L’1Probable MC, de l’impro au studio | Interview

Que ce soit en impro aux côtés du Toulouse Freestyle Club ou en concert avec son collectif Kilotone, en groupe ou en solo, en open mic ou lors des tremplins End Of The Weak, L’1Probable MC est un habitué de la scène ainsi qu’une figure bien connue du rap toulousain. Après près de 20 ans de rap, il sort aujourd’hui son premier album, Rêves de gosses, en collaboration avec le beatmaker Metronom, l’instrumentiste Willux et DJ Spazm. Rencontre.

On te connaît principalement pour tes talents d’improvisateur, au travers des soirées End Of The Weak, des open mics, du Toulouse Freestyle Club… Quand t’es-tu décidé à sortir un album, qu’est-ce qui a provoqué le déclic ?

J’ai le projet de sortir un album depuis que j’ai commencé à rapper. Mais quand j’étais jeune je n’arrivais pas à écrire donc j’improvisais beaucoup. Il a fallu que je mûrisse un peu, que je sois plus mature, pour écrire des textes qui me correspondent et que je puisse garder. Puis il a fallu beaucoup de temps pour passer toutes les étapes jusqu’à arriver faire un album fini puisque je n’avais aucune expérience en studio. J’avais plus l’expérience de la scène.

On sait que dans l’improvisation les choses sortent un peu sans filtre, est-ce que tu as réussi à te livrer de la même manière en écrivant tes textes ?

Comme je te disais, j’ai commencé l’impro parce que je n’arrivais pas à écrire et poser sereinement ce que je pensais, donc je le disais de manière brute. Après, quand j’ai commencé à le poser, je me suis rendu compte que je disais des choses complètement différentes en impro et quand j’écrivais. Quand j’improvise je parle souvent du bonheur du moment présent, ça va sortir comme ça sort. Alors que quand j’écris je vais parler de thèmes beaucoup plus posés. J’ai pas mal de potes qui n’improvisent pas, et ils peuvent écrire des textes légers ou des conneries qui ressemblent à mes impros. Je lâche toutes mes conneries quand j’improvise, donc quand j’écris, je n’ai que des trucs sérieux à dire.

Il y a un morceau que tu joues souvent et depuis longtemps sur scène, c’est « Crash Test », que ceux qui t’ont vu en concert connaissent. On se rend compte sur ce morceau que même si c’est plus posé que tes impros, tu gardes le même personnage, avec beaucoup de dérision.

Il y a beaucoup d’auto dérision. En fait j’aime bien écrire des choses sérieuses, et les rapper d’une manière un peu légère ou décalée, je ne sais pas si ça se ressent.

Ça tranche avec le côté sérieux qu’on peut souvent retrouver dans le rap.

Je n’arrive pas à me prendre au sérieux. Je pense que je suis plus entre le rappeur et l’humoriste dans mon intention initiale. Dans Block Party, (documentaire retraçant un concert organisé à Harlem par l’humoriste Dave Chappelle, ndlr), Dave Chapelle dit qu’il y a un lien très particulier entre l’humour et le chant, que tous les rappeurs qui n’arrivent pas à se prendre au sérieux deviennent des humoristes, et que tous les humoristes qui se prennent un peu au sérieux deviennent des rappeurs. Moi je suis un peu entre les deux.

Ça fait trois ans que tu travailles sur cet album.

Officiellement. En vrai il y a des textes que j’ai écrits il y a dix ans comme « Crash Test ». Dans « Entre parenthèses », qui a six ans, je dis « J’ai 26 ans » , aujourd’hui j’en ai 32 . Donc en vrai ça fait plus longtemps que j’ai commencé, mais on a vraiment commencé à le travailler il y a trois ans, avec de grosses pauses au milieu parce que j’avais des grosses périodes de doute.

Cet album a une particularité, c’est que toute la partie musicale a été travaillée par trois personnes : l’instrumentiste Willux (Dawadeluxe, Kilotone), DJ Spazm et le beatmaker Metronom, membre des Kids Of Crackling. Quelle a été votre façon de travailler ?

En fait on a réuni les instrus de Metronom, quelques-unes qu’il avait de côté, et d’autres qu’il a créées pour l’album, avec des textes que j’avais de côté et d’autres que j’ai créés spécialement pour l’album. Ça c’est la base. On a ensuite fait évoluer ça avec Spazm qui a apporté beaucoup de scratchs, mais aussi des ambiances. Sur les morceaux il va chercher des phases qui sont en rapport avec le thème, il lui arrive même de détourner le sens de certaines phases. Il apporte une touche créative.

