Filigrann (Word Up), l’interview « 10 Bons Battles »

Filigrann n’est pas le Dony S québécois, il serait peut-être plus juste de dire que Dony S est le Filigrann français. Le berceau du battle rap francophone se trouve bel et bien à Montréal, au Québec, là où a été créé le Word Up. Nous avons donc voulu rencontrer l’instigateur de ce mouvement afin de retracer l’histoire du Word Up en 10 bons battles. Rendez-vous pris avec Fili’ qui prévient : « J’ai aucune mémoire, je ne sais pas si je vais pouvoir me rappeler de choses intéressantes… ». Et on était inquiet qu’il ne chocke pendant l’interview. Pourtant deux heures durant, nous avons évoqué ses premiers pas dans le rap, L’Ecole du Micro d’Argent, le joual, les débuts du Wu, le développement du battle rap, les relations avec le RC, les juges, L’Entourage, Freddy Gruesum, Wojtek, les rematchs… « Fou battles going down ! »

Comment un québécois tombe dans le rap dans les nineties ? Via les rap US ? Français ?

Moi c’est définitivement avec le rap français ! C’est le rap français qui a un peu détruit la barrière que j’avais entre moi et le hip-hop. J’ai été initié par ma marraine au tout début de l’adolescence, mais ce n’est pas des trucs qui me faisaient vibrer, j’écoutais Kriss Kross, Fresh Prince, des affaires qu’elle, elle aimait. Plus tard, dans l’adolescence, j’étais plus dans le punk-rock, le skate, NOFX, tout ça… Et puis quand je suis tombé sur IAM, ça a été comme une épiphanie… Je faisais partie des skateurs punk qui trouvaient que le hip-hop c’était tous les clichés qu’on lui reproche sauf que j’ai découvert IAM et j’ai trouvé ça super intelligent.

T’as découvert IAM avec Ombre est Lumière ou L’Ecole du Micro d’Argent ?

Ombre est Lumière on ne sait pas ce que c’est au Québec. Je dis ça sous forme de blague mais pour nous IAM c’est L’Ecole du Micro d’Argent. On l’a tous écouté, on a tous aimé ce truc très conceptuel, j’aimais beaucoup le son des beats, les samplings, les drums, je trouvais ça fou, mais surtout les textes m’ont fait flipper ! Après « Demain c’est loin », je n’ai plus jamais été le même. (sourires)

Comme nous tous…

J’écrivais des textes déjà et puis de voir la profondeur, la longueur du morceau, c’était une claque dans face ! Et après ça m’a fait découvrir tout le catalogue marseillais. On était très Chroniques de Mars, le premier de la Fonky… Ça a pris du temps pour que je me mette aux trucs de Paris, comme les 2 Bal, etc. Je ne suis jamais rentré dans le Secteur Ä… Bref, j’étais beaucoup beaucoup dans le rap français et peu de temps après, je me suis pris les gros classiques du rap américain, mais j’étais déjà en retard de plusieurs années. Je découvrais les M.O.P., Smiff et Wessun, Mobb Deep, Wu Tang…

Je suis resté très accroché au rap français, mais quand il est devenu…. (il réfléchit) Quand il s’est, j’oserais dire, américanisé, j’ai décroché. C’est paradoxal parce que j’aimais beaucoup le rap français inspiré des Etats-Unis, mais je n’ai pas aimé quand le rap français s’est américanisé à la sauce 2000, quand ils ont arrêté de faire des échantillons, qu’ils se sont mis à faire beaucoup de compos… Le MCing français est resté fort mais pas le beatmaking. Et puis j’en avais tant à découvrir dans le rap américain ! Boot Camp Click, Sean Price…

Et comment tu t’es mis à rapper ? En quelle langue d’ailleurs ? Français, anglais, franglais ?

