Le dernier hommage du hip-hop français à Lionel D

Il y a une semaine, jeudi 12 mars 2020, par un beau soleil quasi-printanier, le nouveau cimetière de Vitry s’est rempli d’une foule de 200 à 300 personnes, anonymes et célébrités ostensiblement hip-hop. Un tee-shirt Scred Connexion ici, une veste ZULU Nation là, ou encore un béret Kangol au milieu de la foule : c’est bien le hip-hop français qui s’était donné rendez-vous pour honorer la mémoire de Lionel D, décédé d’un infarctus à 58 ans le 26 février dernier. Une disparition à l’image de sa fuite vers l’Angleterre, sourde et dans un anonymat injuste, qui a révolté ses proches. Avec l’aide d’artistes, d’anonymes et de passionnés via les réseaux sociaux, ils sont parvenus à solliciter les autorités parmi lesquelles le ministre de la Culture Franck Riester, qui a aidé à la prise en charge pour le rapatriement du corps. Cet article rend hommage à Lionel D et grave sur la Toile quelques paroles prononcées ce jour.

On ne pensait pas que le rap français durerait autant d’une part, et d’autre part que sa carrière serait aussi éphémère…” introduit ainsi la cérémonie le légendaire Dee Nasty. Son ami, son poto de toujours, Lionel D, arrive à sa dernière demeure et va lui manquer à tout jamais. “Lionel ne s’est pas vraiment remis du fait que d’autres générations arrivent et ne reconnaissent pas l’importance qu’il avait pu avoir. A mes yeux et aux yeux de gens qui connaissent un peu l’histoire du hip-hop en France, Lionel D est quand même le premier rappeur en France à rapper en français véritablement, à faire de la poésie et à éviter dans ses textes tous gros mots, c’est-à-dire ça reste du rap de rue, poétique, mais il y a aucune vulgarité. Lionel mettait un point d’honneur à ce que ça reste comme ça et c’est pour ça que ses textes étaient considérés comme trop gentils, trop bon enfant. Lionel est parti brutalement, j’étais le premier à le savoir et j’ai réussi grâce à vous tous à alerter les autorités, tous les gens qui ont pu faire qu’à la finale son corps soit rapatrié et qu’il soit enterré ici dignement. C’est formidable, je suis très ému, je pense que ça s’entend” a-t-il conclut d’une voix chevrotante avant les applaudissements de la foule. 

S’en suit Doudou Masta, beaucoup plus bref, qui parle lui “d’un grand-frère”, de “quelqu’un qui l’a poussé à être ce qu’il est aujourd’hui”. “Je suis ému, je ne sais pas vraiment quoi dire… Merci d’être là. Pour lui !” lâche-t-il de son inimitable voix grave avant que EJM vienne raconter quelques anecdotes : “Il avait toujours cette petite phrase “Bah, y’a pas de problème”… Là, j’ai vu, y’a pas de problème, vous êtes tous là pour lui. On continuera à faire ce qu’on a à faire, et j’espère qu’on se verra dans des moments un peu moins dramatiques que ça. Ce que je voulais dire en tant que vitriot, c’est que c’était un mec super humain Lionel, il parlait avec tout le monde, il était vraiment cool. Sur tous les sourires que je vois là, des gens qui l’ont connus… Eh, merci frérot tu nous as encore réunis ! J’espère que maintenant, certains, ils comprendront. Il ne faut pas qu’on attende d’être dans des situations bizarres pour se retrouver. Je suis content, voilà, il est chez lui maintenant, merci à tous !”

“Merci à toutes celles et ceux qui sont venues, c’est notre ancien, c’est la légende. C’est grâce à lui, c’est lui qui nous a donné envie. Voilà, c’était Lionel Messi, CR7 de l’époque !” Mokobé

Entrecoupées d’extraits sonores de sa discographie, joués à fort volume au milieu des tombes placides, les prises de parole d’anonymes et célébrités présentes se sont enchaînées assez naturellement. On aurait presque pu ressentir l’énergie des premières block parties du terrain vague de Stalingrad auxquelles Lionel participait souvent. Mokobé, l’une des figures les plus médiatisées de Vitry sur les deux dernières décennies, a tenu à être présent, et à détendre un peu l’atmosphère avec ses mots : “Moi je disais à tout le monde qu’il était malien parce que j’étais fier de lui” a-t-il lâché en rappelant que tout le monde s’interrogeait sur les origines de Lionel D. “On était fiers de savoir que Lionel D a pu donner de la visibilité à toute une génération. A chaque fois qu’on le croisait, il était toujours gentil, toujours souriant, avec plein de conseils. Moi, je me rappelle, j’ai plein de bons souvenirs où je restais avec lui et aujourd’hui il est là, il est parmi nous. Je parle mais il n’y a pas que moi, il faut savoir que mes compères Rim’K et AP, tout le monde est derrière Lionel D. Merci à toutes celles et ceux qui sont venues, c’est notre ancien, c’est la légende. C’est grâce à lui, c’est lui qui nous a donné envie. Voilà, c’était Lionel Messi, CR7 de l’époque !”