Il y a la fameuse phase d’Ekoué sur : « Quelques gerbes de mots sur le terreau de la misère.« 

Exact, et Spazm n’a gardé que « Quelques gerbes de mots » et a rajouté un bruit de vomi. (rires)

Et comment s’est rajoutée la partie de Willux ?

On va dire que la base c’est Metronom et moi. Une fois que j’ai maquetté, le morceau sort brut, hip-hop, en mode « un rappeur / un beatmaker ». Ensuite Willux et Spazm reprennent le truc en main, Spazm au niveau du sens sur les voix qu’il utilise et la technique sur les scratchs, et Willux fait tous les instruments. Il a rejoué la basse de presque tous les morceaux, il a rajouté des saxophones alto et soprano selon les morceaux, ainsi que de la guitare. Il a apporté une touche musicale en plus. Il y a des morceaux qui ont énormément évolué en fait. Des fois Will a tout rejoué, comme pour « Demain j’arrête » sur lequel il y avait un truc que je n’aimais pas dans le sample par exemple. A la base il n’avait rien à voir, il était beaucoup plus hip-hop.

Tu as conscience que c’est un luxe d’être entouré comme ça sur tout un album ?

Grave. Je me suis entouré de personnes compétentes dans des domaines où je suis complètement incompétent. Je suis incapable de faire un scratch, une instru ou jouer une note de musique, donc j’ai pris des gens qui sont des références dans leur domaine. Je savais que je n’aurais rien à redire une fois le travail terminé. Mais du coup c’est un album à quatre. Sur les trois ans, on a passé un an et demi à chercher un nom de groupe, et on n’en a pas trouvé ! (rires) On est donc restés sur « L’1Probable MC » mais sinon c’est vraiment un travail de groupe.

Tu côtoies également Spazm et Willux au sein du Kilotone, est-ce que ton expérience avec ce collectif t’a motivé à concrétiser le truc ?

Oui parce qu’avec le Kilotone tu goûtes à la scène avec tes vingt meilleurs potes, tu passes des moments magiques. Quand tu ressors de là tu te dis qu’il faut que tu en refasses, en groupe ou en solo. Là c’est mon projet solo mais dans tous les cas on est en groupe, et ça donne envie de croquer la scène à fond et de continuer son chemin musical.

Dans ce collectif on retrouve des MC’s qui ont déjà sorti des choses comme Fadah, ou des membres de la Droogz Brigade. Le fait de les voir sortir leurs projets t’a motivé ?

Oui, quand je vais sur Facebook toutes les semaines, et que je vois que les Droogz sont en concert à Nantes ou à Montpellier, ça fait plaisir pour eux, et d’un autre côté je me dis que s’il y a une possibilité j’aimerais bien le faire moi aussi. Si ce n’est pas possible tant pis, mais au moins essayer, prendre ce risque-là.

Tu te vois défendre tes morceaux sur scène donc.

Dans l’idée oui, carrément. Après quand je suis en répétitions je me dis qu’il y a du taf. (rires) Ce n’est pas tout de penser : « J’ai fait un album, maintenant je fais une tournée. » Faire un album c’est du taf, bien construire un concert aussi.

Maintenant que tu as bouclé ton album, tu continues à écrire ?

Ouais grave. (rires) J’ai pas mal écrit ces derniers temps, pour l’album Kilotone notamment.  Et puis j’ai écrit les morceaux de l’album il y a dix ans ! La plupart ont plus de cinq ans ! Du coup je n’arrivais pas à écrire, j’étais bloqué en me disant « ça sert à quoi de faire un nouveau morceau pour le mettre à la suite de ceux que je n’ai pas enregistrés ? » Si j’ai sorti cet album, c’est pour pouvoir écrire autre chose, je n’y arriverais pas autrement.

C’est une façon de t’en débarrasser.

Ben ouais. Là je fête mes 20 ans d’impro, je sors un album… C’est pas trop tôt. J’ai bien pris mon temps.

Tu vas continuer à participer à des évènements type End Of The Weak ?

