10 Bons Sons en septembre 2020

Le mois de septembre 2020 fut très particulier du côté du rap francophone. Il y a d’abord eu des témoignages sordides à propos de Moha la Squale et Roméo Elvis, qui ont agressé sexuellement (et plus encore pour l’un d’entre eux) des jeunes femmes. S’en est suivi un lynchage sur les réseaux -cet égout à ciel ouvert- et la création d’un mouvement similaire au #Metoo : #MusicTooFrance ou un appel à témoignages d’agression ou de harcèlement sexuel dans le monde de la musique. Et bien évidemment les témoignages ont afflué, toujours plus nombreux, pour dénoncer tous ces chiens bien souvent intouchables… Puis il y a eu ce bon vieux Freeze Corleone qui a sorti son album LMF ou « La Menace Fantôme » le 11 septembre et a crée un véritable ras de marée. Des millions de streams et de la médiatisation en veux-tu en voilà, jusqu’à certains gros médias. Et puis bien sûr, un nouveau lynchage : le rappeur du 667 est taxé d’antisémite et d’incitation à la haine raciale par la LICRA. Il fallait s’y attendre, Freeze n’a jamais pris de gants pour s’exprimer et de plus, il est passé de rappeur obscur à rappeur quasi mainstream en quelques mois. Forcément, tout le monde ne peut pas comprendre l’univers singulier et certes critiquable du personnage. Résultat : tout le monde s’offusque, Universal rompt son contrat avec l’artiste, Skyrock retire les morceaux en rotation et même les plateformes de streaming passent hors ligne plusieurs morceaux de l’album. On est arrivé à un point où notre ministre de l’intérieur prenne « l’affaire » en main. Le rap français est dans l’œil du cyclone.
Et pour conclure, ayons une pensée pour la famille et les proches de So Clock (rappeur du collectif LTF), qu’il repose en paix.
Malgré tout, voici notre sélection des 10 Bons Sons du mois de septembre 2020.

Le 10 septembre : Eloquence – Macro sur la descente

Depuis le très réussi Trill Makossa qui avait marqué son grand retour, Eloquence a retrouvé une vraie régularité dans les sorties. La sortie de formats numériques plutôt courts, compris entre huit et dix titres, semble lui avoir permis d’acquérir une certaine liberté. « Macro sur la descente » pourrait être une bonne introduction pour ceux qui n’ont pas suivi ses dernières avancées tant on y retrouve tout ce qui fait son univers. Le flow et la voix sont nonchalants mais en imposent, l’écriture, toujours précise, tourne autour du gangstérisme, mais jamais de manière forcée, laissant même parfois les silences en dire plus que les mots. Le texte est comme souvent très visuel, Eloquence a l’art de choisir les bonnes situations, les bonnes références, les bons objets pour ancrer ses images dans la tête de l’auditeur. On y sent un vrai plaisir à mettre en scène, à créer des ambiances, ce qui est sans doute la plus grande qualité de la musique d’Eloquence. – Jérémy

Le 17 septembre : Damso feat. Hamza – BXL ZOO

« BXL ZOO » est la troisième collaboration entre Hamza et Damso, la première sur un album du second. Au-delà du choix de l’instru que certains qualifieront de drill, ou de la forme olympique d’Hamza sur sa partie, c’est l’alchimie entre les deux personnages qui saute aux oreilles. Fait marquant, ce tour de force n’est pas pour autant l’œuvre de passe-passes ingénieux comme Alpha Wann et Freeze Corleone sur « Rap Catéchisme ». Alors que les auditeurs de rap français semblent partagés à l’écoute de QALF, « BXL Zoo » en constitue indéniablement un sommet, et donne envie d’entendre se mélanger les grains de voix et flows métamorphes des deux Bruxellois sur un format plus long. – Olivier

Le 12 septembre : Babzouz & Mehdi Mitch – Shoes de sécu (Prod. Güms) 

