Dix ans après : 2011 en 20 disques de rap français

Si 2010 marque l’entrée dans une nouvelle décennie, 2011 confirme l’entrée dans une nouvelle ère, celle d’un renouveau, pour ne pas dire un renouvellement. De jeunes joueurs, nouveaux héros du clash en public (les fameux RC) s’agrègent au genre, le bousculent, tout en en connaissant toutes les ficelles par cœur. De nouveaux moyens de communication jusqu’ici utilisés comme des leviers d’accélération promotionnel deviennent peu à peu les sources principales de visibilités. Le choix de la production indépendante n’est plus une nécessité mais s’érige presque en un principe de base pour la création rap. Les vielles pointures, loin de disparaître, acceptent bien souvent les défis, s’alignent, mais en 2011 semblent discrètes, à l’instar de Booba qui continue sur sa lancée des Autopsies et sème les graines de ce qui seront les vraies tartes des années qui vont suivre. 2011 c’est d’abord le terrain de jeu de tous ces petits nouveaux qui émergent et qui viennent titiller leurs aînés. Une année certes moins faste que les précédentes et surtout que les suivantes, mais une vraie année charnière. Sorte de calme avant la tempête, où chacun s’avance, dévoile ses ambitions, ou prend le temps d’un peu de recul avant de sauter de son pré carré et d’entrer dans la nouvelle arène pour garder sa couronne et se faire de nouveaux copains. – Sarah

Mokless – Le poids des mots

Paru le 31 janvier 2011 | > « Aucun sens »

Après Koma en 1999 et Haroun en 2007, et juste avant Morad en 2012, c’est au tour de Mokless de la Scred Connexion de passer le pas de l’album solo en 2011, après un Scred Selexion dédié à ses prestations et le maxi Coup de maître. L’attente autour de son album est réelle, et Mokless semble en avoir pris la mesure au vu de la propreté du rendu final. Au niveau sonore déjà, les productions sont léchées, on note ici et là des instruments, et chaque instrumentale semble avoir été sélectionnée pour son adéquation avec le thème proposé, que ce soit l’accompagnement au piano sur l’émouvant « Reviens parmi nous », les violons entraînants sur « Cri d’guerre », ou l’instru sautillante des Soulchildren sur « Ça tourne pas rond ». Autre fait notable, cette partie instrumentale, tout en respectant l’état d’esprit intemporel propre à la Scred, sonne plus moderne que les écrins samplés avoisinant les 90 BPM chers au crew de Barbès. De fait, si l’on peut croiser en featuring quelques noms de la scène boom bap indé, figurent également des noms moins marqués par cette empreinte, tels que Mister You, Barbès Clan… et Olivier Besancenot. Mais surtout, c’est du côté de l’écriture que Mokless a porté un soin tout particulier, comme l’indique le titre de son album. Une application qui va de pair avec tout ce qui fait l’ADN de sa musique depuis ses débuts : un rap de proximité, du quotidien, parfois engagé, qui interpelle l’auditeur, l’ami, le petit frère, le politique, ou le rappeur dans la tendance. La quantité relativement élevée de morceaux et le recyclage de « Le temps d’une balle » et « Avec mes soces » font perdre à l’ensemble en homogénéité si on le compare aux solos des autres membres de la Scred, mais force est de constater que le disque vieillit bien, tant musicalement que dans les propos tenus. Enfin, Le poids des mots constitue la première grosse sortie du jeune label Y&W, en passe de devenir une structure aussi majeure que controversée dans le milieu indépendant des années 2010. – Olivier

5 Majeur – 5 Majeur

Paru le 3 février 2011 | > « Jour de pluie »

Transmusicales de Rennes, 2011. Un jeune duo de Nantais fait la première partie de La Rumeur, ils s’appellent Fixpen Sill (composé de Vidji et Kéroué). Les deux artistes font monter sur scène deux collègues : Nekfeu et Heskis. S’ajoute un dernier kickeur dans la bande, j’ai nommé Hunam. Et voilà tout simplement comment est né le groupe éphémère 5 Majeur. La légende raconte même que cette première mixtape éponyme fut réalisée en à peine trois jours de dur labeur. Immensément représentative de cette époque du « renouveau du rap français » et de ce nouvel engouement pour le boom-bap (on va l’appeler néo boom-bap, ça fait sophistiqué), cette mixtape est construite de façon classique. Je parlais de néo boom-bap et je reste dans la thématique puisque le projet s’ouvre sur une introduction qui mélange références cinématographiques (ici, Matrix, donc Néo, vous l’avez ?) et petite instrumentale sympathique. Composé de huit morceaux (plus un neuvième caché) produits par Stratega (l’alias de Vidji quand il est derrière les machines), Alpagino et les membres du 5 Majeur en général, la mixtape propose de la boucle entêtante pour kicker salement. Des quelques accords de piano sur « A part ça » (coucou John Barry) et « Jour de pluie », en passant par l’excellent et efficace duo violons-piano sur « On pèse », ou encore la smoothitude de « Yoghourt » et son sample de Bob James, jusqu’à la fameuse face B immanquable du morceau caché (Luniz et Redman)… Tous les ingrédients sont réunis pour régaler les MC’s et leur laisser un maximum de place pour tester, expérimenter et bien entendu prouver tour à tour leur valeur. Parce que c’est exactement le but de ce projet, montrer que la relève est là, que ça rappe sans se poser de question, sans se prendre la tête et avec autodérision. L’exemple parfait se trouve sur la dernière piste, « Yoghourt », et son refrain en anglais douteux (d’où son nom) et le morceau caché qui vient juste derrière et son storytelling très particulier. Du talent, du second degré, de la technique, de l’énergie, du savoir faire et une envie de dépoussiérer le rap français post 2007 qui s’embourbait dans l’ennui, voilà les composants d’un projet très discret à l’époque, mais infiniment annonciateur. Le 5 Majeur remettra le couvert en 2013 avec ce qui restera sûrement leur seul et unique album, de facture encore meilleure. – Clément

Ecouter aussi : Fixpen Sill – Le sens de la formule | Le Bon Nob – Sad et rap | Oster Lapwass – Absence de veine dans un monde sans gain

L’indis – Mes classiques

Paru le 15 février 2011 | > « Aucun sens »

