Grems, l’interview « 10 Bons Sons »

En perpétuelle mue, Miki Grems a été (et continue d’être) un pionnier à de nombreux égards, que ce soit dans sa technique d’écriture, sa recherche et ses expérimentations en termes de sonorités, ou sa façon de combiner les deux disciplines du hip-hop qu’il exerce depuis ses débuts, le rap et le graffiti. Le revers de la médaille, c’est que les médias, par facilité ou par ignorance, ont vite fait de le cataloguer dans les « inclassables ». Pour ne rien faciliter, Grems a eu divers collectifs, et possède une discographie longue comme le bras, constituée de vingt-cinq projets, et débutée en 2001. Avec lui, nous sommes revenus sur les grandes étapes de son parcours au cours d’un entretien dense, réalisé en deux temps, entre juillet et octobre, près de Biarritz, son port d’attache depuis déjà quelques années. Les interviews de Grems sont rares, merci à lui pour la confiance.

1 – Hustla – « Pratikan » (Compilation Maximum Boycott Volume 1, 2003)

(Sourire amusé) « Pratikan » ?

Oui.

Tu es allé le chercher loin celui-là ! Compil’ De Brazza Records, DJ Steady à la prod, ça correspond à nos débuts en mode boom bap. Steady était un des producteurs du groupe Hustla que j’avais avec Le Jouage. Hustla c’était le « fonky clap » et « le gouffre » qui se rejoignaient sur un groupe. Tu as le son de Cannibal Ox et Company Flow d’un côté pour Le Jouage, et le son de Jay Dee et Pete Rock de l’autre pour moi, même si on avait aussi des affinités pour le truc de l’autre. Du coup on a créé le groupe un peu comme ça. Jouagie était avec James Delleck, qui produisait des sons un peu « gouffre ». Les sons funky c’était Steady, qui appartenait à Upside, le groupe de rap de Bordeaux le plus connu. C’était les plus grands, les darons de l’époque, ils travaillaient avec Tribal Jam… Steady nous avait pris sous sa botte quand j’étais à Bordeaux. Comme il était considéré comme un des meilleurs producteurs d’instrus funky, on était avec lui, et c’était lui qui me faisait mes sons dans cette veine. D’ailleurs c’est très étrange, parce que si tu réécoutes ce son-là, ou « La qualité c’est mon fort », tu te rends compte qu’ils étaient hyper modernes.

Ils ont bien vieilli oui.

Il y a des trucs qui vieillissent et d’autres non comme ce morceau-là. C’est une époque… Le thème est simple, « Pratikan » c’est parce que, comme je l’explique tout le temps, je ne fais pas de rap pour gagner de l’argent. Le rap vient du hip-hop, avant que le mouvement ne se soit segmenté en plein de disciplines. Je suis un petit frère de la première époque, durant laquelle il y avait plusieurs disciplines pour tout le monde dans le hip-hop. Donc graffer et rapper, pour moi c’était normal. Tout le monde avait deux disciplines. Tu pouvais scratcher et avoir ton tag par exemple… « Pratikan » c’est parce que le hip-hop était comme une religion pour nous. Ce n’est pas comme aujourd’hui où il y a tout à disposition, avec des mecs qui s’inventent une vie street alors qu’elle ne l’est pas. Notre époque était beaucoup plus street parce qu’il n’y avait rien, il fallait qu’on s’invente un truc qui nous élève. Dans la rue ou dans les mairies, les activités n’étaient pas tournées vers la jeunesse, on s’est donc inventé une activité qui était le hip-hop. On se voyait comme des pratiquants, et je crois que je me vois toujours pareil ! (rires)

Ce morceau est important pour Hustla ?

Pas spécialement. C’est peut-être le côté « De Brazza » ou la mixtape qui donnent cette impression-là, mais il y a une lignée de morceaux dans ce genre comme « La qualité c’est mon fort », qui a commencé avec « Le vélo rouge », qui est mon premier storytelling. J’y alliais ma technique à quelque chose de raconté, un concept. Sur ces morceaux, si tu regardes, la construction narrative, la grammaire et la sentence de mes phrases se répercutent sur toute ma carrière. Je trouve que « Le vélo rouge », montre déjà bien la manière que j’ai de tourner autour d’un thème. Après il y a eu « La qualité c’est mon fort », puis « Pratikan ». Même si c’est très technique, c’est relativement compréhensible. Ça l’a peut-être moins été à des moments où c’était plus technique, mais en tout cas, je faisais des morceaux dits « conscients » depuis le début. Je suis arrivé par le chemin classique. C’était important de bien maîtriser le boom bap pour moi, puisque je venais de là. Après voilà, ce n’est qu’une discipline. C’était quelle année ça ?

2003, avant ça tu avais sorti deux projets avec Hustla en 2001 et 2002.

Oui, deux mini-albums.

Au passage, ne sélectionner que dix morceaux a été une vraie galère, parce que tu as une énorme discographie. Tu as énormément projets solos.

Il y a huit albums solo, plus huit EP. Et mes EP ne sont pas fait comme des albums, mais ils sont aussi importants si tu regardes bien.

Sans compter les albums en groupe.

