Entretien avec Nizi, producteur de l’ombre

Véritable figure du rap indépendant, Nizi est un producteur extrêmement prolifique depuis de nombreuses années. Reconnu par le public et par ses pairs, il reste cependant un artiste discret, peu présent dans les médias et refusant d’être exposé sur le devant de la scène. Nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec lui en exclusivité pour Le Bon Son.

Salut Nizi, on connait peu de choses sur toi. Pour commencer, peux-tu nous dire d’où tu viens ?

Je suis originaire de Courbevoie dans le 92. J’ai été un peu partout pendant mon adolescence, notamment à Caen et à La Rochelle. À 18 ans je suis parti à l’armée, je me suis engagé dans la marine. La première année, en 2001, j’ai fait le Pacifique nord et sud, Nouméa et une très grosse partie de l’Asie, j’ai appris énormément de ces voyages. Je suis retourné sur Paris en 2007. C’est là que j’ai commencé à me mettre plus sérieusement dans la prod.

Tu as commencé la musique en 1999 en bricolant des sons sur ton PC. Raconte-nous tes débuts.

Lorsque j’ai commencé, c’était du bidouillage. Il n’y avait pas tous les réseaux sociaux comme aujourd’hui et il était difficile de se connecter avec d’autres artistes. À l’époque, l’expression « faire du son » c’était se retrouver avec sa bande de potes pour faire de la musique. De notre côté, on était une dizaine à rapper ensemble. Rapidement, nous nous sommes retrouvés dans le besoin d’avoir des prods. C’est pourquoi, on a dû explorer et chercher des techniques, des méthodes de production car ce n’était pas aussi accessible qu’à ce jour.

Tu as commencé avec quel logiciel et qui étaient tes acolytes de l’époque ?

Le premier programme que je me suis procuré était eJay. Accompagné de mon pote Fabio, nous avons commencé à produire du son avec ce software. De la bande d’amis qu’on avait à l’époque, nous sommes les deux seuls à avoir persévéré jusqu’à maintenant et avoir réussi à en faire notre métier.

As-tu donc commencé à rapper avant de devenir beatmaker?

Effectivement j’ai rappé pendant longtemps. Sur le net, il y a un morceau de disponible qui a un peu tourné. Il s’agit d’un featuring avec Demi Portion, Sarkastick, Foudealer et Dj Veekash, intitulé « La province vient te parler ». Mais j’ai laissé le chant de côté lorsque j’a commencé à collaborer avec Saké. Si tu veux être parmi les meilleurs dans un domaine tu ne peux pas tout faire.

Quels sont tes premiers souvenirs en tant qu’auditeur de rap ?

En rap américain, j’ai des influences plutôt new-yorkaise avec des artistes comme Mobb Deep, M.O.P. Côté français, les deux premiers CD que j’ai eus sont les disques de la FF, Si Dieu veut et celui d’IAM, L’école du micro d’argent.

Tu étais donc plutôt attiré par le rap du sud de la France ?

J’ai découvert les artistes parisiens comme NTM plus tard. Comme dans mon enfance je n’ai jamais été basé sur Paname, je ne me suis pas pris le rap de la capitale direct. C’est arrivé un peu après avec Time Bomb notamment. Ma grosse claque a été Lunatic et notamment le morceau « Le crime paie ». Avec mes collègues, nous avions pu assister au concert mythique de l’Élysée Montmartre en 2001.

C’est un concert qui restera gravé dans l’histoire du rap français. Quels souvenirs en as-tu ?

C’était la folie. Je me souviens même de la date pour te dire. Le concert a eu lieu le 12 juin. Six jours plus tard, je partais en bateau pour la Nouvelle-Calédonie. Je peux te dire que je me suis souvenu de cet évènement pendant un an.

Lorsque tu étais en mer, avais-tu les moyens matériels et du temps pour composer ?

