Thomas Blondeau : « Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un bon gros bouquin sur l’histoire du hip-hop en France. »

Connu pour ses faits d’armes dans la presse spécialisée à l’époque des magazines papiers chez R.E.R, puis en tant que rédacteur en chef de Radikal, Thomas Blondeau a par la suite continué à parler de hip-hop dans des médias plus généralistes comme Libé, le Monde Diplomatique ou les Inrocks. Huit ans après le deuxième volet de Combat Rap, il est de retour avec un nouveau livre, « Hip-Hop – Une histoire française » (le 27 octobre dans toutes les bonnes librairies), et une ambition : rendre digeste le récit de 30 ans de hip-hop en France, en s’adressant à la fois au néophyte et au spécialiste. Le prétexte idéal pour aller échanger avec lui.

Comment t’est venue l’idée ou l’envie d’écrire de ce livre ?

Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un bon gros bouquin sur l’histoire du hip-hop en France parce que je suis un gros fan de tout ça, qu’il s’agisse de rap, de graffiti, de danse. J’écoutais énormément de rap américain, comme tous les fans de rap français, et je guettais évidemment le Rock Steady Crew, les Renegades ou autre, mais j’ai aussi un vrai faible pour le hip-hop français depuis le début des années 90 parce que ça m’accompagne depuis cette époque. Un peu comme pour Combat Rap au début, j’avais énormément d’archives que je n’avais jamais ou peu exploitées et, coup de bol, une éditrice m’a appelé : « Je voudrais faire un beau livre sur l’histoire du rap français, ça vous parle ? » Je lui ai répondu que ce serait bien de l’étendre carrément au hip-hop : le graffiti, un peu de business, le rap, la danse, etc. C’est parti comme ça, mais l’impulsion est venue de Tana Editions, qui trouvait qu’il manquait un bouquin à la fois grand public et sérieux sur ce sujet. Dès le départ, j’ai adoré le côté « beau livre », avec du texte, des photos, des encadrés, des témoignages, des documents divers, le truc en grand format que tu laisses sur ta table basse et que tout le monde peut se partager. J’ai commencé à fouiller dans mes affaires, je lui ai proposé des plans, des synopsis, des bouts de textes et on a démarré… 

La construction du récit n’est pas linéaire, même si elle suit une évolution dans le temps, on a plus affaire à un patchwork…

Il y a quand même une évolution chronologique, puis des focus sur telle ou telle discipline en fonction de l’histoire, des périodes où il y a un vrai intérêt artistique, esthétique ou économique pour telle ou telle discipline. On parle par exemple beaucoup du graffiti à la charnière entre les décennies 80 et 90, parce qu’il s’est passé énormément de choses dans ce domaine à ce moment-là. Je pense que s’il n’y avait pas eu le graffiti, d’ailleurs, le hip-hop n’aurait pas pris l’ampleur qu’il a eue parce qu’à la fin des années 1980 il ne se passait plus rien : la danse disparaissait un peu, il n’y avait plus de médiatisation du rap, plus d’émissions, etc. A un moment le rap a pris le dessus, en tout cas en termes commerciaux ; à un autre moment, du point de vue développement, c’est la danse qui a pété à l’international, c’est devenu complètement fou au début des années 2000. Bref, en gros tout ça est une sorte d’hommage à cette culture qui a déjà une longue histoire mais qui continue d’être très actuelle.

L’ouvrage contient de petites interviews. Cependant, en tant que journaliste rap chez RER puis Radikal, tu as été toi-même un témoin privilégié de cette évolution mais tu ne parles jamais à la première personne, tu as préféré laisser parler d’autres acteurs ou témoins…

Je n’ai jamais pensé parler à la première personne parce que je fais un livre de journaliste justement, que je ne fais pas du journalisme gonzo. J’ai lu Thompson et Bangs mais je n’ai jamais réussi faire ce genre de chose, c’est hyper délicat et la plupart de ceux qui le font se plantent complètement. Le sujet du livre c’est le hip-hop et ses acteurs, ce n’est pas moi. Je ne fais que raconter, de la manière la plus fidèle possible, ce qui s’est passé, même si j’ai un point de vue sur cette histoire qui se traduit dans le texte. Ne serait-ce que le fait de privilégier tel ou tel artiste est déjà un parti pris. Après je pourrais raconter ma vie dans le hip-hop, les gens que j’ai côtoyés et tout ça mais il ne sont pas si nombreux finalement, et je ne pense pas que ce soit très intéressant. Ce qui est intéressant, c’est comment ça s’est passé, comment Dee Nasty est devenu Maître Gims en gros, même si un siècle les sépare.