Je crois qu’il y en a douze. Dans l’ordre tu as trois albums Hustla. Après il y a eu un album Olympe Mountain, puis Fonky Clap, mais pas d’album. Puis deux Rouge A Lèvres, PMPDJ 1 et 2, Klub Sandwich…

Pour être honnête, c’est la première fois que pour une interview j’ai dû tout poser sur papier sur une frise chronologique pour être sûr de ne rien oublier.

Ça fait plaisir, c’est pour ça que j’ai dit oui hein ! Et puis comme aujourd’hui les médias c’est n’importe quoi, quand quelqu’un fait ça bien il faut le dire.

Merci.

2 – Grems – « Schlag » (Album Algèbre, 2004)

« Schlag ». C’est marrant de réécouter ça maintenant. Premier album solo, et premier ou deuxième morceau. Que dire ? Le thème. En gros je suis aux Beaux-Arts, ou j’en sors juste, et il y a ce mot : « schlag ». On ne sait pas vraiment d’où il vient, et je me mets un droit de réserve sur ça, mais on a contribué à le mettre dans le langage français avec mon équipe. « Schlag » voulait dire patate en allemand. Et puis en même temps on disait : « C’est schlag » quand on faisait n’importe quoi, et on l’a vite utilisé comme un adjectif. On avait aussi Schlag Design avec mes potes. C’était l’époque Bordeaux à la Victoire, il y avait plein de schlags. C’est la même technique que les morceaux d’avant, à savoir utiliser toute la grammaire et les mots qu’il y a autour d’un thème, et faire un morceau de débile là-dessus. C’était une époque où les rappeurs n’osaient pas trop parler de trucs comme ça.

A l’époque on est un peu considéré comme le rap spé, donc le rap dit « alternatif », très vite catalogué comme ça parce qu’on faisait différemment des autres apparemment, chose que je vais contester dès maintenant. Je ne comprends pas la stupidité de l’évolution et du non-sens que c’est devenu. A mon sens le rap était une musique alternative quand elle est arrivée, donc je ne comprends pas pourquoi on nous a appelé rap alternatif. Je ne comprends pas qu’on nous ait appelé rap spé alors que quand le Wu-Tang est arrivé avec des masques et des épées ce n’était pas spé aux yeux du public. On nous a mis d’office dans une case où il y avait plein de types de rap : du rap bourgeois, du rap mélangé, etc. Du coup on a été affilié à TTC et compagnie parce qu’on était tous sur les mêmes mixtapes, sauf qu’on représentait clairement le côté singe du machin, les mecs qui ne tiennent pas en place. Pourquoi ? Parce qu’on bicravait, on rappait, on kiffait, on taguait, on était un peu chelous mais vraiment passionnés. Tout ce qu’il y avait autour, le marketing et l’argent, on s’en foutait clairement parce qu’on savait très bien qu’à l’époque à laquelle on vivait c’était la mort du disque.

Il y a une anecdote très marrante avec ce disque-là: c’est le premier disque que j’ai eu en écoute nationale, mon premier album signé, et pratiquement le dernier, et pas parce que je me suis pris la tête avec la personne avec laquelle je l’ai signé. C’est avec Naïve pour Rouge A Lèvres qu’on a eu un problème. Pour Algèbre, c’était De Brazza Records, tenu par un mec de Sarcelles appelé Bursty, qui déchire. Le rap spé avait sa branche famous, lui a décidé de sortir la branche pas famous. Le mec s’est intéressé à nous, est venu, et a fait la démarche de sortir mon premier album solo. C’était ma première exposition à l’échelle nationale, j’étais dans tous les bacs, c’était au mois de juillet. Il y avait mille albums et je crois qu’ils se sont tous vendus en une semaine. Mais la réalité, c’est que le distributeur avait mis la clé sous la porte avec tout l’argent. Ça veut dire que même si tu rencontrais un succès à cette époque de la crise du disque, il n’était pas garanti, parce qu’après il y avait la réalité que les distributeurs mettaient la clé sous la porte. C’est ce qui est arrivé avec cet album, mais j’en ai un excellent souvenir. J’en suis content et j’ai toujours d’excellents rapports avec celui avec qui je l’ai sorti, dont je me rappellerai toujours. Je le remercierai toujours de m’avoir permis cette première écoute nationale avec les premiers articles et les premiers trucs sérieux.

Il est sorti il y a seize ans, et tu as déjà cette façon de nommer tes morceaux avec des titres très courts, souvent un seul mot.

Ouais, exact. Putain seize ans ? Merde.

Tu l’as appelé Algèbre parce que c’est ce que comme ça que tu voyais le rap ?

Comme je le dis dans « Algèbre » en fait, je fais une comparaison entre Perec et Mad Men. Mad Men c’était le groupe avec Kankick, Declaime, le flow un peu technique, Lootpack, Madlib et compagnie. Et à côté de ça moi je n’aime pas la lecture, mais un jour j’ai lu le livre « La disparition » de Georges Perec, qui est un livre sans lettre E. Moi qui n’aimais pas trop la rédaction, je me suis dit que c’était du génie. Ce qui m’a plu dans le rap, c’est les premières fois où j’ai écouté les X-Men, Booba ou Coloquinte, de devoir remettre la cassette dix-huit fois pour comprendre ce que le mec a voulu dire. Je ne comprenais pas ce langage, je me demandais ce que c’était que cette symétrie de mots. Ça m’a tellement traumatisé que j’ai voulu rapper comme ça, et que j’en ai fait ma particularité. Après quand je m’intéressais à la musique et aux instrus, j’aimais vraiment le côté soyeux, donc boom bap, Pete Rock. J’étais vraiment dans les Lootpack, à rechercher dans le funky. Puis dans mes recherches j’ai aussi commencé à dériver sur la house.

