Entretien avec No Music’s Land Records, label promoteur de rap du monde entier

No Music’s Land Records, c’est l’histoire de deux amis passionnés de musique qui décident de s’unir pour promouvoir le rap du monde entier. Partant du constat que les artistes mis en avant par les médias ou les maisons de disques ne proviennent que d’une poignée de pays, Maxence et Othmane ont décidé de créer un label dédié à la réédition au format vinyle. Ils mettent en lumière des artistes souvent dans l’ombre ou méconnus hors de leurs frontières. Dans cette première interview, nous revenons sur le processus de création de No Music’s Land Records, sur l’aspect technique et logistique de leur structure ainsi que sur leurs collaborations avec Azar Strato (Russie), SmallX (Maroc) et La Zaga (Vénézuéla).

Vous êtes tous les deux co-fondateurs du label No Music’s Land Records, comment s’est faite votre rencontre ?

Maxence : On se connaît depuis deux ans environ dans le cadre de nos études à Arles. On faisait un master Administration des Institutions Culturelles. En début d’année on a commencé à parler musique ensemble. Othmane avait Method Man en photo de profil sur Facebook et c’est de là qu’on a commencé à discuter rap. On a passé beaucoup de soirées à écouter du son ensemble. On aimait se faire découvrir de nouveaux artistes. Le premier rappeur que j’ai connu grâce à lui, c’est le marocain Nessyou. Pour ma part, j’ai écouté du rap assez tard grâce à mon père. Il aimait Tandem, Mafia K’1 Fry, La Cliqua…

Othmane : Cela fait presque trois ans que je suis en France. Je vivais à Rabat au Maroc avant. J’avais un boulot mais un jour, sur un coup de tête, j’ai décidé de changer de direction. Je me suis inscrit à la fac en France. Notre rencontre s’est faite grâce à la musique. Max est un puriste de rap, mais moi j’ai des goûts plus éclectiques, j’écoute de tout. Actuellement, nous vivons tous les deux à Marseille pour le travail. Je fais de la médiation culturelle pour une compagnie de théâtre.

Comment est née l’idée de monter votre label ?

Othmane : Nous étions en plein confinement. J’avais travaillé un an chez un disquaire à Paris qui s’appelle Balades Sonores. Là-bas j’ai compris qu’il y avait un marché concernant les musiques venant d’autres régions du monde. Par rapport à notre affinité pour le hip-hop, nous nous sommes lancés le défi de faire de la réédition d’albums de rap venant de pays peu mis en avant en France. On partait de zéro. Nous nous sommes renseignés pour savoir comment créer une entreprise, une association, connaître les bases pour les aspects administratifs et financiers. Nous avons demandé des aides. On était confinés et on bossait sur les maquettes design, sur les artistes que nous voulions contacter.

Dès le début, vous étiez convaincus que vous vouliez collaborer avec des artistes hors de France ?

Maxence : Othmane écoutait beaucoup de rap marocain et du Moyen-Orient. Je n’étais pas trop calé dans ce domaine. Ma première claque a été quand j’ai entendu le groupe ukrainien Grebz. Ça a été ma porte d’entrée au rap de l’Est. J’écoutais déjà beaucoup de rap espagnol ce qui m’a aussi amené naturellement à me tourner vers le rap sud américain. C’est devenu avec le temps un véritable coup de cœur. Avec le label, nous souhaitons faire découvrir des artistes et de nouvelles scènes aux auditeurs de rap. Hormis le rap français, les gens en France écoutent du rap américain, anglais, voire un peu de rap allemand mais pas vraiment en dehors de ces frontières.

Othmane : Aujourd’hui, quand tu apprécies du rap russe, ukrainien ou marocain, c’est parce que c’est tout simplement de la bonne musique. Il y a quelques années, les auditeurs étaient attirés par le côté « exotique » de ces chansons. Plus maintenant. Le rap qui se fait au Japon est le même que celui qui se fait aux États-Unis. Tout le monde a les mêmes outils, le même degré de créativité.

Pouvez-vous expliquer le concept qui définit No Music’s Land Records ?

Maxence : C’est vraiment important que les gens comprennent. C’est quelque chose d’assez complexe.