Présent sur notre compilation Du Bon Son 1 datant de 2014, nous avons toujours suivi  le travail de Babzouz depuis ses débuts. L’an passé, il décida d’unir ses forces avec un autre MC, Mehdi Mitch, pour la sortie d’un projet commun portant le nom d’ISPQC. En ce mois de septembre, les deux Nantais ont repris du service avec un opus composé de dix titres. Rock’n’roll vient de voir le jour et symbolise leur professionnalisation et leur travail assidu. Preuve de cette progression, « Shoes de sécu » qui demeure un des titres phares de ce disque. Sur une instrumentale entraînante de Güms, le duo fait preuve d’un flow technique, d’une écriture fine alliant constat amer et autodérision. Le morceau rend hommage aux prolos et rappelle que « 90% des rappeurs ont un taff alimentaire ». Tout ce que l’on leur souhaite est de pouvoir un jour le quitter et enfin vivre de leur passion. – Jordi

Le 11 septembre : Freeze Corleone – Freeze Raël (Prod. Flem)

La Menace Fantôme était l’album le plus attendu de la rentrée (de l’année ?). Freeze Corleone semble avoir pris une dimension assez folle ces derniers mois, jouissant d’une hype dingue pour un rappeur au style si singulier. Et il ne pouvait choisir autre date que le 11 septembre pour tout briser sur son passage, en toute indépendance. En effet, il n’est jamais le dernier quand il s’agit de faire dans le politiquement incorrect comme lorsqu’il balance sur Israël, sur les pédophiles ou sur la famille Bush. Alors s’il abuse de sa liberté d’expression, condamnez-le, si ce ne sont que des textes à prendre à un degré cinq comme dirait l’autre, laissez-le, et si vous aimez le rap pointu, intransigeant, défendez-le. L’album est d’une sombritude rarement atteinte et aurait pu s’appeler Négritude pour le côté noir et fier. Les featurings apportent un vrai plus, rarement ils n’auront été aussi cohérents sur une tracklist et Flem à la prod aura planté une ambiance obscure avec ses instrus minimalistes. L’intro de l’album est épique à souhait, sans refrain, les basses ne laissent pas indemnes et Freeze déroule, dérouille, dédouble ses rimes et aucun des doutes qu’on pouvait avoir ne résistent. Nous nous demandions suite à la sortie du morceau « Desiigner » en juillet dernier si Freeze n’allait pas nous lasser, s’il allait nous surprendre en sortant de sa zone de confort, et il a été surprenant en ne faisant que du Freeze Corleone, en reproduisant sa formule, tout en réussissant à être captivant. S/o au rap français qui peut être fier d’avoir enfanté un tel monstre. – Chafik

Le 9 septembre 2020 : Ormaz – Noir (Freestyle 2) (Prod. Zel)

Des mois et des mois qu’on piste le moindre signe d’Ormaz. La dernière fois c’était en avril avec l’excellent morceau « Dans l’viseur », second épisode de sa série de freestyles… Et après avoir patienté tout un été, le meilleur kicker du Panama Bende (avec Lesram et en toute objectivité bien entendu) revient au fourneau avec son troisième freestyle de l’année. Sur une prod’ incroyable de Zel -un type beat plus exactement- et avec quelques cordes de gratte en plus signées Nachos, Ormaz découpe, flegmatique et efficace comme toujours. Le bonhomme mûrit et ça s’entend de plus en plus ; les lyrics sont plus profonds, les thématiques plus adultes, c’est carrément plus morose mais c’est pas pour nous déplaire, loin de là. Allez, on attend la mixtape et / ou l’EP.  « Avant c’était facile, j’veux r’tourner dans mon enfance / Quand tous les potes étaient pratiques et qu’les peines de cœur duraient le temps d’une danse. » – Clément

Le 11 septembre : Ichon – 911

Il n’est pas aisé de choisir un unique morceau dans Pour de vrai, le nouvel album de Ichon, tant les titres s’y emboîtent les uns avec les autres. « 911 » a l’avantage de parfaitement nous faire entrer dans l’ambiance du disque grâce à ses synthés planants et à son alternance entre passages rappés et chantés. Une construction faite de manière très naturelle, Ichon apparaît d’ailleurs aussi à l’aise dans les deux exercices. Les enchaînements d’image qui peuplent le morceau participent à créer une ambiance positive, malgré les zones d’ombre évoquées, et donnent surtout envie d’aller de l’avant. Un vrai morceau de motivation donc, sur un album où Ichon accepte finalement de saisir la place de pop star qui l’attendait. – Jérémy

Le 24 septembre : Bekar – Briques rouges (Prod. Lucci)

