Rencontre avec Foyone, le phénomène rap espagnol.

Originaire de Málaga en Andalousie, Foyone est un artiste issu de la scène graffiti (DNC). Des problèmes avec la justice l’ont poussé à stopper cette activité et à se tourner par la suite naturellement vers le rap. Auteur de deux premiers projets intitulés « Mi zoológico » (2011) et « PVTA » (2012), Foyone prit une dimension supplémentaire l’année suivante avec l’excellent « Dolares Mentales ». Son dernier album, « El Mesías » sorti en 2014 lui a permis de défendre sa musique dans de nombreuses villes d’Espagne, d’ Europe, et même dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Au cours de ces dernières années, il a publié régulièrement une série de freestyles portant le nom de « Rap sin Corte » qui lui offrirent une grande visibilité sur internet. Dans quelques jours, un nouvel album intitulé « La Jaula de Oro » devrait voir le jour et installer définitivement cet artiste comme un des fers de lance de la scène hispanique. Il est accompagné de Gharuda, son booker, qui est également chargé de toute la partie audiovisuelle de son oeuvre. Nous avons pu rencontrer ces deux artistes lors de leur récente venue à Barcelone. Entretien afin de décrypter ce phénomène émanant de l’autre côté des Pyrénées.

Bonjour à vous deux. Tout d’abord, je souhaite revenir sur le morceau « Magia » de ton EP « El Patio ». Dans celui-ci tu as écrit: « La magie est dans les villages, dans les champs, dans les mots de cette personne âgée qui s’adresse à toi, dans les cors de celui qui travaille la terre … ». C’est assez rare d’entendre de telles paroles dans le rap. Que représente pour toi ta terre natale l’Andalousie?

Foyone: J’ai grandi avec les traditions de la nature. Mon grand-père était chasseur, mon oncle adorait pêcher. Moi j’aime bien aller à la chasse aux escargots par exemple. C’est sûr que ce n’est pas le genre de chose qu’on a l’habitude d’entendre dans le rap… D’habitude ça parle beaucoup de rue. Mais cette culture populaire est très significative en Andalousie, et elle me représente totalement, moi et toute ma famille. J’ai voulu mettre cette idée en musique sans que cela ne ressemble à un spot de pub propagande pour ma propre région.

Tu penses qu’il y a une apologie excessive de la rue dans le rap actuellement?

Foyone: Je suis le premier à considérer avoir vécu dans la rue pendant de nombreuse années. Autant pour les choses positives que négatives, je sais ce que c’est que la rue, la vivre. Ce qui me gêne c’est qu’il y ait des rappeurs qui s’en servent pour vendre, comme si c’était quelque chose d’amusant. Dans la rue il y a des gens qui se piquent et qui meurent. Donc ceux qui friment en disant « Moi je suis plus rue que toi », je trouve ça moyen. Puis, quand on croise finalement ces personnes dans la rue, on découvre leur vrai visage.

Peux-tu nous dire quel est ton processus d’écriture ? Procèdes-tu de la  même façon pour un freestyle de type Rap Sin Corte que pour un son prévu pour un album?

Foyone: En fait j’ai l’habitude d’écrire avec l’instrumentale du morceau choisie. Si ce que j’écris n’est pas dans la lignée du projet sur lequel je suis en train de travailler, le morceau peut finalement se convertir en un Rap Sin Corte. Honnêtement, je n’ai pas de méthodologie différente que ce soit pour un album ou un freestyle.

Gharuda et Sceno (NDLR: principal beatmaker et Dj de scène de l’artiste) donnent-ils en interne leurs opinions par rapport à tes textes? Est-ce que d’une certaine façon, ils les valident?

Foyone: J’aimerais vraiment qu’ils donnent un peu plus leurs avis mais j’avoue que Gharuda est quelqu’un d’assez franc.

Gharuda: Pour bien remettre les choses dans leur contexte, il faut comprendre que je vis avec lui donc c’est normal. Quand il est en train d’écrire, je ne dis rien, je le laisse faire. Mais une fois qu’on enregistre, je lui dis franchement ce que j’en pense.

Foyone: Pour les futurs projets, j’ai vraiment dans la tête que l’on discute beaucoup tous les trois autour d’une table pour chaque morceau, histoire que l’on se complète le plus possible.

Peut-on donc dire que vous vous considérez comme un groupe de rap?