Othmane : Sur nos réseaux, on a imaginé un storytelling. C’est l’histoire d’un homme prénommé Nomulian 2922 qui est originaire d’une contrée lointaine : No Music’s Land. C’est un territoire défini par le reste du monde comme un lieu dépourvu de musique. Ses habitants vivent en autarcie depuis des siècles et tiennent à le rester. Ils s’opposent férocement aux valeurs et politiques de nos sociétés modernes. La seule chose qu’ils jalousent, c’est la musique qu’on y produit. Sur ce territoire isolé et silencieux, il y a de cela plusieurs décennies, un voyageur en fuite accompagné d’un vinyle et d’une platine a introduit la musique. Cette même platine est toujours utilisée pour diffuser dans les quatre coins de No Music’s Land, via ce qui s’apparente à des ondes radios. Ce peuple reclus a confié la mission à Nomulian 2922 de leur ramener des musiques venues du monde extérieur.

C’est à travers cette histoire que vous avez créé des visuels.

Maxence : Effectivement, on a conçu une carte du monde, on a imaginé des sonars aussi sous forme de petites playlists pour diffuser nos goûts et recommander des artistes du monde entier.

Pour vous lancer, cela aurait été plus facile de sortir un projet d’un artiste français.

Othmane : Aujourd’hui il existe une multitude de labels qui font à peu près de tout. Dès le début, nous nous sommes dits que cette niche n’était malheureusement pas exploitée.

Maxence : On voulait vraiment mettre en lumière des artistes peu exposés hors Europe occidentale. J’ai écouté énormément la scène rap indé française et j’ai fini par m’en lasser. Nous ouvrir à de nouveaux horizons devenait important.

Pourquoi avoir choisi de faire de la réédition et de vous tourner vers le format vinyle ?

Othmane : On pense que les amoureux des vinyles et plus largement les gens qui fréquentent les disquaires sont des fans passionnés et actifs. Ils parlent de musique et la consomment plus que des amateurs lambda. Pour un artiste qui vient du Maroc ou du Moyen-Orient, qui a 150 000 followers sur Spotify, avoir son vinyle dans de nombreux disquaires à travers le monde, cela peut être une nouvelle manière de faire sa promotion. Quand je bossais chez Balades Sonores, j’ai vu des artistes percer d’abord dans le vinyle avant d’avoir du succès sur les plateformes de streaming.

Même pour la scène rap ?

Othmane : Pour la scène rap, ce n’était pas commun. Il n’y a pas beaucoup de vinyles ni d’éclectisme pour ce format. C’est pour cela que nous nous sommes lancés. De plus, il existe un véritable rituel lorsque tu écoutes un vinyle. Il y a un rapport symbolique avec l’objet.

Le public qui achète des vinyles a aussi pour habitude de consacrer un certain budget à cette passion.

Othmane : Tout à fait. J’ajouterai aussi que c’est un public qui n’a pas peur de faire l’acquisition d’un projet qu’il n’a jamais écouté. Ce ne sont pas des auditeurs figés. Ils vont avoir confiance en leur disquaire.

Le premier vinyle estampillé No Music’s Land Records est celui du projet Art-Object du rappeur russe Azar Strato.

Maxence : Comme pour Grebz, j’ai découvert cet artiste par le biais du groupe Facebook « Chineurs de rap ». J’ai pris une claque en termes d’ambiance et de production musicale. Je n’ai toujours pas trouvé d’équivalence en Russie, ni même autre part dans le monde.

Othmane : Sans nécessairement comprendre ce qu’il rappe dans ses chansons, cela ressemble beaucoup aux sonorités que tu pourrais imaginer pour un artiste venant de Sibérie. C’est très métallique, on sent les influences industrielles. C’est très visuel, imagé. Azar Strato est avant tout un vidéaste reconnu en Russie. C’est quelque chose que l’on sent dans sa musique. Pour pouvoir collaborer avec lui, j’ai appelé un ami qui est moitié russe, moitié marocain. Il nous a servi de traducteur. Ils nous ont envoyé les mixs et nous avons bossé ensemble sur la cover.

Ce n’a pas été trop difficile de le convaincre sachant qu’il s’agissait de votre premier projet en tant que label ?

Maxence : C’est une valeur ajoutée pour lui. Il n’avait même pas envisagé l’idée de sortir ce projet en vinyle.

Othmane : Dans certains pays, ce n’est pas courant de sortir du physique. Ou alors, c’est qu’il y a presque toujours un label derrière toi. Le fait qu’il n’ait pas eu d’argent à avancer, cela a facilité les choses. Il n’avait rien à perdre. Nous avons fait presser 300 exemplaires.