Fin des années 90, Mark décide de monter le label Bombattak en s’entourant d’artistes talentueux. C’est décidé, le groupe Les 10’ en sera l’un des piliers. Rapidement, L’indis et Lavokato sont sur le point de sortir un album dont la maquette atterrira dans les bureaux de Warner, BMG et Delabel. Le projet finira malheureusement par avorter. Sûrs de la qualité de leur travail, les Balbyniens ne sont pas du genre à accepter de faire des concessions. Une décennie plus tard, poussé par Char, architecte sonore du groupe Le Gouffre, L’indis se décide à reprendre le stylo. En six mois, un EP portant le nom de Mes classiques prend forme. Pour la production, il fait appel à Nizi qui réalise sept des huit instrumentales. Le projet s’ouvre sur « 32 v’là L’indis ». Dès ce prermier morceau, l’univers du rappeur est clairement défini. L’éciture est fine et travaillée, les rimes multisyllabiques s’enchaînent, le discours humble teinté d’egotrip fait mouche : « Si t’as tes potos qui jactent, j’suis en solo moi j’ai des propos qui datent, y’a pas de croco sur mon polo, y’a écrit Oto10Dakt ». Le titre éponyme de l’EP fait aussi partie des moments forts de l’opus. L’indis y rappe une de ses phases les plus marquantes : « Je suis un mec placide, je rêve juste que le hip-hop flanche, je fais de la zic, mes seules classiques restent mes Reebok blanches ». Il propose aussi un remix de cette chanson sous la forme d’un « posse cut ». C’est l’occasion pour l’auditeur de réentendre sur une même piste l’entourage proche des 10’. On y retrouve Nakk évidemment, Loko, mais aussi Jeff Le Nerf. Ces mêmes artistes sont également présents sur « Le retour des triplés – remix » au même titre que Lavokato qui, bien qu’éloigné des studios depuis un moment, aura fait honneur à l’invitation de son frère. Enfin, nous souhaitons mettre en lumière le titre « Aucun sens ».  L’instrumentale de Char aux ambiances new-yorkaises lui permet de briller par ses placements et de distiller pendant plus de trois minutes des punchlines qui tiennent l’auditeur en haleine. Et si c’était ce morceau le classique de L’indis ? – Jordi

Ecouter aussi : Swift Guad – Hécatombe 2.0

Le Pakkt – Musiques meurtrières

Paru le 7 mars 2011 | > « On joue aux boules sous la pluie » 

Musiques meurtrières est passé sous les radars en 2011. Le Pakkt a sorti cet album en toute indépendance et représente le rap des marges de la périphérie. Si les MC’s du 06 ont eu la côte dans les années 2000 (Napalm), tous n’ont pas eu leur quart d’heure de gloire. C’est l’underground qui s’exprime à travers Vargas, Zippo et Nico H. Le troisième LP des Niçois est un double CD qui ne comporte pas moins de trente-quatre titres ! Il est forcément difficile de distinguer une ligne directrice et le trio n’en avait certainement pas. Par contre, on ressent une sévère envie de rapper. Les trois gadjos se font plaisir, ça rappe sur le rap, ça tape sur les rappeurs et les egotrips se multiplient. Comme le dit Zippo : « On fait un peu de rap conscient et beaucoup de rap qui sert à rien ». Néanmoins, l’album est loin d’être anecdotique sur le fond. On nous donne à voir la face cachée de la Côte d’Azur, celle où l’ennui ronge, celle des familles séparées, où les amis, les apéros et le rap permettent de tenir. Quant à la forme, les trois frères n’ont pas grand-chose à envier aux techniciens de leur époque. Obsédés de la multisyllabique, on peut dire qu’il n’y a pas que L’Entourage qui ait remis au goût du jour la technique et la rime (d’ailleurs Le Pakkt prolonge ainsi la belle tradition de kickeurs de L’Ecole du 06). Les références sont pointues (Mr R et Sachons dire non) et inattendues (Philippe Quintais, Gwendal Peizerat !). Boom bap, les instrus offrent l’écrin aux textes, aux flows de nos trois compères. Ce son, influencé par le QB, concocté par cette fine équipe elle-même, fait que les prods ont plutôt bien vieilli, (bien que des morceaux soient reconnaissons-le un peu trop chargés). L’album est un condensé de rap, d’énergie, de gamberge et prouve que le Sud a des choses à dire. – Chafik

Medine – Table d’écoute 2

Paru le 28 mars 2011 | > « Téléphone arabe »

Les bougs de Din Records sont des filous. Adeptes du street marketing intelligent, des titres accrocheurs (11 Septembre, Jihad), ils présentent Table d’écoute 2, comme un album de leur porte-drapeau Medine, devenu tête d’affiche du rap français. Pourtant, le barbu du Havre n’y a que deux solos ! Le concept est de jouer avec l’image sulfureuse que peut avoir Medine Zaouiche, à savoir celle d’un musulman radicalisé, surveillé, qui se sert du rap pour faire passer des messages pas très catholiques. Il a d’ailleurs déjà très souvent exploité ce thème, en 2005 avec « Double Discours », en 2006 avec le EP Table d’écoute, en 2008 sur « Don’t Panik », sur Arabian Panther avec « Code barbe »… Le projet met en avant les artistes du label, en particulier Bouchées Doubles, mais aussi Koto, Proof à la prod et Medine donc. S’il se réserve un morceau de bravoure (« Trône ») et un hymne à sa ville (« LH »), il réussit à fédérer sur « Téléphone arabe » un casting XXL pour un morceau conceptuel sur lui, montrant comment ses propos peuvent être déformés sous le prisme d’une lecture aléatoire. Saluons le tour de force d’avoir réunis La Fouine et Keny Arkana sur un même morceau, ainsi que Salif pour un de ses derniers couplets. « Jusqu’ici tout va bien » qu’il cosigne avec Tiers Monde et Brav est quant à lui un pur morceau de rap conscient, un exercice de style, à la construction assez impressionnante (en anadiplose, un peu comme Shurik’n dans « Demain c’est loin »). Bouchées Doubles se taille d’ailleurs la part du lion en étant présent sur la moitié de la tracklist ! S’ils s’accordent des titres en solo (annonçant leur parcours respectifs), on les entend quasiment pour la dernière fois en duo, sur l’immense « Angle Mort », passe-passe magistral dont ils ont le secret. Enfin Koto et son écriture toujours très subtile intervient lui aussi sur deux titres. Table d’écoute 2 est donc une compilation Din Records dans la lignée de ce qu’ils faisaient sous la bannière La Boussole. – Chafik