En fait, de mes 17 à mes 27 ans, j’ai bossé avec un ordinateur portable et des écouteurs. Comme je t’ai dit, j’ai commencé sur eJay avant qu’un très bon ami à moi, Hell Gordo, m’apprenne a me servir de Fruity Loops en 2004. Quand j’étais à terre j’avais un PC fixe mais sur le bateau, dès que j’avais un moment de libre, je faisais des prods. Ce qui est assez paradoxal c’est que j’étais plus productif en mer avec un boulot de sept ou huit heures par jour que maintenant.

As-tu utilisé des MPC par la suite ?

Non, j’ai toujours travaillé essentiellement sur ordinateur. Honnêtement je suis beaucoup plus software que hardware. Notamment pour des raisons économiques. Ce qui est important c’est de connaître ton système d’écoute. Même avec des écouteurs de mauvaise qualité, une fois que tu t’es habitué à écouter comment le son sort, tu peux procéder à des corrections techniques. Quand j’ai eu un peu d’argent, j’ai investi dans des enceintes pour me faire plaisir.

Au niveau des banques de sons, as-tu des préférences ?

Concernant les banques de sons, j’ai toujours été piocher un peu partout. Maintenant je travaille plus avec du vinyle car j’en ai une grosse quantité et c’est quelque chose que j’aime. Je reste tout de même très ouvert. Si j’entends un sample que je kiffe sur Youtube, je n’ai pas de scrupule à l’utiliser. Pour moi cela reste de la musique et il n’y a pas de règle. On sait que le son va certainement finir dans des écouteurs lambda et qu’il sera téléchargé au format mp3. La pureté n’est pas un critère primordial. Si le son en lui-même est bon, il restera bon.

Une des rencontres importantes dans ta carrière est celle avec Scylla. Comment avez-vous commencé à  bosser ensemble?

Nous nous sommes connus grâce à un ami qui s’appelle Darkelixir. C’était une fierté, j’ai senti à ce moment là que je franchissais un palier. Par le passé, j’ai aussi collaboré avec Pepso d’Angers qui fait dorénavant partie du duo Rezinsky et qui avant ça était dans la formation « Rue d’la pisse », et également avec Wadi. Je me rappelle qu’avec Pepso, ils avaient participé au End Of The Weak à Nantes et je les ai connus à cette occasion. J’ai pas mal baroudé dans les évènements hip-hop dans toute la France pendant un moment. J’avais apprécié leur prestation scénique et je leur avais filé un CD de mes prods. Les contacts avaient tous quelque chose de beaucoup plus humain et moins impersonnel.

L’arrivée des réseaux sociaux a été un véritable tremplin pour ta carrière ?

Les réseaux sociaux ont permis aux membres du rap indépendant de se réunir et surtout de prendre conscience de la force que nous avions. Lorsque nous avons commencé dans la musique, nous ne connaissions pas le visage des beatmakers. Si tu voulais échanger avec eux, il fallait se rendre dans les concerts et espérer les rencontrer. Pour l’anecdote, il y a peu nous avons fait une interview pour OKLM avec Lacraps et nous avons croisé Djimi Finger. C’était un rêve de gosse car cela était impossible à l’époque. Je suis resté à côté de lui à discuter pendant près de trente minutes avant de me rendre compte que c’était lui.

Nous avons l’impression que le côté homme de l’ombre du beatmaker est quelque chose qui te convient parfaitement. Tu sembles avoir du mal à t’exposer. 

Totalement. Je suis conscient qu’il faudrait que je me prenne un peu plus au jeu mais je suis trop un mec de l’ombre. C’est pour ça que je n’ai jamais fait d’interview jusqu’à ce jour. Je n’aime pas l’idée d’être personnifié ou idolâtré. J’ai du mal avec tout ce qui peut flatter l’égo. J’essaie de me tenir éloigné de ces choses car tu peux vite perdre pied. De toute façon, vu comment la musique remplit notre frigo, j’ai du mal à comprendre ceux qui ne gardent pas la tête froide. De mon côté, j’habite dans un village de 800 habitants, je suis tranquille dans mon coin et cela me convient très bien.

Mais est-ce que tu n’as pas souffert du manque visibilité des producteurs ? Jusqu’il y a peu, vous n’étiez même pas crédités dans les clips.

