Dinos, pas l’temps pour les regrets

Imany est enfin sorti. L’attente a été longue pour voir arriver dans les bacs le premier album de Dinos. Découvert avec les Rap Contenders, Dinos ex-Punchlinovic est arrivé très jeune dans le game, avec cette étiquette de rappeur de la nouvelle école qu’il a fallu assumer. Et il n’a alors pas chômé ! Premier projet en indé à 18 ans (Thumbs Up), à 19 ans il est invité par Seth Gueko, Zekwé Ramos et Alkpote dans l’album Neochrome Hall Stars, par Nakk dans Darksun. Mais surtout, après une première signature en maison de disque en 2013 chez Def Jam et un premier EP (L’Alchimiste), boosté par « Bouchées triples » en feat. avec Nekfeu, Dinos signe chez Capitol en 2014 et sort un second EP (Apparences), porté par le morceau « Namek ». Imany est alors annoncé mais c’est le projet Toujours pas Imany mais presque qui sort en 2016. L’album ne sortira qu’en avril 2018, chez Because ! Mais le silence n’est pas un oubli. Le temps lui a permis de devenir adulte et de faire une musique plus consistante, inattendue, variée. En effet, Dinos avait l’image d’un jeune rappeur prometteur et le titre « Namek » incarnait cette fresh attitude.

Dans cet egotrip au flow nonchalant, les punchlines, les clins d’œil et les petits tacles se multiplient : « suffit d’un headshot pour t’mettre du plomb dans la tête » ; « j’m’applique et j’kicke sec, ma rime se disperse, j’ken le rap français, merci jacquie et michel » ; « le savoir est une arme, j’ai un bac +3.5.7. » ; « j’suis peut-être sur Detox mais tu l’sauras jamais ». Le clip est également très efficace, très original. Dinos avait là son morceau signature. Son premier album était donc attendu avec impatience. Le rappeur de La Courneuve devait alors contenter ses fans de la première heure, ceux conquis par le titre « Namek », tout en poursuivant son évolution, sans refaire la même musique et marquer le coup avec un premier LP… Nombreux sont les jeunes rappeurs à avoir récemment connu cette fébrilité, à devoir gérer cette attente, cette hype ou une signature en maison de disque. Citons en vrac : Némir, Vald, Spri Noir, Moha La Squale, notamment. Le parcours de Dinos explique en partie le temps mis pour livrer cette première galette. Entre changement de maison de disque, perfectionnisme (maladie de certains rappeurs) et vie qui reprend ses droits, il a fallu près de trois années pour qu’Imany soit réalisé.

« J’pars en avance et j’arrive en retard comme Imany. » Sophistiqué

L’intro de l’album annonce la couleur. « Iceberg Slim » est un titre punchy dans lequel le rappeur du 93 retrace une partie de son parcours. L’egotrip est gonflé de testostérone, Dinos n’hésitant pas à exhiber (sans prétention, « ce ne sont que des faits ») ses principaux faits d’armes (dans les bacs à 18 ans, en maison de disque à 19 ans, première partie d’IAM à l’Olympia…). Il y a comme un sentiment de revanche chez Dinos qui semble ne pas oublier les critiques des sceptiques (« Qui a dit qu’j’y arriverai, m’a pas cru, m’a pas aidé ? »). Comme SCH pour qui « s’lever pour mille deux c’est insultant », Dinos a des ambitions, exprimées dans « Argentique », et refuse de mener une vie de labeur (« Fuck toi, ton CDD, fuck les pâtes dans l’frigo, fuck un taf en été, fuck un pass Navigo, j’suis sur terre pour l’oseille, pas rouler en Clio… »). Ne répète-t-il pas, comme un leitmotiv, son but dans le refrain de « Spleen » : « Billet, billet, billet, billet » ? Dans « Presque célèbre », il ne laisse pas de place au doute quant à ses ambitions (« J’veux tout, tout de suite »). Dinos a bien appliqué la phase de Youssoupha pour qui : « être patient c’est pas attendre, c’est agir en attendant ». Bien décidé à niquer le monopole des grands, Jules a l’intention de devenir celui qu’il aurait dû être. Or, l’ange de gauche lui parle trop fort et à défaut de devenir quelqu’un de bien, il se contente de devenir « quelqu’un de mieux ».