DRIVER, MIXTAPES EN AUDIOGUIDES

En 2011, Driver a déjà diversifié ses activités. Il codirige Allmade Records avec Jean-Pierre Seck, constitue un gage de crédibilité à l’aventure Rap Contenders en train de s’envoler, mais n’oublie pas pour autant de poser son rap sourire en coin à un rythme soutenu, via des mixtapes aux concepts divers. Parmi elles, entre 2011 et 2012, sortiront trois volets de Tu roules avec qui ?, véritables cours de récréation pour le rappeur sarcellois, qui consacre chacun des projets à une ville différente des Etats-Unis : Atlanta d’abord, puis New-York et enfin Los Angeles, bien évidemment. L’idée est simple, kicker des faces B d’hier et d’aujourd’hui de chacune des trois villes, plus ou moins connues. Pour le premier volet (le plus long avec trentre tracks), consacré à Atlanta, on compte peu de featurings, mais l’envie de faire connaître cette scène de la part de Driver est palpable, à l’heure où une partie du public rap français n’a pas encore totalement intégré l’importance de ce troisième pôle. Le deuxième volume, consacré à New York, propose des grands écarts temporels dans le choix des instrumentales, et comporte des invités plus nombreux venus croiser le micro avec le maire de Sarcelles, dont quelques noms issus des Rap Contenders. Enfin, en 2012, Driver, grand amateur de rap californien devant l’éternel, invite plus ou moins la nébuleuse CSRD autour de lui pour le volet « Los Angeles », logique pour ce collectif qui porte haut les couleurs du rap californien. Ce qui ressort de l’écoute de ces trois mixtapes, c’est cette soif du rappeur de partager sa passion pour le rap US, une envie qui ne le quittera pas, et l’amènera à la formaliser autour des podcasts qui font aujourd’hui sa renommée, dont le fameux Roule avec Driver, dont le nom résonne avec ses mixtapes parues il y a déjà dix ans. – Olivier

Dixon – Symptômes Vol. 1

Paru le 6 juin 2011 | > « Merci qui »

En 2011, les salauds prennent cher (Ben Ali, Moubarak, Ben Laden, DSK, Kadhafi, Kim Jong Il), le Barça régale en C1, Jay-Z & Kanye règnent sur le monde et le rap français se cherche. Avant de mettre sur orbite Joke et Dosseh, Oumar Sankaré, via son label Golden Eye Music, mise sur Dixon, quasi inconnu mais au potentiel intéressant. Le MC du 93 avait d’ailleurs bluffé tout son monde en 2010 sur le morceau « 2012 », au côté d’Ol’Kainry, éclipsant le reste du casting d’« Iron Mike », pourtant impressionnant. En effet, D.I.X.O.N. dispose d’une singularité et d’une palette assez remarquables. Décomplexé, il a ramené un côté white trash, peu présent dans le game. Surtout, nous avons affaire à un personnage torturé, voire à une personne tourmentée, la limite entre l’artiste et l’homme étant difficile à distinguer. Sur les vingt titres de la mixtape, Dixon expose l’enfant qu’il était, qui a grandi avec un géniteur irresponsable, l’adulte schizophrène qu’il est devenu, le rappeur qui méprise ses congénères et une partie du public (« Les puristes c’est comme les caddies vides ça fait du bruit et c’est pas eux qui me nourriront »). L’écriture est haute en couleurs, le name dropping improbable (de Rahan à Guesch Patti !). L’autoproclamé « White chocolate » se fout des formats, proposant des morceaux avec ou sans refrain, osant chanter par moments, à une époque où il ne fallait pas cocher cette case dans le cahier des charges, se permet une trilogie (« Passé », « Présent », « Futur »), tout en rendant hommage à son « North Side », confirmant que « quand on a rien, représenter les siens c’est déjà quelque chose ». Pour nous immerger dans son univers, s’il n’a pas hésité à poser sur de fameuses faces B, il a été particulièrement bien entouré avec Blastar aux commandes, ainsi que Cannibal Smith, Richie Beats et Spike Miller. On n’a qu’un seul regret, que ce volume 1 n’ait pas eu de suite et que Dixon ait disparu des radars… – Chafik

Ecouter aussi : Dixon – La main

Lalcko – L’eau lave mais l’argent rend propre

Paru le 6 juin 2011 | > « L’argent du Vatican »

Avant L’eau lave mais l’argent rend propre, Lalcko c’est un parcours sinueux fait de maxis, de mixtapes, et de quelques morceaux forts à la portée non négligeable (on pense notamment à « Lumumba »). Un lien avec l’un des plus grands labels de rap français, et avec certains des meilleurs producteurs du milieu. Un artiste mystérieux, à la fois culte et confidentiel. Sur cet album, on retrouve tout ce qui fait sa personnalité, en toujours plus abouti. D’abord il y a la densité de son écriture, criblée d’images, de références historiques, sportives ou mafieuses. Puis les jeux sur la longueur, avec des phases qui s’étirent volontairement pour embarquer l’auditeur dans des digressions, ou bien qui se compressent jusqu’à devenir cryptées (le refrain de « 4916 »). L’eau lave mais l’argent rend propre apparaît d’abord comme hermétique. Fermé sur lui-même. C’est la répétition des écoutes qui permet peu à peu de découvrir les cheminements et les ramifications qui le composent, de comprendre comment des grands personnages s’y fondent par leur puissance archétypale (Sarkozy, Kadhafi, Gbabo, Mandela, Desmond Tutu, etc.). Tous ces procédés permettent par leur richesse et leur originalité d’atteindre des pensées profondes sur les thèmes qui animent Lalcko depuis des années : l’Afrique, le hustle ou encore les rapports de puissance sous toutes leurs formes. Dix ans plus tard, l’album n’a pas pris une ride. D’abord parce que l’écrin proposé par les producteurs (Fred le Magicien, Proof, Kilogrammes Prod, etc.) reste la plupart du temps intemporel ; mais aussi car la manière de rapper de Lalcko est à part, très axée sur l’interprétation, et n’a jamais sonné comme une tentative d’imitation des tendances de son époque, ce qui a par ailleurs toujours rendu ses couplets difficiles à dater. On peut considérer qu’il s’agit toujours du projet le plus réussi de son auteur, même si BAGS n’a pas fini de décanter. – Jérémy

Aelpéacha – Val 2 Marne Rider II (Deuxième tour)

Paru le 20 juin 2011 | > « String volant »