Je m’y suis mis à la fin du collège, à une époque où ce n’était pas très populaire d’écouter et de faire du rap. J’écoutais du rap français, du rap américain, et j’ai commencé à écrire en anglais, mais j’écrivais aussi en français. Le franglais n’était pas populaire à cette époque. Et très rapidement, il est devenu évident que je trainais la patte pour l’anglais, ça ne venait pas facilement, je n’étais pas bon ! (rires) Je me suis mis à écouter des trucs locaux, des artistes comme Sans Pression, K6MNOP, qui portaient fièrement l’étendard du joual (le français québécois). Pendant longtemps, les rappeurs du Québec se sont inspirés des rappeurs français même au niveau de l’accent. Quand t’aimes Shurik’n, t’as envie de rapper comme Shurik’n ! On utilisait aussi beaucoup de verlan, qui n’est pas quelque chose de naturel chez nous, si ce n’est un peu chez les Maghrébins d’ici. Donc il y avait beaucoup de mimétisme dans notre façon de rapper.

Et puis, avec le joual, c’est comme si c’était devenu une fierté de rapper comme je parlais. « Je parle comme je rappe, je rappe comme je parle », c’était un truc qui pour moi était important. Au bout d’un moment, on a arrêté de faire semblant d’être français. J’utilisais mes expressions, mon accent. Parce que ceux qui rappent avec un faux accent français, c’est wake. Montréal s’est mis au joual plus tôt qu’à Québec. (NDLR : la ville)

Abordons à présent le début de  l’aventure Word Up.

Un de mes amis, il me semble que c’est Monk.E, m’a montré un battle de la ligue qui s’appelait Grind Time. J’étais déjà dans le battle rap, j’écoutais les « Dégaine ton style » de Sinik à fond, en MP3, je les avais tous au complet, avec Marshall’Ombre, Kizito, Grodash… J’écoutais aussi les Screwball Jams, aux Etats-Unis, qui étaient un peu plus dans le format 8 Mile, sur beats. Et donc il m’a montré ce que faisait Grind Time. Au début je trouvais ça moyen, le fait qu’il n’y ait pas d’instrus, ça me laissait perplexe mais je trouvais ça fou ! Et il y avait des vidéos, plein et je suis tombé dedans à fond ! J’en regardais tous les jours…

Naturellement est venue l’idée que ça serait fou que nos amis, les gens que je connais, que j’aime, les rappeurs d’ici, fassent ça. J’ai commencé à en parler à un groupe de personnes qui me disait « si tu le fais, on y va ». Tout le monde était down de le faire. J’ai commencé à élargir mon cercle immédiat et tout le monde était partant. J’ai trouvé quelqu’un qui avait une caméra. Quand ça s’est concrétisé, j’ai contacté Zef, qui a été mon partenaire pendant presque 10 ans. Parce que Zef est un génie de tout ce qui est technique, internet, caméra, donc il est venu un peu superviser tout ça. On a commencé dans une boutique, le Sino Shop.

Attaquons le premier battle de la première édition, celui que tu fais contre Vulguerre. Quels souvenirs tu en gardes ?

Le souvenir que j’ai c’est que c’était tiré au hasard. Et j’étais un petit peu intimidé parce que Vulguerre c’était un des vétérans de cette carte-là. Il n’était pas ultra connu des jeunes mais ceux qui connaissaient le hip-hop québécois, connaissaient Vulguerre. C’était un pilier.

J’avais fait un call out, le premier d’ailleurs, c’est-à-dire une vidéo où je talk shit avec de l’argent, avant l’évènement, pour lui dire : « je suis sûr que je vais te battre et je vais même mettre 100 balles sur ce battle ». Puis il a répondu avec son ami L’Xtrmst.Zen et ils n’avaient pas l’air contents dans leur vidéo… (sourire) Ils n’avaient pas l’air de trouver le truc aussi drôle que moi… Si je m’en rappelle bien, il avait sorti un rasoir en disant : « si je gagne, je vais te raser les cheveux… » J’avais appelé Zef en lui disant : « j’espère qu’il n’est pas fâché, je faisais ça pour le fun, j’ai peut-être été maladroit ». Donc avant le battle, je ne savais dans quel bail il était.

