Entretien – Saïdou, du Ministère des affaires populaires à Sidi Wacho

Le nom du « Ministère des affaires populaires » vous dit peut-être quelque chose. Si vous venez du nord de la France, il est assez improbable que vous soyez passés à côté d’un son comme « Lillo », véritable hymne à cette région populaire souvent moquée par le cinéma français. Par ailleurs, parce qu’ils furent boudés par les médias spécialisés, il est probable que vous ne sachiez pas grand chose de ce groupe aujourd’hui disparu et dont les leaders furent Saïdou et HK. Alors que Saïdou était en tournée pour la sortie du deuxième album de son groupe  actuel, Sidi Wacho, nous l’avons rencontré à Montauban pour ressasser le passé, parler du MAP, de ses compañeros chiliens et de rap français. La parole est à lui.

LA NAISSANCE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES POPULAIRES

C’est un groupe qui s’est formé tardivement par rapport à nos âges. On a tous dépassé 25 ans. On avait déjà des groupes à Lille, plus  »traditionnels » (selon l’idée qu’on se fait généralement du rap) avec une formation « mc’s et platines ». Je pense que notre ouverture et notre changement de cap musical sont liés à des prises de conscience politique, en lien avec la question de la culture : nos cultures doivent-elles être mises dans notre musique ou bien ne doit-on s’inspirer que du rap français et américain ? J’écrivais mes premiers textes sur la route du retour quand j’allais voir IAM, Raggasonnic, NTM, Time Bomb en concert, parce que tu t’identifies et en même temps tu mimes. Mais, à côté de ça, on était dans une réflexion sur des questions d’identité : nos identités africaines ou maghrébines doivent-elles être dans nos musiques ? Il y avait 113 qui à l’époque s’inspirait de samples orientaux et ça nous plaisait. Nous, on avait envie de mettre des instruments en plus parce qu’on aimait faire de la musique, que l’on avait des formations un peu « reggae ».

De fait, notre esthétique était le résultat d’une prise de conscience politique sur la question de l’identité : on voulait faire du rap qui nous ressemblait. Cela nous a dégagés de la case « rap traditionnel ou puriste », et pourtant je me sentais « puriste » car on avait un truc plutôt clair, engagé, politique. On est sorti de cette case  avec tristesse parfois, sûrement avec déception. Quand on est arrivé avec MAP, on n’était pas intégré au mouvement officiel. On était trop rap pour certains et trop world musicalement pour d’autres. Pourtant, on n’est pas rentré dans la famille de la chanson ou dans la world music. On s’est retrouvé dans une case de musique indépendante un peu hors-mouvement et on était parfois plus proche des musiques arabes ou orientales. Les médias hip-hop sont en bonne part responsables. Ce sont eux qui nous ont vu arriver avec des thèmes différents, de l’accordéon, etc. Cela n’a pas branché les chroniqueurs. On n’a pas eu notre place dans les médias car on n’a eu aucune chronique sur les sites spécialisés ou les fanzines. Si tu ne rentres pas sur les sites ou les radios spécialisés, tu ne rentres pas dans le mouvement.

On peut expliquer cela par le fait qu’on dérangeait politiquement et que notre positionnement pouvait culpabiliser les gens. Il me semble que cela a un peu évolué, mais il y a de cela une dizaine d’année les journalistes hip-hop étaient des petits minets qui aimaient s’encanailler avec du rap. Franchement, c’était mon avis à l’époque, et je ne servais pas la soupe à ça. Je n’avais pas envie de faire semblant d’être entre canailles et d’écouter du rap. On n’était pas potos. On était des militants : on faisait des concerts de soutien dans les manifestations, les grèves, sur des questions de sans-papiers, la question palestinienne. Les chroniqueurs de médias spécialisés étaient loin de tout ça.

Or, paradoxalement, je me suis retrouvé à être l’avocat du rap dans des réseaux où celui-ci n’était pas : les réseaux de festivals, avec des médias de chansons françaises, de rock, de reggae. Je défendrais le rap et la culture hip-hop comme quelque chose de fondamentalement nécessaire à la société, car c’est une expression des quartiers populaires et révolutionnaire. Je me suis pris le bec dans des émissions de radio en expliquant que le rap était une des seules cultures mondiales universelles. On rappe de Bogota à Dakar, de Mongolie à Moscou, à Ramallah, à Sidney, on rappe dans le monde entier. J’expliquais que le rap était l’art le plus universel, et je le pense, car c’est un moyen d’expression de quartier, de pauvre. Quand tu fais du rap, tu rencontres des gens dans lesquels tu te reconnais : tu fais des connexions dans le monde entier avec des gens qui font du hip-hop. J’ai toujours été content, fier, d’être là-dedans et de faire du rap.