« Si  j’ai des choses lourdes et moches sur le cœur, je dois arriver à les synthétiser dans une chose plus belle. Le processus me guérit, le résultat me soulage. »

En rap j’étais plus fan de MC’s comme Busta, Lootpack, Quasimoto, Medaphoar, Oh No, Eminem dans ses premiers freestyles radio chez Rawkus… Je voulais rapper comme ça, mais en français. Du coup dans ma sentence et ma construction de phrase, c’est ultra technique, plus ou moins tiré par les cheveux, mais volontairement. Ce morceau l’explique, je fais de l’algèbre, c’est ce que je vais te faire en musique. C’est bizarre, ça sort comme ça. A l’époque j’avais un dictionnaire de rimes parce que je ne savais pas bien écrire, et j’avais aussi un dictionnaire normal. Je ne faisais pas des facilités, au contraire. C’était super sain, ça m’apprenait des mots que je ne connaissais pas, que j’allais voir dans le dictionnaire, puis que je comprenais dans un sens. C’est comme ça que je faisais de la multiplication technique.

Et puis avec cet album-là, j’apprenais aussi les premières dates, les premiers concerts. Tu apprends à être un performer, que le rap ce n’est pas que le studio ou l’impro. Pour moi, tenir une thématique sur tout un morceau ce n’était pas assez, il fallait commencer à explorer certaines choses. Ce qui veut dire pas la même écriture ni la même interprétation pour tout, même si c’est la même personne. Je pense que tu ne rappes pas de la même manière en studio que sur scène. C’est radicalement différent, ce n’est pas juste pousser un peu plus ou un peu moins la voix.

Donc ouais, c’est la première carte de visite, le premier album avec des masters plus que douteux. (rires) On apprenait tout sur le tas. Il faut capter que mon premier disque a été financé par l’argent du sous-sol, et que je ne savais pas comment on faisait un disque. Notre premier disque en 2001 avec Jouagie c’est « Comment on fait un disque ? » Allez, usine de disques dans les Pages Jaunes. « Bonjour monsieur comment on fait un disque ? – Il faut payer ça, il faut ramener ça. – Ok, tiens voilà l’argent, tiens voilà le truc. » Hop, disque sous cellophane, tu es direct crédible. Après : « Comment on le vend ? – Il faut aller dans les magasins parce que personne ne t’attend. » Du coup dépôt-vente, comme un chien. On a donc été très rapidement confrontés aux réalités du terrain pour exister. C’était peut-être la fin d’un premier cycle, celui des mixtapes, des compilations, en groupe, pour se faire connaître. Moi j’avais l’héritage de cinq ou six ans de rap spé. C’était encore l’époque des mixtapes sur cassettes. On allait dans des caves de cités complètement pourries, il n’y avait même pas un verre d’eau, pour juste lâcher juste un couplet. C’était la fin d’un cycle. J’étais en place, le public d’Hustla a estimé que je devais faire un album, et moi j’avais la capacité et l’envie de le faire, j’avais envie de raconter des choses personnelles. Et puis en plus de ça, bizarrement, Jouagie et moi étions toujours éloignés, jamais dans la même ville. Il n’y a qu’au début qu’on était dans la même ville, donc on a toujours travaillé à distance.

Votre premier EP s’appelle d’ailleurs Paris Bordeaux Vitry.

Oui, moi je venais de Paris, lui de Vitry. Comme mes parents étaient divorcés je faisais des allers-retours entre Paris et Bordeaux. C’est pour ça que je suis parisien, mais affilié à Bordeaux, parce que je me suis fait là-bas. J’y ai passé une bonne partie de ma jeunesse et développé ma créativité. J’y ai appris à rapper, mais aussi à peindre, j’ai fait les Beaux-Arts là-bas.

3 – Olympe Mountain – « Olympe Woutaing » (Album La montagne ça vous gagne, 2005)

(rires) C’était sûr… Et encore, tu n’as pas choisi le « ouanagueneouaneguen » ! (« Dialectes », ndlr) (rires)

J’ai hésité.

C’est un bon et un mauvais souvenir. C’était l’époque où à Bordeaux où avec les potos on avait fait un groupe, on se prenait pour des dieux. On était encore plus oufs que les autres groupes. Ils flippaient de nous parce qu’à Bordeaux, techniquement, avec la trisyllabie, les trois mecs qui s’associent avec des gars de Paname comme Le Sept et qui font un groupe aussi chtarbé, c’était complètement n’importe quoi. Cet album était prêt, il devait sortir. Bon tu peux encore le trouver sur internet, et le télécharger gratuitement. Mais il y a eu un petit problème entre un des gars du crew et moi. Un problème de meuf. Ça a terni nos relations, et j’ai dit que ça ne sortirait pas. Et puis à la fin, par gentillesse et par respect pour Sept et Jouagie, à qui ça tenait à cœur de le sortir, j’ai donné mon accord deux ou trois ans après en m’en foutant un petit peu. Puis de l’eau a coulé sous les ponts… C’est la jeunesse, on fait tous des erreurs, et on comprend après que ça en est. C’était l’époque Bordeaux, freestyle, trisyllabie, grosse équipe.