Dans la grande aventure du rap west-coast à la française, Aelpéacha fait figure du pilier. La sortie de ce Val 2 Marne Rider II avait donc tout d’un évènement, d’autant que le premier volume avait définitivement posé les fondations du genre : influences californiennes dans les productions et les flows laid-back, mais style de vie propre aux zones pavillonnaires de l’est parisien. Aventures sans fin en bagnole en passant par « le druide », amour de son équipe (tout semble se faire en groupe) et soirées qui ressemblent à des home invasions. Quatre ans après le premier volume, on remarque que le A a pris de l’aisance. Certaines tentatives sont osées et il ne se refuse plus grand chose en terme de chant, à l’image du tubesque « String volant ». La maîtrise de la petite mythologie développée au fil de sa discographie atteint son paroxysme et tout peut ainsi se transformer en hymne. Aelpéacha a pris de la confiance, les basses elles ont pris du gras, et les productions tirent vers la funk des années 80 (on peut penser au contemporain Dam-Funk). L’artiste semble aussi se confier de plus en plus, par bribes, sans oublier son habituel sens de l’humour, démontrant encore son aptitude à prendre du recul sur son style de vie. Cet humour fait partie de l’univers développé. Il y a d’ailleurs un certain esprit Frat-pack (surnom donné à un groupe d’acteurs comiques américains incluant Will Ferrell et Steve Carell) avec toutes ces têtes familières qui reviennent inlassablement : MSJ, Papillon, Topaz, etc. En 2011, il s’agissait alors probablement de l’album le plus abouti d’Aelpéacha. La maîtrise de son style est ici totale, de l’aisance au micro (en rap ou en chant) aux productions (réussies et intemporelles peu importe le style abordé) jusqu’à la gestion du « personnage » et de ses obsessions. La suite de sa carrière ajoutera encore des albums complets et variés (on pense à Les années peace) à la discographie d’un des artistes les plus constants et doués du paysage du rap français. – Jérémy

1995 – La Source

Paru le 27 juin 2011 | > « TIP »

Revenir à la source du rap (rien que ça) voilà, en toute modestie, ce que nous proposait avec cet EP sorti de -presque- nulle part ce collectif de jeunes ambitieux, en cet été 2011. Un boom-bap éculé (que la plupart du game boude depuis un moment) brodé sur des samples à l’ancienne, où posent des rappeurs techniques qui manient la rime et la punchline comme ils utiliseraient sans y penser fourchette et couteau : voilà la recette implacable de ce huit titres aussi inattendu que réussi. Loin de vouloir copier ce que leurs aînés produisaient dix ou quinze ans plus tôt, les cinq parisiens crient simplement dans chaque track de cet opus un amour du rap en forme de morceaux impeccablement composés. Il suffit de les écouter deux secondes : formés à l’école des RC, marchant dans les pas des meilleurs rimeurs et des clasheurs les plus arrogants que le genre nous ai donné (et on regrette au passage que la collaboration avec les Sages Po n’ait pas abouti pour de sombres histoires de personnalité, Zoxea au gouvernail de la production, ça aurait pu envoyer très loin aussi), Alpha Wann, Areno Jaz, Fonky Flav, Sneazzy et Nekfeu, servis aux machines par DJ Lo, Flav encore, mais aussi et surtout Juliano (sur cinq des huit titres), savent ce qu’ils font en sortant cet EP. Ils sont prêts et leur jeunesse leur confère une connaissance native de ces nouveaux « réseaux sociaux ». Leur rap fleure bon des rythmes familiers mais leurs techniques de communication sont, pour l’époque, encore assez innovantes. La promo qu’ils mènent eux-mêmes uniquement sur Facebook leur assure une large visibilité et les clips lâchés sur Youtube les aident à conquérir un public qui leur restera fidèle. Sneazzy, Hologram Lo, mais surtout Nekfeu et Alpha Wann avec un EP a deux voix de très bonne facture, travaillent sur plusieurs fronts au même moment, apportant au collectif une aura supplémentaire et une audience plus large encore, venue d’autres milieux. Si le groupe s’est officiellement dissout en 2019, tous ses membres sont encore -bien- actifs (faut-il vraiment le rappeler?) et se sont taillés une respectabilité solide, se bâtissant des carrières impressionnantes, poussées par des fan bases de plus en plus larges. En partant de la source, les petits ruisseaux ont bien formé de grandes rivières. – Sarah

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Klub Sandwich – Les Valcheuses

Paru le 27 juin 2011 | > « Valcheux »

Deuxième projet commun réunissant Grems et Disiz, le Klub Sandwich convoque également Son of Kick et Simbad à la production. L’album brasse la deep house, l’UK funky ou la minimal dans une grosse lessiveuse sonore. Les Valcheuzes c’est d’abord une première partie énergique voir bourrine ou Grems et Disiz s’éclatent (ce dernier a d’ailleurs rarement paru aussi libre) et vont loin dans le défouloir (« Valcheux » ou « Casse ta bouche »). Les sonorités y sont très anglaises, souvent abruptes. La seconde moitié est plus house, plus dansante. Les parties vocales suaves s’y insèrent progressivement, de « Deeper » au « Soleil se lève en Californie » en passant par « Klub Sandwich ». Les deux pans du quatuor fonctionnent bien, mais le second a quelque chose de plus racé et de plus impressionnant. Les Valcheuzes est un album qui respire l’amusement, le plaisir de s’engouffrer dans des sujets absurdes mais surtout de découper tout types de productions. Malgré son format court, Les Valcheuzes offre beaucoup de propositions sonores différentes, et sur chacune d’entre elles Grems et Disiz effectuent de belles démonstrations techniques alors même que certaines productions s’avèrent plutôt casse-gueules. A cela on peut ajouter que les refrains sont tous réussis (l’énergie y est communicative) et que quelques idées audacieuses sont plutôt efficaces, à l’image de la conclusion instrumentale ovniesque de « Foutre de ma gueule ». L’album est un grand terrain de jeu pour ses concepteurs. On imagine l’ensemble conçu assez rapidement, entre quatre murs londoniens. Les Valcheuzes respirent l’urgence et l’éphémère, pour le meilleur et pour le pire ! Reste que dix ans après, le résultat est toujours plutôt impressionnant. – Jérémy