Et en arrivant c’était chill ! C’était un bon battle. De mes 3 battles faits en vidéo, a cappella, c’était sûrement celui où j’étais le plus en mode blague, pas de real talk, je ne cherchais pas à faire mal, ce n’était pas vicieux comme contre SB. Ça avait bien marché, le monde riait à mes blagues, donc j’étais super content. J’ai gagné le battle mais je n’ai pas eu le vote de Dramatik. Dramatik est de la même génération, de la même école que Vulguerre, c’était un peu un vote solidaire. Mais pour moi, Dramatik une légende et ça m’a toujours brisé le cœur de ne pas avoir eu son vote… (sourire) Avec Vulguerre, on est resté en super bons termes, il a été juge au Word Up suivant, il est revenu battle, je crois à la 5ème édition…

Quand j’ai découvert ce battle, j’avais été surpris par cet argent misé pour le vainqueur. Il s’agissait du cachet que vous pariez ?

A cette époque, il n’y avait pas de rémunération, parce qu’il n’y avait pas de billets vendus non plus. Au Word Up, c’était sur invitation. Donc on pouvait parier avec notre argent, pour dire : « je suis tellement sûr de te battre que je mise 100 pièces ! ». C’est resté fort dans la conscience collective mais il n’y a pas eu tant de battles avec de l’argent sur la table. Peut-être une dizaine de clashs au plus.

Sur le battle Filigrann VS Eff Gee

J’ai écrit ce battle comme si j’allais en territoire ennemi, c’est pour ça que d’emblée j’ai dit : « je m’en tabernacle que t’aies l’avantage du territoire ». Eff Gee commence très bien puis ça s’effrite à la fin de son premier round et sachant ce que j’allais balancer, ça m’a mis en confiance, je me suis dit « il est pas prêt pour la suite… ». Je suis arrivé en lion et ça a dû le troubler davantage. Ce qui est dommage parce que Eff Gee est un très bon rappeur, ultra technique, qui comprend la mécanique, les placements… J’avais fait une vanne durant le battle en disant qu’il rappait comme Ill et Hifi, mais en y repensant c’était un compliment ! A la fin du battle, j’aborde les différences, en disant que ce n’est pas parce que je suis un étranger qu’il faut me traiter en étranger, qu’on est tous des frères et sœurs en fait. J’avais déjà beaucoup de respect pour lui et après aussi. Tu sais certains, quand ça se passe pas comme ils l’auraient voulu deviennent amers, lui est resté super cool. Les gars étaient super chaleureux, un lien avait été créé entre le Word Up et le Rap Contenders, avec des gens que je ne connaissais pas, qui m’ont accueilli comme si j’étais un des leurs, qui me refaisaient en train de faire les intros du Word Up (sourires). C’était moins hostile que je pensais mais quand avec Eff Gee on est rentré dans le cercle, tout a changé. J’étais redevenu l’étranger, seul contre tous. Guizmo est intervenu à plusieurs reprises mais c’était le jeu ! A la fin, on a discuté ensemble d’ailleurs, il n’y avait pas de probième. Guizmo qui est un sacré rappeur au passage. C’était un bon moment ce battle.

Enchaînons avec le Word Up 3, entre Obia et Suspek-T, battle qui arrive tôt ! Comme pas mal d’autres gros battles d’ailleurs.

Le Obia vs Suspek-T c’était le premier gros battle. La première fois qu’on avait un battle de titans. Tu sais je ne me rappelle pas de beaucoup de battles, surtout les anciens comme celui-là, mais lui, je me rappelle vivement du sentiment que j’avais quand il s’est terminé, parce qu’en plus il est allé en over time. Avec Zef on s’est capté dans les backstages du Sino et on se disait : « Waouw ! C’est fou, l’ampleur que ça peut prendre… ». On est passés à un niveau de qualité supérieure, les deux étaient comme des machines de guerre. On avait beaucoup de bonnes performances, mais jamais deux incroyables performances l’un contre l’autre.

Les deux avaient déjà un début de carrière dans le rap queb ?

J’ai découvert Obia parce que je trouvais que c’était un bon rappeur, il n’était pas ultra connu mais les kickeurs le connaissaient. Suspek-T était avec Casse Croûte qui faisaient beaucoup de bruit sur la rive Sud, ils vendaient énormément de CD dans la rue, etc. Donc on avait là deux bons rappeurs. Ce qu’on voit moins de nos jours, parce que le battle rap est devenu une discipline à part entière, on n’a pas que des rappeurs qui battlent. On a des personnes qui veulent battle parce qu’ils ont vu des battles rap. Et c’est une bonne chose en soi.

