Rencontre avec Itam

Cela fait de nombreux mois que l’équipe du Bon Son suit le travail d’Itam, beatmaker parisien au grain si particulier. Malgré plusieurs collaborations de qualité, sa trajectoire demeure peu mise en avant dans les médias spécialisés. Il était essentiel pour nous de mettre en lumière son parcours par le biais d’un entretien.

Peux-tu commencer par nous dire d’où tu viens et comment tu es arrivé dans le monde du beatmaking ?

J’ai 30 ans, j’ai commencé le beatmaking vers l’âge de 16 ans. Je suis de la région parisienne et né en Italie. Je suis arrivé en France quand j’étais petit. J’ai grandi dans le 91, dans une banlieue bourgeoise. J’ai été bercé par les Beatles, la musique classique et la variété italienne mais je suis tombé dans le rap assez vite avec des potes à l’école primaire. Plus tard, j’ai  commencé à faire des prods pour ces mêmes potes qui ont commencé à rapper et je suis tombé dans le beatmaking.

Tu as été bercé par le rap français dans ta jeunesse ?

Oui, entre autres. J’ai écouté pas mal  de rap américain aussi mais l’album que j’ai le plus saigné reste Heptagone d’ATK. Les albums de Rocé, Lunatic, Mafia Trece beaucoup aussi. Je suis passé à côté de pas mal d’artistes. Je m’en rends compte notamment en lisant vos rétrospectives. J’ai toujours peu écouté de rap et ça demeure toujours une infime partie de ce que je peux écouter quotidiennement. Je suis très influencé par la musique classique, le jazz, la musique du monde.

Tu écoutes ce qui se fait en Italie? La scène trap est très active en ce moment.

Pas du tout. Je n’aime pas le rap italien. Je n’ai pas accroché la trap italienne même si je sais que le phénomène prend de l’ampleur Je trouve que la sonorité de l’italien ne se prête pas au rap. Je suis peut-être conditionné car c’est ma langue natale mais je trouve que cela ne colle pas. C’est totalement subjectif. Par contre j’écoute beaucoup de rap chilien car ma mère est originaire de là-bas. Portavoz, Bubaseta par exemple. J’aimerais beaucoup bosser avec eux.

Il semblerait que tu aies une formation musicale solide. Peux-tu nous en dire plus ?

Quand nous sommes arrivés en France avec ma famille, mes parents m’ont inscrit très tôt à des cours de piano. J’en ai fait de 6 à 16 ans dont six ans de conservatoire. Même si j’y suis allé un peu à reculons au début, je suis content d’avoir ce bagage musical. J’ai dû arrêter quand il a fallu choisir entre la musique et les études.

Tu utilises ces bases encore aujourd’hui, notamment pour tes compositions et pour faire des arrangements.

Exactement. Mes bases musicales me servent beaucoup pour le beatmaking.

Une rencontre importante dans ton parcours est celle avec Néfaste. Tu as notamment produit plusieurs prods sur Premiers pas qui reste l’un des meilleurs projets de 2015.

En fait, Néfaste avait sorti le son « Un beat, un sample » avec Ben Maker à la prod. C’est comme cela que je l’ai connu. J’ai été sidéré, des placements chirurgicaux. Je l’ai contacté direct via Facebook et je lui ai proposé de bosser ensemble. Je lui ai envoyé des sons. La première fois que je l’ai vu, Ben Maker nous avait invités tous les deux un soir chez lui. Il faut savoir que vers mes 18 ans, j’avais une MPC 500 mais je n’ai pas su m’en servir. Je l’ai rapidement mise de côté. J’ai opté pour bosser sur ordinateur avec Logic. Quand j’ai rencontré Néfaste, il est venu chez moi et m’a prêté une MPC 2000 XL. Je me suis forcé et finalement je m’y suis mis. Désormais j’ai une 1000 et une 2500 que j’utilise pour chaque prod. Au final, pour Néfaste, j’ai bossé sur sa MPC pour produire des beats de son projet Premier pas. Ce qui est cool avec lui c’est qu’il est devenu un pote, notre collaboration va au-delà de l’artistique. Si demain j’arrête le son, je sais qu’on continuera à se voir.