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A2H, LE DÉBUT DES TAPES

En 2011, A2H n’en est certainement pas à son coup d’essai, errant depuis une dizaine d’années dans les méandres de la production musicale, se faisant remarquer à l’occasion d’un boulet de canon envoyé ici ou là, seul ou avec ses potes de Palace. Bien conscient de la force de frappe des “nouveaux médias », il s’est mis à inonder la toile – à défaut des ondes pour le moment – de ses intéressantes mélodies. Un an plus tôt, il a commencé le mouvement de ce qui deviendra sa marque de fabrique : les « tapes ». De petits opus sans prétention mais gorgés de pépites. Bien souvent limités à une dizaine de titres, ils sont inspirés ici par la saison, là par une occasion, un mouvement. Lascives et savoureuses en été, ses tracklists se font plus lourdes, plus laborieuses et plus sombres lors des périodes hivernales, redeviennent festives, légères, déconnantes, autour des fêtes. En 2011, entre une tape d’été, une tape de Noël, et un petit six titres chez Zamo, un disque bien plus long voit également le jour, la Downtown Street Tape. Elle aussi affublée du qualificatif « tape », il offre cependant un format un peu différent. Toujours riche en featuring, A2H y croise le mic avec ses potes de longue date, de Baste aux membres du Palace, mais fait aussi la part belle aux figures de proue des RC qui explosent à l’époque, comme les petits gars d’Enfanterribles ou encore le tout jeune Nekfeu. En une heure pile, le Melunais nous offre un voyage un peu plus long que ce à quoi il s’évertue à nous habituer, mais reste fidèle à ce style si caractéristique qu’on a toujours autant de plaisir à retrouver aujourd’hui d’ailleurs. Celui d’un rap qui peut monter sur tous les terrains mais qui garde en toile de fond, cette musicalité à toute épreuve. Copains, famille, femmes, drogue, alcool, soirée, amour ou sexe : peu importe le fond, on sait que la prod sera toujours bien calibrée. Elle est souvent maison au fait, façonnée entre les doigts de cet artiste touche-à-tout qui s’avère être également un musicien et producteur hors pair. En fil conducteur de ses sorties, les douces effluves d’un rap US californien qui influence A2 depuis toujours, nous caressent dans le sens du poil. Entre deux accords de guitare toujours les bienvenus, de petits beats funky à souhait savamment saupoudrés pour faire bouger les têtes et les fesses, le MC prouvera avec le temps qu’il sait aussi innover et surprendre. Mais en 2011, on l’écoute saison après saison avec cette impression si subtilement jouissive de cruiser entre les platanes de la région parisienne comme on le ferait entre les palmiers de Venice Beach, dans une Twingo qui se transforme en low rider à chaque retour de boucle. – Sarah

Orelsan – Le chant des sirènes

Paru le 26 septembre 2011 | > « Suicide social »

En 2011, et du haut de ses vingt-neuf ans, Orelsan est déjà capable de capter et retranscrire son époque comme personne, à travers de petits détails, une simplicité apparente, un sens de la formule unique, et un regard amusé, cynique et détaché. Alors, qu’est-ce qui, dix ans plus tard, rend la réécoute du Chant des sirènes moins plaisante que prévu ? Ce qui saute directement aux oreilles, ce sont les sonorités d’un bon tiers de l’opus, dans des registres pop ou électro, qui n’ont pas supporté l’épreuve du temps, notamment les singles « La terre est ronde », « Si seul » ou « Plus rien ne m’étonne ». Ensuite, certains morceaux de l’album comme « Des trous dans la tête » ou « Mauvaise idée » ne semblent pas en phase avec le personnage qu’est devenu Orelsan depuis Perdu d’avance, album qui semblait clore la page de sa vie d’adolescent / jeune adulte. S’il brillera sur son troisième album paru en 2017, ce sera justement grâce à des textes alignés avec ce qu’il est sur le moment. Le chant des sirènes comporte heureusement quelques titres réussis qui paraissent coller à son évolution (et sa métamorphose physique), citons « Raelsan », « Suicide social », ou le titre éponyme. Ce dernier, sorte de descente aux enfers qui imagine ce qu’aurait pu devenir sa carrière en 2011, déroule un scénario volontairement catastrophe, mais agrémenté d’une dose de lucidité suffisante pour le rendre presque crédible. Enfin, le titre « Ils sont cool » en duo avec Gringe marque le début d’une demi-décennie durant laquelle Orelsan mettra sa carrière solo de côté au profit des Casseurs Flowteurs avec le succès qu’on leur connaît sur disque et à l’écran. Le chant des sirènes reste un succès qui permettra à Orelsan de toucher le grand public, malgré une image entachée et une tournée bien tronquée deux ans auparavant, en cause la fameuse polémique autour du morceau « Sale pute ». Il n’en reste pas moins un disque inégal, qui pose la question de ce que doit proposer un deuxième album paru dans la foulée d’un premier opus mûri pendant des années. – Olivier

Zekwe Ramos – Seleçao

Paru le 10 octobre 2011 | > « Remixguel »

Après quelques années de bons et loyaux services au sein de Neochrome, des couplets ravageurs et des prods placés un peu partout, Zekwe Ramos sort son premier album solo en 2011. Seleçao prouve ce que quiconque suivait les aventures de la troupe avait pu entrevoir : Zek est un rappeur vraiment exceptionnel. À tel point qu’il sera littéralement le « rappeur préféré de ton rappeur préféré » pendant une longue période, cité dans maintes et maintes entrevues de rappeurs divers. Ça lui permettra justement de réunir des invités très différents, en témoigne le casting du « Remixguel ». On sent que son centre de formation a joué dans sa maturation : les rimes sont millimétrées – et les consonnes aussi riment, phénomène rare – mais le flow n’est jamais mis de côté et l’interprétation met en avant une personnalité bien définie, pas un énième rappeur. Ses capacités accompagnent autant des sons aux airs de freestyles que des thèmes développés avec une approche plutôt originale. Les vingt titres et les morceaux construits autour d’une idée centrale sont très symptomatiques du rap indépendant de l’époque dans laquelle s’inscrit le disque. Les différentes mentions de Salma Hayek témoignent aussi d’une autre époque mais c’est un sujet qui, hélas, n’a pas sa place ici. Après l’écoute, on réalise que le rappeur du 91 sait à peu près tout faire dans ce que le rap propose alors, on a même déjà un avant-goût des expérimentations vocales qui joncheront le deuxième volet. En produisant lui-même le plus gros du disque, il marque aussi son empreinte au sens musical avec un son bien à lui et un goût pour les caisses puissantes, qu’elles soient grosses ou claires. S’il reviendra plus ou moins sur le côté « album » quelques années après, et qu’on peut comprendre ce qu’il veut dire, Seleçao premier du nom garde une cohérence évidente qui témoigne déjà des qualités musicales et de direction artistique dont Zekwevinho peut et pourra faire preuve. – Wilhelm