Êtes-vous satisfaits de l’engouement du public pour ce premier projet ?

Maxence : Nous sommes satisfaits. On savait dès le départ que ça allait prendre du temps. Les gens devaient comprendre d’abord notre démarche pour adhérer au projet. Certains pensaient par exemple au début que nous ne nous consacrions qu’au rap russe. Quand les auditeurs auront compris que l’on veut développer le rap worldwide, les choses vont s’accélérer.

Pour la partie logistique, comment vous êtes-vous organisés ?

Othmane : Nous avons commencé par nous tourner vers des fabricants en Europe, en Allemagne notamment. Nous avons fait des démarches administratives et comptables pour comprendre combien cela allait nous coûter avec la TVA des divers pays. Nous avons tâtonné. Sur un groupe Facebook américain, nous avons pu aussi nous renseigner sur les différentes usines. Nous avons aussi regardé les crédits sur nos collections personnelles de vinyles pour connaître les lieux de fabrication.

Maxence : Nous avons aussi démarché des ingénieurs sons.

Quel était l’objectif en termes de ventes ?

Maxence : Notre objectif est de rentrer dans nos frais pour chaque projet et de réaliser une petite marge afin d’investir dans de nouvelles activités et de rémunérer l’artiste avec un pourcentage.

Par la suite vous avez passé un palier en termes d’exposition. Vous avez collaboré avec un grand nom de la scène marocaine en la personne de SmallX et son projet Phoenix.

Othmane : Nous avons contacté son manager et établi une relation de confiance. Le vinyle est sorti tout juste trois mois après la publication du projet en streaming. Pour faire un mastering vinyle, nous avions besoin des mixs. Nous avons bossé avec un graphiste qui est au Canada pour la pochette. Au fur et à mesure, nous avons reçu les disques chez moi à Marseille. Ensuite, j’en ai envoyé une centaine au Maroc. Ils se sont retrouvés bloqués à la douane. Je suis allé à Marrakech, sur place, pour arranger le coup. J’ai pu ensuite distribuer les disques dans des centres culturels, des cinémas, des disquaires partout au Maroc.

Ce n’a pas été trop dur de convaincre un artiste qui a une telle renommée internationale ?

Othmane : En fait on offre un service clé en main. Imagine que tu sortes ton projet en streaming en février. Trois mois plus tard, on t’offre la possibilité de sortir le vinyle. C’est un véritable coup de pouce qui permet de rebooster ton album. SmallX a fait des séances de dédicaces pour la sortie du vinyle, les gens se sont remis à écouter Phoenix. Au Maroc, je peux te dire que seulement 10% des gens qui l’ont acheté ont une platine chez eux. Il ne nous reste qu’une vingtaine de disques sur les 300 prévus au départ. Il est possible que nous pressions de nouveau des exemplaires. Ce sera moins cher car les matrices sont déjà prêtes.

Maxence : On y pense car nous souhaiterions organiser une tournée pour SmallX hors Maghreb. Nous pourrions ainsi avoir du merchandising pour les concerts. Je voudrais ajouter que les artistes, mis à part leur musique, la seule chose qu’ils ont à nous donner c’est leur confiance. Celle-ci s’acquiert lorsqu’ils ont compris notre démarche, notre vision. Ils peuvent être craintifs car donner des mixs avant la sortie d’un album, cela peut être risqué.

Vous êtes donc prêts à élargir vos activités et vous tourner vers le booking.

Othmane : Effectivement c’est prévu. Nous sommes en train de nous documenter sur cette nouvelle activité. Nous avons commencé à démarcher pour SmallX. Nous avons quelques pistes, des salles sur Paris et Marseille veulent nous ouvrir leurs portes. On a vraiment hâte de voir ce que cela va donner. Nous sommes optimistes. Le but c’est de rencontrer des gens, qu’il y ait des connexions avec d’autres artistes, de créer une émulation.

Auriez-vous envie de produire un album à cent pour cent ?

Othmane : C’est quelque chose à laquelle on pense. On réfléchit à créer une entité parallèle. Ce qui est sûr c’est que nous tenons à conserver le label No Music’s Land pour la réédition de vinyles et nous ne souhaitons pas le mélanger avec d’autres activités.

Max, tu as mentionné ton amour pour le rap d’Amérique du Sud. Le troisième projet de No Music’s Land pourrait-il être issu de ce nouveau continent ?