Aujourd’hui je ne me plains pas mais j’ai envie de te dire que ce n’est pas encore égalitaire pour tout le monde. Si tu es produit par Mani Deïz, Al’Tarba, I.N.C.H ou des artistes de ce genre, cela peut être valorisant de les mentionner. Si tu es un jeune beatmaker, tu dois toujours autant lutter pour faire apparaître ton blaze. Des artistes comme moi ou ceux que je t’ai cités en souffrent moins à ce jour. Mais ça reste toujours difficile. Une remarque que je me suis faite est que je vois rarement des noms de beatmakers que je ne connais pas. Et pourtant j’écoute quand même pas mal de sons donc cela me semble étrange. Il faut savoir que nous nous sommes battus pour être crédités et être reconnus à notre juste valeur. Après ça fait partie du jeu.

En parlant d’égalité, est-ce-que tu penses qu’elle est respectée lorsqu’il s’agit de faire les comptes après la sortie d’un projet ?

Tout dépend de ce que tu as fait sur le projet. Moi à l’époque, et même encore maintenant, quand je donne une prod à un pote, je ne demande rien. Après si tu fais un projet commun, il vaut mieux se mettre d’accord au départ pour éviter les surprises, c’est sûr.

As-tu eu l’opportunité de signer en maison de disques sachant que tu as collaboré avec des rappeurs comme Guizmo, le S-Crew …

J’ai bossé avec Y&W à une époque et je continue à l’heure actuelle car Guizmo bosse sur un nouvel album. Je pense honnêtement qu’il va revenir avec le meilleur de ses projets. Il a pris de la maturité et on le ressent déjà sur son dernier opus. Pour les story stelling il est vraiment très doué. En général pour les maisons de disques, le fait que je bosse avec des samples représente un frein. C’est une contrainte à prendre en compte. Après si je devais signer quelque part, la seule boite qui pourrait m’ouvrir un catalogue intéressant serait Universal. J’aurais accès à une banque de sons et à un nombre incalculable de vinyles vu qu’ils ont les droits de nombreux disques. Autrement, je ne vois pas vraiment l’intérêt d’aller s’enfermer avec un contrat dans une maison de disques. Je préfère être affilié à un ou plusieurs artistes. En maison de disques, il faut savoir qu’il y a des rabatteurs qui vont prendre tes prods pour aller démarcher et te promotionner auprès de managers. Je trouve que ça a un côté assez impersonnel. Si vraiment je reçois une proposition très intéressante j’y réfléchirais, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

Et monter ta propre structure, est-ce quelque chose qui pourrait t’intéresser ?

Je suis actuellement en plein dans les démarches pour monter ma boîte d’édition. L’objectif est de développer et distribuer dans les meilleures conditions toutes mes sorties. C’est une manière de conserver ce qui m’appartient. Je travaille avec mon pote P-by  qui s’y connait dans ce domaine.

Revenons sur ta rencontre avec Saké et la sortie de La clef de la cave.  Peut-on considérer que tu t’es fait un nom sur la scène nationale à ce moment-là ?

 À l’époque nous avions monté un duo avec mon pote P-by qui s’appelait All Street . Nous étions deux à faire des prods. C’est lui qui m’a fait découvrir Saké. On kiffait tous les deux son travail donc on s’est mis en tête de lui faire des instrus sur mesure et de les lui envoyer. Comme j »avais déjà eu l’opportunité de bosser avec Scylla, son manager lui avait fait écouter certaines de nos instrus. La connexion s’est faite ainsi. Concernant La clef de la cave, je pense que ce projet représente ma carte de visite. Il m’a fallu dix ans pour pouvoir proposer un travail de cette qualité et placer des prods pour un artiste qui tourne. J’ai produit la moitié de l’album alors qu’avec Scylla c’était plus ponctuel. Saké a besoin de créer une alchimie avec le beatmaker, c’est ce qui a fait la force de La clef de la cave.

Vous étiez donc ensemble en studio pour la confection du disque ?

