Pour la première fois depuis sa création, dans la continuité de notre publication mensuelle Les 10 Bons Bons US par Julien, lebonson.org a décidé de s’ouvrir à l’international et d’aller interviewer un emcee d’origine américaine : Lord Lhus. Bien connu en France pour sa collaboration avec Al’Tarba sur l’album Acid & Vicious, c’est lors de son passage début septembre à la Dynamo de Toulouse (où il est un peu comme chez lui) dans le cadre du festival L’Interlude que nous l’avons rencontré.
La première question que je souhaite te poser est celle-ci : tu te présentes comme « Lord Lhus alias le harceleur de Caroline ». Pourrais-tu commencer par nous en dire plus là-dessus afin de te présenter ?
Mon grand-oncle était le vrai harceleur de Caroline. C’était un psychopathe tueur en série, un mec complètement fou. Je n’en suis pas trop fier mais quand j’ai commencé à rapper, j’ai utilisé ce nom à cause du style « horrorcore » que j’ai adopté. Je suis « Lord Lhus alias le harceleur de Caroline » même si je n’utilise plus trop ce nom dorénavant. Ça dépend de mon humeur !
Dans ta biographie disponible sur ton site, tu dis la chose suivante : “Lord Lhus étant une personne très directe, il a récolté beaucoup de haine, à la fois en dehors et en dedans de ses cercles d’amis, cela parce qu’il ne calcule pas et est vrai avec tout le monde. Après avoir récolté tellement de haine et d’amour en même temps, il a décidé en 2010 de sortir gratuitement deux albums intitulés We love you Lord Lhus et le suivant Fuck you Lord Lhus, juste pour prouver à quel point il se fout de l’argent et de la politique liée à la scène du rap underground.” Peux-tu nous expliquer ce que cela signifie ? Cela te définit-il ?
A cette époque, j’avais des problèmes avec certaines personnes. Le truc, c’est que quand tu as du succès et que les gens parlent de toi, tout le monde est ton ami, ils t’aiment tous. Mais dès que tu n’es pas capable d’aider quelqu’un, ils t’envoient te faire foutre. En gros, tu attrapes les deux en même temps. Ceci explique pourquoi j’ai sorti ces deux projets : We love you Lord Lhus était une mixtape et Fuck you Lord Lhus était l’album. Par la suite, c’est devenu vrai et j’entends encore “Fuck you Lord Lhus” tous les jours.
Est-ce que tu le cherches?
Honnêtement, non! J’essaye de changer, d’être un peu plus positif. En tant que rappeur, quand tu es vraiment passionné par ce que tu fais, tu attires ce que tu dégages. C’est pourquoi je ne fais plus trop dans le “horrorcore” comme je le faisais avant. Quand je le fais, j’adore ça, mais ça attire trop de mauvaises choses. Si tu fais dans l’horreur et que tu es passionné par ce que tu fais, tout ce dont tu parles va entrer dans ta vie. J’essaye juste de rester un peu plus positif, un peu plus heureux.
As-tu changé ? As-tu le sentiment d’avoir évolué depuis tes débuts ?
Je ne dirais pas que j’ai changé, je dirais plutôt que j’ai grandi. Je vis en Suisse maintenant. C’est un endroit magnifique. Les douze premières années de ma vie où j’étais un rappeur, je vivais dans des endroits merdiques. Je pense quand même qu’on puisse dire que ma vie a changé maintenant que je vis en Europe. Je n’ai pas envie d’être un gangster, je n’ai pas envie de te tuer. Je veux juste m’éclater et c’est de cela qu’il s’agit.
Tu as fait ton premier concert en 2006, il y a 8 ans. Tu es toujours dans l’underground. As-tu des regrets par rapport à cela?
Je ne dirais pas que je regrette, mais s’il y a une chose que je souhaiterais changer, ce serait ce qu’il s’est passé avec Snowgoons. J’ai eu un souci avec eux et finalement ça n’a fait que foutre en l’air ma carrière. J’ai aussi réalisé que Snowgoons n’était pas l’ennemi à l’époque, c’était le label. Tout cela pour des conneries. Je ne regrette rien mais j’aimerais pouvoir revenir dans le temps et ne pas dénigrer tout le monde. Évidemment, certains le méritaient mais pas tous. Je tiens d’ailleurs à remercier DJ Illegal pour m’avoir permis de venir en Europe.
Snowgoons devait jouer ce soir sur le même set que toi [le concert a été annulé à la dernière minute pour cause d’avion manqué]. Tu n’as plus aucun problème avec eux?
Non, je n’ai plus aucun problème. J’ai beaucoup de respect pour eux. Le problème qu’il y a eu est qu’ils ont opéré un virement tactique pour que leur carrière en bénéficie, et maintenant que je regarde en arrière, je me dis qu’ils ont agi intelligemment car cela a fonctionné. Non pas à cause de l’argent, mais parce qu’ils sont écoutés. Je suis heureux parce que ce que j’ai fait avec eux m’a amené en Europe, je suis connu aux Etats-Unis, au Canada, donc cela m’a aidé. Ça a peut-être foutu ma carrière en l’air, mais ça a aidé ma vie.
