20 Bons Sons en mars 2020

Comme chaque début de mois, l’heure est au bilan du précédent autour de dix morceaux de rap français qui ont retenu notre attention. Ou plutôt vingt cette fois-ci, d’abord parce que le mois a été riche, ensuite parce que, confinement oblige, nous avons eu le temps d’aller chercher plus de morceaux de qualité, et que nos lecteurs sont eux aussi certainement plus disponibles pour découvrir cette double sélection.

Le 2 mars : VII – Aquarelle (Prod. Euphonik & DJ Monark)

Un nouvel album appelé « Dernière musique obscure de la nuit peinte » en ce mois de mars. Entre livres et albums, VII ne s’arrête plus d’écrire. Mais sa frénésie artistique a ceci de belle qu’elle se nourrit des malheurs du monde, et cette source d’inspiration ne semble pas vouloir se tarir. Alors VII a décidé d’ajouter un peu de lumière dans l’obscurité de sa discographie, par petites touches, comme une sombre peinture qui laisserait entrevoir par endroits de la clarté. « Aquarelle » est un titre teinté d’espoir, lumineux, dans un album qui ne l’est pas moins. En bonne compagnie avec Euphonik et Monark, VII est assurément à part dans le paysage du rap français. Pourvu qu’il ne s’arrête pas de suite : il y a tant de choses sombres à mettre en lumière ! – Costa

Le 4 mars : Kyubee – Banlieusard (Prod. TonyToxik)

Si Le Flair est un jeune label, il contient en son sein deux artistes qui ont déjà de la bouteille dans le rap : le beatmaker Kyo Itachi (présent dans nos colonnes depuis les débuts du site en 2012) et le rappeur lyonnais Kyubee, new comer aux yeux du public non-averti, mais dont les prestations transpirent l’expérience microphonique, une certaine défiance pour le milieu, et la gamberge d’un trentenaire. Il a sorti le mois dernier un EP sobrement intitulé RED, dont est issu le morceau “Banlieusard”, qui permettra à ceux qui ne le connaissent pas de finir les présentations, et de comprendre sa mentale. “Donc quand j’vois ces bobos parler comme nous à l’ancienne, j’ai des envies de meurtre et d’armes qui disent coucou à l’entrée.” – Olivier

Le 5 mars : Ausgang – Crapule

« Anomalie du 93 avec une gueule caribéenne », « noire dans un monde blanc », Casey n’est ni homme ni femme, mi-homme mi-femme et son positionnement dans le rap est tout aussi insondable. A l’écart du game, elle l’est aussi quand elle s’aventure dans le rock avec le collectif Ausgang, composé de Sonny Troupé, de Manusound et Marc Sens pour la production musicale. Dans l’album Gangrène, Casey privilégie la forme au fond, même si elle ne perd pas ses qualités d’écriture. Juste, les allitérations et assonances, dans lesquelles elle est spécialiste, laissent place à une interprétation plus viscérale, plus libératrice. Elle vient rappeler que le rock, ce sont des Noirs qui l’ont créé (comme aurait dit Tiers Monde de Bouchées Doubles), elle continue de cracher sa dégoût contre les élites, refuse la bienpensance, ose appeler à l’aide aussi. Mais qui dit que Casey manque d’humour ? Elle est redoutable quand il s’agit de faire dans le cynisme, le politiquement incorrect. Dans « Crapule », elle nous montre à quel point elle est mauvaise et fière de l’être, en rappelant qu’elle « égorge n’importe qui pour 600 balles » qu’elle n’est pas « un bon plan », que « l’occasion de t’enculer elle n’attend qu’elle », qu’elle ne met « que des kicks par derrière dans la bagarre ». Que d’la haine. – Chafik

Le 6 mars : Coelho – YEYO (Prod. Be Dar)

En octobre 2018, nous vous invitions déjà à découvrir le morceau « Santa Maria » de Coelho dans notre sélection mensuelle. C’est donc avec  impatience que nous attendions la sortie d’Odyssée, troisième projet du Nantais paru ce mois-ci. Dans le morceau « YEYO », celui-ci nous emmène dans le quotidien précaire des coursiers qui déambulent  chaque jour dans les rues de nos villes. Entre constat amer et ambition, le jeune rappeur fait preuve de justesse afin de nous livrer un titre mélodieux au refrain accrocheur. Mention spéciale pour le clip d’Ulysse Dikoumé A dans lequel se mêlent images de caméra embarquée et de drone, rendant ainsi la « ride » aux côtés de Coelho plus enivrante. – Jordi

