Ärsenik / 2Bal : l’interview à chaud

Une telle affiche, c’est rare. Alors forcément, quand les frangins d’Ärsenik et les jumeaux des 2Bal descendent de scène, nombreux sont ceux qui essayent de négocier avec les videurs pour tenter d’aller capter les MCs en backstage. Un privilège accordé au Bon Son par Hip-Hop Citoyens qui organisait, ce jeudi 5 décembre 2013, cette soirée avec en première partie la finale Ile-de-France du Buzzbooster remportée par Phases Cachées devant Aladoum.

C’est donc la voix éteinte et le sourire au bec que nous pénétrons dans ce hall de la Bellevilloise, où l’on croise Nakk et Alino, venus saluer chaleureusement les « dinosaures de Brazzaville », K.ommando Toxik venu faire la surprise sur scène et même Mr. R, un passionné jamais loin d’un milieu qu’il a assidûment fréquenté. Le temps d’évoquer les belles années du hip-hop français et l’on entend Scalo annoncer la triste nouvelle du soir : Mandela n’est plus.

Daphné, la manager du « Poison »,  s’active pour nous trouver un coin au calme et surtout pour tenter de les arracher à leurs proches venus les féliciter. Accompagné de Gauthier Dupraz, journaliste à Radio Campus Paris (93.9FM), nous nous hâtons quand…

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Le Bon Son : Alors, comment ça s’est passé cette soirée pour vous ?

Lino : On a donné ça comme il faut. Il y a toujours de la pression, sinon c’est que t’es mort. La pression de jouer ici ? Bah toujours puisqu’on est de Paname ! On dit toujours que Paris c’est le moins chaud, mais là ça s’est bien passé.

Calbo : On n’était jamais venu à la Bellevilloise. Une salle très chaude, une bonne salle pour le hip-hop puisque le public est très proche de la scène et on sent bien les vibrations.

Par rapport aux autres de province, c’était où le plus chaud en France ?

Calbo : C’est la même chaleur partout parce que la chaleur c’est nous qui la donnons. Aujourd’hui, il y a eu une très très bonne chaleur. Et nous comme on part toujours en rockeurs, c’est toujours chaud.

Vous préférez les petites salles ou des salles comme l’Olympia que vous avez déjà expérimenté ? Y’aura-t-il l’occasion de vous revoir là-bas d’ailleurs ?

Calbo : C’est toutes les salles j’ai envie de te dire, on fait la guerre partout, petite ou grande salle, on donne la même énergie.

Lino : Bien sûr, y’a intérêt oui ! Ça va se goupiller. Y’a les albums qui sortent, la tournée qui arrive…

Vous avez entendu ce qu’a sorti Passi dernièrement ?

G-Kill : Usain Bolt ? Ouais je l’ai écouté. Il a réagi par rapport à l’article qu’il y a eu sur les salles de concert non remplies. Mais bon, après, Passi c’est un pote à nous,  donc on lui a dit en direct notre ressenti. Personnellement, je sais que j’étais pas trop pour qu’il fasse une réponse, parce que c’était pas intéressant pour lui. Il l’a senti comme ça. Il sort du Ministère et ça reste un rappeur.

Comment vous expliquez le fait qu’à son âge et avec sa carrière, il n’a plus de public aujourd’hui ? C’est un manque de communication ou bien est-ce qu’il n’a tout simplement plus de public ? Surtout quand on voit le vôtre ce soir…

G-Kill : Je pense que c’est un peu des deux. A sa décharge, c’est quand même un très très bon réalisateur. Effectivement, la communication et l’emballage sont plus importants que le contenu aujourd’hui.

Qu’est-ce qui différencie votre situation aujourd’hui ?

G-Kill : Ce qui nous réunit, c’est qu’on a « la même profession ». C’est devenu familial parce qu’on a vécu des choses ensemble qui nous ont rapproché. Pour le premier Bisso, Ärsenik, Mystik, Ben-J, 2 Bal,  M’Passi, Passi, tout le monde était star dans son domaine. Personne n’enviait l’autre. Ärsenik a ses deux albums, Ben-J avec Neg’Marrons qui font leur reggae et tournent beaucoup, Passi a fait ses singles comme celui avec Calogero, Mystik en solo, M’Passi avec son groupe, les 2Bal aussi…

Mystik, on n’est pas près de le revoir…?