Gharuda: Complètement, nous un sommes un groupe. Il est clair que la partie visible reste Foyone car c’est son visage que le public retient mais moi je suis complètement impliqué dans ce projet. Beaucoup plus que dans toutes les autres initiatives auxquelles j’ai pu prendre part auparavant.

Gharuda, tout ton travail au niveau des audiovisuels, que ce soit les clips ou les affiches sont très important pour l’image de Foyone. Comment t’es-tu lancé dans ce milieu? Es-tu autodidacte?

Gharuda: En fait je suis venu vers 2006 à Barcelone pour faire des études de cinéma. Je n’ai même pas tenu un an. Je me suis rendu compte que c’était une escroquerie. Il y avait beaucoup trop de théorie. Chez moi, j’ai visionné beaucoup de films avec mes parents donc j’avais déjà assimilé pas mal de choses. A cette époque j’ai quand même eu la chance en parallèle de connaitre des gens qui se bougeaient dans ce milieu. Tu apprends beaucoup plus quand tu es entouré de personnes qui sont actives et passionnées comme toi que dans un cours théorique avec un professeur ennuyant. Concernant Photoshop, je l’ai toujours utilisé sur mon ordinateur comme un jeu. Bien évidemment, des nuits blanches devant des tutoriels de Youtube aussi m’ont beaucoup servies. Si tu as en tête ce que tu veux faire, il ne reste plus qu’à trouver le moyen de le réaliser, peu importe la méthode. Un des collectifs qui m’a vraiment marqué et m’a donné envie de me lancer à fond reste Kourtrajmé.

Le fait que vous n’ayez pas un label derrière vous pour alléger votre travail, vous ne trouvez pas que cela peut-être un frein à votre évolution?

Gharuda: C’est une question compliquée. Foyone et moi on contrôle tout. Si on devait délèguer une partie de nos tâches, ce serait presque impossible de trouver quelqu’un dans le même esprit que nous.

Mais par exemple, pour la prochaine sortie de « La Jaula de Oro » (27/11/15), un coup de main d’un distributeur n’aurait-il pas pu être bénéfique?

Gharuda: Pour ce projet en particulier, en plus de notre shop online sur www.foyone.com, on va essayer de le mettre dans les bacs de plusieurs boutiques spécialisées. Mais si c’est pour que la boutique se retrouve avec de nombreuses copies sur les bras, sans pouvoir les vendre, ce n’est pas non plus rendre service. On s’est rendu compte que c’est pendant les concerts et sur le net que l’on vend vraiment des disques. Si quelqu’un est déterminé à acheter notre musique, il trouvera toujours le moyen de se la procurer.

Honnêtement, vous n’avez jamais été approché par une maison de disque?

Foyone: Sincèrement non. Je pense que tout le monde nous connait dans le milieu et les professionnels connaissent notre réponse. Ils ne pourront rien nous offrir de plus. Il faut se dire aussi qu’accepter ce type de contrat pourrait nous empêcher de faire des concerts. On ne veut pas accepter d’être dans un espèce de package formé par 5 ou 6 artistes d’un label. Personne ne peut décider pour nous si on désire ou non participer à un événement.

Vous avez déjà joué en Argentine mais vous repartez pour une grosse tournée en Amérique du Sud dans quelques semaines…

Foyone: Effectivement, on file au Mexique, Chili, Pérou, Argentine, Uruguay, Colombie et on espère que cela ne s’arrêtera pas là. Etant donné qu’on traverse l’océan, autant faire le plus de dates possibles. On est en train de se bouger énormément pour que cette tournée se fasse. Au final on va là où les gens nous contactent.

Quelles différences flagrantes avez-vous retenues dans la manière de vivre le hip-hop par rapport à l’Espagne?

Foyone: En Argentine par exemple, ils sont très axés sur les battles, l’egotrip. Ils voient le rap comme une compétition. Leur fanatisme pour la musique est impressionnant au même titre que pour le foot, la religion.

Etes-vous conscients que la majorité des artistes espagnols qui ont tourné en Amérique Latine ont pu le faire après une longue carrière et bien souvent lorsqu’ils étaient sur le déclin. Vous partez là-bas seulement quelques années après les premiers sons de Foyone…

Gharuda: La seule différence que l’on peut avoir par rapport aux autres rappeurs qui ne sont pas partis en tournée là-bas, c’est que nous nous en sommes donnés les moyens. Je ne pense pas que Foyone soit le seul artiste de rap espagnol que les gens écoutent en Amérique Latine.