Pour revenir à ces petites interviews, comment as-tu choisi tes intervenants ?

Je voulais que le gros du texte, le linéaire et chronologique, soit aéré… J’aime bien les magazines ou les livres dans lesquels tu as plusieurs entrées de lectures : là un encadré, ici une petite interview, un focus sur tel truc, un tunnel de photo… Mais ça a aussi été téléguidé en partie par mon travail de journaliste depuis dix ou quinze ans, par les archives que j’avais à ma disposition. J’ai fait de nouvelles interviews mais j’ai aussi beaucoup pioché dans des anciennes interviews que j’archive avec rigueur depuis longtemps. Elles sont gravées sur des CDs, année par année. Je me suis replongé dedans et sur certains points il m’a semblé intéressant d’avoir de petits focus qui viennent animer la lecture, qui font qu’on peut prendre le bouquin de travers, voire à l’envers. C’est le principe de ce qu’on appelle le « beau livre » dans l’édition. Ces respirations sont des histoires que je trouve intéressantes parce qu’elles disent quelque chose sur telle ou telle époque : la manière dont Dee Nasty parle du terrain vague de La Chapelle ; les difficultés rencontrées par IAM suite à la sortie de « Je danse le Mia » ; la conversation que j’ai eu avec Lilou sur l’ascension du breakdance français à l’international… Le jour où tu n’as pas le temps, tu lis juste la double page sur IAM, qui parle d’un fait très précis, puis quand tu as plus le temps tu lis un autre chapitre en entier.

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La mise en page, très esthétique, et le côté synthétique, facilitent l’entrée dans le bouquin. Y avait-il une volonté de parler aux néophytes ?

Il y a clairement une volonté de parler à des néophytes, à des gens qui ne connaissent pas très bien histoire mais qui sont sensibles à cette musique, à cette culture, et qui sont curieux, simplement. Ce n’est pas un projet d’hyper-spécialiste comme a pu le faire Vincent Piolet : son livre (Regarde ta jeunesse dans les yeux, nous en parlons ici, ndlr) m’a fasciné parce que je veux savoir tous les détails de cette histoire mais je suis pas sûr que ça intéresse un fan de rap lambda d’aujourd’hui – ça fait 400 pages et il n’y à pas une seule image ! Je ne voulais pas que ce soit un bouquin ultra spécialisé pour les spécialistes même si les spécialistes peuvent aussi trouver des anecdotes, un vrai intérêt, parce que j’ai quand même pioché dans mes archives constituées en étant journaliste spécialisé. Donc il y a parfois des trucs très spécialisés et même l’éditrice me l’a fait remarquer, notamment au sujet du chapitre sur la production musicale : « Ton truc sur la production est trop compliqué, il faut simplifier ». Et elle avait raison, il faut savoir à qui tu parles. Moi je partais dans des explications techniques sur les machines, le sampling, les droits d’auteurs, les DRM, etc. Et puis de toute façon aujourd’hui le rap est une musique grand public et il n’y a pas de raison de ne pas faire de bouquin grand public. Le rap, c’est la vie. Et donc la maquette du livre, comme tu le dis, participe à ce truc-là : il y du texte et beaucoup d’images, mais aussi des légendes conséquentes et c’était une volonté de ma part, ce sont presque des petits paragraphes. On ne dit pas juste qui est sur la photo : on raconte qui est là, pourquoi et à quel moment, ça raconte quelque chose.

Certaines photos sont connues des aficionados, mais d’autres sont vraiment plus rares, et très jolies aussi. Où es-tu aller piocher toutes ces photos ? 

Même moi il y avait plein de photos que je n’avais jamais vues ! C’est une tâche que j’ai menée avec la responsable éditoriale, qui a abattu un travail monumental et que je salue – Laurence Basset. Comme elle ne connaissait pas bien le sujet, elle m’a demandé où aller piocher en fonction du plan du livre, des trucs à illustrer, des périodes… Elle m’envoyait des mails en me disant : « J’ai trouvé un groupe qui s’appelle La Cliqua, ça nous intéresse ? » Je lui répondais : « Oui, c’est très important, on en parle dans tel endroit, il faudrait le mettre dans tel chapitre… » Je l’ai aiguillée vers des photographes, des thèmes, des artistes et on a fait la sélection ensemble pour arriver à une sélection serrée en piochant un peu partout, y compris dans des agences qui avaient des stocks hyper intéressants. Elle s’est très bien débrouillée, sachant qu’elle ne connaissait pas bien cette histoire en dehors des MC Solaar et Maître Gims, que son fils écoute. Elle a fait un gros boulot de supervision.