G-Kill : Ah mais Mystik c’est pas pareil ! Qui c’est qui veut répondre ? [rires] Il était sur le premier et pas sur le deuxième. On a commencé un projet, Mystik est parti en cour de route… Il a préféré ne pas être sur le deuxième, ça empêche pas que ça reste un ami.

Quels retours après ce deuxième album Bisso Na Bisso (sorti en 2009, ndlr) ?

G-Kill : On a fait beaucoup de scènes avec des zikos, des clubs, chose qu’on ne faisait pas avec le premier Bisso. On a tourné dans plusieurs pays…un concert Bisso c’était prendre l’avion ! Chacun jouait ses classiques, c’est aussi une histoire musicale. Pour revenir à Mystik, il était avec nous à Marseille y’a deux semaines. Tranquille, y’a pas d’animosité. C’était juste son choix. Nous, on a continué…

Lino coupe : Après il faudrait lui en parler à lui !

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Quels sont les projets à venir ?

Lino : Y’a l’album de Calbo, le mien que j’ai quasiment fini et après on va faire un Ärsenik.

Une date ?

Lino : Des dates ? A mon avis vers mars-avril… (hésitant) On s’en fout des dates ! Seul Dieu sait. Les gens souvent se prennent la tête et disent « Un an c’est long pour faire un album ! ». Mon frère, un an pour un truc que je vais trimballer toute ma vie, je te jure que c’est pas long ! Un an, c’est rien.

Tu avais annoncé que tu ressortirais l’album Radio Bitume (lire la chronique) une fois remasterisé…

Lino : J’ai menti ! [rires] On peut mentir ? Non, non, c’est pas que j’ai menti. J’aimais bien certains morceaux, mais j’étais un peu énervé du fait que ça sorte en bordel comme ça. J’voulais remixer et ressortir le truc. En parallèle j’étais en studio et j’ai commencé à travailler les nouveaux morceaux, et ça m’a saoulé de revenir sur des vieux morceaux donc j’ai laissé tomber et je suis reparti sur le nouvel album. Mais on a mixé certains morceaux, peut-être qu’il y aura des trucs, ouais…

C’est un album qui a beaucoup tourné sur le web. Tu as eu des retours ?

Lino : Les gens ont bien aimé donc ça a un peu calmé mon énervement. En fait, l’objectif était atteint puisque Radio bitume, je voulais pas en vendre ou quoi que ce soit, c’était plus pour montrer ce que je faisais récemment, puisque ça faisait longtemps que j’avais pas sorti de truc. Ça a été bien perçu, moi j’étais content. Les retours m’ont un peu apaisé.

Calbo, ton projet est dans le chaudron ?

Calbo : Oui, bah oui. On ne donne pas de date, c’est de la musique, c’est de l’artistique… je suis un peu comme Laurent Voulzy t’as vu ! (éclat de rire général)

Lino : Laurent Voulzy, il met 15 piges à chaque album !

Le Bon Son : Du coup, après ‘Lacoste’, ‘Dia’, quelle va être la prochaine marque ? Calbo : ‘Ärsenik’ ! 

Calbo : J’ai une vingtaine de morceaux, et puis bientôt la finition. Ça fait longtemps qu’on ne nous a pas vus dans ce style-là puisqu’on a fait une longue tournée Bisso. Là, c’est revenir s’essayer dans le style qu’on a toujours fait. Le premier truc c’est d’envoyer, avant de faire découvrir aux gens et ceux qui attendaient depuis longtemps que ça vienne.

Quelle couleur aura cet album ? Plutôt moderne ou époque Ärsenik ?

Calbo : Epoque Ärsenik ! Nous-mêmes. Moi je sais pas singer quelqu’un.

Vous écoutez ce qui sort ?

Calbo : On écoute, on entend, mais on s’inspire de nous-mêmes.

Y’avait un extrait qui sonnait un peu plus ricain, c’est un choix délibéré de changer un peu de style ?

Lino (blasé) : Le truc de dire « un peu plus ricain » ça veut rien dire ! A l’époque c’était la même critique avec Mobb Deep !

Calbo : Pour être un peu plus précis, c’est juste que le son me plaisait et j’ai rappé dessus.

Qui pourra-t-on retrouver à la prod ?

Calbo : Il y a plein de gars, de petits jeunes, quelques suisses aussi, Argo, Vinz, des nouveaux.

Ca doit faire chaud au cœur de voir un public qui connait par cœur vos textes…

Calbo : C’est sûr ! C’est pour ce genre de personnes qu’on le fait ! Ces gens ont besoin de nouveautés aussi donc on va leur envoyer ça.

