Nefaste, héritage et innovation | Interview

Avec son premier projet gratuit en 2014, Armes blanches et idées noires, puis Premiers pas, qui bénéficiera d’un pressage CD en 2015, Nefaste a su se placer, dès ses débuts, comme un maître dans l’art de rapper le vague à l’âme et la mélancolie du quartier sur du piano / violon dans la plus pure tradition de la deuxième moitié des nineties. La reconnaissance du milieu pour sa prose et sa technique ne tarde pas, et se concrétise par le soutien d’old timers tels que la Scred Connexion, et la réalisation d’un album à quatre en 2016, aux côtés de Pejmaxx, Ol’Zico, et du beatmaker Mani Deïz. Un deuxième CD, Dans mon monde, en 2017 finit d’enfoncer le clou dans cette direction artistique. L’heure est désormais au premier album, Partir loin paru le mois dernier, pour lequel le MC du 95 a pris le temps de de la remise en question et de la mise à jour. Rencontre.

Photos : Cebos Nalcakan ©

Partir loin est ton troisième projet…

(Il coupe) C’est mon quatrième projet si tu comptes Armes blanches et idées noires, un EP gratuit dispo sur internet.

Exact, il était sorti avant ton premier CD, Premiers pas. Quel statut a Partir loin ?

C’est mon premier album. Je l’ai réfléchi comme tel, notamment au niveau des thèmes.

« Partir loin », il faut le prendre comment ?

C’est quitter le quartier, mais pas que. C’est aussi quitter les mauvaises choses du quartier, comme la fumette par exemple.

Est-ce que c’est aussi en lien avec ta carrière, comme une ambition, là où pourrait t’emmener cet album ?

Aussi oui, il y a plusieurs interprétations possibles, et je te rejoins sur celle-ci.

Tu as une écriture technique, peux-tu nous parler de ton processus d’écriture ?

Sur cet album-là, j’ai écrit posé chez moi, sur les instrus qu’on m’envoyait. Il y a peut-être deux ou trois instrus qui sont des remix, pour lesquelles le beatmaker a refait l’instru par-dessus, mais sinon en règle générale j’écrivais directement sur la prod.

Tu dis : « Je rappe des choses qui ne sont pas simples à dire. » Est-ce que tu te fixes des limites dans ce que tu livres ?

L’écriture est un exutoire pour moi, et franchement je ne me suis pas mis trop de filtres sur cet album. J’ai dit ce que je pensais, sans me poser de question.

Comment travailles-tu tes placements ? Il y a un côté imprévisible, ce n’est pas régulier comme chez certains.

C’est voulu, parce que j’ai peur qu’on s’ennuie, qu’on sache quand ça va tomber, etc. Moi je ne suis pas de cette école-là, je suis de celle de la FF. Des fois ils faisaient des 20 mesures à la place de 16, sans se soucier de la structure. Je suis comme ça.

Sur ce projet, j’ai le sentiment que tu as précisé ton écriture. On n’est plus seulement cette mélancolie qui habitait toutes tes chansons. On retrouve des concepts, tu utilises des personnifications, des thèmes, des histoires…

C’est pour ça que ce disque est un album selon moi. Avant je parlais d’alcool et de shit sur tous les morceaux. Là j’ai essayé de ramener quelque chose, de travailler, de faire du storytelling.

Il y a moins de mélancolie d’ailleurs, tu as une phrase là-dessus dans « Bah oué mon pote » : « On me dit souvent que je sais faire que des morceaux tristes ».

Je m’en suis rendu compte tout seul. J’ai l’impression que je m’étais enfermé dans quelque chose que je savais faire, et que je ne voulais pas en sortir. Alors qu’en vrai, dans la vie, je n’écoute pas que des sons tristes. Au final je me rends compte que je peux faire plusieurs choses et j’en profite. Justement, j’essaie de progresser dans d’autres choses. Mais le boom bap piano / violon j’en ai trop fait, j’avais l’impression de tourner en rond.

Autre nouveauté, on retrouve des phases égotrip, comme par exemple : « La concu je la sirote, je la digère et je la pisse dans les chiottes. »

Exact, et c’est voulu. En vrai, dans la vie de tous les jours je suis un peu comme ça.  Avant de faire des projets je rappais dans mon quartier, et je faisais plus d’égotrip. Et je me suis rendu compte que ça me faisait du bien. Avant j’avais l’impression que tout ce que j’écrivais devait être bien réfléchi. Maintenant j’ai aussi envie de me permettre de dire ce que je veux. C’est de la musique en fait. Ma perception de ma propre musique a un peu changé.

Au niveau des sonorités, il y a une majorité d’instrus actuelles, moins boom bap.

En vrai, c’est Lucci, un beatmaker du Nord chez qui je suis allé enregistrer, qui m’a emmené sur ce terrain-là. J’ai essayé des choses que je n’avais jamais faites, et j’y ai pris goût. C’est une autre façon de travailler, et au final j’ai kiffé. Aujourd’hui je trouve que j’ai plus de liberté sur ces morceaux-là, et je prends plus de plaisir à les faire que des titres de boom bap. Avant c’était juste travailler l’écriture et poser le texte de façon brute, et ça me convient encore par moments. Mais maintenant je veux travailler la musique différemment, au niveau des refrains par exemple, avec des ponts.