Le 6 mars : Zippo – Charbon blanc (Prod. Greenfinch)

Avec “Charbon blanc”, le beatmaker Greenfinch rajoute une grande plume du rap indépendant à une liste de collaborations déjà bien fournie : Zippo. Deux ans après son album Zippo contre les robots, force est de constater à travers ce nouveau morceau que, chez le rappeur niçois, la volonté de faire face aux maux de notre époque s’est muée en une sorte de fatalisme fortement teintée de désillusion, exacerbée par l’instrumentale mélancolique à souhait. La mélodie de la prod, les images employées et les qualités d’écriture de l’ex-membre du Pakkt contre-balancent le nihilisme et la désolation contenus dans le propos, faisant de ce morceau un tournant (ou une parenthèse ?) réussi dans le cheminement du MC. – Olivier

Le 7 mars : Ninho – Intro (Prod. Off Perfect)

Destin, le tant attendu deuxième album de Ninho paru l’an dernier, a confirmé son statut de champion du streaming et de tête d’affiche du rap français. Cependant, à mon humble avis, il n’a pas véritablement surpris son auditoire, se montrant linéaire, voire redondant dans ses mélodies, sans offrir de véritable plus-value par rapport aux précédentes livraisons. Si M.I.LS. 3 contient certes son lot de zumbas un peu répétitives, le premier tiers du projet montre un Ninho enervé, qui rappelle, de par son énergie et son art d’enchaîner les assonances, pourquoi il reste une influence majeure chez la jeune génération. Dans ce registre, l’intro casse des bouches, et ouvre de la meilleure des manières ce “cinquième CD mon pote”. – Olivier

Le 13 mars – Shaka – Headshot

Voici la découverte de ce mois de mars. Membre du duo Nitrophonie et originaire (apparemment) du Sud Ouest, Shaka est un rappeur actif depuis 2012, notamment avec son acolyte Dibi. International suisse et joueur d’Arsenal, Shaka aurait aimé être le milieu de terrain récupérateur dont tous gunners rêvaient. D‘origine indienne, il est le Chevalier de la constellation de la Vierge et gardien de la sixième maison du Zodiaque…  Outre ces multiples talents, qui vous l’aurez compris ne sont pas les siens mais seulement une faiblesse d’écriture aux références capillotractées de votre bon serviteur, le rappeur mais aussi beatmaker a délivré le 14 mars un EP 6 titres intitulé “Headshot”. Le morceau éponyme est d’ailleurs le meilleur du projet, de son instru un peu grime / un peu drill jusqu’aux punchlines sur-efficaces et millimétrées du MC. Une belle découverte et un rappeur qu’on va tâcher de suivre avec plus d’attention. – Clément

Le 13 mars : Dah Conectah – Témoin d’une époque (Prod. Sukia)

Direction l’Alsace, plus précisément Strasbourg. Membre du label 3rd Lab et du collectif Streetorama, Dah Conectah roule sa bosse depuis belle lurette et est un habitué de nos colonnes depuis quelques années déjà. Sur une prod des plus mystiques et mystérieuses signée par le tout aussi mystique et mystérieux Sukia (probablement un énième « Meiselocker »), Dah Co’ rappe comme il a toujours su faire ; mêlant la forme et le fond avec son flow atypique et ses phases riches en images. Un morceau introspectif et efficace. – Clément

Le 15 mars 2020 : Seyté – Une chanson (Prod. KilloDream)

Petit à petit, le Belge Seyté s’éloigne progressivement du sempiternel duo piano/violon pour se consacrer grandement aux cordes. Du boom-bap toujours, mais avec de la guitare sèche au milieu de tout ça. Une sorte de mutation entre Francis Cabrel et Georges Brassens, à la sauce rap et à la façon de BX, bien évidement. Un an après son dernier projet La vie est belle, le MC de cette bonne vieille Smala revient donc à l’orée du printemps pour nous annoncer un nouvel EP, un nouveau 9 titres intitulé Libre et prévu pour le 3 avril. Seyté en profite même pour nous dévoiler d’emblée trois extraits, tous mis en images. Nous avons donc choisi notre morceau préféré; “Une Chanson”, avec sa prod flûte-violon-guitare confectionnée par KilloDream et ses multiples références aux monstres sacrés de la chanson française. A croire que l’ami Colin est né un peu trop tard… – Clément

