Pejmaxx, sans titre ni étiquette

2007. Le rap s’est considérablement durci au point d’ériger la street crédibilité en premier critère de qualité, un style qu’on oppose alors de manière manichéenne à un autre courant, loin de la tendance, conscient, parfois moralisateur, souvent attaché à des sonorités issues de la décennie précédente. C’est dans ce contexte que débarque Pejmaxx avec le maxi qui précédera la sortie de Porte parole en 2008, mêlant identité quartier et authenticité. Le projet est porté par un phrasé qui transpire les grands ensembles, une plume de haute volée, et des productions actuelles signées Soulchildren, duo de producteurs en pleine ascension du fait de leurs collaborations antérieures avec de grands noms tels que Diam’s, Flynt ou Youssoupha. Capable de sampler Kery James et MC Jean Gab’1 sur un même album, le MC de Créteil malmène les grilles d’analyse et les frontières des courants de l’époque. Plus sombre, mais dans la continuité directe du premier, la deuxième livraison réunissant le MC de Créteil et l’entité Soulchildren, Enfant de la République, paraît un quinquennat de Sarkozy plus tard, en 2012. Trois constantes sur ces deux opus : une absence totale de featurings en dehors de la garde rapprochée, un coton-tige planqué dans la tranche (pour préparer ses oreilles avant l’écoute) et l’intégralité des versions instrumentales mises à disposition sur un deuxième CD. Un troisième album est annoncé en 2017, avec, comme à l’accoutumée quand il s’agit d’un album de Pejmaxx, une succession d’informations lâchées au compte-goutte, à grand renfort de teasing : des vidéos qui laissent planer un certain mystère autour de la date de sortie – les deux premiers couplets d’un morceau en contenant trois ; les noms des invités dévoilés après un jeu de devinettes autour de leurs initiales ; et une pochette mystérieuse sans que ne soit renseigné le titre de l’album. L’opus étant sur le point de paraître, il est temps de lever le mystère.

L’absence de titre n’était pas une énième forme de teasing, mais une volonté de ne pas en donner à cet album. Musicalement, et comme le laissaient penser les extraits, cet opus se place dans la droite lignée de ce qu’a pu livrer le duo Pejmaxx / Lionel Soulchildren (qui officie désormais en solo) auparavant. Les productions, toujours aussi riches en nombre de pistes, sont plus léchées que jamais, et configurées pour faire bouger les têtes. En jouant sur les effets et un habile découpage des samples avec la patte qui le caractérise, dans un savant mélange de samples et de compositions, Lionel Soulchildren alterne entre longues boucles mélodieuses (« Faux sentiments », « Capsule corp »), productions plus nerveuses (« Dos au mur ») ainsi que des instrus plus lentes énergisées par des batteries syncopées (« Poudre à canon », « Interlude 1 », « Outro »). La plume de Pejmaxx est toujours aussi affûtée et la ligne de conduite n’a pas bougé d’un iota : tenter de rester droit, le menton levé alors que le ciel est bas, l’ambiance pesante, et les embûches nombreuses. L’alchimie entre les deux artistes est intacte, dix ans après le début de leur travail commun. La véritable nouveauté, sur cet album, est la présence de nombreux invités, tous reconnus dans le milieu underground pour la qualité de leurs plumes. Une des attentes du public de Pejmaxx était certes de le voir collaborer avec quelques grandes plumes du milieu, mais avec 15 invités annoncés, on aurait pu redouter un trop grand nombre de morceaux partagés, entraînant une perte de cohérence au regard de l’ensemble du projet. Une crainte vite dissipée après analyse du tracklisting : l’ensemble des featurings se concentre sur six des dix-huit morceaux que contient l’album.

En outre, il existe une logique dans la composition du casting de chaque morceau en featuring. Warlock vient judicieusement s’additionner aux martyrs modernes Néfaste et Ol’Zico (qui ont signé un album commun avec Pejmaxx en 2016 sur des productions de Mani Deïz) sur « Parabole », qui voit réunis pour l’occasion les Bazanés (Warlock et Ol’Zico) qui ne sont pas apparus sur disque ensemble depuis déjà quelques années. Sur « Cœur de miel », Pej’ réussit à trouver sa place aux côtés de Furax et Scylla, deux rappeurs habitués à collaborer ensemble depuis plus d’une décennie. De la même manière, sur « Fantômes », sont réunis HAM Mauvais Graine et Hartigan, tous deux issus du même centre de formation, à savoir le groupe Lyrikal. « Boîte à sardine », critique acerbe du milieu du rap, voit LaCraps, 10Vers, Melan et L’Hexaler croiser le micro aux côtés du MC de Créteil, quatre MC’s ayant tous déjà collaboré entre eux, encore une fois. En revanche, « Peau de banane » et ses couplets de haute volée constitue une première collaboration entre Jeff Le Nerf, REDK et Eli MC, en plus de Pejmaxx. Quant à Flynt, sa seule présence avait de quoi réjouir, tant la collaboration tardait à venir, alors qu’elle paraissait si logique sur le papier. En effet, les deux rappeurs ont en commun une étroite collaboration avec les Soulchildren depuis une décennie, deux premiers albums sortis plus ou moins à la même période, et des plumes a priori compatibles. Ode à la détermination, « ADN » ne devrait pas décevoir leurs auditeurs respectifs, et résulte clairement d’un véritable travail commun entre les deux MC’s, le refrain chanté d’Ol’Zico venant se marier à merveille avec le propos et la jolie mélodie de piano de l’instrumentale.

Finalement, plutôt que de transformer l’album en mixtape améliorée, le partage constitué par ces featurings aura permis au duo d’amener de la nouveauté, et de ne pas lasser l’auditeur averti. Par ailleurs, ces collaborations, sur lesquelles Pejmaxx tient la comparaison face à des lyricistes de renom, mettent en évidence le sens de la formule toujours aussi puissant du MC, sans excès de technique inutile. Autre gage de fraîcheur, l’évolution de Lionel Soulchildren dans son travail de production, qui impose au MC d’adapter son flow à des BPM parfois plus lents, ou des rythmiques moins habituelles, comme sur « Respiration ». Néanmoins, un quinquennat de Hollande après Enfant d’la République, c’est toujours à l’homme de principe attaché à ses valeurs et sa liberté artistique que nous avons affaire, comme il se plait à nous le rappeler sur « Dos au mur » : « Te soucie pas de ce que je gagne mais ce que ça me coûte / Dix piges après je suis toujours là, y’a que devant mon four que je lâche une goutte. » Sortez les coton-tiges.

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