Aussi vrai que ce battle a permis de franchir un palier, en terme de salles, vous avez évolué depuis les premières éditions.

Les trois premières éditions ont eu lieu au Sino Shop. A la 4ème édition, ça fonctionnait vraiment bien, on pensait qu’on pouvait faire deux fois plus gros et on a fait quelque chose comme quatre / cinq fois plus gros avec le Bain Mathieu.

Je dois sauter quelques éditions pour pouvoir parler de certains battles. Au WU 6, Jam et Obia se sont affrontés.

C’est justement l’époque du Bain Mathieu, avec 500 / 600 personnes au lieu d’une centaine. Les battles ont donc une énergie différente parce que quand ça réagit, c’est énorme. Et c’est toujours un peu spécial d’avoir des gars de mon crew qui battlent. Jam c’est mon gars et il affronte une des grosses têtes. Je ne me rappelle pas du contenu, c’est trop flou, je sais juste que j’étais fier de Jam, qui venait de solidifier sa place parmi les meilleurs. Je ne me rappelle pas qui a gagné… C’est un battle qui s’écoute encore bien aujourd’hui, très intelligent, très drôle, un peu controversé. Ça montre bien comment la communauté s’est resserrée, on peut dire des choses atroces et tout le monde comprend que c’est sportif.

Il n’y a jamais eu de problèmes entre battles MC ?

C’est arrivé entre gars de différentes écoles, de milieux différents, ce n’est pas forcément le contenu des battles qui a rendu ça difficile. Le battle rap est une discipline qui contient une part de violence dans les propos et des fois ça déborde, comme dans mon call out contre Vulguerre où je me demandais si je n’avais pas été trop loin. Des fois dans la promo, il peut y avoir des trucs qui vont froisser les gens, ça dépend aussi de l’attitude des amis autour… Mais je n’ai pas d’exemple de battle qui a créé des conflits même s’il y eu des chicanes en interne qu’on a eu à gérer.

Tu suis les gars avant les battles, tu échanges avec eux ?

Ça dépend, c’est du cas par cas et ça dépend surtout d’où ils se situent dans leur expérience. Avec les MC des Auditions, je peux leur donner des conseils, mon opinion après la sortie du battle. C’est plus rare avec les MC de la grande ligue. Je pense que j’ai un devoir de réserve pour ne pas trop influencer le contenu. Mais dans le Facebook live, je peux donner mes préférences, tu vois je n’aime pas le potinage, les « ta petite copine m’a dit que… », c’est dégueulasse, je n’aime pas quand on utilise des trucs sensibles qui peuvent vraiment affecter la vie de quelqu’un. Pour moi, le but c’est de prouver sa supériorité lyrique, pas de prouver qui est le plus méchant.

En même temps, je le dis avec réserve parce que je l’ai déjà fait, je me suis fait prendre au jeu. Je pense que mon battle contre SB est définitivement un peu cheap, en l’attaquant sur le fait qu’il ait été adopté. J’aime les cadences rapides, même si j’aime beaucoup les gens qui ne viennent pas du milieu rap. Moi je viens du milieu rap donc j’aime beaucoup quelqu’un comme Skywakka qui a une cadence ultra rapide. J’exprime certaines préférences, je vais souvent dire aux gars de ne pas battle avec des lunettes fumées, parce que le contact visuel est important avec le public, ce n’est pas un vidéo clip, c’est un spectacle.

Du 6 on passe au WU 7, avec Dony S contre Syme, le premier battle international.

Ce battle est un pilier de l’histoire du Word Up… Surtout quand on voit la porte que ça a ouvert. Mais on ne l’a pas vu venir ! Quand on a décidé de faire ça, Dony était là, ça nous permettait de le présenter comme un battle international mais ce n’était pas dans une optique d’en faire une tradition. Quand on l’a fait, on a vu l’ampleur que ça pouvait prendre, notamment avec les vues YouTube, vu qu’on allait ainsi chercher côté français.

