Un poing c’est tout est sorti en téléchargement libre le 14 mars 2013. Fort du succès d’estime de l’album, Davodka décide en fin d’année 2013 d’en proposer une sortie physique. Loin des circuits commerciaux traditionnels, l’album prend donc un chemin un peu particulier, sa presse ayant lieu quasiment un an après sa sortie. Pour la réactualisation de l’album, Le Bon Son se permet une petite chronique de l’album en attendant l’interview du MC le mois prochain. Retour sur un album qui porte les valeurs de l’underground contre celles du rap game.
« J’ai peur que tout s’écroule j’aime faire du son chacun ses goûts, car avec moi les putes c’est comme les phrases elles prennent un poing c’est tout »
Bien que les thèmes soient différents, il n’est pas difficile de trouver une thématique générale qui puisse unifier les douze sons présents sur l’album. L’objectif de l’album n’est certainement pas de nous donner le sourire, que ce soit du point de vue du texte ou bien du point de vue musical. Les instrumentales sont simples (basse, rythmique et mélodie) mais efficaces, elles déploient un son lourd qui correspond à l’univers du membre du crew Mentalité Sons dangereux. Davodka ayant produit lui-même la quasi-totalité de l’album, cela n’est pas étonnant ! Les textes sont, au premier abord, déprimants et tristes, déplorant les disfonctionnements d’une société dans laquelle le conformisme social et la compétition sont prédominants. Toutefois, une deuxième grille d’écoute est possible : elle consiste à voir dans le discours développé par Davodka l’affirmation de valeurs positives de solidarité et d’entraide en rupture avec celles véhiculées, selon lui, par le rap game. C’est écouter l’album avec cette seconde grille que je vous propose.
Davodka justifie de lui-même le nom de son album dans l’ultime son de l’album « La der des der » : « L’album s’appelle un poing c’est tout car il suffit pour fister tout le rap game ». Tout un programme qui va de la conception de l’album (deux featurings avec Taf et Sal, une durée de trente minutes pour la totalité de l’album), de ses textes, jusqu’à sa diffusion (le téléchargement gratuit). « Fister le rap game » n’est donc pas simplement une punchline lancée sans effet, elle est mise en place dans et par l’album lui-même. A la manière d’une fable dont la morale nous est donnée lorsque l’histoire se termine, c’est donc à la fin de l’écoute de l’album que le sens de la démarche de Davodka se dévoile. Que cela soit fait sur une prod d’Art Aknid n’est pas anodin : la complémentarité entre le rappeur et le beatmaker sur ce son est claire. A croire que même s’il semble prendre pour principe le dicton selon lequel on n’est jamais mieux servi que par soi-même, faisant lui-même ses prods, l’univers vraiment personnel de Davodka semble pouvoir s’adapter à la productivité d’autres beatmakers que lui-même.
La collab’ se poursuit sur le son Au bout du goulot dont la prod a été également tissée par Art Aknid, Davodka y dresse le portrait d’une vie tiraillée entre le besoin de trouver un travail et un alcoolisme chronique. Le thème est éminemment personnel (on ne choisit pas le pseudo Davodka par hasard…), et pourtant le choix de la prod est plus que judicieux. On soulignera, dans ce son, la punchline : « Loin des Emirats Arabes, il n’y a qu’envers l’Etat que je peux être insultant », typique des jeux de mots élaborés par Davodka, mais qui ont cette qualité de ne jamais être vide de sens.
La technique développée par Davodka se base sur une diction nette et une vitesse du flow très rapide. La démonstration faite sur Le mur du son illustre cette tension qui peut naître entre la technique et le sens à donner au texte. Le texte est quelque peu moins engagé que sur les autres sons mais le MC ne le sacrifie pas non plus. On touche ici certainement à une particularité de Davodka, à savoir sa capacité à trouver un équilibre entre sens, jeux de mots et rapidité du flow. La difficulté de l’exercice aboutit parfois à un certain nombre de phases qui apparaissent comme décousues par rapport aux autres, sans toutefois que l’unité du son ne s’en trouve particulièrement touchée.
Les thématiques développées par l’album sont « politiques » au sens large, dans la pure tradition du rap conscient. Elles questionnent notre rapport aux psychotropes, au travail, à la société de consommation. Toutes ces thématiques se centralisent autour de la question de l’émergence d’un discours dans le rap qui est déconnecté des valeurs qui seraient nécessaires au développement d’une société plus égalitaire. En critiquant le rap game, c’est tout le système social qui est critiqué. Echelle sociale est capitale pour comprendre la dimension politique de l’album : la recherche de l’argent et du profit se faisant toujours au détriment d’une richesse plus personnelle et de la capacité à donner. C’est bien l’idée d’une condamnation liée à nos origines sociales que Davodka développe et qui aboutit à des modes de vie radicalement différents en fonction de la place que l’on occupe sur cette échelle. En jouant sur les mots, La Garo du con damné pense cette origine comme une malédiction à laquelle on ne peut échapper lorsque l’on part de tout en bas.
Alors en quel sens cet album n’est-il pas simplement le déploiement d’une pensée nihiliste qui consiste à affirmer qu’il n’y a plus aucun espoir et rien à attendre notre société ? Il me semble que le projet Un poing c’est tout est, comme je l’ai déjà partiellement souligné, une réponse à cette question. Il est souvent facile de dire sans faire, mais dire les choses et les faire est bien la démonstration d’une démarche authentique qui réussit plutôt bien à Davodka. Il est facile de critiquer un système capitaliste qui produit l’inégalité sociale, mais que reste-t-il dès lors que l’on utilise à son propre profit personnel les moyens de ce système ? Le rap game a su exploiter ce filon. Fister le rap game, c’est s’y refuser.
« Je parle pas pour les puristes y’a que les rookies que j’accuse, mon groupe sanguin c’est comme ce son, une dernière prise et puis je vous dis A+ »
En nous permettant de faire tourner gratuitement son album dans nos mp3, Davodka a bien su ne pas s’en tenir simplement aux mots et à la punchline. C’est la raison pour laquelle la sortie physique de l’album se devait d’être soulignée ; car s’il y a bien des artistes pour lesquels il vaut parfois le coup de lâcher un billet, il me semble que c’est le cas pour Davodka et cet album. Finalement, en espérant que le point laisse place à trois points de suspension, car on attend la suite !
Pour télécharger l’album, c’est par ici que ça se passe. Mais si vous voulez faire mieux que ça et supporter l’artiste en l’achetant, c’est par là !
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