Chronique : Noss – « Sale ganache »

Il est de ces albums qui réconfortent quand on n’y croit plus. Quand le bât blesse, que l’hiver est déjà là, et que le cœur n’y est plus. Quand on pense que le rap indé français ne se relèvera pas de trop d’entre-soi, de manque d’ambition et d’une perte abyssale de créativité. Et puis il y a cette petite musique qui nous rappelle la ferveur, qui nous ramène à l’amour du truc. Cette petite musique qui naît de quelques rimes, d’une prise de parole sans filet ni filtre, de quelques notes rassurantes qui libèrent une magie assez forte pour nous sortir d’une torpeur profonde.

Cet amour du truc, c’est celui que l’on reconnait aisément et unanimement à Jul aujourd’hui, et qui injustement ne ruisselle pas sur ses congénères. Noss, l’autoproclamé « chien sale », en est un au royaume de la street crade.

Alors c’est vrai que l’alcool est omniprésent dans ses textes à en faire pâlir un adolescent en quête de sensations et à en dégoûter l’adulte en rémission. C’est clair que les effluves et vapeurs narrées ici et là, qui habitent l’auteur et habillent ses écrits, peuvent écœurer l’auditeur sensible et non averti, surtout s’il écoute l’album au petit déjeuner. C’est évident que sa nocivité transparait à chaque rime et que la violence peut choquer, dérouter, refroidir. Mais on salue une détermination entière à ne pas se laisser noyer par un quotidien morose, quand il n’est pas glauque. Une énergie mise à mal par des galères à répétition mais qui ne font pas flancher un homme fier qui s’efforce de rester digne le plus possible (« Plus fort seul »). Il parvient par exemple à nous épargner l’habituel morceau du papa qui s’adresse à ses enfants. Constamment sollicité et tourmenté, Noss lutte en parallèle avec son propre tempérament sans jamais renier ses actes. Et toujours avec le soin de l’imager dans son rap. (« Sommation 2 »)  

« Je marche droit dans ma ville et c’est pas le cas de tout le monde »

Si les feats sont légion, ils sont organisés et non6redondants. Une portée de piano machinalement salopée par le Swift, une autre exquise avec un Cenza très en jambes, un nouveau couplet du légendaire kickeur Sear Lui-Même, un duo réussi avec Fonik du Gouffre, une nouvelle apparition du truculent Adès… Noss s’est fait plaisir en ramenant ses potes du game sur son opus, sans négliger le travail d’écriture, de production et de mix. Chacun a joué le jeu et propose son meilleur jus, ce qui est à souligner pour cette génération de rappeurs à l’ancienne, bien souvent persuadée qu’elle n’a plus grand chose à prouver ni de nouveaux auditeurs à conquérir, et qui souvent abuse de rimes sur-entendues, de jeux de mots faciles ou se montre négligente dans le choix de prods, voire dans la qualité du travail fini. Le plus bel exemple étant incarné par Sheryo, Freko Ding et Souffrance qui livrent chacun un 16 de haute intensité sur le titre « Supercherie », le tout sur une ogive du beatmaker en chef et avec une netteté des plus appréciables. Une pépite.

Misère Record poursuit, lui, son activisme à toute épreuve. C’est peu dire que réussir à sortir un album de Noss est un exploit en soi, si l’on se réfère au projet Nossferatu entièrement produit par INCH, teasé depuis 2016… et toujours pas disponible.

Complice, fiable et motivé, il a porté la volonté de faire de Sale ganache un album rap sérieux, et complet. Il fournit des 90 BPM sur-mesure à un N.O.S.S en forme, que l’on surprend même sur quelques titres en train de prendre du plaisir au microphone. Habitué à jouer les seconds rôles dans cette scène rap indé où on le retrouve très rarement dans les concerts et festivals, il est ici maître de la maison et assure. Son projet peut le rendre fier, et lui donnera peut-être l’occasion de le défendre sur scène ici et là.

Sale ganache figurera sûrement -injustement- plus dans les catégories « Oubliés de l’année » des articles de presse rap que dans les classements des « Meilleurs albums de l’année ». Ce en dépit d’une démarche authentique, d’un effort méritant, et d’un résultat très plaisant pour les amateurs de rap tradi. Mais l’essentiel n’a jamais été là pour ce duo et cette absence médiatique ne saurait contrarier leurs envies de continuer à sortir des disques de qualité fidèles à leur vision de la (leur ?) musique. Freko, son assos de dingue depuis deux décennies, paraphrase parfaitement son positionnement « Tu crois que t’as une place dans le game, tu ne l’as pas, on t’a juste laissé le droit de goûter à notre plat ». Nous, on reprendrait volontiers du rab. Quitte à prendre du poids comme un gars obèse, une go en cloque !

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