Dans un battle international, on choisit son équipe, ça créé une tension intéressante, donc a essayé d’en refaire beaucoup… C’était vraiment un super bon battle ! Ça aussi c’est un bon exemple de battle qui montre jusqu’où on peut aller, les différents angles d’attaque, le politiquement incorrect…

Après ce premier battle international, au WU 9, il y en a eu un autre, avec Loe Pesci contre Blackapar. Pourquoi avoir choisi ces deux battles MC ?

C’était un battle intéressant parce que Blackap’ était un des gros morceaux du RC à l’époque, aussi un de mes préférés, un kickeur, donc c’était cool de le voir là. Loe Pesci, c’est un peu une légende du rap anglophone ici, donc l’avoir, dans un battle en français, c’était bien parce que c’était un des gros morceaux de la scène locale. C’était un peu un rêve fou qu’il battle en français. Loe ne faisait pas partie de mon crew mais il était proche de Maybe Watson qui m’a introduit au hip-hop québécois, donc ça restait la famille.

C’était cool encore de voir le décalage entre le live et la vidéo, les gens ne comprenaient pas pour quoi Loe avait gagné… Et c’était un beau clash culturel ! C’était un des beaux moments au Club Soda (NDLR : salle où ont eu lieu plusieurs éditions du WU).

Tu as évoqué le jugement de ce battle dans lequel Loe Pesci ne s’adresse pas directement à Blackapar. C’est après cet évènement que vous vous êtes dit que vous n’alliez plus juger les battles ?

Non. Ça c’était un grain de sable dans le désert. Je trouve qu’attaquer son adversaire en clash, c’est une arme parmi tant d’autres. J’ai l’impression que les gens qui reprochent à Loe Pesci de ne pas avoir attaqué son adversaire n’ont pas vraiment compris ce qu’est le battle rap. Le clash, ce n’est pas « tu m’attaques, je t’attaque, tu m’attaques, je t’attaque ». C’est « je te montre que je suis meilleur que toi, tu me montres que t’es meilleur que moi ». Puis quelqu’un s’est rendu compte qu’en attaquant directement son adversaire, il marquait plus de points. Donc c’est devenu la mode d’attaquer l’autre. Mais dans les vieux clashes sur les coins de rue, les gens venaient rapper des textes, que ce soit sur leur relation avec leur mère, leur passé à l’école, leur consommation de drogue. Ce n’est pas obligé d’attaquer l’autre, sinon c’est comme s’il y avait un plafond dans la création artistique.

Pour revenir sur la fin des battles jugés, c’est surtout parce que les juges amenaient beaucoup de négativité, une critique, et on passait plus de temps à parler du jugement que du battle lui-même. En retirant les juges, je me suis dit qu’on allait concentrer les échanges sur internet sur le matériel des MC. Ce qui a été le cas. Puis au niveau de la créativité, retirer les juges, ça a libéré les artistes qui n’avaient plus à répondre à un « cahier des charges » pour emporter leur jugement.

Puis on a décidé de ramener les juges parce que le battle rap c’est un spectacle, ça fait parler, ça crée de la controverse. L’interaction sur internet est aussi intéressante. Je pense que les deux formats se valent. Aux Etats-Unis, la plus grande ligue, c’est Smack DVD et ils n’ont jamais jugé leurs battles… Mais ce n’est pas dit qu’on ne retire pas de nouveau les juges !

Passons à présent au WU 10, avec le battle entre Suspek-T et Jam, un battle illimité, de poids lourds, une opposition de style…

Une opposition d’école aussi entre le K6A (dont font partie Jam, mais aussi Filigrann, NDLR) et le Crasse Croûte. Et même si on est en bons termes, qu’on est proches d’eux, ce sont deux écoles qui voient le rap différemment. Ce sont deux collectifs assez puristes, portés sur le boom bap, le rap avant tout mais avec deux backgrounds totalement différents.