Il y a encore cette connexion Paris – Bordeaux.

Comme je suis de Paris je faisais le pont avec les parisiens, et puis il faut comprendre qu’à l’époque D’Oz de Kroniker (autre groupe bordelais, membre des Kronikers, ndlr) faisait aussi le pont. On était les deux parisiano-bordelais, on faisait des allers-retours. Lui avait ses connexions, moi les miennes. Ça facilitait les choses et ça a créé une espèce d’émulation. C’est vrai qu’on se demandait ce qu’il se passait à Bordeaux au début des années 2000, vu qu’il y avait des parisiens dans ce crew de bordelais. C’était une bonne époque.

4 – Grems – « Formule de politesse » (Album Airmax, 2006)

« Tout va bien, merci ! » (rires) Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

C’est une belle outro d’album !

Ben merci, à la fin il y a Sept derrière qui dit « lâche-toi ». Sept était un supporter de l’album, il faisait des voix, c’était l’équipe. Cet album a marqué beaucoup de gens. Le premier c’est la fin d’un cycle, pour dire « attention il est dangereux », le deuxième c’est l’album du renversement, pour ce qu’on appelle le rap spé. C’est comme ça que je l’ai vécu. Pour recontextualiser on est en 2006, le rap spé est en place, on fait de plus en plus de concerts, on est partout, on envoie du bois, l’indépendant commence à s’organiser. Les SMAC ne sont pas encore là ou très peu, mais les concerts se font dans des endroits alternatifs. On arrive à subsister de notre passion et avoir des petits points de buzz partout.

Je me suis pas reconnu dans la scène de cette époque parce qu’on nous mettait tous dans le même sac et que je n’avais pas les mêmes principes. On nous faisait endosser le fait qu’on faisait du rap électro alors qu’on ne faisait pas du rap électro, mais du rap et de la house. L’électro c’était un truc d’allemands, nous on était plus dans les trucs de Detroit. Ce n’est qu’une histoire de couleur de musique. Ça n’a rien à voir, et les gens n’arrivaient pas à faire la différence.

« Avec l’âge tu as du mal à te satisfaire toi-même, donc il faut charbonner. »

Mais cet album est un beau souvenir, première diffusion sur MTV, clips partout, la collaboration avec « Airmax », Disiz qui m’appelle pour me dire qu’il kiffe ce que je fais parce qu’il a vu le CD de Rouge à Lèvres qui traînait dans une major, et on a fait le remix de « Carte à puce ». Tout va très vite, et c’est une période de ma vie assez étrange.

La pochette marque un peu les esprits, on commence à t’identifier via ta patte de graphiste aussi, ton coup de crayon.

Il y a une anecdote avec cette pochette, c’est étrange ce qui se passe à cette époque-là. Moi je sors des Beaux-Arts, et ça faisait deux ou trois ans que je bossais dans des boîtes de graphistes pour faire du caca, mais aussi pour manger parce que j’avais les pieds sur terre. Du coup dans la musique j’ai toujours travaillé gratuit pour tous les autres, je faisais des pochettes avec mon style, je prenais mon temps. Au bout d’un moment, quand j’en ai eu plein le cul de bosser comme ça dans le graphisme, je me suis dit que j’allais arrêter de bosser, que je ferais du graf’ et du rap, en me mettant au RMI. J’avais fait deux pochettes pour Airmax, et au moment de sortir l’album, je suis allé voir mon pote de Lazy Dog pour lui dire de demander à Nike si je n’allais pas me prendre un procès avec la pochette. Il me dit : « Ils ont kiffé, ils te font vingt paires. » Chanmé. J’avais une autre pochette de prévue à la base, et je l’avais laissée sur MySpace.

Le jour où j’arrête tout et pars vivre à Montpellier pour faire un enfant et vivre autrement, je suis en chien. Et la RATP m’appelle pour me parler de l’autre pochette d’Airmax, avec plein de dessins identifiables. La personne au bout du fil me dit qu’ils la veulent pour leur com’. Et là je suis devenu Grems. Bon, tout le monde savait déjà que j’étais là, j’avais plein d’articles, sauf qu’à partir de ce jour de 2006, je n’ai pas connu le chômage. J’ai connu dix ans de succès graphique en travaillant sur des produits, des collaborations, des marques…

C’est à cette époque que tu connectes avec les artistes de Montpellier ?

Set&Match je les ai connus à Montpellier oui. Je connaissais bien Bunk qui était mon premier  contact sur place et j’avais d’autre connections comme Supakitch, Voets, Kussay, je connaissais aussi Nemir et Hassan à Perpignan avant mon arrivée à Montpellier via Steady et Nasty à la Casa Musicale de Saint Jacques en 2003.


5 – Rouge A Lèvres – « 
Carte à puce remix » (Album Démaquille toi, 2008)

Même album !

Non, c’est l’autre « Carte à puce remix » (il en existe deux versions dont une sur Airmax en duo avec Disiz, ndlr). C’est la version présente sur Démaquille-toi, avec tout le Rouge A Lèvres.

