Port of Miami 2, 13 ans de Rick Ross

Depuis Mastermind, il est toujours difficile de savoir à quoi s’attendre lors de la sortie d’un album de Rick Ross. S’il avait probablement atteint son apogée musicale avec la triptyque Deeper than rap / Teflon Don / God forgives I don’t, la suite de sa carrière est plus sinueuse, pouvant atteindre des sommets, comme avec Hood Billionaire, autant que les bas-fonds (à son échelle bien entendu) comme avec Black Market. Lorsqu’il annonce Port Of Miami 2, Rozay reste encore sur le bon souvenir laissé par Rather you than me, sa dernière livraison sortie il y a déjà deux ans. Que signifie donc le titre Port Of Miami 2, le premier du nom n’ayant pour intérêt que le fait d’être son premier album ayant fait de lui une superstar, et n’ayant laissé que peu de morceaux réellement mémorables, excepté les incontournables « Hustlin’ » et « Push it ». La première hypothèse serait évidemment d’imaginer un retour aux sources, et finalement, une exaltation définitive de la fameuse « cigare music » dont il a fait sa marque de fabrique, entre des samples de soul et l’apologie du luxe. Une autre, plus inquiétante, serait de l’imaginer boucler la boucle, et ainsi, de clore une carrière longue de 13 ans. Cette seconde hypothèse ne trouvera de réponse qu’avec du temps. Pour résoudre la première, il s’agit dès lors de rentrer dans le vif du sujet.

Après l’entrée en matière musclée qu’est « Act a fool » avec Wale, on est directement immergé dans l’ambiance baroque et royale (impériale, devait-on plutôt dire, si l’on suit ses directives dans « Turnpike Ike ») installée par l’équipe cinq étoiles placée derrière les manettes. Si Rather You Than Me pêchait par son caractère inégal, entre très grands morceaux et sempiternelles tentatives ratées de refaire un « B.M.F. », « MC Hammer » ou autre « Hold me back », Rick Ross a enfin mis cette période de sa carrière derrière lui, et est, de fait, parvenu à reconstruire un album musicalement cohérent de bout en bout, sans artifice de violence. Et William Roberts II a réussi cette performance remarquable sans tomber dans le piège de la redondance. Si la teinte générale de l’album se veut grandiose et grandiloquente, elle est amenée de différentes manières. Avec douceur comme dans « Summer Reign » (produit par H-Money et JV), de manière plutôt énergique comme sur « Rich Nigga Lifestyle » (produit par Cardiak), où l’on a le plaisir de découvrir un couplet posthume du regretté Nipsey Hussle ou encore avec le classieux propre à tous les volumes de « Maybach Music », dont nous avons le sixième du nom sur l’album, toujours produit par les éternels J.U.S.T.I.C.E. League.

On pourrait s’étendre sur chaque production présente sur cet album, tant elles brillent par leur richesse sonore et instrumentale, leur variété mais aussi par l’atmosphère générale qu’elles apportent au disque, mais cet article serait bien trop long. On s’arrêtera principalement sur la prestation exceptionnelle de Just Blaze sur « BIG TYME », où le légendaire instrumentaliste de Roc-a-Fella nous offre une véritable explosion sonore (c’est comme une explosion de saveurs mais en musique), énergique sans que cela se transforme en tintamarre, riche sans perdre de cohérence, finalement complètement dans les tons de l’album. Dans un autre registre, nous pouvons également noter la collaboration entre Streetrunner et le Français Tarik Azzouz sur le superbe « Bogus Charms », énième mais pas des moindres réunions entre Rozay et son fils prodigue Meek Mill. Mais cette fois dans une touche de mélancolie inédite dans l’histoire de leurs featurings, alors que c’est un registre dans lequel Meek Mill a toujours eu l’habitude de briller, avec un sample vocal qui fait diablement bien le travail. Enfin, dernière mention spéciale à la production de « Fascinated » signée Dollarz et Sam Sneak. Alors que l’on débute avec un vocal de soul sec, le duo de beatmakers nous emmène au cours d’un morceau fleuve, dans une certaine tristesse sans artifice lacrymal, au fil des hommages rendus par Rozay à ses amis décédés ou derrière les barreaux, pour un morceau qui est peut-être le sommet de l’album.