Devenir quelqu’un de mieux sert assurément dans les relations amoureuses. Et l’album aborde à plusieurs reprises cette thématique. Les morceaux « Spleen », notamment son refrain, et « Donne-moi un peu de temps » montrent assez bien comment Dinos et sa douce doivent s’accommoder l’un l’autre et cohabiter avec les envies d’oseille de Jules. « Havana & Malibu » est une ballade amoureuse ou plutôt une invitation à « rider », qu’Aelpéacha et A2H doivent très certainement valider… « Notifications » illustre l’incompréhension dans le couple, les motifs de dispute et les défauts que l’on doit assumer face à l’autre. Le morceau semble être la dernière étape avant une éventuelle rupture. Et c’est dans « Helsinki » que Dinos se sublime pour viser juste. Premier élément marquant, c’est le ton employé par Jules, qui ne rappe pas, ne chante pas, mais parle du bout des lèvres, comme s’il avait du mal à s’confier. Cette interprétation se marie parfaitement avec le thème de la séparation. D’ailleurs Dinos est accompagné d’Yseult pour le refrain chanté. Si Passi dans Sad Hill laissait un message aux meufs du show biz, Jules donne la parole à son ex pour solder les comptes de cette histoire qui a dû se finir mal. La gueule de bois ressentie quand tout est terminé est fort bien décrite. Mention spéciale au dernier couplet…

https://www.youtube.com/watch?v=HWB8qI7GLZ8

Autre particularité de Dinos, c’est son rapport à la foi. Si des rappeurs ont mis en avant dans leurs textes la religion musulmane (que Jules semble connaitre en partie, étant donné quelques termes utilisés ça et là, tout au long de l’album), il a toujours assumé son identité chrétienne, faisant référence à Jésus ou à la Bible. Dans « Hiver 2004 », le rappeur de la Courneuve fait un clin d’œil à l’hiver 54 et à l’Abbé Pierre, comme Brav et Nekfeu avant lui. Il s’agit là d’un des meilleurs morceaux de l’album. Dinos se met à nu une nouvelle fois (« j’m’abandonne à Dieu, je me repens »). Croyant (« j’priais Jésus »), sa foi lui a permis de trouver les ressources pour supporter la pauvreté, le départ de son père (sa mère était une « femme seule », comme celle d’Akhenaton…). Dans « Flashé », le rappeur du 9-3 précise bien ce qui le différencie des autres (« On a peur de Dieu, t’as peur de perdre des followers »). Sa foi (Imany…) devait être grande durant sa traversée du désert, pendant laquelle l’industrie du disque a changé « et les négros arrêtent pas de signer ». Dans le dernier morceau, Dinos conclue l’album en citant un extrait de la Bible et en ayant cette phrase pleine de lucidité sur son parcours :

« On dit aussi que, parfois pour punir les hommes, Dieu leur donne ce qu’ils veulent, et je pense qu’il m’a rendu service en me donnant ce que je voulais pas. » Presque célèbre

Si la foi a permis à Dinos de tenir le coup (« je ne sais pas où vont mes prières mais ça ira mieux demain, même si j’l’ai déjà dit hier… »), l’autre poutre sur laquelle il a pu s’appuyer est bien le rap français. N’est-ce pas l’écoute de Panthéon de Booba qui aidé le jeune Jules à passer cet hiver 2004 ? Dinos est un enfant du rap. Sa vie peut être racontée en musique et le pe-ra a parfait son éducation (comme beaucoup d’entre nous). Tout l’album est enrichi de dizaines de références, de citations au rap jeu. Le triptyque Mauvais œilTemps mortPanthéon est présent à moult reprises tout au long des 17 pistes. Dinos ex-Punchlinovic cite et reprend à son compte les phases marquantes des X-Men, d’Ol’Kainry, de Joe Lucazz, de Teddy Corona, de Sully Sefil, de Soprano… Le rap américain est lui aussi omniprésent, à travers les Ruff Ryders, Nicki Minaj, les Bloods et les Crips, Metro Boomin, Paid in full, Aaliyah… Un titre symbolise cet amour du rap, un titre qui est sûrement le meilleur de l’album, un son qui met la pression, « Les pleurs du mal » :

Le morceau est un temps fort d’Imany. Il n’y aborde pas un mais des thèmes en cascade, que ce soit la pauvreté, la débrouillardise, la famille, l’échec, la spiritualité, le passé, l’Afrique, les réfugiés. Sans être classé dans la catégorie de rappeurs conscients, Dinos a conscience qu’il fait du rap. Il ne s’interdit donc pas de faire réfléchir les siens. Comme dirait Médine, il ne fait pas du rap pour qu’on l’écoute mais pour qu’on le réécoute. Et il déclare sa flamme au rap français. Si certains ont fait des morceaux sur leur amour du rap, de Zoxea à Youssoupha, en passant par Sinistre, Diam’s ou Médine, Dinos multiplie les dédicaces à Booba, évidemment, à Busta Flex, à la F.F. et au Rat Luciano, et à Flynt dans le refrain, qui illustre bien cette mentalité d’indépendant. Rien de larmoyant dans ce track, qui a tout d’un hymne, Dinos incarnant une forme de lucidité combative :

« J’n’attends plus rien de personne, c’est pas les beaux discours qui réchauffent quand je frissonne, si ma pensée profonde avait un intitulé ça serait : qu’ils aillent tous se faire enculer. » Les pleurs du mal