Le 15 mars : I.N.C.H. & Lofty – Sour mash

C’est une balade bien sombre que proposent I.N.C.H. & Lofty ce mois-ci. Juste avant le confinement obligatoire, les deux potos parisiens ont cherché et concocté la formule pour créer une satanée potion au parfum QB et nous la livrer en direct du 20ème arrondissement. Un beat de Lofty spectaculaire, à souligner car on a plutôt l’habitude d’entendre des pépites d’I.N.C.H. sur sa propre chaine Youtube. Ne pas hésiter à s’injecter ce « sour mash » matin-midi-soir, ça pourrait aider à développer des anticorps très utiles par ces temps. Attention tout de même à l’abus. – Antoine

Le 19 mars : Just Music Beat feat. Veerus – Royautés

Le duo Just Music Beats est particulièrement présent ce 1e trimestre 2020. Après réalisé l’excellent projet de Perso sorti en janvier et avoir produit le morceau « Sous mes Timbz » d’Ockney, les revoilà aux manettes avec en guest Veerus. On n’avait plus entendu le rappeur de Dunkerque depuis son très bon Marché Noir sorti l’an dernier. Dans cet inédit, Veerus parle de son envie d’argent, rien d’original me direz-vous. Mais c’est l’angle choisi qui l’est. L’enrichissement est vu non pas comme un aboutissement mais comme une expérience. Surtout, les qualités au mic de Veerus ne sont plus à prouver (même si ce statut de rappeur pour rappeur ne remplit pas le frigo). La technique est sûre, les multi arrivent aisément, quant aux arrangements faits sur cette prod sombre, minimaliste, ils donnent l’écrin de choix à ce morceau royal. Si « les envieux veulent la tête des couronnés », Veerus et JMB ne sont aucun des deux, juste des « experts sur la caisse claire », pour notre plus grand plaisir. – Chafik

Le 20 mars : Oxmo Puccino & DJ Duke – Rue du crime

Un an et demi après ses deux titres avec Akhenaton, DJ Duke a eu la bonne idée de produire deux inédits d’Oxmo Puccino. Et on parle du Oxmo Puccino qu’on aime, celui qui rappe et libère une prose unique. Quand Oxmo met sa voix de miel au service d’une narration prenante, on en redemande. « Rue du crime » et « Papaëlla » en réponse à Stromae sont deux nouveaux bons morceaux d’un artiste définitivement capable du meilleur comme du pire. Confinement oblige, on se contentera de l’écouter sur Youtube ou Bandcamp avant de pouvoir commander le vinyle. – Antoine

Le 20 mars : Infinit’ feat Alpha Wann – Cigarette 2 Haine (Prod. JayJay & Lamaonthebeat)

Quelques jours avant la sortie attendue de son album solo Ma vie est un film 2, Infinit’ a balancé le clip de son featuring avec Alpha Wann « Cigarette 2 Haine ». Et si on pouvait espérer une nouvelle connexion haute en couleurs de la part de ces experts de la rime, qui s’attendait à une telle déflagration ? Les deux compères tabassent cette instru folle et il est difficile de désigner l’un des deux MC’s victorieux. En moins de 3 minutes, c’est à une démonstration de rap, de flows, de placements, de punch, de violence gratuite, que l’on a droit. Le clip dynamique et son montage nerveux donne une dimension supplémentaire à ce passe-passe redoutable. On peut d’ores et déjà imaginer la foule en concert pogoter et reprendre chaque phase de ce morceau. Inf’ et Alpha en sont à une demi-douzaine de collaborations et l’envie de les entendre sur un projet commun ne fait qu’augmenter. Dès à présent, on peut être sûr qu’il s’agit là d’un des meilleurs morceaux de 2020 (le meilleur ? rendez-vous en fin d’année dans les bilans). – Chafik

Le 22 mars : REAK – Bartenders (Prod. Odweyne)

Décidément REAK et l’ami Odweyne semblent avoir trouvé la bonne recette pour envoyer des petites pépites et se faufiler à chaque sortie vers nos sélections. Avec deux sons sortis ce mois ci, le duo revient en force avec encore de belles choses à proposer aux oreilles avertis des bons mots de l’ancien Psyko. Odweyne un brin plus aventureux que d’ordinaire propose à son acolyte sur « Bartenders » une prod aux multiples facettes, riche et intéressante, qui permet à REAK de s’amuser sur différents niveaux de voix et de flow pour faire résonner ses fameuses rimes à tiroirs, et de placer un refrain bien senti qui s’imprime, et nous trotte encore dans la tête. – Sarah

Le 23 mars : Hatik feat. Medine – Baguette magique (Prod. Medeline)