Au premier abord, la longue liste d’invités avait de quoi faire peur. En effet, sur ses dernières sorties, Rick Ross avait la fâcheuse tendance à laisser ses invités mener les morceaux, jusqu’à ce que l’on ait parfois l’impression qu’il était lui-même invité de ses propres titres, la meilleure illustration étant probablement « War Ready » avec Jeezy sur Mastermind. Mais si certains couplets sont probablement dispensables sur Port of Miami 2 (oui, on parle bien de Drake, YFN Lucci et A Boogie Wit Da Hoodie), Rick Ross prend toujours soin de rester maître de cérémonie, quand bien même le casting est plutôt qualitatif. Nous avons déjà parlé de Meek Mill et Nipsey Hussle, nous avons également Gunplay sur l’excellent « Nobody’s Favorite », Jeezy sur l’anecdotique « Born to kill », Denzel Curry sur « Running the streets » et même un couplet surprise de Lil Wayne sur « Maybach Music VI » (morceau qui devait originellement contenir un couplet de Pusha T en supplément). Aux côtés de tout ce beau monde, Rick Ross, conscient qu’il n’est plus le kickeur capable de broyer des rappeurs tels que Gucci Mane ou Styles P comme il le faisait sur Teflon Don, s’efforce de rester sur ses bases sans s’aventurer sur le terrain de jeu de ses invités, et offre ce qu’il sait faire de mieux, à savoir, des couplets impériaux et classieux de vétéran assumant définitivement son nouveau rôle.

Un nouveau rôle qu’il met également en exergue dans ses couplets, où il enfile pour de bon le costume d’« ancien » observant le game du haut de son palace en bord de mer. Et « Nobody’s Favorite » en est la parfaite illustration. Alors qu’au départ, la production de Trop donne l’impression d’un gong sonnant l’urgence, elle prend plutôt un air de requiem au fil du morceau, registre plus en raccord avec ce qui nous est raconté. Sans amertume, Rick Ross contemple sa carrière et salue sa régularité obtenue sans déployer une discographie tentaculaire à coups de mixtapes sans intérêt lâchées au kilogramme annuel, quand bien même il n’a jamais été une grande idole. Mais toujours bien en place, et avec une carrière d’entrepreneur en parallèle, il a su construire une discographie rarement égalée sur la grande pomme. Le morceau sonne véritablement comme un dernier tour d’honneur où Rozay se jette les fleurs qu’il mérite non sans un brin de lucidité, et Gunplay de renchérir en clamant sa préférence pour les bénéfices monétaires plutôt que les prix symboliques comme les Grammy. A ce titre, on peut également l’entendre évoquer sa mort et son héritage sur « Bogus Charms ». La posture prise dans « Fascinated » est aussi à souligner. Plutôt qu’un hommage classique, Rick Ross préfère expliquer les causes de ces fins tragiques par la fascination qu’ont les jeunes pour tout ce qui est risqué.

Au cours d’une carrière longue de 13 ans à ce jour, Rozay a été de ceux qui donnent l’heure, quand bien même il n’a jamais été la tête d’affiche ultime (excepté peut-être par phases, entre Deeper than rap et God forgives I don’t). Alors qu’il a eu du mal à quitter cette posture de boss au sommet de sa forme, glissant tout doucement vers une fin de carrière en pente douce, il semble enfin avoir accepté d’être un Parrain accompli, contemplant le chemin parcouru avant d’amorcer la chute inévitable. Et c’est précisément en consentant à enfiler ce costume qu’il ralentit cette inévitable chute. C’est finalement à ça que fait probablement référence le titre Port of Miami 2. En invoquant l’album qui l’a fait connaître, il semble introduire sa seconde carrière, celle d’un rappeur entrant définitivement dans la catégorie des anciens n’ayant plus rien à prouver et se permettant simplement de faire la musique qui lui ressemble le plus. Ainsi, un titre comme « Fascinated » raisonnerait directement avec « Hustlin’ » et les deux constitueraient les extrémités du fil rouge tissé au cours de cette carrière presque sans déchet, et quasiment sans égal dans le rap de notre siècle. Et qui, après avoir enfin mis ses démons de côté, ne demande qu’à durer encore longtemps.

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