Vos deux univers collent parfaitement bien…

Nous avons travaillé ensemble sur Premiers pas, également sur Dans mon monde qui est sorti ce mois-ci et nous sommes actuellement sur un troisième projet.

En 2016 tu as intégré les Kids of Crackling par le biais de Mani Deïz. Comment s’est faite ton entrée dans le collectif ?

J’ai mis le pied dans le rap indé par le biais de Paco. C’est la première collaboration sérieuse que j’ai faite. Je lui avais envoyé quelques prods sur le net. Un soir, alors que je fêtais l’anniversaire d’un pote dans un bar de Paris, il avait mis un message sur Facebook du style « Qui fait quoi ce soir ? » Je lui ai proposé de passer. Il est venu et Mani Deïz a aussi débarqué. Avec ce dernier, on a bien discuté et on a beaucoup échangé sur la musique. Nous avons fait quelques brocantes pour chiner des vinyles. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup appris. A l’époque, il m’avait dit que quand j’aurais le niveau, je pourrais intégrer les Kids Of Crackling, même si ça n’a jamais été un objectif en soit. Je fais du son, j’ai toujours voulu progresser.

Avez-vous des projets en cours avec les Kids car il était question qu’une deuxième version des Lucky Slices sorte il y a plusieurs mois ?

En gros, on s’était chauffés pour un Lucky Slices 2 mais pour le moment le projet reste en stand by. Mani préfère qu’il sorte lorsque le site internet des Kids sera terminé.

Il y a quelques semaines, nous avons pu découvrir une de tes prods sur l’album d’Hugo. Il s’agit du morceau « Les vieux de mon âge » qui a eu une certaine répercussion.

Mes premiers contacts avec Hugo datent d’avant la sortie de  Fenêtre sur rue. A l’époque, je lui avais passé des beats et il en avait gardé un pour le projet. Je crois même qu’il avait enregistré le morceau. Au final, il ne l’a pas gardé donc j’étais un peu déçu. Je suis revenu vers lui il y a peu quand j’ai vu qu’il préparait Tant qu’on est là. Je lui ai balancé des sons. Avec lui, c’est assez compliqué car il a des goûts que je trouve difficiles à cerner. Il va choisir une prod que j’aurais sans doute sélectionné en dernier. Sauf que quand il pose, ça rend vraiment bien. L’alchimie est présente. Pour « Les vieux de mon âge », Hugo m’a envoyé les acapellas et j’ai fait entre dix ou quinze prods. Il en a sélectionné trois ou quatre qu’il a mises de côté pendant longtemps. Au final, il a opté pour celle présente sur le projet. Elle est cohérente par rapport aux autres morceaux. Le thème est solide, il a assuré. Je suis content de cette collaboration. En tant que beatmaker, tu veux toujours que le MC prenne celle qui te semble être ta meilleure prod. Cependant, il  faut de la cohérence et  que ce soit la meilleure par rapport au reste de l’album. Pour ça, Hugo est très fort.

En 2017, tu as été plus actif sur les réseaux sociaux. Jusqu’à cette date-là, tu étais plutôt discret.

Je vais être honnête, j’ai du mal avec la communication autour de mon travail. Ce n’est pas mon truc. Il y a certains de mes sons avec des rappeurs que je n’ai même pas postés sur ma page. Je pense que je devrais déléguer cette partie à quelqu’un d’autre, ça me frustrerait de ne pas profiter de mon temps pour faire du son. J’ai aussi du mal à me mettre en avant. Depuis cette année, je suis un petit plus actif car je repartage mes collaborations avec Néfaste. Entre 2016 et 2017, j’ai produit quelques Poignées de Punchlines, un titre avec Saké et d’autres morceaux. C’est également pour ça que mon nom ressort un peu plus souvent ces derniers mois.

Comme de nombreux beatmakers, tu produis beaucoup de morceaux aux sonorités boom-bap. Comment expliques-tu que ton travail se soit démarqué par rapport aux autres et sur quoi te focalises-tu pour que ton grain soit reconnaissable ?

