Depuis ses débuts en solo, Scylla (lire l’interview) nous plonge progressivement dans son univers, jusqu’à la sortie de son album, sobrement intitulé « Abysses ». Nous allons donc nous aussi réaliser une chronique progressive, de la première écoute / immersion vers les profondeurs de l’album.
1ère écoute / 1ère immersion
La première impression, c’est cette couleur entre mélancolie, poésie et introspection, dégagée par cet album. Une cohérence dans le propos, la musicalité et la démarche alors que la liste des thèmes/concepts abordés est variée, tout comme celle des beatmakers sollicités pour cet opus. Dans Plume originelle, il parle de la formule ‘Un violon, un breakbeat simpliste‘, il aurait aussi bien pu remplacer « violon » par « piano » pour certains morceaux, mais on ne se lasse pas, et c’est là le point fort de cet album. Bref, on est loin de la simple compilation de morceaux d’un même artiste.
2ème écoute / Thermocline
Une fois passée la première écoute, c’est la plume du MC qui saute aux oreilles. L’écriture est soignée, sert toujours le propos, et ne laisse pas de place à des divagations hors-sujet, même pour une bonne rime. Un focus qui confère à chaque morceau une identité propre, un concept, un thème. Il ne s’agit pas de faire se succéder une série de punchlines. On n’est pas non plus dans la démonstration technique, que ce soit dans la rime ou dans le flow.
Côté feats, on trouve Furax et Saké, habitués à croiser le mic avec S.C.Y, et deux invités plus « mainstream » que sont Tunisiano et REDK. La connexion avec Barbe Rousse démontre encore une fois leur complicité microphonique, et on se laisse même aller à imaginer un album commun. REDK et Tunisiano, sur Coupable, posent deux honorables couplets, raccords avec le thème, mais qui n’ont rien à voir avec l’alchimie présente sur les deux autres feats.
Les abysses
Après avoir écouté l’album plus en profondeur, reprenons depuis le début. L’intro annonce la couleur, et Scylla ne passe pas par quatre chemins. « Je préfère avertir, que ceux qui ont bu la tasse lors de la Première Immersion [titre de son premier 5 titres solo, ndlr] se cassent… » La plongée peut commencer. Et les titres s’enchaînent, avec comme thèmes son décalage avec la société (Erreurs génétiques, Coupable, Répondez-moi), quelques coups d’oeil dans le rétroviseur (Rien à remplacer, Langage de signes), ses doutes (Second souffle, Douleurs muettes), ou le pointage de ses contradictions (La logique d’une contradiction, La sagesse d’un fou). Une introspection clôturée par Douleurs muettes, qui nous révèle les vraies abysses du MC, entre peurs et souffrances inavouées.
Il faut bien le reconnaître, Scylla aura su se livrer sur cet opus comme peu de rappeurs avant lui. Un travail d’introspection qui vient s’ajouter à l’écriture. Car devant tant de densité et de noirceur, comment ne pas lasser l’auditeur ? Tout d’abord en allant chercher une couleur de prod chez une palette variée de beatmakers (pas moins de 11 beatmakers, belges et français). Et puis en diversifiant la manière d’aborder les thèmes, et en allant chercher des phases originales (quelques-unes, bienvenues, nous arrachent un sourire comme sur Rien à remplacer : « Avant, si elles voulaient ne fût-ce qu’une bise tu sortais le front kick / Mais là, ne fût-ce qu’un regard, et dans ton slip ça danse la country« ).
Passons au principal défaut de cet opus : quitte à nous livrer ses abysses, on aurait aimé connaître quelques facettes plus légères de S.C.Y. On a du mal à l’imaginer en introspection permanente, et ce n’aurait pas été trahir l’auditeur que de livrer d’autres aspects de sa personnalité. Ce n’est pas le style de la maison nous direz-vous, mais Scylla nous a quand même précisé lors de son interview récente au Bon Son : « Je sais pertinemment que certains manqueront d’air dans cet album car ils ne sont pas ou plus habitués à ce genre d’atmosphère. J’ai donc prévu de confectionner des capsules vidéos qui accompagneront les auditeurs lors de leur écoute d’“Abysses”. L’objectif est de faire agir ces capsules comme des doses successives d’oxygène, qui permettront peut-être de respirer et de mieux apprécier les abysses. En d’autres termes, ça risque de kicker plus sec dans ces capsules… (sourire) Ou de faire prévaloir une couleur plus “légère” (sans tomber dans la facilité bien évidemment), des performances plus techniques, peut-être un peu d’humour. »
Pour conclure cette plongée dans les abysses, saluons le travail monstre (marin) effectué par Scylla, qui nous livre un album riche, dense et cohérent, accompagné d’une véritable direction artistique (qui fait cruellement défaut dans le rap français actuel). Pour la suite, on espère que Scylla survivra à cette immersion, et nous livrera d’autres albums de ce calibre. Allez, la punchline de la chronique pour la fin… Sans pour autant opter pour la fin du Grand Bleu version américaine (Jacques Mayol nageant avec les dauphins au clair de lune, après avoir survécu aux tentations des grandes profondeurs).
Album « Abysses » disponible depuis le 18 février.
Commander : lien iTunes / lien Fnac
Bon, et puis si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre la page facebook ou le compte twitter du Bon Son…