J’aime bien End Of The Weak parce que c’est dur en fait, c’est une putain d’épreuve, ça te montre ce que c’est qu’un vrai MC dans le sens où il faut être complet et polyvalent. Je n’ai jamais réussi à faire un End Of The Weak durant lequel je déchirais dans chaque épreuve.

Tu es quand même arrivé en finale France, en gagnant Toulouse puis le Sud.

Des fois tu gagnes parce que les autres ont été plus pourris, des fois tu as tout déchiré mais les juges ont préféré ton pote. Tu ne choisis pas. Moi je ne le fais pas pour gagner, je m’en fous, je le fais parce que c’est dur. C’est un peu comme le triathlon, avec trois épreuves de ouf. Si tu es bon en vélo tu te dis que tu vas un peu travailler la natation avant la prochaine édition histoire d’être complet.

Dans l’album, tu dis à un moment « J’écoute que les vieux sons, ceux qui m’ont influencé« . De quels artistes s’agit-il ?

Les gars que je kiffe vraiment, ce n’est même pas dû à leur rap en lui-même, mais à leur personnalité. Je trouve que ça compte, surtout quand le gars est naturel, qu’il essaie d’être lui-même autant que possible. C’est Fabe qui m’a le plus marqué. Quand je réécoute ce n’est même pas le morceau que j’aime vraiment, c’est plutôt de me dire que ce type, à l’époque, il m’a un peu servi de grand frère, comme à plein d’autres. Il avait un message différent sur plein de trucs, genre dans son premier album, il dit : « Je déteste les cailleras qui gâchent mes soirées tous les week ends« . Il se place différemment, même si ça peut paraître bizarre : c’est un rappeur et il déteste les cailleras. Il est pas UMP, mais il est pas non plus en mode « nique tout ». Il disait des trucs du style « Quand tu brûles une voiture, ça fait une voix en plus pour Le Pen« , ce sont des choses qui t’amènent à réfléchir, dans ta révolte de gamin de 15 piges tu te dis que ça a l’air plus logique que de dire « Tout niquer va nous amener au bonheur« .

Après les autres artistes c’est les classiques comme Oxmo, les X-Men, voir même des groupes plus « rue » comme Expression Direkt ou la Mafia K’1Fry. J’étais à fond de rap français, surtout de rap parisien puisque j’habitais à Paris. Je kiffais IAM aussi.

Tu as débarqué à Toulouse assez jeune, à 19 ans, qu’est-ce qui fait que tu n’as jamais quitté cette ville ?

A la base je voulais aller à Barcelone, j’avais rencontré une meuf en vacances qui habitait là-bas, j’étais allé la voir, j’avais kiffé la ville, je m’y suis fait de bons potes que je vois toujours d’ailleurs. J’avais 18 ans, et c’était un peu chaud de changer de pays directement, donc je me suis dit que j’irais d’abord à Toulouse : c’est pas loin, c’est le sud, il fait beau… Et puis j’ai kiffé et je suis resté. Ça fait presque 15 ans que je suis là maintenant !

Melan, Furax, Fadah… Plusieurs MC’s toulousains ont grandi en région parisienne mais ont fini par poser leurs valises ici.

C’est impressionnant le nombre de rappeurs qui représentent Toulouse sans être réellement natifs de la ville, mais qui l’ont vraiment kiffée. Moi je suis parisien parce que je suis né à Paris, mais je ne l’ai pas choisi. Le seul endroit de ma vie que j’ai choisi c’est cette ville. Je me sens vraiment toulousain.

Tu rappais déjà quand tu as débarqué ?

Oui, je rappe depuis que j’ai 13 ans. Je rappais sur l’instru d’ « 11 minutes 30 » ! (rires) Bon, c’était de l’impro, mais à partir du moment où il y a l’instru et que tu te lâches, tu rappes.

Donc tu connais bien la scène toulousaine.

Pas mal ouais. Soit c’est des potes, soit on s’est croisés sur des scènes vu que j’aime bien les open mics, les clashs…

Tu es aussi connecté à Marseille, tu organises des concerts avec des rappeurs des deux villes, à Marseille et à Toulouse.

Oui, même si à la base ce n’est pas moi, mais une copine, Charlotte. C’est une ancienne toulousaine qui est partie vivre à Marseille. Elle a voulu faire venir jouer des toulousains et a créé ce concept. Maintenant elle est revenue vivre à Toulouse, son association à Marseille est motivée pour continuer, et elle aussi, donc je l’appuie sur le projet côté Toulouse. J’étais sur les deux premières éditions « Hip Hop Connexion Marseille / Toulouse » déjà, sur le projet depuis le début en tant qu’artiste.