La première fois que nous nous sommes rencontrés, j’a dû lui faire écouter 110 prods. Arrivé à la 90ème, je commençais à transpirer. Finalement, il a choisi la 105ème ou la 106ème. Il s’agissait de la prod de « Je suis de retour » mais qui au final n’a pas été retenue pour ce morceau. Nous allions ensemble au studio, j’étais présent lorsqu’il enregistrait et j’ai également participé aux mixs.

Où avez enregistré et fait mixer l’album ?

Nous avons enregistré à Blaxound et les mixs se sont faits principalement avec Matt de D-Mix Studio. Il est basé à Brest et il fait du très bon travail.

Ce disque est certainement l’un des meilleurs sortis en France en 2012. As-tu mesuré l’impact qu’il avait eu à l’époque?

C’est clairement le projet qui m’a ouvert les portes du rap indé. Dessus, il y a des collaborations avec Grödash, Guizmo, L’Indis, Swift Guad. Saké m’avait ramené pour le clip d’ « Aucun Sens » de L’Indis aussi. J’ai accroché avec Bruno et on a décidé de bosser ensemble pour Mes classiques. Quand tu décides de créer des projets en commun avec des rappeurs, tu développes  ton réseau. Par exemple à cette occasion j’ai connu Jeff Le Nerf.  Quand tu places des prods un peu dans tous les sens, tu n’as pas forcément de contacts directs et je trouve ça dommage.

À quel moment décides-tu de te professionnaliser ? Dès la sortie de La clef de la cave ?

J’ai pris cette décision deux ou trois ans après avoir arrêté l’armée. Après La clé de la cave j’ai fait un petit break mais j’avais quand même un stock de prods impressionnant. Je me suis rendu compte qu’au début de ta carrière, tu as beau faire écouter des instrus de ouf à la terre entière, personne ne fait attention à ton travail. Une fois que tu as produit un titre qui marche, tu refais écouter ces mêmes prods et d’un coup les gens se mettent à les kiffer.

As-tu était souvent frustré du fait qu’un rappeur ne te prenne pas  une prod qui pourtant aurait collé selon toi avec son univers ? 

Cela m’arrive beaucoup moins maintenant car je bosse avec des artistes avec qui nous avons une confiance mutuelle. Par exemple avec LaCraps nous nous entendons à merveille. Pour Boom-bap 2.0, j’ai dû lui envoyer vingt  prods et nous en avons gardé une quinzaine. Mais sinon, souvent tu fais une palette et tu te dis « Celle-là c’est du sur mesure ! ». Au final, il prendra celle que tu as hésité à mettre dans le pack.

Pour revenir à ton souhait de te professionnaliser, comment t’es-tu organisé pour faire rentrer de l’argent ? 

C’est très compliqué. J’ai travaillé longtemps à côté. Par exemple, quand tu as pris l’habitude de donner des prods à des rappeurs que tu apprécies, le jour où tu demandes une contrepartie, cela devient délicat. Il y a des gens qui jouent le jeu et d’autres non. Pour ma part, je pense que j’ai toujours été un très mauvais commercial par le passé. Une fois que tu as franchi le pas, la gratuité n’existe plus mais il y a toujours des arrangements possibles. Tu peux troquer une instru contre un service mais il faut que tout le monde soit gagnant. Quand tu veux te professionnaliser, c’est triste à dire mais tu es tout de même obligé d’essayer de sortir un peu de l’indé. Aujourd’hui, si je fais le bilan, pourquoi est-ce que les beatmakers de ma génération n’ont pas 50 000 abonnés sur Youtube ? Simplement parce qu’à l’époque on faisait notre musique avec passion et on ne voulait pas parler d’argent. Sauf que certains on été plus malins et on réussi dans la durée. Je pense par exemple à l’équipe de Daymolition qui a bossé dans son coin et qui déchire. Ils se sont fiés à leurs convictions et n’ont pas écouté les rageux. Nous, nous n’avions pas conscience de toutes ces choses, de la force qu’on pouvait avoir et surtout du nombre qu’on était.