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Demi Portion – Artisan du bic

Paru le 10 octobre 2011 | > « Ma chaîne mosaïque »

Artisan du bic est le premier album de Demi Portion. C’est avec celui-ci qu’il va s’imposer en France comme un des dignes héritiers du rap à texte et engagé. Revendiquant dès le commencement une filiation avec les grandes figures hexagonales que sont Oxmo Puccino, La Scred Connexion ou encore IAM, le rappeur sétois n’a jamais changé sa ligne directrice et a su, depuis 2011, montrer que le succès commercial en indépendant n’est pas incompatible avec le succès d’estime. Avec Artisan du bic, c’est l’univers « artisanal » de Demi Portion qui se dessine et qui s’affirme : la plupart des instrumentales sont réalisées soit par Demi Portion lui-même, soit par son ami Sprinter qui est également l’unique featuring. La couleur de cet album est donc très personnelle, intime. Les thèmes choisis pour chacun des titres sont très classiques dans le rap français, mais la simplicité avec lesquels ils sont abordés à quelque chose de rafraichissant : le flow de Demi Portion, beaucoup plus direct et brut qu’il ne le sera dans les albums qui suivront, accompagne parfaitement l’ensemble et fait d’Artisan du bic un véritable projet rap. Si cet album n’est pas un album exceptionnel quant à son impact sur le rap français, il est néanmoins solide dans sa conception, agréable à écouter, et permet à Demi Portion de faire son entrée dans la cour des grands. Alors que l’artiste sétois est bien installé et a gagné une belle popularité en dix ans, il est désormais un lien important entre l’ancienne et la nouvelle génération. Le succès de son festival estival dans lequel il parvient à mélanger « old school / new school » en témoigne. – Costa

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Grems & Noza – Algèbre 2.0

Paru le 25 octobre 2011 | > « Toast »

Commençons par la fin. Sur son cinquième album Algèbre 2.0, Grems conclut l’album sur une phrase : « Je pense que… j’ai enfin fait un album sans aucun concept. Merci. » Comprenez « voici un album de pur rap, n’y collez pas l’étiquette ‘spé’ ou ‘alternatif’, quoi que vous pensiez de ma musique. » Pour bien comprendre pourquoi Miki Grems ressent le besoin de le préciser, il est important de recontextualiser cette sortie. En 2011, Grems a définitivement coupé les ponts avec la scène dite alternative, à laquelle il a souvent été associée sans en avoir jamais vraiment fait partie. D’un autre côté, de jeunes rappeurs proposant une recette inspirée, parfois calquée, du son de la fin des années 90 viennent toucher la corde sensible d’une partie du public nostalgique de cette époque. Il n’en faut pas plus au membre de La Fronce pour partir dans une démonstration technique de haute volée le temps de douze titres produits par son acolyte Noza. Les rimes multisyllabiques sont d’une précision chirurgicale, l’envie de croquer le micro est palpable, et l’univers multi-facettes de l’artiste toujours aussi riche. Les instrumentales font la part belle aux samples, tout en proposant un habillage plus moderne, plus recherché que ce qu’on peut entendre de la part de de cette scène issue du retour de hype du boom bap. Algèbre 2.0, référence à son premier album paru en 2004, rappelle que Grems est avant tout un excellent rappeur, qui connaît ses gammes depuis un bon bout de temps, et pour qui écrire du rap peut s’apparenter à de l’algèbre. « Algèbre 2.0 », ou l’outro « Chat con » résument bien l’état d’esprit de Supermicro : « J’fuck le rap français car il m’a classé fou, pas grave j’ai déjà éclaté tout.«  – Olivier

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Walter – Petits meurtres entre amis

Le 13 novembre 2011 | > « Fidèles au poste »

Vous l’aurez sûrement remarqué, mais du côté de la rédaction nous sommes de grands fans de Walter, ainsi que de son ancien duo Ol’Kameez avec son compère Skyle, qui commencent à faire parler d’eux durant cette magnifique période early 2010’s qui a vu émerger pas mal de loustics aujourd’hui encore très présent et parfois même sur le tout devant de la scène. C’est avec sa mixtape Petits meurtres entre amis et ses nombreux morceaux de choix que nous découvrons Walter / Waltmann. De son ouverture avec le petit piano de « Maux de Tête » avec Moax, en passant par l’incroyablement mature « On s’assagit » avec Skyle et son morceau jumeau « J’touche du bois » jusqu’à l’exercice de kickage « La science des astres » avec Nekfeu et Alpha Wann ou encore les morceaux collectifs « Question de cran », « Fidèles au poste » et « Val Mobb Freestyle »; on peut dire que le projet est un véritable modèle de mixtape. Vous l’aurez compris, beaucoup de MC’s sont présents sur ce projet, notamment sur les trois tracks cités ci-dessus sur lesquelles on dépasse allègrement les 5 participations extérieures. La plupart des productions sont signées GooMar, DJ Lumi ou encore Dooze, mais le projet comporte également son lot de faces B. Globalement, beaucoup de belles choses sont présentes dans cet opus : les premières armes du duo Ol’Kameez, le début des passe-passes incroyables de Flingue & Feu, mais aussi l’apparition de jeunes protagonistes tels que Lomepal, Fixpen Sill ou encore Guizmo. Une mixtape fondatrice donc, à la vue des noms proposés mais qui servira aussi d’exemple pour deux autres projets similaires : le fabuleux 22h-06h de Walter et Lomepal et l’incroyable La folie des glandeurs de 2Fingz (Népal & Doums). Des projets qui à l’époque réunissaient tout le cocon parisien et laissait l’impression que tout le monde se serrait les coudes. Quelle époque… – Clément

Ecouter aussi : Skyle – Le fou du roi | 2Fingz – La folie des glandeurs | Walter & Lomepal – 22h-6h | Hippocampe Fou – Net tape aquatique 

QUEL STATUT POUR LA MIXTAPE DE FLINGUE ET FEU ?