As-tu dû opérer à une mise à jour de ton rap ?

Oui ! Et j’ai encore besoin de faire des mises à jour ! Tu vois les puristes qui te disent que ça ne doit être que boom bap, qui pensent que c’est trop simple de faire de la trap ? J’ai envie de leur dire de regarder les petits jeunes, ils sont chauds ! Ils ont des flows et des gimmicks de fou, durs à trouver !

Tu n’es pas si vieux non plus, tu rappes le quartier, sur des prods actuelles, mais pas avec une écriture trap… Je trouve que tu as un profil atypique.

Exactement, je suis d’accord avec toi. Et vu que personne ne me ressemble, j’aimerais bien que ça paye. On verra…

On sent que tu es un passionné… A travers les scratchs qu’on peut entendre ici et là, on s’aperçoit que tu connais tes classiques. Tu devais être petit quand c’est sorti, comment t’es-tu fait cette culture rap ?

C’est mon frère et mes sœurs qui m’ont mis dedans, avec les grands classiques comme NTM ou Busta Flex. Puis j’y ai pris goût en me mettant au rap et à l’écriture, je me suis donc mis à chercher tout seul comme un grand. J’ai eu internet quand j’avais 15 ans, et je me suis fait tout le rap français je crois !

Tu as commencé à rapper avec ton groupe Rskp ou tout seul dans ton coin ?

J’ai commencé tout seul, puis avec deux ou trois potes du quartier, puis avec Rskp. En fait ils sont plus jeunes que moi, c’est des petits de mon quartier. J’ai vu qu’ils s’étaient mis au rap, et ça me faisait plaisir de les faire croquer au début, et au final ce sont devenus des potes.

On retrouve peu de feats sur ce projet, juste l’équipe. C’était important de n’avoir que les proches sur l’album ?

Oui. En fait moi je marche à l’humain. J’ai des potes dans le rap indé, mais si on n’a pas l’occasion de se croiser et de faire un morceau ensemble, je ne suis pas trop du genre à poser à distance. Pour le moment en tout cas. Après je peux changer peut-être, mais là je ne le sentais pas comme ça.

Martyrs modernes, qui est un projet à quatre avec Pejmaxx, Ol’Zico et le beatmaker Mani Deïz, vous l’avez donc enregistré ensemble ?

Oui, chez Mani.

Tu sens qu’il y a eu un avant et un après ce projet ?

Peut-être en termes de crédibilité, mais sinon pas trop, étant donné que le projet n’a pas marché. (rires) Il a eu un succès d’estime, les gens qui ont écouté ont ben aimé, mais il n’a pas marché. Mais les trois c’est devenus des frérots, on est proches.

Un projet avec Rskp, c’est quelque chose que vous envisagez ?

Ah ouais, j’en rêve…

Sachant que Lekma commence à faire parler de lui, je pense notamment au morceau « Rien à gagner », paru il y a deux ans…

Pour moi, le jour où il perce, il pète tout ! Il chante en plus, et très bien. Tu as vu le refrain qu’il a fait sur mon album ? Il est fort le con, mais c’est un flemmard. Il s’en tape de la musique en vrai. Mais il va finir par s’y mettre, il est jeune !

L’enfance est un thème très présent dans ta musique, c’est un sujet qui te tient à cœur, qui t’inspire particulièrement ?

Je crois oui. En fait j’étais animateur pendant la réalisation de cet album, et je pense que ça se ressent. Le fait d’être au contact d’enfants m’a donné envie d’en parler. J’ai toujours aimé les enfants, tout en étant un grand gamin. Tu peux me mettre devant un Disney je vais le regarder tranquille.

Il y a quelques jours a eu lieu un concert hommage aux 20 ans d’un classique du 95, Quelques gouttes suffisent d’Ärsenik. Tu te sens l’héritier d’une école du rap estampillée 95 ?

Je suis fier de venir là d’où je viens, même si ça reste chacun pour soi. Alors que dans le 93 ils se font croquer par exemple, il y a un passage de flambeau. Ärsenik, à qui ont-ils passé le flambeau ? Personne. Youssoupha pareil.

Le 93 a sa marque, son son, mais c’est un grand département…

Oui, mais tu as Mac Tyer qui a fait connaître Remy, Fianso pareil avec Soolking. Ils essaient d’aider un minimum, de faire des projets. Nous il n’y a rien. Mais je reste fier de venir d’où je viens, il y a la plume dans le 95, cette école de l’écriture.

Le mot de la fin ?

Je fais la release party de l’album le 7 juin à La Boule Noire.

Tu as des surprises à annoncer pour ce concert ?

On retrouvera la Scred, Ol’Zico, Pejmaxx, mes proches… Il y aura du monde !

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Olivier LBS

Doyen et autocrate en chef de cette incroyable aventure journalistique. Professeur des écoles dans le civil. Twitter : @OlivierLBS

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