Super transition donc. Je rencontre le 4Romain à Perpignan en 2003, il avait fait deux ou trois prods pour Algèbre, dont le titre éponyme, qui était les prémices de ce qu’on allait appeler le « deepkho ». Je voulais qu’on invente une musique, et on l’a fait ! A deux. C’était une réponse à deux à cette envie de rapper sur de la house comme Moodyman. Du coup j’ai fait cet album un peu ambigu qui s’appelle Maquille-toi, le premier projet du Rouge A Lèvres. Je suis parti à Perpignan, on était dans le studio de la Casa Musicale, qui était l’endroit où on pouvait retrouver Nemir, Hassan, Selim, Saba et plein d’autres, et on a enregistré cet album en quatre jours. A l’époque nous sommes trois dans le groupe : moi-même, Le 4Romain et son frère Killersounds. Cet album-là s’est retrouvé en major, sur la table du DA de Disiz. Disiz a vu la pochette de l’album et a demandé s’il pouvait prendre le CD. Il l’a écouté et a pété une durite. Du coup il m’a demandé de faire des morceaux avec lui et des remix. On était dans une bonne vibe, il n’y avait pas de truc de business ou de major. Il était à un moment de changement de sa carrière, l’époque de Disiz The End et Peter Punk. Nous nous sommes kiffés musicalement. A force de kiffer l’énergie et de faire des morceaux, je lui ai proposé de descendre à Biarritz (l’enregistrement de cet album était à Biarritz), de faire partie du groupe Rouge A Lèvres et de faire le deuxième album avec nous. Il a pris un avion, il est venu, et on a enregistré le projet en quatre jours, dont le tube « Gash ».

La connexion avec les Foreign Beggars s’est passée au même moment. Leur premier album signé en France allait sortir, ils cherchaient une collab’ en france. Thomas Routier de EMF a fait écouter à Pavan mes bails, et Pavan à directement pris l’avion pour Biarritz pour nous rejoindre en plein enregistrement du Rouge A Lèvres. Il a écouté les sons et hop nous avons posé « Gash » et « We love » en trois heures. C’était vraiment cool cette émulation internationale.

Disiz était à une période de sa carrière où il avait peut-être besoin de cette émulation.

Sans le savoir j’avais aussi besoin de ça. J’ai dû lui apprendre en technique et en manières de prendre le flow, et ça s’entend, de la même manière que lui m’a appris en écriture automatique. Je l’impressionnais pour le paquet technique, il m’impressionnait pour sa rapidité d’écriture. Il arrive en studio, il prend un instru, il l’écoute et le rappe, et te fait un son en dix minutes. Le mec chaud de ouf. Je ne savais pas faire ça à l’époque. J’ai appris cet exercice grâce à lui. Donc ça a été un échange et un amour artistique mutuel, et du coup on a remis ça avec Klub Sandwich. Il a toujours voulu faire un album Grems / Disiz, mais il faut trouver le temps, c’est compliqué. Ma meilleur rencontre du mainstream.

Et puis il a ça en commun avec toi de ne jamais proposer deux fois la même chose.

C’est un réel passionné du truc. Et ça a été un plaisir de faire ces disques avec lui parce que c’était avant tout de l’amusement et des grandes barres de rires. On ne savait pas que ça allait donner ça.

6 – Grems feat Starlion – « Toast » (Album Algèbre 2.0, 2011)

Algèbre 2. Ce n’était pas pour chercher une quelconque légitimité mais j’avais besoin de faire un album pour me rappeler à moi-même que je savais rapper en mode rap, faire du Grems classique avec tout ce qu’il y a de plus classique dans la sentence de phrase, le son et la production. C’est l’album en mode boom bap comme moi je le voyais. C’est pour ça que j’ai dit que c’était un album sans concept, parce qu’il n’y en avait pas vraiment. C’était vraiment de l’acquis et du savoir-faire réalisé sur le moment. C’était important, comme ce morceau avec Nico (Starlion, ndlr). C’est quelqu’un d’important dans ma vie musicale, qui est devenu un ami. On n’est pas à l’abri qu’un jour je fasse un album avec lui, ça fait longtemps que c’est prévu. Quand je suis avec Nico sur scène la fusion se fait, on se comprend très très bien.

C’était l’époque de La Fronce.

(Il coupe) D’ailleurs j’ai une anecdote sur ce morceau, une très grande anecdote ! Si tu écoutes bien à la fin il y a une bouteille de champagne, la sienne en l’occurrence, qui s’ouvre. On avait fini l’album, c’était un des derniers morceaux qu’on avait enregistré, on avait quasiment fini les mix. Donc on fête l’album et on sort sa nouvelle bouteille de champagne qui allait sortir. On l’a ouverte (on entend l’ouverture de la bouteille et le toast en fin de morceau, ndlr), on a fait santé, on a bu une coupe, et la mère de ma plus jeune fille m’appelle en me disant « je perds les eaux ! », et ma fille est née. C’est l’anecdote de ce morceau.

7 – Grems – « Pinocchio » (EP Buffy, 2014)

La trap avant l’heure. Le fait d’avoir fait beaucoup de collab’ internationales avec la Worldwilde Family du son, les Foreign Beggars et toute cette équipe-là, et d’avoir fait des recherches sur la house, font qu’à un moment j’étais un petit peu sur cette scène internationale que la France ne voyait pas forcément. Et l’air de rien avec nos recettes et nos délires avec Son Of Kick et d’autres à chercher des sons, si tu regardes bien, ça faisait partie de l’évolution de la musique mondiale. On y était aussi pour quelque chose. Du coup les choses se sont uniformisées, et à un moment les beats sont devenus trap.