C’est une question à la fois intéressante et difficile à traiter car je dois prendre du recul sur mon taf. Et pour moi, c’est délicat d’avoir du recul. Cela va paraître cliché mais je suis un éternel insatisfait. J’ai du mal à aimer mes prods. J’ai l’impression que les miennes sonnent comme celles des autres. De copier des choses qui existent déjà. C’est quelque chose de personnel et je comprends que les auditeurs n’aient pas forcément cette impression. C’est très difficile quand tu crées de savoir ce qui vient vraiment de toi et pas de tout ce que tu as intériorisé des autres. C’est valable pour la musique comme pour le reste. Si je dois définir ma manière de produire, je pense tout d’abord que ma formation musicale, et notamment de pianiste, m’aide beaucoup. Ensuite, je fais dorénavant beaucoup plus attention à mes percussions depuis que je connais Mani Deïz. Quand je lui ai fait écouter mes premières prods, il me disait: « Tes choix de samples sont sympas, mais pas tes drums. » Maintenant je coupe des drums breaks et je les passe dans des vielles machines pour leurs sonorités particulières. Je n’ai pas de recette secrète. Je ne sample quasiment que des vinyles et j’ai un micro aussi qui me permet d’enregistrer des percus.

Il semblerait que tu utilises également des compositions en plus du sampling.

Effectivement, je tente au maximum d’associer des compos et du sampling. Ce serait peut-être ça qui me permettrait de me démarquer un peu. Avant, j’étais limité par des banques de sons très moyennes. Depuis quelques temps, je bosse avec Keyscape. Plus de dix années ont été nécessaires pour l’élaboration de cette banque de sons. C’est une dinguerie. Souvent, mes beats que les gens apprécient le plus sont des compos. Par exemple, le « Face à moi-même #7 » de Néfaste en est une au même titre que le morceau « Hier encore ». Je bosse avec des MPC 2500, 1000 et Logic. J’ai un EPS 16 pour le grain, un S900 aussi et je fais mes  compos grâce à des claviers maîtres MIDI.

En plus de tes compositions pour le rap, tu as bossé sur deux courts-métrages intitulés Illégitimes et Le Répit. Explique-nous comment tu t’es retrouvé embarqué dans ces deux projets.

Une amie d’enfance qui s’appelle Chloé Mazuel est réalisatrice. Quand elle a réalisé son premier court-métrage, Illégitime, elle a fait appel à un groupe de musiciens mais elle n’était pas satisfaite du résultat. Elle m’a demandé de m’essayer à l’exercice. J’ai adoré. Tu as les images et tu dois t’adapter et créer la musique correspondante. C’est un exercice délicat mais extrêmement intéressant et enrichissant. Chloé a été contente du résultat et elle m’a refait confiance pour Le Répit, même si les deux ambiances sont totalement différentes. Il faut savoir par contre que cela demande énormément d’investissement et de temps.

Viez, artiste qui monte, a fait appel à toi pour le beat de son titre « L’inconnu ». C’est via Nizi que vous avez pu travailler ensemble?

Oui, Nizi est un artiste avec le cœur sur la main. S’il peut te faire profiter d’un truc, il le fait. J’ai d’ailleurs encore un clavier à lui que je ne lui ai pas encore rendu. Il me propose souvent des collaborations. Parfois je peux, parfois je ne peux pas ou je ne veux pas. En l’occurrence, j’aime beaucoup Viez donc j’ai accepté. J’ai produit deux titres pour son EP : « L’inconnu » et «Pensée nocturne ». Je pense que je vais aussi participer à son futur album avec Nizi.

Tu te sens satisfait de ta productivité?

Parallèlement à la musique, j’ai un boulot assez épuisant  mais qui me permet d’avoir un peu de temps libre donc j’en profite. En termes de quantité, je ne suis pas au niveau de Mani ou Nizi qui eux s’y consacrent à plein temps mais je suis satisfait. Lorsque c’est une passion, tu te dis toujours: « Je pourrais en faire plus, je pourrais faire mieux ». Mais ce n’est pas réalisable, question de temps.

Tu as participé également au documentaire Veni Vidi Graffiti et tu sembles être proche de l’artiste Hopare. En effet, tu as produit des instrus pour certaines de ses vidéos. Quels liens entretiens-tu avec le monde du graffiti ?