Quelles sont tes principales sources de revenu actuellement à part la vente de prods ? Le fait de créer ta maison d’édition va te permettre de te diversifier et de tourner vers la publicité ou le cinéma par exemple ?

Exactement. La publicité et le cinéma sont des milieux très fermés car les personnes en place défendent leur propre travail, ce qui est tout à fait normal. C’est difficile d’y rentrer mais le cinéma par exemple m’attire beaucoup. Concernant mes sources de revenu, mis à part les ventes de prods, je touche de l’argent de la Sacem, des royalties et des concerts.

Tu as décidé de produire entièrement l’artiste Viez et de t’occuper de son développement. Comment en es-tu arrivé à t’investir dans ce projet ?

En fait pour moi c’est la suite logique pour un beatmaker. Si tu regardes à l’époque des carrières comme celles des mecs de Kilomaitre Production, Kore et Skalp, ce sont des exemples à suivre. Il s’agit d’artistes qui ont un studio et qui font défiler les rappeurs chez eux. Au bout d’un moment il y a une pépite qui passe. Mon idée était de commencer à produire globalement un artiste et de ne pas me cantonner uniquement à l’aspect musical. C’est une tentative d’évolution dans ma carrière pour gravir les échelons, cela me semble naturel.

Comment l’as-tu repéré ? Est-ce  par le biais des réseaux sociaux ?

Je traîne pas mal sur Facebook et c’est comme ça que j’ai découvert son travail. J’ai tout de suite accroché. Je l’ai contacté par message privé et nous nous sommes bien entendus humainement et artistiquement. Je lui ai expliqué mon objectif qui était de développer un artiste de A à Z et il a accepté.

https://www.youtube.com/watch?v=xxqOC4OvTvA

Quelles facettes du métier ont été nouvelles pour toi ?

Tout d’abord la gestion humaine. Ensuite, gérer de l’administratif, m’occuper de la logistique pour les studios, uniformiser le projet. Mon objectif est que Viez n’ait qu’à se concentrer sur écrire ses textes, les poser en studio et se produire sur scène. Il y a une vraie communication entre nous. Je dois également booker les concerts, m’occuper de la réalisation des clips. Pour le premier morceau « Poussière d’étoile » j’ai sollcité Tarmack Films car ils faisaient partie de mon réseau actuel. Ils ont fait un super boulot. Ensuite nous avons collaboré avec Slob sur « J’ai vu », avec Christopher pour « Les voix du silence » et avec La Fibre pour « L’inconnu ». On sortira bientôt le clip du morceau « Humour noir » en featuring avec la Scred Connexion.  Un clip en 2D entièrement dessiné par Sabio. C’est un choix de notre part de ne pas être redondant et d’essayer d’apporter quelque chose de différent à chaque clip. Heureusement, depuis peu j’ai mon associé P-By qui m’aide pour tout ça.

Moins d’un an après la sortie de l’album Les voix du silence de Viez, quel bilan tires-tu de ce projet?

C’est incroyable, nous avons eu tellement de retours positifs, de messages de soutien, de force. Cela fait vraiment chaud au cœur, on a mis tout ce qu’on avait dans cet album, et les gens nous le rendent amplement. Nous savons parfaitement que nous faisons exclusivement partie du rap indépendant pour le moment. Nous avons dû vendre entre 500 et 600 disques, sachant qu’il n’y a pas eu de promo ni de communication derrière. Nous n’en espérions pas tant même si nous avons mis les moyens pour le produire. Je pense que si tu regardes toutes les dernières sorties des dernières années dans l’indé, mis à part le dernier album d’Hugo TSR, le projet Trois fois rien de Seyté, Senamo, Mani et le dernier de LaCraps, en termes de qualité audio, de mix, c’est difficile de faire mieux. On a eu la chance de pouvoir nous entourer d’un vrai professionnel et ami comme Loko. Nous nous sommes connus en travaillant avec G-Zon de la Meute puis Karna.