Foyone: Nous adorons voyager. On ne prétend pas gagner beaucoup d’argent en partant là-bas mais on n’a pas peur de l’aventure. C’est comme si on jouait ici. On prend l’avion, on se fait pote avec la personne qui organise le concert et on profite de tous les instants. Cette manière de travailler se passe toujours bien.

Gharuda: Sincèrement, on a été beaucoup plus surpris quand on nous a contacté pour jouer à Londres et à Berlin. La barrière de la langue ce n’est pas une chose facile dans la musique.

Comment se sont faites ces dates en Europe?

Foyone: C’est grâce à la crise qui a envoyé beaucoup d’espagnols hors des frontières (rires).

Gharuda: Ce sont des villes où beaucoup d’espagnols vivent. Après cela s’est fait comme n’importe quel autre concert : une prise de contact par mail ou sur les réseaux sociaux et on a mis le projet en place petit à petit. A Londres par exemple, le concert a même été plus satisfaisant que dans certaines villes d’Espagne.

Pour préparer votre set de chansons sur scène, êtes-vous très attentifs aux reproductions sur Youtube?

Foyone: Non. Sincèrement ce sont plus nos goûts personnels que l’on met en avant et on choisit les titres qui nous semblent les plus adaptés au live. Quand on part en tournée, on commence avec une ligne directrice et on s’adapte au fur et à mesure des dates. On reste à l’écoute du public. Par exemple, on sait que le Rap Sin Corte VII doit forcément faire partie de la tracklist car c’est l’un des sons où les fans sont le plus réceptifs.

Je profite du fait que tu aies mentionné le Rap Sin Corte VII pour aborder le sujet… Dans tes textes tu fais parfois référence avec humour au monde des Reptiliens. Quel est ton point de vue sur le sujet?

Foyone: Ce qui est sûr c’est que l’on ne doit pas croire à des choses sans preuves irréfutables. Il est nécessaire de prendre du recul face aux informations des médias de masse. Après je pense que la société est pyramidale et que ceux qui sont placés au sommet sont ceux qui contrôlent le monde. Cependant, c’est dommage que certains interprètent mal nos délires en partant dans des théories conspirationnistes car nous nous trouvons bien loin de tout cela. Cela a au moins le mérite de nous faire rire lorsque nous lisons les commentaires sur les réseaux sociaux et sur Youtube.

Pourquoi avoir distribué votre dernier album la « La Jaula de oro » en version payante contrairement à tous vos anciens projets?

Gharuda: Le projet sera en écoute gratuite sur toutes les plateformes digitales habituelles. C’est une manière de protéger notre musique au niveau du Copyright. Après pour le téléchargement il demeurera payant. Il faut que l’on ait la sensation d’avancer dans notre carrière et de proposer des initiatives de plus en plus sérieuses. Ce n’est pas dans le but d’essayer de faire du fric car honnêtement si tu voyais les chiffres de ventes du digital, ils sont ridicules comparés au merchandising et aux disques. Mais de nos jours il faut être présent sur le maximum de plateformes possibles, c’est inévitable.

Est-ce que vous vivez du rap aujourd’hui?

Gharuda: On survit du rap. Ça nous permet de payer le loyer sur Madrid, les factures. On ne bosse pas à côté et on peut investir tout notre temps dans notre passion.

Pourquoi ce choix d’avoir quitté Málaga pour Madrid?

Foyone: Pour la commodité. Partir en concert au départ de Madrid reste une chose beaucoup plus facile. Partir jouer à Bilbao par exemple depuis l’Andalousie c’est une vraie mission. Il y a aussi plus de connexions qui se font. Etre partis de Malaga nous a également permis de sortir d’une routine et d’être plus actifs pour notre musique. Comme je disais toute à l’heure, nous sommes colocataires aujourd’hui et c’est une force. Sceno, notre beatmaker est sur Madrid lui aussi, cela facilite les choses. On avait pensé à Barcelone aussi pour vivre mais c’était moins stratégique géographiquement parlant.

Le mot de la fin?

Merci à toute l’équipe du Bon Son pour cette interview. En espérant pouvoir jouer prochainement en France, ce serait un véritable honneur.

Vous pouvez retrouver Foyone sur son compte facebook et sur son site internet.

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre la page facebook ou le compte twitter du Bon Son.

Partagez:

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.