Plein de gens ont cru qu’ils savaient rapper. Nous on avait cette facilité de l’avoir fait avant tout le monde parce qu’on venait aussi de là : le grime, la house, le dubstep et tous ces trucs mélangés allaient faire que cette rythmique soit comme ça. Moi je me suis toujours revendiqué deep trap ou deep house. J’ai toujours fait de la trap, avant que ce soit à la mode, ce morceau en est la preuve. Tu regardes la date, même aux States, il n’y a pas de morceaux qui sonnaient comme ça. C’est pour ça qu’il a bien marché, qu’il a fait ses deux ou trois millions de vues. J’adore ce morceau et j’en suis fier, mais je l’ai fait sans pousser.

« Le rap est mon espace de liberté. »

C’est le début du troisième ou même du quatrième cycle. Il y a eu cinq cycles. Pendant le premier, jusqu’à Algèbre, je fais mes petites mixtapes, le deuxième cycle c’est la trilogie d’albums (Algèbre, AirMax, Sea Sex & Grems, ndlr) avec les Rouge A Lèvres au milieu. Le troisième cycle c’est la deuxième trilogie d’albums (Broka Billy, Algèbre 2.0, Vampire, ndlr). Dans Vampire je dis clairement qu’il y a des choses que je ne referai plus, je brûle certaines choses en musique. Après c’est le quatrième cycle, durant lequel j’ai cherché à faire de la musique en accord avec moi-même, mais en désaccord avec tout. Ça commence avec l’EP qui suit Vampire, donc Buffy. (On parlera du cinquième cycle avec Sans Titre #7, un peu plus bas, ndlr.)

Buffy sort quelques mois après Vampire.

Un nouveau cycle et une grande amitié musicale ont commencé quand j’ai rencontré Rrobin. J’avais la commande d’une marque, je devais le faire cet EP. Vampire avait été endossé par une marque de casques, j’avais été payé à l’avance, donc j’avais eu une facilité et un confort pour le réaliser. Vampire est mon album qui a le plus marché, avec Sans Titre 7. Buffy aussi était commandé, je devais filer 500 vinyles à la marque, et le faire en plus. Ça permettait d’en remettre un petit coup et de profiter de ce succès de Vampire. Quand on a posté « Pinocchio » on n’a pas compris qu’il se retrouve premier des tendances YouTube. Je n’avais jamais eu ce genre de score. Ce morceau est pointu, mais peut-être plus accessible pour le commun des mortels. Je ne me l’explique pas, mais disons qu’il représente bien ce que je fais. Si on devait choisir un morceau de moi pour me présenter, chose impossible quand on connaît ma carrière parce que c’est trop dense et trop large, je pense que « Pinocchio » est un des meilleurs compromis.


8 – Grems – « 2 mars » (EP Greenpisse, 2016)

C’est la date de naissance de la mère de ma deuxième fille. J’étais à Bali. J’ai fait Greenpisse entre Bali et ici, c’était après Buffy, et je me foutais clairement de faire des trucs qui marchent. Je sortais le disque, je le distribuais via mon réseau, en m’affranchissant du mensonge du monde de la compétitivité. Je l’ai donc fait sans aucune arrière-pensée ou volonté de quoi que ce soit de plus. Je suis toujours un peu étonné du nombre de vues qu’a fait cet album, il a bien tourné, le morceau « 2 mars » en particulier. Ça ne m’étonne pas, à chaque fois que je fais un boom bap ça fait plaisir aux gens.

Le fait que tu te livres dessus doit avoir participé à son impact.

Oui, il est très franc quoi. Ceci dit j’ai toujours fait ça, sur mes albums tu as toujours des choses comme ça. Ce track a été fait avec le cœur. C’est vrai que certains médias disent parfois « il règle ses comptes, etc. » Mais moi je vais soulever un truc : les journalistes qui disent ça ils ont quoi dans leurs cerveaux ? Parce que 99,9% du rap c’est ça non ? C’est régler ses comptes avec soi-même, avec les gens, avec le système… C’est le principe de la punchline ! Alors pourquoi la personne va essayer de le relever particulièrement sur moi ? Bref, ils mettent souvent « inclassable », « ingérable », ou mieux, « infatigable ». Si pour eux être infatigable c’est juste le fait d’être productif, c’est compliqué…

Moi je vois le hip-hop comme une discipline qui t’amène à l’épanouissement personnel. Si  j’ai des choses lourdes et moches sur le cœur, je dois arriver à les synthétiser dans une chose plus belle. Le processus me guérit, le résultat me soulage. Il n’y a pas de business là-dedans, c’est juste hip-hop. (rires)