Ton expérience dans les medias non-spécialisés comme les Inrocks ou Libé t’ont aidé à trouver le ton à adopter pour t’adresser à des néophytes ?

Pour parler au grand public, oui, clairement. Chez Radikal, tu as dû t’en rendre compte, on était très spécialisés. Après la fermeture du canard, le fait d’écrire pour des magazines qui me commandaient des articles sur le rap mais pas pour les mêmes raisons que Radikal m’a poussé à changer d’angle, à regarder le sujet différemment. Je l’ai dit dans une autre interview, mais quand Le Monde Diplomatique m’a demandé un papier sur LIM – dont j’ai utilisé des extraits dans le bouquin d’ailleurs – il se foutaient complètement que l’album soit bien ou pas. Par contre comment ce mec-là a fait un disque d’or, pourquoi il y est arrivé en indé total sans grande promo ou qui a acheté son disque, ça c’est une histoire qui les intéresse. Le prisme qu’on avait chez Radikal ne nous permettait pas de faire ça : on allait voir LIM pour lui parler de son album, mais on ne prenait pas le recul nécessaire pour se dire : « Là il y a un phénomène caché, intéressant, pourquoi ça s’est passé comme ça ? Comment a-t-il réussi à faire son disque d’or ?, etc. » Donc oui, le fait de travailler pour des magazines parfois plus généralistes a beaucoup joué dans l’écriture de ce bouquin. Mes deux volets de Combat Rap étaient beaucoup plus à destination des spécialistes. Là j’ai cherché à y intéresser des gens qui écoutent du rap, qui aiment bien savoir comment s’est passé cette histoire, ce qu’il s’est passé avant, comment ça évolue, sans être forcément des nerds qui connaissent tout de fond en comble. Mais malgré tout, je me suis quand même débrouillé pour utiliser mes archives un peu spés pour que les aficionados du hip-hop puissent y trouver des choses intéressantes, des citations qu’ils ne connaissent pas, des petites histoires… Toi qui es un aficionado, y as-tu trouvé ton compte avec des choses qui t’ont intéressé ?

Oui, je pense par exemple à la petite interview de Jean-Pierre Seck qui revient sur la sortie de Mauvais Oeil

Voilà, typiquement. C’est exactement ça ! Le parfait néophyte ne sera pas forcément intéressé par cette interview-là, il va peut-être passer à côté. Par contre quelqu’un qui s’est buté le cerveau avec Mauvais Œil va trouver ça intéressant, tout comme moi j’ai trouvé intéressant de faire l’interview.

Le livre se découpe en différentes périodes qui ne sont pas cloisonnées pour autant…

C’est comme un cours d’histoire, ouais…

Quelle est ton époque/chapitre préféré ?

Il y en a plusieurs mais j’en citerais une en particulier :  le premier chapitre. Je pense que c’est aussi lié à une part de fantasme que j’ai parce que je n’ai pas vécu cette période, j’étais gamin. C’est quelque chose que j’ai découvert plus tard, à travers les bouquins, les témoignages, les paroles des gens que j’ai pu interviewer. Je pense qu’il y a aussi un côté fantasmé sur cette période-là. Même si en termes journalistiques je ne raconte pas n’importe quoi, j’aime beaucoup cette période parce que c’est le hip-hop avant que je le découvre : les graffitis, le terrain vague de La Chapelle dans lequel je n’ai jamais mis les pieds évidemment…

Thomas Blondeau

La période suivante me fascine aussi parce que c’est là que je suis tombé dedans. Quand je parle de l’invention du discours du rap français par NTM, IAM ou Assassin, qui étaient d’abord un calque de ce qui se disait dans le rap américain, notamment chez Public Enemy, j’ai beaucoup de choses à en dire parce que c’est là que ça m’a pris aux tripes. Je vivais cet engouement et donc je connais tout par cœur, j’ai récité les textes des milliards de fois, je connais les histoires, et j’ai fini par poser des questions hyper précises à ces mecs que j’ai pu rencontrer par la suite.