Il a beaucoup été question de Hatik ce mois de mars 2020 avec la sortie de la série Validé sur Canal +, dans laquelle il a le rôle principal. Mais, musicalement, son projet Chaise pliante II est sorti le 6 mars. Le titre « Baguette magique » figure en quatorzième place sur le projet et a été réalisé en compagnie de Medine. Les deux artistes ont décidé de le mettre en vidéo et cela donne un clip propre sans rien d’extravagant. L’instrumentale de Medeline est mélodieuse, Hatik y utilise bien l’autotune et Médine pose un seize mesures comme il sait le faire. Cela suffit pour être validé ! – Costa

Le 24 mars : Hugo TSR – Périmètre (Prod. Hugo TSR)

Depuis la sortie de son album  Tant qu’on est là  en septembre 2017, Hugo était resté discret, dans l’ombre. Capuché, comme à son habitude. C’est donc sans annonce préalable et sans crier gare que le membre du TSR a publié en cette fin de mois un nouveau titre intitulé « Périmètre ». Comme souvent, il y narre à son public le décor offert par son 18ème arrondissement. Les images ternes s’enchainent à un rythme effréné. Elles évoquent le bitume, la débrouille, les sessions vandales, la rue. Sans strass ni paillettes. Sans filtre et avec le flow tranchant qui le caractérise. Couronné de son premier disque d’or en indépendant l’été dernier, Hugo referait-il surface dans le but de nous annoncer la sortie imminente d’un nouveau projet ? On l’espère de tout cœur. – Jordi

Le 24 mars : Lacraps x Aketo – Confinement #3 (Prod. Greenfinch)

En cette période de confinement, nombreux sont les artistes qui multiplient les live en direct sur les réseaux sociaux. D’autres profitent du temps qui leur est  accordé pour écrire, enregistrer et clipper des séries de freestyles dans des conditions un peu particulières. En véritable rappeur stakhanoviste, Lacraps fait évidemment partie de ceux-là. Après un épisode #2 de haute volée, le Montpelliérain a convié le 24 mars un poids lourd du rap français en la personne d’Aketo. Sur une production sombre du beatmaker Greenfinch, les deux rappeurs dressent un bilan de leurs années passées, faisant preuve de sincérité, spleen et noirceur. Comme bien souvent en temps de crise, la créativité des artistes semble décuplée. Voilà au moins un point positif susceptible de chasser, bien qu’épisodiquement, la morosité ambiante de notre quotidien. – Jordi

Le 26 mars : Toan – Madre Mediterranea (Prod. Vincha)

Un mois riche en émotion que ce mois de mars 2020 qui a vu nos vies bousculer. Tant de raisons d’avoir le cœur retourné et aux confins de nos chaumières, c’est Toan qui assène le coup de grâce à nos sensibilités à fleur de peau. Doux, poétique, mélancolique et sincère, son « Madre Mediterranea » remue plus que cette mer sans vagues, si chère à notre histoire – et à la sienne. Prod aux petits oignons de Vincha avec chœur pour la profondeur et piano pour surélever la boucle et on découvre le très beau morceau introductif d’un petit projet qui vaut sincèrement le détour. – Sarah

Le 27 mars : Kekra – Dubaï (Prod. Nabz)

Peut-on écouter du rap uniquement pour l’ambiance ? A en croire le succès de nombreux artistes, la quasi-totalité des auditeurs de rap répondrait « oui » sans hésiter à cette question. Pourtant, ma conscience me rappelle toujours qu’il y a là quelque chose de malsain, et généralement, à la première absurdité proférée par l’artiste, j’interromps l’écoute. Et puis, des fois, je succombe… Freebase vol.4 de Kekra a quelque chose d’envoûtant,  « Dubaï » a quelque chose de fascinant, et Kekra est très fort ! Tant pis pour ma conscience, je profiterai de l’ambiance. – Costa

Le 27 mars : Dixon – Abracadabra (Prod. Hits Alive)

C’est un retour aussi surprenant que kiffant. Dixon? NON ! Pas la nouvelle star de la pop urbaine produite par Booba. Son contraire. Dixon, l’une des plumes les plus chatouillantes des années 2000/2010, une verve qui nous a habitué à de la rareté et de l’excellence. Un album décevant en 2011, puis quelques grosses bastos tirées ici et là au détour du web à qui voudra bien se les prendre en pleine tête. Une réapparition en bonne et due forme : pluie de (vraies) punchlines et beat totalement soyeux de Hits Alive. Et surtout une description Youtube réjouissante « projet à venir Symptôme Volume 2 » ! On sera là, faites de même. – Antoine

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