Il y a beaucoup de choses à retenir du run 2010 – 2013 du groupe 1995 : leurs freestyles, leurs prestations aux RC, l’engouement suscité à chaque apparition publique, leur ascension, leur attachement anachronique aux sonorités du milieu des années 90, leurs featurings… Avec deux EP et un album en un an et demi, les six membres du groupe auront su profiter du coup de projecteur porté sur eux, avant de se consacrer à leurs carrières respectives. Au milieu de ce parcours, se glisse une mixtape réunissant les deux membres déjà les plus prometteurs du collectif, Alpha Wann et Nekfeu, sur un habillage sonore du duo de beatmakers Basement Beatzz. Sorti de manière confidentielle, en téléchargement gratuit, ce side project n’était, sur le papier, pas destiné à marquer les esprits comme il l’a fait, au point de devenir culte pour une partie des auditeurs. Qu’est-ce qui, dix ans plus tard, confère à ce projet un statut particulier ? Tout d’abord, en 2011, En sous marin représente ce que n’est pas La Source, l’EP de 1995 paru en 2011. Libérés des contraintes de clearance de samples, de thématiques à respecter, de compromis à trouver avec le reste du groupe, les deux acolytes lâchent les chevaux, et se vautrent dans une luxure faite de technique et de passe-passes complices, loin du résultat un poil crispé et presque trop académique de ce que pouvait proposer leur groupe. En sous-marin symbolise également cette alchimie frappante entre les deux compères, qui va perdurer tout au long de la décennie. La mixtape représente aussi le marqueur à partir duquel on peut constater le niveau pris par les deux MC’s entre temps, Alpha s’étant entre temps élevé au rang de grand gourou de la technique du rap français, quand Nekfeu truste le haut des charts à chaque sortie. Au fil du temps, leurs quelques morceaux en duo parus sur leurs projets respectifs ont prouvé que leur complicité n’a pas bougé, et le spectre d’En sous-marin flotte immanquablement au-dessus de chacune de ces collaborations, et avec lui l’espoir de voir un jour un véritable album commun des deux gachettes. – Olivier

Nessbeal – Sélection naturelle

Paru le 21 novembre 2011 | > « Thon à la catalane »

Mais qu’est-il arrivé à NE2S ? Après un album éponyme coup de poing en 2010, le membre de Dicidens sort, à peine un an plus tard, un quatorze titres en dessous des attentes de son public. Gimmicks en trop, rythme calqué sur les vieux tics du 92i, heureusement que la rime souvent riche garde un niveau constant, sans quoi, il ne serait pas resté grand chose pour sauver cet opus. Mêmes les featurings font pâle figure et des titres mélo qui ne ressemblent pas à leur auteur leur font un malheureux écho. Tout ça sent le cahier des charges imposé – mais par qui ? Et pourquoi ? Pour un artiste qui a toujours fait son son à sa sauce en indé, rencontrant l’estime du milieu et un succès enthousiaste auprès d’un public de connaisseurs, l’album surprend et, en vérité, déçoit. L’envie d’une notoriété plus large, l’appétit d’un CD écoulé a plus de 30 000 exemplaires aurait-il poussé le talentueux MC du Val de Marne, las de la reconnaissance de ses pairs, à épouser les recettes du mainstream avec lesquelles il n’avaient jamais que flirté, pour gagner en visibilité ? Il serait cependant injuste de reprocher à Ness d’avoir tenté de se démocratiser, à une époque où le rap se fait une place de choix dans les meilleures ventes et où Soprano et Orelsan, avec qui il a plusieurs fois battu le mic, tapent respectivement les triple et double disques de platine. Alors même si la plupart des titres manquent leurs cibles, on ne peut que saluer la prise de risque. Poussé par une campagne de promo solide, certainement la plus grosse dont Nessbeal ait jamais pu bénéficier, cinq clips et trois singles, le CD est un flop commercial et ne rencontre que le silence de la critique qui se refuse à voir son petit favori tomber. On espère une erreur de parcours, qui n’en n’a pas ? Et au milieu des sorties médiocres de 2011, un Nessbeal, même raté, c’est toujours du – bon – rap ! Mais les annonces de NE2S autour de sa retraite anticipée attristent. Dix ans plus tard, on ne peut que se réjouir d’entendre de nouveau sa voix ici et là, sur des collab dont il maîtrise les codes. Satisfaire son public en faisant simplement ce qu’on aime et peu importe les tendances et les ventes, est-ce que ce ne serait pas simplement ça, la clé du bonheur ? – Sarah

Zesau – Frères d’armes

Paru le 28 novembre 2011 | > « Le langage des pierres »

Déjà quinze ans de carrière, lorsque parait le premier véritable album solo de Zesau. Généreux, le Vitriot nous lâche deux CDs de douze titres chacun, soit vingt-quatre pistes sombres et complexes, taillées sur mesure pour les amateurs d’un rap street et, bien entendu, indépendant. Une heure quarante d’une belle maturité artistique, entre des textes souvent plus subtils qu’il n’y paraît, auxquels on doit plusieurs écoutes pour en prendre toutes les mesures, et des prods millimétrées pour soutenir la densité des messages. Aujourd’hui considéré comme un des grands classiques de notre histoire rapologique, Frères d’armes rassemble en effet tout ce qui assure succès et longévité à une œuvre musicale. Des prods dans l’air du temps de l’époque mais qui résonnent encore dix ans plus tard, des thématiques qui ne prennent pas une ride (pas sûr qu’on doivent toujours s’en réjouir, d’ailleurs), des formules, des gimmicks, des punchlines qui prennent encore, des featurings de grande qualité – de Rim’K aux vieux potes de Dicidens, en passant par Despo Rutti et Seth Gueko – bref du beau monde qui tenait le haut du pavé à l’époque… et qui est toujours là aujourd’hui. Peu de prise de risque sur ce double album, on n’est pas là pour ça. On chantonne vite fait sur « C’est grave » ou sur « Fuck you pay me », mais pas de quoi faire sourciller les fans. Les instrus fracassent par leurs tranquillité et leurs BPM sans remous, les seizes tombent là où on les attend, les rimes fonctionnent et le tout est d’une belle homogénéité qui glisse dans les enceintes et régale les audiences sans forcer. Trois clips illustrent cet opus : « Maximal » avec Ness disponible au moment de la sortie du disque et « Nos vies se résument » (une référence-réponse au titre de Salif qui fêtait ses 10 ans ?), ainsi que le fameux « Langage des pierres » avec Despo. Chacun a pu trouver son classique dans ce double album et sur vingt-quatre titres il faut dire qu’il y avait le choix. L’appropriation du public, une dernière preuve de l’importance de Frère d’armes qui justifie encore une fois sa présence dans la discothèque idéale du rap français. – Sarah