Enfin, je trouve la période actuelle super intéressante parce que le rap a fini d’être une opposition de principe, de faire un texte sur la police, puis sur la weed, puis sur sa mère. Tout ça est cristallisé au sein de rimes où tu entends ces choses multiples au détour d’une phrase, parfois d’un simple mot, et tout ça retranscrit de manière très juste de ce qu’on vit ici. C’est pour ça que le livre s’appelle « Une histoire française » : le fait qu’on est parti d’une copie du rap américain pour arriver à quelque chose de profondément ancré dans la société actuelle. Dans le rap on entend la manière dont sont traitées les minorités en France, les reliques de la guerre d’Algérie ou de la Françafrique, des taboux sociaux mais aussi des rêves. On entend le ressenti – douleur ou pas, car tout le monde ne souffre pas dans le hip-hop – d’une certaine jeunesse par rapport à cette histoire aussi bien que par rapport à l’actualité, on capte des signaux qui ne peuvent venir que d’ici. PNL, par exemple, c’est profondément français : les références, ce qu’ils racontent, le langage qu’ils utilisent, leurs références culturelles… Je trouve ça hyper bien, j’aime beaucoup le rap français en ce moment, mais il aura fallu attendre longtemps pour que les rappeurs français ne copient plus les Etats Unis, c’est assez récent.

Quand tu parles de cette période à la fin du bouquin, tu parles d’un instant de grâce. Le vois-tu perdurer encore longtemps, ou sinon qu’est-ce qui pourrait l’enrayer ? 

L’instant de grâce on l’a à peu près vécu, c’est à dire qu’on est désormais déjà guettés par les sirènes commerciales, exactement comme ça s’est passé quand le rap en français est devenu du rap français au milieu des années 90 : on a vécu un instant de grâce mais tout ça a fini par s’effondrer commercialement, à cause du piratage d’une part, mais également, et j’en suis persuadé, parce que le public s’est essoufflé quand tous les singles étaient les mêmes et que tout le monde faisait la même chose. Je trouve que le rap est beaucoup plus divers aujourd’hui qu’il ne l’était il y a quinze ans, et tant mieux, mais je me demande si on n’est pas à la veille de basculer dans un truc qui va redevenir pénible comme il l’était au milieu des années 2000, où ça va peut-être redevenir lassant, où tout le monde fait un peu la même musique parce qu’on se dit que c’est ce qui marche – et je ne parle pas que de l’autotune, il y a des mecs qui gèrent très bien l’autotune, aucun problème avec ça. Peut-être que je me trompe, mais j’ai l’impression qu’on est à la veille d’un nouveau conformisme, en termes de discours, de production, de musicalité, alors qu’on s’en était vraiment libéré depuis les années 2010.

Donc si je te demande quelle est la période que tu as le moins aimée, tu me réponds la fin des années 2000 ?

Non, je dirais le milieu des années 2000. Le fait qu’il y ait eu des albums mortels, tout ce qu’on a appelé « la scène alternative », qui n’était pas vraiment une scène pour moi au passage, mais également des albums de Rohff ou de Booba, je pense à Ouest Side ou Panthéon, où le rap a commencé à se diversifier avec l’arrivée d’internet, ce n’est pas un hasard. Mais, commercialement, les maisons de disques ne cherchaient qu’à signer des sous Rohff et des sous Booba, et finalement ça devenait pénible. Tout le monde s’est alors mis à faire la même chose et j’ai ce souvenir d’une espèce de désert aride entre 2005 et 2008, avec aucune créativité, aucune originalité, où tu avais à peine un bon single tous les six mois. Pour moi c’était comme la toute fin des années 90, quand tout le monde commençait à reproduire les schémas qui fonctionnaient sur Skyrock – certains le faisaient très bien mais globalement, tout le monde faisait la même chose. Après cet espèce d’engouement fabuleux de 1996-1999, on revenait à quelque chose de très conformiste et les maisons de disques ne s’y sont pas trompées : elles ont arrêté de signer. C’est alors qu’on assisté à un renouveau de l’underground, des non-signés, des non-alignés. Ce rap underground du début des années 2000 est mortel : Mauvais Oeil, Tous Illicites Records, Dîn Records, etc… Le rap revenait à la rue, finalement c’est là qu’il était le mieux. Commercialement, le rap n’était plus du tout intéressant, par contre il le redevenait, artistiquement, dans l’underground. Comme dans une sorte de cycle.

La plupart des groupes et acteurs majeurs sont cités au détour d’une double page, d’une photo ou d’une mini chronique, mais tu as dû faire des choix, quels artistes as-tu regretté de ne pas avoir mentionnés ?