Toi tu as bossé à côté rapidement…

(Il coupe) Ce n’est même pas que j’ai bossé à côté, c’est que je suis allé à l’école, j’ai découvert le hip-hop, j’ai taffé, et j’ai eu un métier. J’aurais jamais cru que j’allais pouvoir être graffeur comme aujourd’hui et réaliser mon rêve. Je suis assez déterminé comme garçon, mais j’ai les pieds sur terre. Quand je sortais de l’école, plutôt que de me proclamer artiste sur Instagram, j’allais récurer les chiottes, ce qui voulait dire faire du graphisme de merde, pour un patron de merde, sans parler, juste je travaillais. Mais j’avais mon salaire de graphiste. Je me suis toujours dit que le rap n’était pas mon métier, et qu’ils me faisaient rigoler avec leurs discussions de majors. Je ne crois pas au loto, je crois au travail. Je pense que si tu as une passion, il faut savoir se la subventionner. Si tu le fais bien, c’est ta passion qui va te subventionner. (sourire)

9 – Grems – Balaras les flows (Album Sans titre 7, 2018)

Le dernier ou un des derniers morceaux que je fais pour cet album, dans le plus grand des calmes. Je savais que ça allait péter, et que les gens attendaient ce flow. Pour moi c’est l’ultime facilité de faire ça. En même temps ça fait partie de mon ADN de rap, je l’ai quand même prouvé sur pas mal d’années, donc il était évident que j’en refasse un petit comme ça.

Ce morceau revient souvent.

Il est presque à deux millions de streams, ce n’est quand même pas rien. J’ai été surpris sur Sans titre 7. C’est l’album où j’ai fait la paix entre la musique, l’image et le dessin. Cette paix a amené à l’effacement des trois quarts de ma carrière en vidéo. Il a eu cet effet-là. Je suis très content de cet album, et la pochette a été faite sur un incident. Je m’enfermais dans mon street art tribal, moi qui suis un grand fan de peinture abstraite, qui en fait parfois mais qui ne le montre pas en pensant que personne ne l’achètera. Mais j’utilise mon rap pour faire n’importe quoi, c’est mon espace de liberté. Donc j’ai fait ma pochette comme ça. J’ai vu que ça marchait, j’ai refait une mini-expo de pochettes, ça marche aussi, et depuis ce jour-là je suis parti en abstrait, en mode « nique sa mère, je fais le ouf maintenant. » Je continue à prendre des risques, je fais l’artiste.

Au fur et à mesure de la conception de cet album, je me suis rendu compte que ce que j’avais toujours séparé était évident, et devait maintenant se réunir. Pourquoi je rappe ? Je ne veux pas être le vieux qui fait du réchauffé comme plein d’anciens qui reviennent. On me l’a toujours dit, en me mettant en opposition avec ces anciens. Je prends ça comme un honneur, et ça m’a amené à la réflexion suivante : « Qu’est-ce que je fais, pourquoi je suis comme ça ? » Et puis aussi, en regardant toutes mes vidéos je me suis dit qu’on ne se rendait pas compte, et que maintenant les gens écoutent la musique avec les yeux, et pas avec les oreilles. C’est horrible, ça devrait être l’inverse. Du coup je vois des milliards de gars qui ont vu des clips à moi et qui ont pensé que je le faisais par commerce, alors que je le faisais comme une éprouvette, comme un scientifique de la musique, et qui ont ensuite construit leurs carrières, leurs business et leur image comme si j’étais leur tuto de rap. Sauf que moi je ne savais pas pourquoi je faisais ça. C’était de la pure science, de l’amour du rap. Je me suis aussi rendu compte que le monde a évolué, l’image a une puissance sur nous. Le fait de montrer une image, de faire quelque chose avec, de la commercer ou de la montrer aux gens… On doit se sentir responsable de l’impact qu’on a. Je me suis rendu compte un peu tard que l’impact qu’elle avait n’était pas forcément celui que j’aurais voulu qu’elle ait. Et à un moment quand je dis « ça sent la chatte » et que je me crache dessus, que je fais n’importe quoi dans le clip, comment j’explique après à ma fille de pas mettre sa tête sur internet ? Je ne vais pas être très cohérent. Le qu’en dira-t-on ou ma visibilité dans le rap, je n’en ai rien à branler, ce qui m’importe c’est d’être le mieux vis-à-vis de ma vie et de mes enfants.

« Je n’ai pas tout de suite compris qu’on n’était pas tous copains dans le rap. »

J’ai décidé de tout effacer, et puis comme je le disais depuis pas mal de temps, j’ai fini avec un masque. Je l’avais déjà dit, pas dans le sens « nouvelle époque » comme Kekra. Je le respecte à donf, mais ma démarche n’a rien à voir avec tous les gens qui ont un masque. Je ne me suis pas construit une image ou une identité avec. Je mets un masque par boycott des médias et du système, et parce qu’aujourd’hui, dans notre époque, ta tête ne t’appartient plus en fait. C’est ma manière à moi de contrôler mon image. C’est le masque du graffeur, c’est ce que je suis. Quand j’ai effacé mes clips, j’ai commencé à faire mes signatures d’expo (sous forme de vidéos, ndlr). Je fais une grande exposition et à la  fin je vais me record un track que je clip dans l’espace en mode plan séquence en gros.