En parlant de Loko, c’est également avec lui que vous avez enregistré les derniers projets de LaCraps Les preuves du temps et Boom-bap 2.0. Cette rencontre et ces collaborations avec le montpelliérain semblent  importantes dans ta carrière. Sur Les preuves du temps, ce sont les premières prods hors boom-bap que tu as sortis. 

Tout à fait, nous étions tous les deux dans une démarche de transition mais sans qu’il y ait de cassure par rapport à notre travail initial. Nous aimons le sample car il peut se composer d’une multitude d’instruments et d’une richesse musicale difficilement égalable. Le boom-bap se situe généralement entre 80 et 95 bpm mais il y a toujours eu des morceaux plus lents ou plus rapides. C’est une évolution. Au bout d’un moment, choisir un tempo proche des 90 bpm et faire une boucle, ça peut devenir lassant. Je pense que pour un rappeur qui écrit c’est la même chose. Tu as tes automatismes mais tu as envie d’essayer de nouvelles choses. Si tu as un minimum de sens artistique, tu es obligé d’être curieux. Il y a du bon dans toutes les musiques.

Est-ce que tu as travaillé beaucoup plus pour produire des instrus composées de sonorités plus actuelles ?

Ça m’a pris plus de temps car c’était nouveau pour moi et il y avait des codes que je ne connaissais pas. J’ai tâtonné et petit à petit je suis arrivé à un résultat satisfaisant, comme lorsque j’ai commencé le beatmaking. Au début, mes rythmiques étaient un peu foireuses. Je me suis mis à les bosser. Par la suite, je me suis rendu compte que mes basses étaient fausses donc j’ai travaillé cet aspect là. Je pense que la majorité des beatmakers sont passés par ces étapes.

Comment vous êtes-vous rencontrés avec Lacraps. Est-ce par le biais de Mani et de leur projet commun 42 Grammes ?

C’est à cette époque effectivement. J’étais allé les voir en concert à plusieurs reprises. On a discuté et le feeling est passé. Je lui ai envoyé des prods et à cette époque il bossait sur Les preuves du temps même si le concept du double CD n’était pas encore né. On s’est mis d’accord et j’ai commencé à travailler à fond sur le projet. Avec Ali je n’ai jamais eu de souci pour bosser. Il me fait confiance pour le choix des prods et il sait ce qu’il veut. On a la chance aussi d’avoir Loko derrière pour les mix et le master. Par exemple, quand j’estime que ma snare tape assez fort, même si je sais qu’elle n’est pas mixée ou qu’elle pourrait sonner encore mieux, je ne vais pas m’attarder car Loko va passer dessus et l’embellir.  

Pourquoi avoir choisi d’enchaîner rapidement avec la sortie de Boom Bap 2.0 ?

Sur Les preuves du temps, j’ai participé à la confection de nombreuses prods mais nous avions l’envie de partir sur un projet exclusivement en binôme.   

D’où vient l’idée de sortir une réédition de l’album quelques mois après la sortie ?

Nous avons eu énormément de bons retours et PIAS nous a contactés pour nous proposer de distribuer le CD à la Fnac. Il fallait donc faire une réédition pour que cela se fasse. Ça a été l’occasion d’offrir des morceaux inédits à nos auditeurs.

Récemment on t’a également vu sur le projet Bendero de Moha La Squale. Comment s’est faite cette collaboration?

Grâce à Tarik de Marché Noir qui est un ami de longue date. Il a monté son studio à Bastille et il charbonne depuis un moment. Il a vu du beau monde passer. Il a enregistré  Hayce Lemsi & Volts Face, MHD, il s’occupe maintenant d’ S.pri Noir. Grâce à lui, aux côtés de Fabio, j’avais déjà produit le morceau « L’expérience » de Volts Face et Jarod. Il m’a rappelé en me disant « Tu es là depuis le début, j’ai quelque chose de sympa qui se prépare, ce serait bien qu’on collabore de nouveau ensemble« . Je lui ai envoyé quelques prods et au final il y en a une qui a été retenue. Il s’agit du morceau « J’me rappelle papa ». Un artiste qui fait un Olympia sans avoir sorti de CD au préalable, ça ne s’est jamais vu. Qu’on aime ou pas, le type à un truc, c’est indéniable.

