien, il doit y avoir le mal quelque part non ? C’est vrai que le vrai mal avec ses sectes, ses livres noirs et tout, ça doit exister… Mais je m’en pète complètement. Ce qu’il s’est passé avec Charlie Hebdo, va dire à la mère de la jeune flic qui est morte. Qu’est-ce qu’elle en a à foutre que ça soit un complot ? Pareil pour le flic qui est dans le trou.

Mysa a fait une vidéo sur Kaaris et le satanisme aussi…

C’est des points de vue que j’ai et que je garde pour moi. Si maintenant on ramène ça dans la musique… Moi, j’ai toujours pris la musique comme un exutoire. Je n’en ai rien à foutre. Le premier jihad est contre toi-même.

Médine, ça te parle ?

Pas du tout ! P’tain le morceau « Don’t laïk » mais on va où ? En dansant comme ça ? Arrête le rap ! Ça ne me parle pas parce que tu me le ramènes en musique. En plus, sois cohérent : l’Islam, le Judaïsme ou le Christianisme, ce n’est pas des objets de marketing ! Ce n’est pas une marque de fabrique. Après, c’est un avis personnel. Moi, j’écoute pas Médine. Pourtant, je l’ai vu sur scène à Lyon il y a deux ans. Il rappe bien, il a de la présence, je ne doute pas que c’est pas un mauvais homme. Je ne le connais pas à la rigueur.

Tu éduques tes enfants musicalement ?

Tu ne peux pas. C’est de la censure que je fais moi ! Si demain je te fais une merde, et qu’elle va être à un million d’exemplaires, je te jure que je ferai attention au message.

Un featuring avec La Fouine ?

La Fouine, c’est de la merde. J’étais au concert à Strasbourg parce que les enfants voulaient y aller, c’est une honte cet homme-là. Du message qu’il passe aux enfants, la vulgarité de son show qui pue la merde… Non, tu ne peux pas les éduquer musicalement car malheureusement, quand ils sortent dehors, ils vont être rattrapés par la masse, par ce qu’écoutent leurs potes. Après si je pense que tu peux éduquer mais je ne l’ai pas fait assez tôt. Ma fille, alléluia, elle aime bien « Le chanteur » de Balavoine mais les garçons c’est dur, c’est du Gradur, Kaaris, La Fouine…

Ils écoutent Papa ? Des potes à Papa ?

Non, ils n’écoutent pas Papa. Ils connaissent des morceaux. Le seul auquel ils arrivent à accrocher, c’est Chill, et encore, parce qu’ils le voient plus à la télé que les autres. Rien n’est perdu.

Depuis l’émergence des premiers groupes de rap en province, l’eau a coulé sous les ponts et l’on constate que de nombreuses villes comme Lille, Toulouse, Lyon ou Montpellier ont créé leurs propres bastions. Comment trouves-tu Strasbourg au niveau de l’implication dans le hip-hop ?

Ce qui est fort à Strasborug, c’est que même en dehors du rap, t’as de tout, que ce soit rock, reggae, ragga, folk, musiques électroniques… Il y a l’Allemagne à côté aussi. J’écoute du rap allemand du fait de la proximité. On enregistrait à Heidelberg à l’époque de La Mixture. Le cousin de Frérot c’est Torch, un MC connu là-bas. J’écoutais aussi Stieber Twins, Boulevard Bou, Toni L… L’école de Heidelberg.

Vous avez jamais fait de son ensemble ?

Si, on a fait des morceaux ! Si tu tapes « Torch, La Mixture, « On n’était rien »… Ils avaient fait un concept qui a été fait en France après, c’était 1000 MC’s sur une K7 ! C’était trop fort ! Y’avait encore les casernes américaines implantées depuis des lustres à mon époque, avec des G.I. qui ramenaient le son de chez eux direct ! A un moment donné, les rappeurs allemands ont ramené ça avec leur « Sputz langue », ils étaient au top. Même au niveau du graffiti hein…

Tu as touché aux autres disciplines toi ?

Non, le breakdance j’ai essayé mais laisse tomber j’ai vite arrêté (rires). Le graff, passion, mais j’étais un mauvais dessinateur, je tagguais beaucoup, je posais « BOA », « MASO » et le beatmaking vite fait. Le problème du beatmaking, c’est que tu dois être à la page au niveau matos. Trop compliqué. Mets-moi derrière un FIFA 14, FIFA 15.

Tu prends qui à FIFA ? Strasbourg (rires) ?

Jamais de la vie ! On ne parle pas de ça, c’est interdit. A FIFA 15, j’aime beaucoup Chelsea ou le Bayern. Sinon les petites équipes comme Arsenal, puis Arsène Wenger il est Alsacien.

T’es fier de ta région, non ?

Quand on a débarqué à Paris en 1992, :

« – Tu viens d’où ? Strasbourg ? Ah Strasbourg-Saint Denis !

– Non, Non.

– Ah, Strasbourg en Allemagne ! »

Un mot de la fin ?

Peace ! Et je le pense sincèrement…

dazka

« L’Esthète » est disponible ici

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Antoine

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