DEBOUT LA D’DANS ! ET LES BRONZÉS FONT DU CH’TI

Avec MAP, on signe en label chez Pias. On était en licence chez eux et on fait le deuxième album en artiste. J’aimais bien PIAS car c’était un gros label mais un label « indé », dans le vrai sens d’indépendant. C’est eux qui avaient sorti les trois volets de La Rumeur et ils avaient distribué 11’30 contre les lois racistes. J’aimais bien l’esprit sans directeur artistique et sans single. Il y avait quelque chose d’assez radical dans leur démarche. Cela nous ressemblait. On est d’ailleurs toujours chez Pias en distrib avec Sidi Wacho.

On a eu de bons retours sur ce premier album, mais je n’ai jamais été trop gourmand sur le succès. On préférait la reconnaissance au succès. J’ai refusé pas mal de promo, Drucker par exemple dans son émission du dimanche, parce que cela ne me ressemblait pas. Le monde de la télé ne m’intéresse pas, principalement pour des raisons politiques. Malgré tout on s’est fait flatter, et quand tu te fais flatter on peut faire de toi n’importe quoi. France 4 était venu nous voir à l’époque et nous avaient demandé de participer à l’Eurovision [dans le cadre des présélections] car ils voulaient en faire quelque chose de plus alternatif. A cette période, ils filmaient des festivals et voulaient des groupes de rock, des groupes de rap. On a accepté parce qu’on s’est fait flatter. C’était une bonne expérience que d’aller à un endroit où tu n’as pas du tout envie d’être, car après tu te dis que tu n’y retourneras plus. Le feu brûle, et une fois que tu l’as appris, ensuite tu fais attention.

Après le deuxième album, le MAP se dissout. HK et moi partons chacun de notre côté. HK produit beaucoup, il a mille idées à la seconde. Je comprenais sa frustration de ne pas pouvoir chanter les chansons qu’il désirait. C’est lui qui a eu l’idée de faire ses premiers concerts en solo. Quant à moi, j’aime bien ne rien faire, j’aime bien traîner, être avec mes potes, mais ça ne paie pas le loyer ! J’accumule des textes, j’écris beaucoup et le seul moyen ensuite de vivre c’est de tourner. Je ne vis que de la scène. C’est beaucoup de temps, d’énergie, de routes. C’est stressant de faire de la scène mais c’est également un grand plaisir. J’ai dû jouer dans tous les départements de France. C’est une vie intéressante, une vie riche car tu rencontres du monde tous les jours.

L’ENTOURAGE ET LES FEATURINGS

Comme disent les féministes, on ne peut pas séparer l’intime du politique. Je suis connecté politiquement avec mes potes. Si je fais quelque chose avec Gaza Team, Première ligne ou La Jonction, c’est parce qu’il y a une connexion. En gros nom, on a fait un titre avec Keny Arkana à l’époque du MAP, mais c’est tout. Je suis nul en featuring. Si ce n’est pas moi qui ai pensé le titre, je n’ai pas l’inspiration. Si ce n’est pas moi qui ai pensé l’instru, le BPM, je ne suis pas inspiré. Si je ne suis pas inspiré, je suis nul. J’ai honte d’aller faire un truc et de ne pas être à la hauteur. Si je ne pense pas le morceau de A à Z, je ne suis pas bon (je mets de côté le cas MAP). Du coup, je refuse des featurings car j’ai peur d’être mauvais, mais c’est une réalité : je suis mauvais sur les featurings.

LE CHILI ET LA NAISSANCE DE SIDI WACHO

Sidi Wacho est le fruit d’une rencontre avec plusieurs musiciens. Je suis parti en Amérique du Sud avec un billet aller, sans billet retour. J’y suis allé pour prendre l’air, visiter le continent du Che et des indigènes sud-américains, du Chili jusqu’à la Havane. J’avais pris un enregistreur avec moi pour apprendre. Nous, enfants de l’immigration, on ne voyage pas car on n’a pas cette culture. En voyage, je n’ai pas rencontré un seul arabe et noir de France. Alors, je racontais aux locaux comment ça se passait en France : les contrôles d’identité, la violence policière. Eux me disaient qu’ils rencontraient plein de français et que personne ne parle jamais de ça. C’est donc intéressant de témoigner aussi à l’extérieur.

