Chronique : Paco – « Paco-errant »

En 2004 sortait le premier album de Paco intitulé A base de vers durs. Dix années plus tard, le 13 octobre 2014, il se décidait à nous délivrer un deuxième album auquel il a donné le titre Paco-errant. Dans le milieu de la musique, approximativement dix années sans donner de nouvelles, c’est une éternité. Bien sûr, on avait eu le droit au Pacman en décembre 2013, on avait également eu le droit à un certain nombre d’extraits de l’album bien avant sa sortie (« Grande gueule » était sorti en août 2012), mais tout cela n’était qu’une mise en bouche, un avant-goût de l’album qui s’annonçait comme le projet pour lequel Paco avait décidé de revenir. Il était normal que la pression mise sur l’album soit conséquente : les retours des années plus tard ne sont pas toujours glorieux et une longue absence engendre parfois une telle attente que la déception peut être au rendez-vous.

La première interrogation concernant cet album portait sur la capacité de Paco à diversifier les instrumentales sur lesquelles il allait poser. La doublette Paco – Mani Deïz, communément dénommée Pacman, devait nécessairement se tailler la part du lion puisque comme le dit le proverbe : « on ne change pas une équipe qui gagne ». Comme attendu, ce n’est pas moins d’une dizaine de titres que signe le duo, allant des déjà bien-connus « La bonne blague » ou « On est où là ? » jusqu’à ceux gardés chaudement pour l’occasion comme « Dialogue de sourds », « Boulimiques » ou « Le temps passe ». Mais Paco a réuni autour de lui d’autres beatmakers, mélangeant des artistes biens connus du milieu underground (Char, Metronom, Nizi, , Juliano, Al’Tarba) à d’autres artistes plus discrets (Shaolin, DJ Low Cut, Itam et Stab) pour un résultat qui est quant à lui parfaitement homogène d’un point de vue musical et qui confère à l’album une unité naturelle. Les prods s’enchaînent sans véritable rupture entre elles et l’ensemble de l’album est plaisant à l’oreille grâce à un côté mélodieux, loin des sonorités actuelles plus à la mode dans le rap français.

Point de lassitude à l’horizon en ce qui concerne les vingt titres de l’album (sans compter le titre bonus « Mal » ainsi que « Mi-fugue, Mi-résine », titre à caractère autobiographique déjà présent sur Pacman). Paco a su surprendre d’une fort belle manière, et la chose est d’autant plus difficile puisqu’il est allé exactement là où on l’attendait. Ce qui avait été dévoilé avant l’album donne une idée claire de son contenu mais ne préjuge en rien de la diversité des sons que l’on y retrouve, en témoigne les différents featurings : L’indis, Anton Serra, Geule Blansh, et bien sûr Swift Guad. On avait l’habitude d’entendre Paco avec Swift, on avait déjà eu un featuring sur lequel étaient présents L’indis et Paco ensemble (« Mise à jour » sur l’album Hécatombe 2.0 de Swift Guad) mais la présence d’Anton Serra et de Geule Blansh est inédite (non, le freestyle fait avec L’animalerie ne compte pas…). On voit que les différents artistes se sont faits plaisir et ont sorti leur plus belle plume. Il n’y a pas de secret, dans ces cas-là, cela fonctionne !

« Cette destinée je l’écris, toutes ces phrases proviennent du cœur, en vérité j’me détruis, écoute j’fais ça d’mauvaise humeur » C’est décidé

La force de cet album, c’est indubitablement son fond. Mais avant cela, il fallait également y mettre les formes. Impossible de se tromper de ce point de vue là quand il s’agit de Slob Design qui s’occupe de la pochette (vous pouvez d’ailleurs retrouver une interview de lui par ici). Toutefois, cela ne suffit guère quand on s’apprête à revenir quasiment du jour au lendemain avec un projet comme celui-ci. Alors c’est avec de nombreux clips que Paco avait décidé de faire sa promotion, en emplissant progressivement notre espace auditif avec de nouveaux sons distillés de temps à autres. Mais, est-on en droit de se demander, pourquoi revenir après autant de temps passé en-dehors du rap ?

Tout simplement parce que l’on a des choses à dire. Paco a envie de rapper, et cela se ressent du début jusqu’à la fin de l’album. De son propre aveu, le Paco qui nous avait dévoilé en 2004 A base de vers durs et qui sort Paco-errant en 2014 n’est plus le même. Dix ans, cela laisse le temps de vieillir… On peut supposer que c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Paco a décidé d’ouvrir son album sur un titre appelé « L’ancien », auquel répond dans la foulée un « Le temps passe » ainsi qu’un « Vieux cons ». « Appelle-moi l’ancien, j’ai l’air vieux » déclare-t-il, et on serait tenté de le croire. Mais à supposer que cela soit vrai, on ne peut que vanter la maturité du personnage qui se ressent à chaque ligne. Une des forces de Paco, c’est sa capacité à nous raconter une histoire, en l’occurrence la sienne. Le story-telling n’est définitivement pas un exercice facile, et Paco réussit à en faire un de ses atouts majeurs (« Putain de joint » en est l’exemple parfait). La condition pour que ce soit réussi est toujours la même : avoir des choses à dire, et certainement beaucoup sur le cœur.

« La vérité, tu l’apprendras rapidement, tu verras même des gens s’faire du mal gratuitement. Comment t’répondre ? Trouver les mots qu’il faut ? Les hommes sont aveuglés, le blé les motive trop » Dis monsieur

Paco est un daron, et ce qu’il trouve dans ce rôle est la source majeure de son inspiration. « Dis monsieur » s’adresse à la jeune génération et nous donne une des clefs possibles de compréhension de l’album. Après écoute, qui peut douter que cet album possède dans son fond une visée éducative ? Sans jamais chercher à faire la morale, Paco décrit un monde dans lequel des enfants ont à grandir et des adultes à vieillir en ayant la responsabilité de construire un monde vivable pour les futures générations. « Voulons-nous d’un monde comme le nôtre pour nos enfants ? » semble être la question qui se répète durant cet album dont on ne ressort pas sans nous questionner à notre tour. Là est la beauté du rap conscient. Quant à la réponse que nous donne Paco, c’est celle que toute personne saine d’esprit aurait envie de donner, elle n’est pas difficile à trouver…

Beaucoup d’artistes ont souligné que faire du rap agissait pour eux comme une forme de thérapie. C’est véritablement ce que l’on ressent lors de l’écoute (inutile de dire qu’un son comme « Allo docteur » contribue à une telle impression). Il fut un temps très lointain où la philosophie était comprise comme une « médecine de l’âme » à laquelle on devait recourir quand on vivait dans une société malade ; aujourd’hui notre société est malade, toutefois il est impossible de trouver dans une philosophie déconnectée des réalités un remède. Un rap comme celui que nous propose Paco s’ancre dans cette réalité. Mais, il ne s’agit pas non plus de dire que le rap peut être un remède, le malaise est trop profond pour que l’on puisse être soigné de cette manière. Il s’agit simplement de souligner le fait que rap est une forme de thérapie, aussi bien pour celui qui le fait que pour celui qui l’écoute, car il est ce moment où l’on prend conscience des vies que l’on mène et où on revient sur nos propres expériences. Oui, le rap est une « médecine de l’âme ». Paco nous le rappelle.

Vous pouvez acheter l’album de Paco dans toutes les FNAC de France ou bien aller sur le site urbanmwear pour vous le procurer par correspondance.

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