Maxence : Nous pouvons avancer que le troisième projet de notre label viendra du Vénézuéla. Il s’agira de l’album Fétido du rappeur La Zaga. Nous avons déjà envoyé les maquettes et l’opus partira au pressage rapidement.

Pour la logistique, comment ferez-vous pour envoyer les vinyles en Amérique du Sud sans que les prix ne soient prohibitifs pour les fans locaux ?

Othmane : En fait nous sommes distribués par Kuroneko (anciennement Differ-Ant), distributeur digital et physique. C’est eux qui s’occupent de cette partie car ils ont sûrement des partenaires là-bas. Si les disquaires veulent nos disques sur place, ils peuvent les avoir à un prix raisonnable Le circuit est peut être plus long mais ça reste possible.

Maxence : On a déjà envoyé des disques aux États-Unis, en Norvège, en Russie, en Slovénie, en Espagne, en Australie… Quand un gars qui vit en Finlande achète un disque de SmallX, on peut se dire qu’on est en train de réussir notre projet. Pour le projet de SmallX, nous avons cependant choisi de ne pas être distribués. On savait que ce serait un vinyle qui se vendrait bien, sans besoin d’une aide extérieure.

Avez-vous songé à sortir une compilation avec plusieurs artistes.

Othmane : Forcément on y a pensé mais cela viendra peut-être lorsque l’on aura sorti quatre ou cinq projets.

En plus du vinyle, êtes-vous prêts à travailler avec d’autres formats comme la cassette par exemple.

Maxence : Non. On croit clairement au format vinyle. Nos goûts personnels entrent en compte aussi. Personnellement, je n’ai jamais acheté de cassette.

Othmane : Actuellement on peut assister à un retour de la cassette mais c’est parce que c’est l’objet le moins cher à produire.

Avez-vous tiré profit de vos études d’Administration des Institutions Culturelles pour votre projet ?

Maxence : On a monté notre label car on souhaitait nous investir dans quelque chose qui nous passionnait. Nous n’avons pas été très assidus à la fac. Pendant que l’on avançait sur le label, nous nous sommes rendus compte que nous avions vu pas mal d’aspects utiles au cours du master. On a fait de la comptabilité, de la fiscalité, de l’administration, de la demande de subventions. Le problème c’est que notre master n’était pas orienté vers la musique. Il était plus axé sur les musées.

Justement, en ce qui concerne les subventions, avez-vous reçu des aides au départ de votre activité ?

Othmane : Lorsque tu fais de la réédition, ce n’est pas facile. Il faut avoir produit l’album pour toucher des aides. Cependant, on a quand même eu un prêt à taux zéro. Actuellement, on a trouvé des aides spéciales pour réaliser des tournées d’artistes et des showcases. Il existe des salles conventionnées où tu ne paies que 15% ou 20% du prix de location habituel. Il est aussi possible de demander des conseils au Centre National de la Musique.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous collaborer dans le futur ?

Maxence : J’aurais vraiment voulu presser un projet de Grebz. Je les ai contactés mais malheureusement la réponse a été négative. Je savais dès le départ que ça s’annonçait difficile : les mecs ont plus de 100 000 abonnés , mais eux ne suivent absolument personne. Ils n’ont jamais pressé leur première mixtape, ni leur album. Alors que je pense clairement que ça aurait super bien marché. Ils ont choisi de rester dans l’ombre et c’est ce qui fait leur charme aussi. Sinon personnellement j’adorerais travailler avec Maslo Chernogo Tmina, un rappeur kazakhe. On s’est pris une claque monumentale à l’écoute de son album Kensshi. Sa musique est incroyable, sombre, mais d’une grande diversité. Ses clips eux aussi sont extrêmement bien travaillés.

Othmane : Pour ma part, ce serait Ktyb, un rappeur tunisien. Pour moi c’est le meilleur rappeur du Maghreb. Il a beaucoup d’influences reggae dans sa manière de chanter, il a un flow tellement varié ! Son beatmaker s’appelle Feddini. Il peut sampler du Portishead avec de la pop arabe ou libanaise. C’est un duo incroyable. On a été en contact avec eux mais au final ça ne s’est pas fait.

Le mot de la fin ?

Maxence : Notre site internet arrive sous peu, on pourra notamment y trouver des articles écrits par des passionnés comme nous. On les remercie d’ailleurs ainsi que tous ceux qui ont pu nous aider, de près ou de loin, à ramener de la musique au No Music’s Land…

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