Ça a commencé avec le festival Hip Opsession qui décide de me prendre en tête d’affiche il y a deux ans, sauf que j’avais arrêté les tournées trois mois avant, et que je ne remonterai pas sur scène. Si tu me prends en tête d’affiche je ne serai pas là sur scène, mais je te ferai tout le reste au niveau de l’image et de la déco… J’étais avec Starlion et tout le monde, et j’ai décidé de signer mes trucs en clips. Du coup j’utilise le medium du rap en tant qu’artiste, mais ce n’est qu’une partie de ma galerie, c’est une manière de signer mes expos. J’arrive, je fais mon plan-séquence, je rappe. Maintenant ça a un sens, j’ai mon masque et j’ai fait la paix. Du coup je te fais une expo, et je peux la signer comme je le fais dans mon vernissage avec un morceau, qui a une cohérence ou pas. Pour moi ça en a une. Maintenant je suis un artiste, et je ne te vends pas spécialement mon son. Tout est codifié, et si tu as la logique de lire et de comprendre vraiment, tu en voudras un peu plus ou pas. De plus en plus de gens commencent à comprendre là où je veux aller, dans le mix des deux. Personne n’entre dans cette catégorie d’être aussi bon dans les deux catégories. Et puis avec l’âge tu as du mal à te satisfaire toi-même, donc il faut charbonner.

Pour continuer avec Hip Opsession, et pour bien comprendre, qu’as-tu fait là-bas ?

J’ai fait toute la com’, tout l’épicentre, toutes les peintures partout, des trucs avec les bénévoles, tout le lieu, et à la fin j’ai fait mon petit clip sur place. C’était un honneur qu’ils me choisissent pour leur quinzième édition.

10 – Grems feat. TrankilTrankil – « BTZ » (Muses et hommes, 2020)

Ben ouais. (sourire) L’album quoi. Comme j’en ai rien à foutre du système et du marketing, j’ai sorti ça pendant le confinement, parce que dans ma tête j’étais plus ou moins confiné. J’avais plusieurs morceaux, mais je n’ai pas essayé de faire une compil ou un truc comme ça, mais plutôt un album cohérent. A part peut-être « Pleine lune », c’est le premier album qui n’a pas de single, dans le sens où j’estime qu’il faut écouter mes albums en entier. Tu les mets de A à Z et tu comprends la logique de tous les exercices. Les gens écoutent de la musique comme de la consommation, moi je construis mes albums comme The Unseen de Quasimoto : il y a du lent, du rapide, tu te balades… Il a la même construction que tous mes albums sauf qu’il a un contexte particulier, puisque j’ai perdu une personne proche de moi. Juste avant la sortie de l’album j’étais parti pour un petit EP avec « BTZ » dedans, et à la mort de cette personne j’ai voulu faire honneur aux miens. Pour une fois, j’ai fait écouter toutes mes maquettes, c’était très bizarre. J’ai laissé rentrer les miens dans mes maquettes. J’avais soixante ou soixante-dix morceaux, j’avais des feuilles avec la liste, et on notait ceux que j’allais garder, on barrait ceux que j’allais jeter.

Dans la liste finale il y avait « BTZ » (Biarritz, ndlr) avec TrankilTrankil, qui est mon petit jeune d’ici. C’est pas mon petit en mode péjoratif, je ne vais pas le maquer, il ne me doit rien. C’est mon petit qui donne allégeance à son daron du rap parce qu’il kiffe ce que je fais, et puis j’ai pris le temps de le connaître. Je ne l’ai pas du tout vu comme un fanatique, c’est une pile, il me fait vachement penser à moi sur plein de trucs dans son énergie, son écriture ou son flow, et il ne s’en cache pas. Comme ça fait deux ou trois ans que je le connais, c’était important de lui donner de la force. Je l’ai fait plein de fois avec d’autres gens, j’aime le partage dans le son mais c’est un grand défaut.

« Je pense que si tu as une passion, il faut savoir se la subventionner. Si tu le fais bien, c’est ta passion qui va te subventionner. »

Colorama Street Art Festival 2020 (Biarritz)

Je n’ai pas tout de suite compris qu’on n’était pas tous copains dans le rap. Je me suis pris la tête avec plein de gens parce que je ne comprenais pas qu’on puisse renifler le cul des gens juste pour des locations d’espace, de buzz ou de flux. Je pensais qu’on était des amis et qu’on marchait en équipe, qu’il y avait une allégeance profonde, un truc d’amitié hip-hop de base. Je me suis trompé, j’en ai souffert, j’ai eu deux ou trois froids avec des gens qui ont tous un point commun, c’est  d’avoir voulu rencontrer Grems et pas Michael. Avec du recul par rapport aux gens, chacun prend sa musique et son aventure comme il la veut, on n’a pas de droit ou de pouvoir sur une personne. Moi j’ai fait trop le naïf sur le sujet j’en ai payé  le prix. C’est pour ça que très vite sur mes albums j’ai fait venir la même famille. Mon équipe me fait vibrer, mon Jouagie c’est mon gars. Je le connais, il sera toujours là, il me donne de la force. Il m’appelle pour prendre des nouvelles de ma famille avant tout, et si je peux être là pour lui je le fais. Starlion c’est pareil. Il y en a plein qui seront toujours là. Bref le rap c’est que de la musique, une passion, et il ne faut pas que ça devienne une pathologie non plus. Je continue le rap j’apprécie la force et l’écoute que me donnent les gens. C’est juste gratifiant, tout comme ton interview. En tout cas c’était marrant comme exercice, pour moi qui ne fait pratiquement plus d’interviews. (sourire)

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