Sur l’album, on retrouve un hommage à DF Le Mr Chill, (décédé le 3 novembre 2013, ndlr). Peux-tu nous en parler ?

Moi j’essaie de rapper des trucs que j’ai vécus, d’être moi-même, et c’est le cas ici. J’ai appris sa disparition le lendemain de son décès, et j’ai écrit le texte le jour d’après. C’est un morceau qui me touche, et techniquement c’est un de mes meilleurs. Je comptais lui dédicacer ça, au moins pour ses proches, les gens qui sont encore là, histoire de montrer qu’on ne l’oublie pas même si le temps passe. J’étais assez proche de lui, sans faire partie de son cercle d’intimes directement. J’avais peut-être un peu plus de recul, j’ai pu écrire ça même si ça m’a touché, alors que d’autres étaient tellement dans la peine qu’ils n’ont peut-être pas pu écrire de rimes ou quoi que ce soit. Donc ce morceau c’est aussi pour ses proches, pour ses meilleurs amis.

Quel est le morceau, ou le thème, sur lequel tu as le plus galéré à écrire sur cet album ?

(Il réfléchit) Les morceaux sont tellement vieux que je ne sais plus trop. En fait je n’ai pas galéré à les écrire, j’ai plus galéré à assumer de les rapper, de les réécouter, de les sortir… J’avais fait une première version d’ « Amertume » sur une instru de Fonka il y a trois ou quatre ans, et même si c’est le même texte, je ne l’assume pas par rapport à l’interprétation, je me trouve trop fragile. Je chantonne et tout. (rires) Du coup il y a des morceaux que j’ai du mal à assumer par rapport à ce que je disais dedans, et j’en parle dans « Entre parenthèses », dans le troisième couplet. Je dis que même si ce n’est pas parfait c’est ce que je suis, et que si je parais fragile c’est comme ça. C’est une force d’assumer ses faiblesses.

Au niveau des featurings on retrouve les toulousains Melan et L’Erreür, mais également Osrep.

Oui. Osrep est de Lille, c’est un pote de Spazm. Comme c’est un projet commun, on trouvait ça cool de ne pas seulement avoir des potes à moi en featuring. Donc là c’est un pote de mon DJ, qui est devenu un pote à moi.

On peut se dire que c’est peu de featurings vu que tu côtoies pas mal de monde…

Déjà, j’ai planté la moitié des gens qui m’ont invités sur leurs albums. (rires) Donc j’y suis allé tranquille. Et puis je l’ai jouée modeste, je n’ai pas contacté trop de monde parce que je n’étais même pas sûr que le truc sorte un jour, j’ai été plutôt discret là-dessus. Les featurings c’est les derniers trucs que j’ai faits, pour des morceaux sur lesquels j’avais déjà fait les couplets et les refrains, en mode « C’est prêt, viens poser ton couplet. » Il y en a un qui est devenu un morceau solo, « Dans ma tête », je l’avais proposé à Yous MC, ça ne l’a pas inspiré, et j’ai posé un vieux couplet à moi. C’était Yous et L’1Probable, et c’est devenu Richie (un de ses alias, ndlr) et L’1Probable, ça fait un morceau un peu schyzophrène.

Et puis c’est aussi un album un peu intime, avec des textes de longue date, sur lequel je voulais juste inviter quelques potes. Je préférerais mettre plein de featurings sur le prochain, maintenant que j’ai fait un album je peux me le permettre. C’est juste que là mes meilleurs amis n’y croyaient pas, aujourd’hui encore il y a des gens qui n’y croient pas.

Ton personnage a quelque chose de glandeur assumé, quelque part ça résonne avec l’histoire de cet album.

C’est clair.

Maintenant que celui-ci est fini, tu te vois en faire un second ?

Il y a déjà l’album Kilotone, et après je vais m’enfermer pour faire un deuxième album solo. J’attends juste d’avoir les retours de cet album : combien de clips vont en sortir, combien de concerts ? Est-ce que je vais faire un deuxième album ou un BEP secrétariat ?

Un mot de la fin ?

C’est que le début, la route est longue.

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