C’était un moment spectaculaire pour toute la famille parce que Jam représente le crew contre l’autre top de leur crew. A mon avis c’est une des performances les plus marquantes du battle rap, toutes langues confondues. J’ai souvent eu envie de dire que pour moi (il réfléchit)… La performance de Jam ce soir-là, était la plus intéressante que quelqu’un ait fait au Word Up. Sans rien enlever à Suspek-T qui était super bon, mais la façon que Jam a eu de cerner Suspek-T, c’était sûrement la présentation de matériel la plus intelligente que j’ai eu la chance de voir. J’ai trouvé ça génial !

Son flip au début du 3ème round !

Ouai ! C’est un clash qui vieillit bien aussi… Un peu long, parce que c’est un battle illimité, mais un des grands grands moments du Word Up…

Battle difficile à mettre en place ou les deux étaient chauds ?

(il coupe) Je ne m’en rappelle pas ! (sourires) Mais je ne pense pas qu’il a été dur à organiser… si ça avait été le cas, je m’en rappellerai.

Sur le battle double Nekfeu & Alpha Wann VS Jam & PDox

J’étais déçu que ça ne soit pas le classique qu’on voulait parce que Nekfeu et Alpha Wann ont chocké mais dans le même temps, mes boys étaient en train de niquer deux légendes du RC, donc c’était aussi une grande fierté. (sourire) Le spectacle était de qualité, c’était un bon battle. Tous les bodybags ne sont pas bons à écouter, celui-là est fun par contre ! Les gars sont drôles, l’esprit était sportif.

Autre battle illimité, celui entre Chacalcolik et Yes Mccan, qui a beaucoup fait parler… Deux MC’s plus jeunes que Jam et Suspek-T…

C’est un autre battle qui fait partie des plus marquants de l’histoire du Word Up. Je pense que c’est aussi un de ceux qui a marqué le plus longtemps, les gens s’en rappellent encore vivement, en parlent encore souvent. C’était comme de la haute voltige, le battle rap à son meilleur, à une époque où le battle rap était très très très populaire… Encore une fois, une belle rencontre, deux écoles, des gens qui viennent de milieux différents. Les Dead Obies (groupe de Yes Mccan) n’étaient pas encore aussi gros que maintenant et ce battle a contribué à leur légende. C’était un clash de toute beauté, de titans. C’est intéressant parce que Jam et Suspek-T étaient des titans bien avant le battle rap, ils étaient déjà reconnus. Yes Mc Can et Chacal’, ce n’était pas un main event ! Mais on le verrait aujourd’hui, ce serait un main event. Ce battle a concrétisé leur place au sommet.

Tu disais qu’on était peut-être au sommet du battle rap et au Word Up suivant, le 12, on a Freddy Gruesum, un des chouchous du public, un des plus présents, face à Wojtek, qui était déjà au top en France. Deux poids lourds pour un battle international.

Wojtek logeait chez moi durant cette semaine et je garde de très bons moments avec lui. C’était cool d’apprendre à connaitre Wojtek, parce qu’il a tellement un personnage d’enfoiré, qui dit les pires choses, mais c’est vraiment un gars hyper respectueux, ultra reconnaissant, plein de gratitude, de générosité. C’était une belle connexion humaine, il était gentil avec tout le monde, tout le monde était gentil avec lui, Freddy et lui se respectent énormément. Ce serait probablement un clash qui serait intéressant à refaire, parce qu’aucun des deux n’a donné sa meilleure performance lors de ce battle, même si quand t’as ce niveau de talent, même à 90%, tu fais malgré tout un classique. Ce battle a marqué les gens, il a bien vieilli, il a rapproché les deux cultures.

J’ai l’impression que ce battle a amené un côté plus souriant, moins dur chez Wojtek, en affrontant Freddy, en étant à l’étranger, que ce qu’il avait alors montré en France…

C’est souvent le cas chez les Français quand ils viennent ici ! Ce n’est pas qu’ils ne prennent pas ça au sérieux, au contraire, parce que pour certains Français c’est peut-être même plus important de bien faire au Word Up parce que c’est comme ça qu’ils ont découvert le truc. Juste, ils peuvent se détacher des pressions locales, leurs amis ne sont pas tous là. Ils viennent avant tout pour vivre une belle aventure. Et sur ce battle, on voit que Wojtek se fait du fun, avec les ballons, etc. On était allés les acheter ensemble d’ailleurs…