En moins de deux ans, Bekar a réussi à se faire un nom sur la scène nationale. Accompagné depuis ses débuts par Lucci, l’un des plus talentueux beatmakers de la nouvelle génération, son premier album Boreal sorti en 2019 laissait entrevoir un fort potentiel. Le confinement aura au moins eu le mérite de permettre aux membres du North Face Records de préparer Briques Rouges, un nouvel opus qui vient confirmer nos attentes. La choix des productions, les thèmes et l’interprétation de Bekar qui maîtrise autant les morceaux rappés que les mélodies aériennes, font que ce disque estampillé Panenka Music marquera sans doute cette année 2020. Nous avons décidé de mettre en lumière le morceau éponyme de l’album. Dans celui-ci, l’artiste déclare sa flamme à la ville qui l’a vu grandir, Roubaix et ses briques rouges, héritage des anciennes friches textiles. – Jordi

Le 28 septembre : Népal – Cheddar (Prod. Willy Hog)

En début de mois sortait le clip de « Sundance », un des meilleurs titres du, hélas dernier, opus de Népal. Une mise en image élégante, mettant en scène son ami de toujours Nekfeu, qui serait passé à coté du succès qu’on lui connaît. « Lent et gris comme un film de Sundance » pour reprendre les mots de la 75e session. Vingt-quatre jours plus tard et sans crier gare, voilà qu’on annonce un EP cinq titres, intitulé Dans le fond. Un dernier éclat, une dernière trace, une dernière scène, une dernière poignée de mots et de pensées, un dernier cadeau de Grandmaster Splinter. Un morceau dévoilé tous les soirs pendant cinq jours, histoire de savourer le plus longtemps possible.
« Cheddar » nous rappelle avec beaucoup d’émotion les incroyables medley de ses débuts, avec quelques accords de guitare en guise de sample, un beat tout simple qui vient tomber tranquillement, comme le doux bruit d’une pluie qui pleure. Et puis la plume de Népal ; viscérale, timide et polissonne. Une limonade qu’on ne connaît que trop bien et qui nous manquera quoiqu’il advienne. – Clément

Le 7 septembre – L’été parisien – Nasme (Prod. Ayastan)

Petite dose de chillance totale lâchée au milieu d’un petit chapelet d’inédits, rien de tel pour faire durer les caressants rayons du soleil sur notre belle capitale en cette rentrée un brin morose et quelque peu tendue. La prod d’Ayastan, toute en ondulations, envoie d’agréables relents d’apéro dans les squares, de levée de verres sur les balcons, de grillades dans les cours et le flow du Parisien s’y promène mains dans les poches pour nous offrir ici une jolie balade intramuros. Observateur amoureux de sa ville un peu vidée de ses habitants et des touristes partis bronzer sous d’autres cieux, il nous fait tranquillement voguer sur des images apaisantes et familières, où même les rondes des bleus font partie d’un décor aimé car immuable. En ces temps de bouleversement continu de tous nos repères, on accueille avec plaisir un refrain qui chante que cette saison revient et reviendra encore et encore, traînant dans ses chaleureuses effluves toute ce qu’on aime retrouver. Je ne sais pas comment a été le tien, mais tu peux toujours te mettre bien, Nasme fait durer l’été parisien. – Sarah

Le 17 septembre : Muge Knight – Mugeland (Prod. Just Music Beats)

A côté des stars en bande organisée, des vieilles gloires et de la nouvelle scène marseillaise, Muge Knight est à part. Ni super-héros, ni beautiful loser, plutôt affreux, sale et méchant, le Muge propose un rap qui ne ressemble à rien d’autre que lui. Celui qui a élevé le farniente au rang d’art de vivre, qui a connu les clasicos avec Mozer, n’a que faire des tendances, des multisyllabiques, de l’autotune. Plutôt que de régner sur la cité phocéenne, il préfère être respecté dans son quartier d’Endoume, manger cinq fois par jour et rapper de temps en temps, comme sur ce titre produit par Just Music Beats et dont les scratches sont réalisés par DJ Djel. Il semblerait d’ailleurs que le bougre se soit sorti les doigts pour un nouvel album qui nous invite dans son monde, à Mugeland. Restez connectés, on devrait vous reparler prochainement du MC en peignoir. – Chafik

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