En parlant de scène, le fait de bosser en duo avec LaCraps te permet de participer régulièrement à de nombreux concerts en tant que DJ. Est-ce une nouveauté pour toi ?

En fait c’est quelque chose qui s’est fait naturellement. Si ce n’était pas mes prods, je n’aurais jamais été faire ça. À la base, je ne suis pas du tout issu du DJing. J’ai beaucoup de respect pour des artistes comme Dj Roxr,  Dj Blaiz et Dj Rolxx. Je m’étais déjà essayé à l’exercice avec Saké à l’époque mais de façon ponctuelle. Actuellement, cela me permet de rencontrer notre public. Je n’aime pas trop la foule, je suis un ermite, mais ça me permet de vivre des moments magiques. Récemment nous avons fait l’Olympia avec Demi Portion, c’était juste incroyable.  

Comment expliques-tu que tu aies attendu 2017 pour sortir One Way, ton premier projet exclusivement instrumental ?

J’ai trop regardé les autres faire et le côté homme de l’ombre que nous avons déjà évoqué a été nuisible pour moi. Encore aujourd’hui j’ai du mal à réaliser la portée que peut avoir mon travail. C’est quelque chose qui me dépasse. Même à mon humble niveau, c’est déjà presque trop pour moi.

As-tu l’idée d’en sortir un second ?

Pour ne pas te mentir, j’ai un autre album de prods funk qui est prêt depuis cinq ans… Mais je suis sans doute trop feignant de ce côté-là. Quand c’est pour Viez, je suis super motivé et je le fais direct. Lorsqu’il s’agit de moi, j’ai toujours la sensation que ça peut être reporté au lendemain.

Sur ton site internet, tu affiches clairement des instrumentales à vendre à divers tarifs. Peux-tu expliquer comment cela fonctionne ? As-tu un message à faire passer à tous les rappeurs qui te demandent régulièrement des prods gratuitement ?

Sur mon site il y a des prods qui sont accessibles. Cependant, lorsque tu sollicites quelque chose d’accessible, tu ne peux pas exiger de l’exclusivité. Ce n’est pas cohérent. Je propose donc des sons au format mp3 à 15 euros, des wav à 30 euros et si tu as crées un morceau et que tu as un 16, un 12 ou un 24 et que tu veux changer la structure, tu peux opter pour l’option piste par piste à 90 euros. Pour être clair, aujourd’hui je suis passionné et aussi professionnel. Je m’intéresse naturellement à ce que font les jeunes rappeurs mais je ne peux clairement pas dire oui à tout le monde. C’est pour ça que j’ai mis ce système en place. Si tu veux la prod en exclusivité, elle est accessible pour 180 euros. Si tu choisis cette option je la retire du site.  À côté de ça, quand quelqu’un vient me demander une instru, je demande entre 200 et 300 euros en général. Pour que tu aies un ordre d’idée, quand je demande un cachet studio, lorsqu’une major me prend une prod, elle me reverse entre 800 et 1 000 euros minimum. Il faut savoir qu’avec ma société constituée, environ 30% du prix total n’est pas pour moi et est reversé à l’Etat. Les gens doivent en avoir conscience. D’autre part, si tu contactes des artistes qui ont fait des prods pour des rappeurs mainstream, le coût est d’au moins 1500 ou 2 000 euros le morceau. L’étiquette de producteur indé, de passionné me colle à la peau et les gens l’associent de façon erronée avec la gratuité. Ils pensent que nous n’avons pas le droit de faire de l’argent.

Quels sont tes projets pour la rentrée ?

 Le deuxième album de Viez principalement. Je vous préviens que ça va être quelque chose ! Il y aura aussi d’autres collaborations avec LaCraps sur ses prochains projets, pleins de prods sur mon site, et vous avez peut être entendu parler de la reformation d’ATK…

Le mot de la fin?

One love à ceux qui apprécient mon son. Toute mon actualité est disponible sur mon site internet.

Crédit photo: YA RIEN NADIR 

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