J’ai eu une période graff aux alentours de 2011. Je graffais avec un pote autour de la petite ceinture de Paris. Mes amis d’enfance, Tito et Prins’a, avec qui je suis tombé dans la culture hip- hop, écrivaient beaucoup de textes. Leur beatmaker de l’époque, Dj Tof, qui a notamment bossé sur Les loges de la folie de Fadah, m’a motivé à me lancer dans le beatmaking. J’ai finalement commencé à faire des prods pour mes compères. Le  groupe s’appelait Ekimoz. Prins’a a monté l’association Ekiprod qui avait pour but de promouvoir le hip-hop à travers différentes manifestations artistiques en regroupant les grandes branches de cette culture. Ekiprod était entre autres constitué du groupe de rap Ekimoz, du B-boy Sai du Crew 2 Bildé, de la sœur de Prins’a, Amélie, pour le théatre et de Move Kustom aussi. Plus tard, les deux rappeurs ont arrêté et Prins’a s’est tourné vers l’audiovisuel. Il a continué son implication associative avec l’association BANG krew toujours avec Move, Bust the rip (danseur) et pour le coup Hopare aussi. En fait, Hopare a toujours été le voisin de Prins’a, du coup il a toujours gravité dans notre sphère. Avec le Bang krew, ils sont partis faire le reportage Veni Vidi Graffiti pour le média Spicee avec d’autres artistes et j’ai participé à la bande son.

Une collaboration surprenante est celle que tu as faite avec le rappeur autrichien Arkan45 sur le titre « Tragik ».

C’est un jeune qui écoute énormément de rap français. Il m’a contacté sur ma page Facebook et je suis allé voir son travail. Il a d’ailleurs pris une prod de Mani Deïz sur son morceau qui s’appelle « Ethanol ». J’ai trouvé ça soigné même si je ne comprends pas les paroles. Musicalement parlant, cela ne me paraissait pas agressif contrairement au rap de certains MC’s nordiques. Pour ma part, cela m’a permis de m’ouvrir à d’autres horizons et sortir de la petite sphère du rap indépendant. C’est important pour moi de ne pas trop m’y enfermer.

D’ailleurs, as-tu produit des morceaux plus abstract hip-hop, trip-hop? Est-ce quelque chose qui pourrait t’intéresser?

J’ai toujours écouté beaucoup de trip-hop. Mon BPM préféré reste 79. J’ai donc produit certains morceaux de ce type. Après, pour se lancer dans un projet de ce genre, il faut être motivé et dégager du temps. De mon côté, je fais des prods de ce style de temps en temps mais pour pouvoir faire un album, je devrais bosser dessus pendant un an. J’aime aussi faire des sons avec des rythmiques plus new school. Pour le futur projet de Néfaste, j’essaie de travailler dans cette direction. Le son « Rien à gagner » de Lekma que j’ai produit est un bon exemple en termes de sonorités. En ce moment j’écoute aussi beaucoup de titres de Charlotte Cardin. Ce sont des instrumentales lentes conçues pour un chanteur ou une chanteuse. J’aimerais m’orienter vers ce style là.

Tu as des projets à venir pour la fin de l’année ou pour les mois à venir?

Je vais collaborer avec l’ancien guitariste de Shaman Culture. Il prépare des documentaires musicaux en partant à la rencontre de musiciens du monde entier. Il est parti en Jamaïque avec quelques prods à moi dans ses bagages et des artistes jamaïcains ont posé dessus. L’artiste écossaise Soom T a kiffé une des prods et l’a sélectionnée pour un titre de son futur album. C’est une chanteuse issue de la scène dance hall qui a écumé les concerts et les festivals ces derniers mois. Edwin a rajouté par dessus une lead de guitare par moment. Pour finir, je prépare aussi le futur album de Néfaste, un projet avec Maxwell qu’on bosse depuis un moment, et aussi un avec Zamo des Sales Gosses. Sinon quelques projets à droite et à gauche.

Le mot de la fin?

« Celui qui est capable de ressentir la passion, c’est qu’il peut l’inspirer ». C’est de Marcel Pagnol. J’espère pouvoir donner l’envie à d’autres de faire de la musique. Merci à l’équipe du Bon Son pour l’attention.

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