Tu disais dans une autre interview à Ugrap [consultable en anglais ici] : « J’aime tellement l’Europe que je ne suis jamais retourné chez moi. Je suis encore en Suisse. » Te sens-tu plus Européen qu’américain ?
Je suis définitivement Européen de cœur !
Cela explique-t-il tes différentes collaborations avec des emcees originaires de toute l’Europe ?
Le truc, c’est que je ne comprends pas grand-chose aux différentes langues à part l’allemand et l’anglais. Un peu de français si je le lis. Mais ce que je comprends, c’est le hip-hop. Quand tu comprends la langue du hip-hop, tu peux ressentir toutes les langues dès qu’elles parlent hip-hop. En ce moment, ma musique préférée est le hip-hop slovaque, même si je ne comprends pas un seul mot. Zverina, Fantom, Boy Band, Boy Wonder… Je ne comprends pas ce qu’ils disent mais j’écoute ça tous les jours. J’ai d’ailleurs appris l’allemand simplement en écoutant. Je ne le parle pas parfaitement mais je le comprends pas mal.
Je regardais quelques collaborations que tu as faites : PSL et JR aux Pays-Bas, E-light et Dash en Suisse, Vista en Autriche, Droogz Brigrade et Al’Tarba en France.
Il y a aussi Lanz Kahn en Italie, NachtKruper en Belgique ! Dans tous les pays d’Europe je pense. La culture Empty Handed Warrior est comme une culture hip-hop mondiale, donc quand je vais quelque part, c’est ce que je représente et les gens veulent en faire partie. Si je sens qu’il y a un esprit hip-hop, on fait de la musique. Ce n’est pas comme si j’essayais d’y gagner quelque chose. Je rencontre quelqu’un sur scène et si j’aime le concert, ensuite on fait un son. C’est juste une question de hip-hop même si je dois manger et vivre !
Je voulais te poser quelques questions sur le rap français. En écoutes-tu ? Apprécies-tu certains artistes ?
Oui je peux dire que j’aime le rap français mais pas tout ! Certaines musiques sont vraiment mauvaises. Mais je suis certain que vous savez ça mieux que personne ! Je peux nommer certains artistes que j’aime : Furax Barbarossa est mon préféré, je l’écoute tous les jours. Après évidemment, il y a la Droogz Brigade, Inglourious Bastardz, tout ce que faisait Booba avant avec Ali dans Lunatic. Mais Furax reste mon préféré, je ne sais pas ce qu’il dit mais je crois tout ce qu’il dit.
A propos de ta collaboration avec Al’Tarba, comment l’as-tu rencontré ? Quel a été votre premier son ensemble ?
Ça a commencé sur MySpace en 2003-2004. Il a contacté Bloodlines, mon premier groupe. Tout le reste s’est fait tout seul car ses beats sont fous. Le premier son qu’on a fait ensemble était « Torture Trilogy ». Puis le reste a suivi, Al’Tarba est une bête.
Depuis que tu es en Europe, tes relations avec les autres rappeurs américains ont-elles changé ?
Je n’ai aucun problème avec les américains, j’ai un problème avec les Etats-Unis. Un de mes rappeurs favoris en langue anglaise est américain : Milez Grimez de Rhode Island. Il est fou. Il y a beaucoup de bonnes choses là-bas mais tellement de mauvaises également. La scène rap est tellement saturée qu’il est difficile de trouver du bon son aux Etats-Unis. Ici, en Europe, beaucoup de personnes ont le vrai esprit hip-hop. Mais soyons réalistes, dans des pays comme la Suisse ou la France, il est difficile de faire de l’argent avec sa musique. Donc tu le fais par amour, mais c’est plus difficile. Quand les gens t’écoutent, c’est parce qu’ils aiment ce que tu fais et ça je respecte.
Encore dans ton interview à Ugrap, tu dis : « Je suis comme toi. Je ne suis pas juste un emcee dans l’underground. Je suis également un grand fan de l’underground. » Que peux-tu nous dire sur la scène underground aux Etats-Unis ? Est-elle vraiment différente de celle que l’on a en France par exemple ?
Oui, elle est vraiment différente. Il y a une scène underground aux Etats-Unis mais elle est énorme. C’est difficile de regrouper différents emcees à un seul endroit. Il y a beaucoup de gens que j’aimerais supporter, mais tout est trop dispersé. D’où je viens, du sud, il n’y a pas vraiment de scène underground car il s’agit plus de cette daube de « trap music ». C’est une des raisons pour lesquelles je préfère l’Europe : si tu fais un concert hip-hop, les gens viennent te voir. Si tu fais un concert aux Etats-Unis, personne ne vient. C’est difficile de passer en radio ou dans les médias si tu n’as pas d’argent pour les payer. Mais ce n’est plus underground si tu fais ça. C’est pour cela que je ne suis pas rentré aux Etats-Unis depuis quatre ans.