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Infinit’ – HDS Vol. 1

Paru le 6 décembre 2011 | > « Novus Ordo »

Après son aventure à La Cosca, Veust, rappeur malheureusement sous-coté, décide de monter son propre label D’en Bas Fondation et de mettre en avant les artistes de son 06. Infinit’ intègre cette écurie au milieu des années 2000 et sort son premier projet intitulé Haute Définition Sonore volume 1 en 2011. Cette carte de visite permet de découvrir l’univers d’un Niçois d’un quart de siècle. Jeune, coupable et libre, le zin décrit son mode de vie, dans lequel c’est chacun pour soi et tous ensemble. Loin de l’image de carte postale que sa ville peut avoir, Karim Braham montre Nice telle qu’elle est pour lui, où les maîtres mots sont arnaques, crimes et botanique. En digne héritier de Veust qui lui a remis le flambeau, le style est tonitruant, la technique est travaillée et les punchlines font mouche. L’intro « Novus Ordo » montre le talent du jeune Boeuf, plein d’attitude, sûr de lui et très laidback par moment. Sur cette tape, il est intéressant de constater qu’I.N.F. ne se contente pas de découper les instrus qui passent entre ses mains. S’il se fera connaitre pour être un kickeur à la technique au-dessus de la moyenne, bref un rappeur pour rappeur, dès son premier projet il s’est permis des morceaux légers, ouverts (le refrain de « Plus de billets », le feat avec Randy), limite G-Funk (« Shotgun »). La mixtape comporte néanmoins son lot de démonstration de rap, que ce soit des freestyles (« Compétition ») ou des posse cuts (comme « A la chaine », avec les autres membres de DBF, Veust en tête, Jamal, Mr Agaz, Jason Voriz et un Gak particulièrement en forme). Au passage, Inf’ et Veuveu continuent en 2021 d’être un binôme qui donne ses lettres de noblesse au 06. Bien que certaines prods d’Haute Définition Sonore ont du mal à passer l’épreuve du temps, ce premier projet d’Infinit’, qui n’est même pas sur les plateformes et dont les vues plafonnent à 1000 vues, est à découvrir. – Chafik

Ecouter aussi : Jason Voriz – Crystal Lake

Vîrus – Le choix dans la date

Paru le 11 Novembre 2011 | > « Faites entrer l’accusé »

15 août, 31 décembre, 14 février : trois dates qui sont pour la majorité des individus trois jours de fêtes, mais qui pour les exclus, les reclus, les condamnés, ont la saveur amère de la défaite. Le choix dans la date est un album en trois parties puisqu’il regroupe les trois EPs que le rappeur normand avait lâchés quelques mois auparavant. Si une telle façon de procéder semble être périlleuse quant à l’unité d’un album, il n’en est rien ici : les thématiques, l’écriture, les instrumentales et les interludes ont une telle cohérence que rien ne laisse indiquer qu’il s’agit de la réunion de trois projets. De fait, l’univers de Vîrus dont Banane, le beatmaker qui l’accompagne depuis ses débuts, est également un des grands artisans, a quelque chose de fascinant : on y entre à reculons mais on finit par s’y noyer. Avec Vîrus, la part sombre de l’humanité s’illumine par les mots, et celui qui se laisse emporter pourrait bien devoir toujours y revenir. En dix ans, l’album n’a pas vieilli et conserve toute sa vigueur et son impertinence, d’autant plus qu’il figure dans la catégorie des albums que l’on réécoute souvent avec un certain plaisir. Que l’on qualifie l’ensemble de tragédie comique ou de comédie tragique, difficile de ne pas se laisser déconcerter par l’humour acerbe, le flot de jeux de mots, de références et de métaphores. La mise en image qu’a pu faire Tcho /Antidote de quelques titres vaut le coup d’œil et mérite qu’on s’y attarde, qu’il s’agisse de « L’ère adulte », « Faites entrer l’accusé » ou « Zavatta rigole plus ». En clair, un album extraordinaire de bout en bout, à ruminer, qui s’écoute et se réécoute. On n’en revient pas indemne ! – Costa

Guizmo – Normal

Paru le 12 décembre 2011 | > « Ramène-moi n’importe lequel »

Peu de cas s’appliquent aussi bien au sentencieux qualificatif de « talent gâché » que Guizmo. A l’heure des carrières pilotées par des professionnels dépersonnalisant de plus en plus le rapport à l’art par souci de rentabilité, il demeure d’autant plus singulier de voir des carrières prendre des trajectoires totalement opposées à ce que l’on aurait pu attendre. Et dans le cas présent, on en attendait beaucoup. Arrivé avec la vague des premières sorties labélisées « L’Entourage », après s’être fait connaître à travers les Rap Contenders, les open-mics franciliens ou des freestyles sur la toile, Normal portait beaucoup d’espoir. D’autant que la personnalité de Guizmo détonnait, aux côtés de ses comparses à la technicité certaine, toutefois gâchée par un côté artificiel et très scolaire. Guizmo, au contraire, a la voix et l’intonation viscérales de ceux qui ont grandi trop vite et qui ne mentent pas. Ainsi, si l’identité musicale du disque est encore très marquée par les aspects jazzy et « retour aux sources » dont L’Entourage s’était fait l’étendard, DJ Lo produisant une majorité des titres, les textes et leur interprétation sont plus crus, plus sincères, plus vraisemblables. Et à ce titre, les écarts à la patte musicale « entouragienne » se trouve être les sommets de l’album, comme « Ramène-moi n’importe lequel », « Le premier chagrin du jour », « Demande à Guizmo » ou « Sales babtous de négros » sur lequel il sort Nekfeu et Alpha Wann de leur terrain de prédilection. Le résultat en est finalement un album qui, s’il fut loin d’être parfait, pêchant peut-être par la volonté de trop en faire, pavait la voie à une suite de parcours plus que prometteuse, entre les caractéristiques dont le jeune Guizmo faisait montre et la maturité de la direction artistique qui devait suivre naturellement son cours. Malheureusement, le parcours des rappeurs ne suivant pas toujours la voie « naturelle », Normal sera resté, dix ans et une dizaine d’albums plus tard, le disque le plus cohérent de son auteur, qui se contentera de montrer çà et là de manière ponctuelle, le rappeur qu’il aurait pu être. – Xavier

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