J’ai commencé par le Chili, en pensant remonter jusqu’à Cuba, et sur mes six mois, je suis resté quatre mois au Chili, un mois en Colombie et un mois en Bolovie. J’ai de suite rencontré des musiciens, des projets se sont mis en place, des connexions intéressantes. J’ai rencontré un DJ, un graffeur, et on a partagé des trucs. Avec Juanito Ayala, on a commencé à faire quelques chansons, et voilà. Au bout de six mois je suis rentré en France, d’ailleurs avec l’idée de refaire du MAP, mais j’ai fait écouter les maquettes qu’on avait faites au Chili à Jeoffrey, l’accordéoniste de MAP, qui m’a dit qu’il avait envie de mettre de l’accordéon dessus. De ce fait, on a relancé une petite machine, j’ai appelé les copains chiliens en leur demandant si ils voulaient en faire davantage. Donc, j’y suis retourné, Juanito est venu. Finalement, on s’est retrouvé avec un album réalisé en deux mois.

LE PROCESSUS DE CRÉATION ET LES ALBUMS  DE SIDI WACHO

L’idée est de tout faire en deux mois : maquette, textes. On s’enferme, chacun ramène des idées. C’est une œuvre collective. Jeoffrey, qui est accordéoniste, est aussi beatmaker. Il propose, on partage. On fonctionne encore comme des rappeurs : tant qu’il n’y a pas de beat avec une couleur, je ne sais pas encore bien écrire. Mais dans le faits, il n’y a pas vraiment de règles. En ce qui concerne les textes, chacun vient avec son couplet. Culture rap ! On a un vrai projet commun : chacun vient avec son truc et on voit comment on mélange ça. On a appris à mélanger nos inspirations et à laisser de la place pour chacun. C’est notre force, c’est ce que l’on sait faire !

Pour survivre, il faut de l’actu. Sans actu, tu ne tournes pas ! Comme on est un groupe de scène, le tourneur nous a mis la pression pour qu’on fasse un album. La réalité est qu’aujourd’hui un album meurt en six mois. Si tu veux exister, il faut de l’actu, pour nous le plus simple est de faire un nouvel album. Il faut se faire mal. Mais attention, c’est une période agréable, ce n’est pas stressant et on ne se prend pas la tête en studio. Quand on travaille avec un groupe comme le nôtre, chaque chanson est un labyrinthe. Il faut réussir à sortir du labyrinthe. On travaille, on travaille, on cherche et on finit par s’en sortir.

FAIRE DES CONCERTS AVEC SIDI WACHO

Sidi Wacho nous a ouvert des portes à l’étranger. On joue en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Espagne. On joue aussi au Chili, même si l’économie est compliquée là-bas : il n’y a pas les mêmes équipements. On joue pas mal en sound system au Chili. Le set change un peu en fonction des pays, et on est un peu plus bavard sur scène en France qu’au Chili. Les publics sont différents en fonction des pays, mais dans mes concerts en France, j’ai l’impression que le public ressemble à la société dans laquelle on vit. Tu sens dans les concerts une représentation des noirs, des arabes, une mixité, des hommes, des femmes, des vieux, des enfants. Je suis assez content car je trouve que ce public ressemble au monde dans lequel on vit nous. Même si ça manque un peu de bourgeois (rires).

Il est certain que la Révolution ne se fait pas dans une salle de concert, mais on a besoin de se divertir aussi. Ce mot « divertir » fait peur car ça fait TF1. On a besoin de se divertir, se sortir la tête des problèmes, de se reposer un peu la tête. Pour se reposer la tête, il y a deux solutions : les mainstreams (TF1 ou M6) ou l’expression populaire (la danse, le quartier). Je crois en  l’éducation populaire, au théâtre populaire, comme source de divertissement.

UN RETOUR DU MAP ?

Est-ce qu’il y aura un retour du MAP ? Peut-être, si la santé nous le permet. On a dépassé les quarante piges. MAP ça demande beaucoup d’énergie. Si on a envie de reproduire l’énergie MAP, il ne suffira pas que ce soit simplement dans la tête, il va falloir que le corps suive. Si on regarde NTM, ils font encore des concerts, mais bon, ils ne font pas quarante concerts par an…

Partagez:

Un commentaire

  • yes, très intéressant,
    j’ai pu voir sidi wacho a douarnenez ce week end et très très bon moment!
    par contre je suis étonné qu’a aucun moment on ne parle de Z.E.P ( zone d’expression populaire ) qui a mon sens semble incontournable dans le parcours de saidou.

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.