Je pense que je ne me suis pas trop mal débrouillé parce que je me suis rattrapé avec les photos. Il y a des groupes qui ne sont pas cités dans le texte, mais qui font l’objet d’une photographie avec une grande légende qui résume leur carrière. Je pense notamment à La Rumeur, que j’aime beaucoup, et qui ne bénéficie pas d’un vrai développement dans le texte mais d’une belle photo avec une dizaine de lignes sur leur carrière, l’apport et l’intérêt du groupe. Le propos c’est de raconter quarante ans d’histoire, donc c’est impossible de citer tout le monde. Si on voulait citer tout le monde, il suffirait de faire un bouquin en mettant la liste des noms car il y a suffisamment de groupes et de rappeurs dans cette histoire pour remplir un bouquin entier juste avec des blazes ! Ce que j’ai cherché c’est des phares, des points d’ancrage qui ont pesé sur cette histoire, que ce soit le Secteur Ä, le Ministère Amer, Suprême NTM, IAM, Time Bomb, Rohff, 45… Il y a des rappeurs qui ont fait de bons albums mais il y aussi de bons albums qui ont peu pesé sur le cours des choses, sur l’artistique, sur le business ou sur l’évolution de cette histoire, qui ont eu beaucoup moins d’influence que d’autres.

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C’est marrant, hier je réécoutais un album que j’adore, probablement un de mes albums préférés de l’histoire du rap français, que je n’ai même pas cité : le premier album d’Aktivist, Stereotape, produit par Junkaz Lou. Ce dernier intervient dans la partie production à la fin du livre, mais Aktivist n’est même pas cité. Pourtant, c’est un disque que j’adore, avec plein d’invités : Jalal des Last Poets, Driver, Rockin’Squat, Solo d’Assassin… C’est une espèce de point d’ancrage de cette culture hyper important mais qui est passé totalement inaperçu, seuls les mecs à bloc ont adoré ce disque. La prod est mortelle, on dirait Public Enemy, mais je ne l’ai pas cité parce qu’il n’a pas eu un poids fabuleux, il a juste été adoré par des aficionados. Je pense qu’il n’est même plus disponible, même en streaming, tellement c’est vieux, underground et méconnu. Il y a donc tout un tas de gens dont je n’ai pas parlé mais ce n’est finalement pas grave. Je ne pouvais pas m’empêcher de parler d’IAM, NTM ou Doc Gyneco, ce sont des mecs qui ont eu un poids fondamental en termes commerciaux, artistiques ou même esthétiques, tout comme Rohff, Booba ou 1995. Ils ont bouleversé la donne. Après il y a aussi des gens dont je parle et qui ne sont pas forcément super connus ; je pense aux X-Men, totalement inexistants aux yeux du grand public, mais dont je parle parce que pour le hip-hop ça a été fondamental, qu’ils on eu une influence majeure. 

Ils ont même encore une influence sur la scène actuelle.

A leur époque ils ont été une influence fondamentale pour plein de groupes, mais également bien plus tard, sur des groupes comme 1995 qui les ont redécouvert. C’est une influence lourde. Mais, bref, il est impossible de parler de tout le monde. C’est comme quand Mehdi Maizi fait une compilation de chroniques de disques (Rap français : Une exploration en 100 albums, nous en parlons ici, ndlr), tout le monde lui tombe dessus en lui disant : « Tu n’as pas parlé d’un tel il est mortel ! » Et oui bien sûr, il y  a plein de trucs qui sont mortels, mais tu es obligé de faire une sélection, et puis encore une fois, je pense qu’il y a eu des bons disques qui n’ont pas eu beaucoup d’influence. Et il y a eu aussi des mauvais disques qui ont eu une grosse influence…

Comment arriver à synthétiser le propos quand on a assisté à ça aux premières loges ? Résister à la tentation d’en dire plus ? 