L’idée est venue tardivement de refaire un battle qui avait déjà eu lieu ? Il me semble que ça a commencé avec Freddy et Arnô, et j’aurai bien vu un nouveau battle entre Obia et Jam…

Obia n’a pas beaucoup de clashs et Jam non plus n’a pas tant de battle que ça. Je ne pense pas qu’ils l’auraient refait et je pense définitivement qu’on ne verra jamais ça, même si ce serait un des meilleurs rematchs à voir. Et si c’était à refaire, on aurait probablement commencé à faire des rematchs avant. En fait, on a fait des rematchs un peu par obligation. Ne pouvant pas faire quelque chose qu’on n’avait jamais fait on a fait quelque chose de lourd qu’on avait déjà fait. Les rematchs c’est intéressant au niveau logistique et des possibilités mais surtout au niveau de l’histoire. Certains des matchs de boxe les plus intéressants sont des trilogies ! Imagine qu’on ait deux battles MC qui s’affrontent chaque année, ce serait fou ! Certains vont dire « je l’ai déjà battle, je n’ai plus rien à dire sur lui ». Mais dans le concret quand t’as déjà battle quelqu’un, ça crée des nouveaux angles. Si j’avais à refaire les battles que j’ai fait, contre les mêmes personnes ce serait complètement différent. Contre Vulguerre, je ne referai pas que des jokes de vieux et contre SB, je ne ferai aucune joke sur le fait qu’il ait été adopté, c’était tellement mauvais de ma part de faire ça… J’aime beaucoup les rematchs, j’espère qu’on en verra d’autres. Et j’aimerai en voir au RC !(sourire) Allons-y pour le Cheef / Hermano 3 !

Le battle suivant, c’est Arcanes / Marshall contre Woodman / Crack A Starr, au Word Up VIP.

Battle international très intéressant, toutes ligues confondues.

Tout le monde a été surpris par la performance d’Arcanes et Marshall qui sont venus très chauds…

Ici aussi on était très agréablement surpris, du niveau des quatre d’ailleurs. C’était une époque où on était dans une plus petite salle, aux Catacombes et non au Club Soda. Un grand classique du Word Up.

C’est justement une période où vous vous diversifiez avec les Word Up VIP, Word Up Team Up, Word Up X… Quel était l’objectif ? De recruter de nouveaux MC ? D’avoir de plus petits évènements mais plus réguliers ?

A partir du WU 12, on s’est rendus compte qu’on risquait d’avoir du mal à tenir la cadence, parce que le battle rap était un peu moins à la mode, ça s’essoufflait un peu… Et ici, le bassin n’est pas énorme ! Il était plus difficile de remplir le Club Soda, donc avant que ça devienne problématique, on s’est dit qu’il fallait aller sur autre chose, expérimenter différentes formules. A ce moment-là, on ne cherchait pas à faire un WU 13, on voulait juste faire des trucs de qualité, peu importe l’ampleur. Après le Word Up 14, on a décidé qu’on ne ferait plus le Club Soda, juste des petits shows, plus petits même que ceux qu’on pourrait faire, volontairement, avec seulement 100 billets en vente et c’est ce qu’on fait depuis maintenant deux ans.

Au Word Up 13, je voulais aborder le battle entre Yes Mccan et Hermano. Hermano grosse plume du RC face à Yes Mccan qui effectuait son retour.

Je pense qu’Hermano c’est un des meilleurs kickeurs du RC, donc ça nous intéressait, lui nous avait signifié son intérêt et il représentait bien la nouvelle génération. Quant à Mccan, c’était la 1e fois qu’on avait quelqu’un qui était venu au WU, qui a blow up dans le rap et qui revient au WU. C’était comme le retour du roi. Ça nous a amené une grande couverture médiatique, parce que le gars était membre des Dead Obies, on a rempli le Club Soda alors qu’on l’avait pas fait depuis presque 2 ans. Il y avait beaucoup d’attentes, du public et de l’organisation, il ne fallait pas que ce soit un flop. Et les deux ont donné un classique, un grand moment de l’histoire du Word Up moderne.