Le rappeur du 9-3 ne vit pas dans une nostalgie dans laquelle le rap c’était mieux avant. Il sait s’entourer de talents actuels et rares comme dans les deux featurings de l’album. Il est intéressant de constater que Dinos peut être considéré comme un mix entre ses deux invités que sont Youssoupha et Joke/Ateyaba. Leurs styles sont très complémentaires et les voir poser ensemble sonne comme une évidence. Le morceau « Bloody mary » est un ovni à plus d’un titre. Contrairement au reste de l’album où sa nonchalance est omniprésente, Dinos est comme possédé dans son couplet (un peu à l’image de Luciano dans « Faut niquer l’bénef » ou d’Alkpote dans « La cour des miracles »). Dinos rappe vénère, trop saoulé, par la télé-réalité, Skyrock, les haters. Il va jusqu’à reprendre le flow si caractéristique de Despo Rutti, dans un passage mémorable. Youssoupha, qui trouvait que « les poèmes d’Apollinaire avaient moins de verve que Demain c’est loin » est lui aussi très en jambe et plus hardcore qu’à l’accoutumée, (« Va dire à ta pute de prof que j’écris mieux que Victor Hugo »). On attend un nouvel opus du lyriciste bantou depuis 2015… L’autre feat. de l’album est Joke/Ateyaba, dont le retour est lui aussi attendu depuis plusieurs années. Les deux compères de Golden Eye Music croisent le fer sur une instru aérienne avec leur flow au ralenti. Artiste décrié, mais à l’influence majeure sur le rap game actuel, Joke/Ateyaba se distingue avec le talent qu’on lui connait (« J’suis l’tur-fu renoi, ça date pas d’hier » ; « Je marche sur l’eau, sur la tombe à Ben Laden »). Dans son précédent projet, Dinos avait d’ailleurs déjà invité le rappeur montpelliérain sur le morceau « Plaque diplomatique ».

Si Dinos collabore avec des rappeurs qui lui ressemblent, s’il témoigne de beaucoup de respect envers ses paires, son passé de clasheur est toujours présent et les piques contre les MC sont au moins toutes aussi nombreuses ! Dans « Iceberg Slim », il fustige la présence de Youtubeurs dans les clips et la mode des tournages au Japon. Dans « Sophistiqué », il se place au-dessus de la mêlée et ne tient pas à être comparé aux analphabètes, chers à Zemmour : « J’ai du Basquiat, Van Gogh, Salvador Dali, tous ces rappeurs n’savent même pas bien lire ». Booba affirmait dans « Repose en paix » : « Ils veulent rivaliser, leur truc c’est nul, on est trop haut négro, eux ils sont petits comme une cellule ». Le rappeur du 9-3 n’en est pas moins direct dans « Presque célèbre » : « Ils ne m’aiment pas, je les déteste tellement, tous leurs matchs ressemblent à mes entrainements ». Si Dinos a retiré le Punchlinovic de son blaze (« J’fais du biff, j’ai plus l’âge de faire des punchlines »), ses textes comportent encore des phases coup de poing, à croire que ça ne s’oublie pas… Au hasard, « La vie nous a frappée en pleine figure si bien qu’de fil en aiguille on finit avec des points d’suture » (« Les pleurs du mal ») ; « On m’demande quoi d’neuf, j’me prends pour Raymond Devos, rien, plus rien, plus rien, multiplié par trois, ça fait rien d’neuf » (« Presque célèbre »).

« Je n’sais pas si je suis triste dans mon bonheur ou heureux dans mon malheur. » Sophistiqué

Ce qui frappe l’auditeur à l’écoute d’Imany, c’est le cap franchi par Dinos, qui devient un rappeur qui dit des choses. Précédemment, il s’était distingué en kickant, en faisant des morceaux légers, où les jeux de mots étaient monnaie courante. Et son jeune âge expliquait aussi cette musique très spontanée. A présent, Jules met sa technique au service d’une plume aiguisée. Les prods, assurées par Richie Beats, mais surtout BBP et Twenty9, permettent au rappeur de La Courneuve de tester de nombreux flows qu’on ne lui connaissait pas. Le projet bénéficie donc d’une grande ouverture musicale et comme tous les rappeurs décomplexés, Dinos tente beaucoup de couplets, de refrains chantés. Il associe le fond et la forme, en étant tranchant et livre un album pour la culture, avec ses dizaines de références. Il s’interroge tout au long des 17 pistes sur la réussite, sur ses relations amoureuses, sur la religion, sur lui-même. D’ailleurs, Dinos a dû apprendre à se connaitre davantage pendant qu’il réalisait cet album qui nous permet de découvrir qui est Jules. On ne peut qu’apprécier qu’un artiste prenne le temps de fournir un album pensé, cohérent, qui ne cède pas aux sirènes de l’industrie, même s’il manque peut-être de spontanéité. Imany nécessite plusieurs écoutes et Dinos ne fait pas de la musique jetable. Etre plus productif lui aurait surement permis d’être plus installé dans le rap game. Il a fait le choix de la qualité plutôt que de la quantité. Les vrais savent.

 

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