En 2009, Diamond District secouait un peu le rap de Washington et des alentours avec « In The Ruff » . En ce mois d’octobre, le trio de la capitale états-unienne sort une deuxième galette, « March On Washington » pleine de promesses. L’album est produit, et en partie rappé, par le prolifique et talentueux Oddisee, accompagné au micro par Uptown X.O. et yU, qu’on a pu écouter sur leurs (bons) projets solos ces dernières années
Diamond District est une tête de gondole du label Mello Music Group cet automne. Justifié ?
« March On Washington » , le titre est évocateur, et reprend 51 ans plus tard l’appel du Dr Martin Luther King. Comme pour annoncer qu’il faut toujours défendre la cause de la liberté, du travail pour tous*, dans un pays où le taux de chômage des afro-américains est toujours deux fois plus élevé que celui des blancs**.
De fait, l’écoute commence sur le titre « March On » une introduction dont on retrouvera le pendant en clôture avec « March Off ». Un bon beat lourd, une atmosphère pesante, un ton plein de gravité, et un discours parlé de deux minutes annonçant que le combat n’est pas fini. Certains passages sont assez forts:
« Putting curfews on our show dates
No statehood but we live in a police state
It’s the push & pull that allows us to be great »
« Ils ont mis des couvre-feux à nos concerts,
Pas d’indépendance, on vit dans un état policier,
C’est la pression qui nous autorise à être grands »
Après cette envolée oratoire, arrive le premier vrai morceau de l’album, « First Step » qui colle une sympathique claque auditive. Le style n’est certes pas nouveau, mais pourquoi demander de la nouveauté quand l’exécution est excellente ? Oddisee a concocté une production rythmée, lâche ses scratches, ses drums, ses synthés, ses notes de piano et ses vocals aux bons moments. C’est de la haute-couture façon Oddisee, du prêt-à-poser version DMV (pour les états de Washington DC, Maryland, Virginia, leur région d’origine). Et en parlant de poser, yU et Uptown XO sont à la hauteur, et savent rapper vite et bien. Oddisee peut-être moins fantasque dans le flow, n’est pas pris en défaut.
Après ce feu d’artifice musical, l’ambiance retombe un peu, j’ai personnellement eu du mal à me mettre dans l’écoute après cette excitation. « These Bammas » sonne typiquement comme du Oddisee posé, mais il manque un soupçon du génie habituel du MC/producteur. À moins que les deux premières pistes n’aient altéré mon jugement. Reste que le sujet du morceau, taclant les « Bammas » ceux qui s’inventent une vie, les faux-MC et autres pantins, est par moments jouissif :
« All you think you doing something
Foolish assumption you ain’t doing nothing
Nigga thirsty claiming they hustlin' » – Oddisee
« Vous tous pensez tous réaliser quelque chose,
Stupide déduction, vous foutez que dalle
Mais les gars, assoiffés, clament qu’ils flambent »- Oddisee
En revanche « The Back Up » attire l’oreille grâce à ses tintements incessants, qui agaceront probablement quelques-un, mais qui ont le mérite de ne pas laisser l’auditoire se lasser. « Working weekend » est une étape agréable, avec une instru qu’on croirait issue d’un cartoon, avant d’arriver sur le très bon « Purveyors Of Truth ». Ici pas de perfomances rapologiques, mais une musique mélancolique, profonde, lourde, sérieuse, presque triste. Un ton sobre pour une diatribe à l’encontre d’une société jugée égoïste, aveugle, pourrie par l’argent. « Don’t shake the hand of Uncle Sam, he ain’t no friend of mine » nous sort yU. On veut bien le croire.
« Don’t shake the hand of Uncle Sam,
he ain’t no friend of mine » – yU
« J’sers pas la main de l’Oncle Sam,
C’est pas un pote à oim » – yU
Si les pistes qui suivent ne sont pas mauvaises, loin de là, elles ne transcendent pas forcément. Si vous aimez les morceaux calmes, au carrefour d’ambiances jazzy, lounge, nu soul, hip-hop, alors vous aimerez « Apart Of It All ». On y reconnaît d’ailleurs à nouveau le goût prononcé d’Oddisee pour les instruments « classiques ». Si vous préférez un rythme porté par des cuivres enivrants, tournez-vous vers « Say What You Mean » , seul son produit par l’invité Malik Abdul-Rahmaan, dont on parlera certainement un peu plus à l’avenir.
L’album poursuit sur cette tendance très swing. Certains tracks donneraient envie d’être écoutés en live dans une ambiance club de jazz. C’est le cas de « You Had To Be There » ou « Ain’t Over » qui glisse des références à Marvin Gaye avec le répétitif « Oh baby, let’s get down tonight ».
En fin d’opus, comme pour montrer qu’il sait aussi faire dans la boucle soul, Oddisee nous gratifie d’un très bon « Lost Cause » avec un tempo rapide sur lequel la musicalité du flow de XO est sans doute à son apogée. yU ne s’en laisse d’ailleurs pas compter et lui rend la pareille. Ce qui fait penser qu’il faudra d’ailleurs surveiller la sortie prochaine du nouveau 1978ers (son duo avec Slimkat). Avant de terminer sur « Bonus Flow », Diamond District nous livre « March off » reprenant le thème de « March On » sur plus de 4 minutes, cette fois agrémenté de vrais raps, pour sublimer l’instru d’Oddisee.
« March On Washington » est un bon album, où la justesse de deux ou trois morceaux rend malheureusement les autres tracks plus pâles qu’ils ne le sont réellement. Or toutes les productions semblent ici toujours être le fruit d’un travail passionné, comme sur les albums solos d’Oddisee que je recommande vivement du reste.
Les puristes du hip-hop « boom-bap » ne rangeront pas ce Diamond District dans leurs classiques mais en apprécieront certains côtés. Les hip-hopeurs portés vers les influences jazz seront plus friands de cette sortie. En revanche tous ne pourront qu’apprécier la qualité de rap des trois washingtoniens.
Pour vous procurer « March on Washington » , ça se passe ici (téléchargement) ou ici (physique).
Date de sortie : 14 octobre 2014 // Label : Mello Music Group
* En 1963, le révérend Martin Luther King, défenseur pacifiste de la cause des noirs américains, lance son appel « March On Washington », ou « March On Washington for Jobs and Freedom »
**Selon les statistiques du Bureau of Labor (http://www.bls.gov/news.release/empsit.t02.htm ), organe officiel américain, le taux de chômage chez les blancs de est de 5,1% en septembre 2014, il est de 11% chez les noirs et afro-américains.
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