Dans le son Ground you walk upon, tu as une phase qui dit : « You already know the deal, the archaeologist stays underground, with treasures beneath the surface and knowledge is what he found” [traduction : Tu connais le truc, l’archéologue reste underground, avec des trésors sous la surface et ce qu’il trouve est la connaissance].
Ce que je veux dire, c’est que pour moi, il y a un trésor car j’ai une superbe vie et c’est grâce au hip-hop underground. En plus de cela, il y a de nombreux trésors dedans mais il faut les trouver, ils ne sont pas mis en avant. Les vrais artistes et les meilleurs artistes ne sont pas mis en avant. Au début des années 90, c’était comme l’âge d’or car les rappeurs de talent disposaient d’une promotion, mais maintenant je pense que tous les médias, spécialement aux Etats-Unis, essayent d’affaiblir les gens en mettant en avant de la merde. Il s’agit d’un conditionnement. Tout est politique. Même l’underground est politique. Tu ne peux plus y échapper.
C’est pourquoi dans le même son, tu rappes : “So I’m a keep pushing it at you, spitting it to these kids/ But the truth is maybe 10% know what hip hop is » [traduction: Je continuerai à te l’envoyer, à le cracher à ces gosses, mais la vérité est que peut-être 10% seulement savent ce qu’est le hip-hop].
Oui, c’est de cela que je parle. Si tu vas aux Etats-Unis maintenant et que tu demandes à une adolescente si elle aime le hip-hop, elle va te dire : « Oh oui, j’adore le hip-hop ». Si ensuite tu lui demandes : « Qui est-ton rappeur favori ? », elle va te répondre : « Drake ou Wiz Khalifa ». Je ne veux pas les insulter, bien sûr qu’ils sont talentueux, mais ce n’est plus du hip-hop, c’est de la musique pour faire la fête.
Est-ce que tu penses que le hip-hop se définit par rapport à un message à passer ?
Oui, maintenant j’essaye de mettre un message dans tout ce que je fais, mais j’aime encore l’égotrip. Tu n’as pas besoin d’un message dans l’égotrip. Mais si tu le fais, je pense que tu dois être créatif. Les gens ne sont pas assez créatifs quand ils font de l’égotrip. D’ailleurs je fais souvent des sons pour le fun, comme cunt control, j’aime les sons qui parlent des femmes !
Tu viens de sortir un nouvel album : Ïntërnätïönäl Rhÿmz Könnëct, peux-tu nous le présenter?
C’est mon nouvel album, mais ce n’est pas vraiment un album de Lord Lhus. C’est plus une compilation sur laquelle je suis dans chaque son. C’est un album Empty Handed Warriors. Travailler avec Babygrande et Snowgoons m’a permis de me faire connaitre. Je veux rendre la pareille. Les rappeurs sur cet album sont mes amis et ma famille. On l’a fait pour le fun. J’ai ramené les potes, peu importe la langue qu’ils parlent. Ce ne sont d’ailleurs que des sons exclusifs même s’il y a quelques extraits sur youtube.
Où a-t-il été enregistré?
Tous ceux qui posent sur cet album ont enregistré leur couplet à East Garden Music à Rotterdam. Tu peux d’ailleurs trouver l’album sur eastgardenmusic.nl.
Peux-tu nous en dire plus sur ton autre projet : Strange Guys. Tu disais sur ta page facebook : “Cet album Can of Worms est complètement différent de ce à quoi vous êtes habitués de ma part. On est revenus sur du positif dans la vibe des années 90 à New-York ! Je n’ai pratiquement dit aucune insulte sur cet album. Je ne veux pas en dire trop mais je suis très excité à l’idée de faire écouter ça à tout le monde. Dédicace à toute l’équipe : Uknown Mizery, Jace Abstract, Robin Da Landlord.”
A EastGardenmusic, on est un certain nombre d’artistes des quatre coins du monde. On se rencontre simplement là-bas. Quand on y est, on boit, on fume, on s’amuse et on fait de la musique. C’est de là que vient Strange Guys. Au début, j’étais supposé faire deux albums : un avec Unknown Mizery, et un avec Jace Abstract. Mais nous étions ensemble sur place, du coup on a fait un seul album qu’on a appelé Strange Guys. C’est vraiment différent, beaucoup plus positif, moins agressif, plus jazzy. Il n’y a qu’un son égotrip, et à part celui-ci, c’est la vie, la réalité, le fun.
Veux-tu ajouter quelque chose?
Tenez-vous au courant pour la suite. Si vous ne connaissez pas, regardez ce que font Jace Abstract et Unknown Mizery en solo. Robin da Landlord est un producteur de fou. Regardez PSL et ce qu’on fait eastgardenmusic.nl, tout ce qui se passe à Crazy Mother Fuckers Records et big up à tous mes amis!
L’actualité de Lord Lhus, ça se passe sur son site internet, sa page facebook, sur eastgardenmusic.
Merci à Chaz Shandora pour la photo de présentation ! Pour aller contempler l’ensemble de son travail, c’est par ici.
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