La tournée permet-elle de générer aussi un nouveau public ?

Calbo : Nous, on calcule pas ça. C’est vrai qu’il y a différentes tranches d’âge, ils kiffent l’énergie, on la donne comme on l’avait donné à l’époque.

Vous avez des managers, ils doivent bien vous dire que ce serait bien de cibler tel ou tel public, non ?

Calbo : Même pas ! Artistiquement, on a toujours fait ce qu’on voulait. Ils interviennent jamais dans nos machins.

Lino : Même quand ils essayent !

Calbo : Personne ne nous a dit comment on devait s’habiller ou chanter.

Du coup, après « Lacoste », « Dia », quelle va être la prochaine marque ?

Calbo : « Ärsenik » !

Lino : On remet Lacoste s’ils nous payent !

‘On ne donne pas de date, c’est de la musique, c’est de l’artistique… je suis un peu comme Laurent Voulzy t’as vu !’ Calbo

Pour revenir aux 2Bal, votre dernier album date de 2012, quels retours avez-vous reçu ?

D.O.C : Un retour plutôt scénique. On est dans un processus qui est un peu « back to the roots » pour ceux qui sont un peu bilingue comme moi avec l’accent [rires]. Quand on a fait les « 2bal de + », il fallait revenir au point de départ, c’est dans ce sens qu’on est allés plus que pour vendre et faire du clip à toute patate, donc ça a été fait pour la scène.

La tournée Ärsenik / 2Bal, c’était une idée commune ?

D.O.C : Oui, après dans le Bisso, Lino est plus proche de G-Kill, moi j’suis proche de Calbo. Peut-être parce qu’on est frères et qu’on a la même identité musicale… On est beaucoup à l’instinct, y’a pas de calcul. Il y a des dates depuis 2011, on est parti jusqu’en Suisse.

De quoi se compose votre public ?

D.O.C : C’est un public bien intimiste, vraiment « old school », mais bizarrement tu vois des têtes de jeunes, peut-être qu’ils avaient des grands-frères et sont attachés au rap des années 90s. Eux, ils ne sont pas en accord avec ce qui se fait là. En France, on est des gros nostalgiques.

Toi, t’es en accord avec ce qui se fait ?

D.O.C : Ben en fait je pense que c’est comme un contre-courant. Nous, on nous pose beaucoup cette question parce qu’on représente un peu l’ancienne école. Il y a eu un problème dans le rap français, c’est que les gens des années 90s n’ont pas fait de passage de relais comme il y a pu avoir aux States. Quand tu vois les cérémonies comme les BET, où tu vois KRS One et Mary J Blige monter scène, il y a une standing ovation de Lil Wayne, de T.I., A$AP Rocky, de tous les nouveaux. Ici, non. Aujourd’hui, tu vois quelqu’un comme La Fouine qui est plus jeune, qui va clasher quelqu’un qui a bâti sa carrière. Il y a dix ans, c’était pas possible, personne n’allait aller voir Assassin et lui dire « Toi, t’es un fake ! ». Nous on est de cette époque-là. C’est pas méchant, mais il y a une génération bâtarde. Dans tout ça, il y a beaucoup de clones et il y a aussi des gens qui ressortent.

Ce passage de témoins, c’est trop tard pour le faire ?

D.O.C : Non justement, il n’est jamais trop tard ! C’est cyclique, tous les cinq ans, il y a un truc qui se passe. Il y a beaucoup de plateaux depuis ces 3-4 dernières années sur Paris où tu vois des gens à l’ancienne comme la Scred, Time Bomb, La Cliqua… c’est qu’il y a une demande.

‘Pour 2014, c’est les 20 ans depuis nos débuts, on va partir sur un plateau 2bal/2neg et rappeler Eben et Niro.’ 2bal

Comment on le fait ce passage de témoins ?

D.O.C : Comme l’équipe de Jamaïque au Stade de France lorsqu’ils se sont passés le relais et qu’ils ont battu le record ! Je finis avec Usain Bolt (rires), elle est pas mal celle-là, non ?! (G-Kill chantonne la chanson de Passi)

On a croisé Mr. R tout à l’heure, qui nous disait qu’il a mis un point d’honneur à sa retraite…

D.O.C (il coupe) : Il n’a pas fait son jubilé encore !

…il nous disait qu’une date, un show carré avec 2Bal 2Neg’ et Ménage à 3 ça lui parlerait et ça le motiverait. Est-ce que c’est quelque chose qui est à l’étude ?