Quand j’ai débuté, un journaliste que j’appréciais beaucoup m’avait dit : « Thomas, le journalisme c’est un métier de grande frustration. Tu pourrais écrire 20 000 signes sur ton sujet mais on ne t’en demande que 4000. Tu vas donc mettre de côté tes flingues et tes phases et te démerder pour que ça ait le même sens en plus court. »Ça fait partie du challenge. Quand j’écrivais dans Radikal j’écrivais beaucoup, des papiers de 20000 signes, c’étais verbeux, plein de phrases, avec finalement pas beaucoup plus d’infos qu’aujourd’hui. J’étais pas le seul d’ailleurs, je me souviens que dans Groove ou Tracklist ça partait bien dans tous les sens niveau format ; c’est très courant dans la presse spé, en fait, t’es un passionné de ouf, tu pars sans bride, t’arrives à convaincre ton rédac’ chef qu’il faut absolument faire six pages sur un inconnu – c’est assez mortel d’ailleurs ! Mais quand, plus tard, on m’a demandé de réduire ce genre de papier de deux tiers pour, par exemple, les Inrocks, je me suis rendu compte qu’une fois redescendu à 4000 signes, l’article était tellement compact, précis, le choix des mots était tellement juste que le rédac’ chef avait raison, que je pouvais expliquer les choses de façon rationnelle et argumentée en beaucoup plus court – pour ça, la langue française est d’une richesse infinie, en termes de mots comme de concepts qui te font gagner parfois des lignes entières. C’est une méthode de travail. Sur le livre j’ai fait ce travail de synthèse. Le métier d’un journaliste c’est de synthétiser, pas d’écrire un roman, même si certains le font très bien. Et puis l’éditrice te dit que le bouquin fera 197 pages, pas 199 ni 305, donc tu te débrouilles. En gros, les chapitres font à peu près 20 000 signes chacun. Il doit donc y avoir entre 150 000 et 200 000 signes dans le bouquin. Donc oui, il y a eu un gros travail de synthèse, et de frustration parce que j’aurais pu aller encore plus loin, et je le ferai probablement un jour. J’ai encore des millions d’archives, des trucs que je n’ai jamais exploités. J’ai réécouté plein d’interviews, relu plein de papiers, et je me suis dit : « J’ai peut-être une mine d’or. » J’en ferai certainement quelque chose un jour, en plus tout ça est enregistré en bonne qualité puisque j’ai rapidement eu des petits magnétos numériques, donc ce sont des sons de bonne qualité, il y a de quoi faire des docus radio, des tas de trucs.

J’avais lu une interview de toi dans laquelle tu disais que tu avais rencontré plusieurs fois 1995 sans faire de papier sur eux nécessairement, et qu’ils ne comprenaient pas bien pourquoi tu les rencontrais… Effectivement ça doit faire des archives ce mode de fonctionnement. 

Oui, après c’est plus des trucs à raconter puisqu’au début je ne les enregistrais pas, mais je me souviens de cette histoire-là. Je les avais vus à plusieurs reprises dans des cafés ou à côté de leur salle de répet’ mais je passais juste pour humer l’air parce que je sentais qu’il allait se passer un truc – et ça n’a pas loupé… Quand ils ont commencé à fonctionner, que les vues ont commencé à augmenter, je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter, ce que j’ai fait dans un papier pour les Inrocks. Mais c’est vrai qu’ils étaient un peu circonspects au début parce que je ne faisais pas de papier, et il y a plein de rappeurs que j’ai rencontrés sur lesquels je n’ai jamais écrits. Mais c’est important d’humer l’air, tu ne vois pas toujours les rappeurs pour faire une interview ou un article. Tu les vois aussi parce que tu t’entends bien avec eux déjà, c’était super cool de rencontrer 1995 au début des années 2010. Ils ne connaissaient pas le business à part Antoine et un peu Lo’, ils posaient des questions, ils étaient hyper intrigués et enthousiastes, ils se méfiaient des maisons de disques sans trop savoir pourquoi, ils voulaient tout faire tout seuls mais ils voyaient bien que ça leur prenait un temps fou ; et puis ils étaient un peu glandeurs… Après, je n’ai pas non plus traîné avec eux pendant des années, on s’est vus quelques fois et puis voilà, je restais un journaliste. Mais c’est vrai que je m’entends bien avec eux. 

Pour ce bouquin, vas-tu avoir droit à une distribution à grande échelle dans les librairies ?

Mon éditeur c’est Tana, une boîte qui a été achetée par e-First qui font les séries « Pour Les Nuls », donc qui a un certain fond. Tana, eux, sont habitués à faire des beaux livres. Et, oui, apparemment les libraires sont plutôt très intéressés par le bouquin, donc ce sera disponible partout : Fnac, en ligne, dans les librairies normales, partout. C’est bientôt Noël, hein…

2016-10-24-11-12-38« Hip-Hop – Une histoire française », le 27 octobre chez tous les bons libraires.

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