Jean-Claude Kennedy, actuel maire de Vitry, franchement touché, a tenu à dire ces paroles : “Maintenant, ce qu’on doit lui rendre, c’est tout l’amour qu’il nous a laissé, toutes la joie qu’il nous a laissée, tous les liens d’amitié qu’il a permis de tisser entre vous, parce que oui, il n’avait pas d’ennemis dans la musique. Il aimait la musique, et il aimait ceux qui faisaient de la musique. C’était un grand bonhomme. Je suis là parce que c’est un enfant de Vitry.” MC Solaar a tenu un mini-discours très rapide avant que Sulee B Wax, terriblement marqué, prononce son hommage : “C’est assez difficile de parler de Lionel comme ça, en tout cas pour moi. Euh… Ben déjà je suis heureux qu’il y ait autant de monde ! Et heu… bon… Lionel, pour moi, c’est le gars qui… le gars qui m’a mis le pied à l’étrier. Un jour Lionel m’a dit “Tu devrais prendre ça au sérieux. Tu devrais écrire tes textes parce que tu as un talent.” Et je l’ai fait. Et ça a donné Les Little. Merci Lionel !” Puis c’est Olivier Cachin, journaliste rap vedette des années 90, qui s’est exprimé, là encore non sans émotion : “Cette musique a eu un avenir. C’était une carotte qu’on nous jetait pour l’été, ça devait durer 10 émissions. Au début, on n’avait même pas le droit de tourner, on pouvait juste passer des clips. Autant vous dire qu’en clip français, il y en avait quasiment.. il n’y en avait pas ! Donc on passait des américains. Quand on a eu l’autorisation pour aller tourner, pour les quotas des français, le tout premier clip qu’on a tourné c’était pendant l’été 90 et c’était Lionel D “Pour toi le beur”. C’est un morceau qui est super important parce que d’abord pour la première fois, grâce à Dee Nasty, on entendait des sonorités arabes dans le rap français, c’était un sample de Fairuz, fabuleuse chanteuse libanaise, le morceau était superbe. On a tourné ça en haut d’un toit je sais plus de quel immeuble dans Paris, c’était marrant d’ailleurs parce que moi j’avais un peu le vertige et Lionel m’a tenu la main et m’a dit “Ne t’inquiète pas, c’est bon”. Il y avait aussi quelques danseurs, quelques danseuses, Xavier De Nauw était là-aussi, celui qui a fait la fameuse photo de Lionel”.

Si le terme hip-hop, sa culture, ses valeurs et principes sont, en 2020, plus un souvenir qu’un langage commun, Lionel D a permis de rassembler ce jour-là des dizaines d’humains pour qui le sens de ces six lettres est encore fort. Très peu de jeunes présents à cet enterrement, c’est le triste témoignage que la musique et l’image de notre disparu n’ont pas supporté l’épreuve du temps. Il en devient d’autant plus essentiel de se mobiliser pour rafraîchir les mémoires et transmettre, ce que font pas mal d’artistes plus ou moins proches sur leurs réseaux sociaux. Des têtes connues, notons également la présence de Cut Killer, Maître Madj, Steph Freshnews, Bernard Zekri, Xavier de Nauw, Magyd Cherfi (Zebda), Cyanure (ATK), Jaeyez (Afrojazz), JP Manova ou encore K-Reen. Lionel D repose désormais chez lui, avec une couronne bleue-blanc-rouge sur son cercueil et incarne à jamais l’esprit rap français.

Le maire de Vitry en a profité pour lancer une promesse à la foule : l’organisation, l’été prochain d’un “grand spectacle avec tous ceux qui auront envie d’en être”… Si la situation sanitaire en France le permet d’ici-là. Et Dee Nasty de révéler alors le secret en cours, l’enregistrement d’un nouveau projet de Lionel D qu’il produisait depuis quelques mois et dont la sortie était prévue pour novembre 2020. Quelques mesures du titre en réponse à la rumeur de sa mort en 2010 nous auront donné la chair de poule et scellé l’espoir définitif que la musique, rap, musique qu’on aime, nous survivra éternellement…

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