D.O.C : Bien sûr, bien entendu c’est dans nos têtes. On a connu la joie de vendre du disque parce qu’il y avait un retour. Ça nous faisait vivre. La SACEM générait quelque chose pour nous. Maintenant, on sort déjà de la scène avant le disque. A la base, on faisait que des concerts. Se produire sur scène, c’était un truc qu’on a toujours voulu faire. Dans les soirées, les après-midis, les fêtes de la ville, partout il fallait qu’on prenne le micro. Vers 2006 avec le projet Mapassa, on a du faire une trentaine de scènes. Là, on en a fait pas mal aussi avec Ärsenik, avec Cassidy des X-Men aussi à Lille. Pour 2014, c’est les 20 ans depuis nos débuts, on va partir sur un plateau 2Bal 2Neg’ et rappeler Eben et Niro.

Est-ce que vous-mêmes vous venez assister aux reformations de groupe comme La Cliqua ou ATK plus récemment ?

D.O.C : Bien sûr ! Si tu ne nous vois pas dans le public c’est qu’on est dans les loges ! C’est un moment pour se retrouver avec des gens comme Rocca, de cette époque-là. C’est l’occasion de prendre des nouvelles, de voir s’il y a moyen de collaborer… L’autre jour, on était au clip de La Fouine « Paname Boss », ce moment-là il était exceptionnel. Il a réuni tout le monde ; Sages Po, Passi, Mac Tyer, Rocca… C’était violent ! Un projet à la « Expandables » comme dirait Lino.

G-Kill : A l’époque, on se connaissait, on se checkait tous, mais on se parlait pas forcément. Là, de l’autre côté de la salle, il y avait tous les nouveaux comme Fababy, La Fouine, Sultan… Et des fois, certains venaient nous checker, prendre des tofs. C’est ce qui nous a plus dans la démarche de La Fouine.

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G-Kill, tu avais sorti Naufragé du temps en solo…

G-Kill (coupant) : Putain il connait lui, là ! Oh l’enfoiré, il est aguerri !

D.O.C : Il va faire le deuxième en 2014 ! Le frelon il a aussi des petits trucs dans sa tête qui bouillonnent. On va faire chacun un petit truc. Nous en fait, on est des artistes et des jumeaux, pas des solos. Les concerts, les morceaux, il y a toujours un truc qui nous relie.  Mais comme je t’ai dit, le projet vraiment scénique sera 2Bal 2Neg’.

Vous vivez de votre activité musicale ?

G-Kill dans un grand sourire : Bah moi j’suis cariste !

D.O.C : Peut-être grâce à l’âge et peut-être parce qu’on sait faire que ça, ce qu’on fait ça a toujours un rapport avec la musique. Pour ma part, j’ai monté mon label Bullet Prod, j’ai signé une équipe de beatmakers et on a sorti deux volumes de Galactik Beat. J’aime particulièrement la première. On essaye de développer des artistes donc  après on prend la casquette de producteur, puis de réal, on se déplace sur des clips… Il faut, quand tu rentres à la maison, que tu puisses au moins faire les courses à Auchan et éviter le Lidl ! On a sorti notre premier album, on avait 17 ans, et on a connu le succès avec Bisso à 20 ans. Il n’y a jamais eu de creux où on ne savait pas quoi faire. Même dans mon expérience carcérale, c’est là que j’ai vu que j’étais un artiste. G-Kill, lui, il faisait des ateliers d’écriture, il travaillait à France Inter dans l’émission « Timal » d’Ambre Foulquier tous les vendredis… On est d’une génération où c’était une passion. A la base, il n’y avait pas d’argent. Maintenant qu’il y en a, si on fait des scènes, ça a de la valeur. Non tu nous connais pas en disque, non on ne tourne pas en radio, mais t’inquiète pas, si dans ta ville tu mets notre nom sur l’affiche, attends un mois et tu verras… Sans prétention, une salle de 200 personnes, on est sûrs de la remplir…

G-Kill : 450 aussi ! [rires]

Les 2Bal resteraient bien discuter hip-hop encore un peu mais les autres médias les pressent. Il ne nous reste qu’à rentrer retranscrire leurs propos. Et à les remercier ainsi qu’Ärsenik pour leur générosité scénique et leur disponibilité post-live, sans oublier de nommer Daphné, leur manager, et les organisateurs d’Hip-Hop Citoyens. Un grand souvenir rapologique.

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