Dans le premier round d’Hermano, il dit qu’il a découvert le battle grâce au Word Up et que les RC ont dépassé le niveau du WU. Et il n’était pas le seul à le penser. Je te demande pas si t’étais d’accord avec ça…

(il coupe) Parce que je ne suis pas d’accord ! (rires)

Comment tu as vécu ces retours-là ?

Le but du jeu c’est de se rentrer dedans. Les Français qui écoutent le RC pensent que le niveau est plus fort au RC et inversement pour le WU avec les Québécois. Personnellement, je trouve que ça fait partie du sport de dire des choses comme ça, chacun son opinion. La façon dont les Français clashent va plus parler en France, en terme de structure, de sujet, de références mais je pense que les meilleurs des deux côtés se valent…

A un moment il devait y avoir lieu un évènement Word Up contre Rap Contenders, vous aviez même sorti la carte, pourquoi ça ne s’est pas fait ?

Parce que l’objectif de financement n’a pas été atteint. Je me garde mes réserves parce que je ne m’en rappelle plus clairement mais je pense que c’est pour ça. Ce projet nous avait été présenté par les Français qui voulaient se regrouper ensemble pour venir ici, donc ce n’était pas une initiative de Dony et moi, on était moins impliqués même si on voulait le faire… Quand on implique le public de la sorte, on s’expose à ce que le public réclame que ce soit telle personne qui battle contre telle personne, etc. Surtout que c’est un truc que le public est habitué à consommer gratuitement donc c’était peut-être difficile de demander de s’impliquer financièrement…

En plus du battle entre Hermano et Mccan, le WU 13 était une grosse édition, avec notamment deux autres battles MC que je n’avais ps encore cité, il y avait Franko Bucci contre Freddy ainsi que Dramatik contre JCC. Vous êtes revenus très fort sur cette édition.

On a essayé de faire venir le plus de poids lourds possible parce que c’était notre retour au Club Soda donc fallait absolument le remplir. On voulait donner un gros battle à Franko qui était en train de se solidifier parmi les meilleurs. Et Drama’ contre Chilly Chill, une légende du rap queb contre une légende du battle rap, c’était un bon moment, très sportif, avec quelques pointes plus vicieuses. C’est toujours particulier de voir Dramatik battle, c’est comme si Akhenaton venait battle au RC donc c’était fun de le voir jouer le jeu.

Malheureusement il y a plein de battles que j’aurai aimé abordé, que ce soit Arnô vs D-Baby, J7 vs Fakeass, JCC contre Freddy, plein de battles de Freddy parce qu’il est toujours là…

(il coupe) Heureusement qu’il est toujours là d’ailleurs !

Et le Obia vs Freddy, à un moment, il était proche de se faire ? C’est définitivement mort ?

Quand le sujet revenait souvent dans les discussions, Obia était déjà passé à autre chose. Je pense que ça a toujours été plus proche de ne pas se faire que l’inverse. Mais dans le même temps, Obia n’est pas au fin fond du monde, ça reste physiquement possible… S’il y avait eu une offre substantielle, ça aurait pu faire bouger ça, mais l’idéal c’est que les gens soient partants pour le faire et après on s’arrange sur les finances… Si c’est l’argent la carotte, ce n’est probablement pas la meilleure chose. Je n’aime pas forcer les gars à revenir au WU et si Obia a un jour envie de revenir, il sera accueilli comme un roi. Freddy, quant à lui, n’a jamais arrêté donc c’est sûr que c’est quelque chose que j’aimerais faire pour lui et pour le public.

On arrive à la fin de l’interview, partons en over time : est-ce qu’il manque un battle incontournable qu’on n’a pas abordé ?

Depuis deux ans on fait les Word Up X et à mon avis, un des meilleurs battles de l’histoire des WU, a eu lieu à la saison 1, c’est Krome contre Skywalkka. J’invite les gens à écouter ce battle. C’est du très très très haut niveau. C’est le genre de battle qui a impressionné Jam, il m’a dit « ce battle-là est fou ! » et ce n’est pas quelque chose qui arrive souvent. Il y en a un peu pour tous les goûts dans ce battle, des trucs drôles mais aussi du bon rap, c’est le battle of the year 2018 !

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