Si Dieu veut : Marseille, an de grâce… 1998

« C’est marrant, quelqu’un de Sony m’a appelé à ce propos il y a environ une semaine ». Ainsi réagit Karim Thiam, responsable multi-casquettes de S.M.A.L.L (ex-label de Sony Music) entre 1996 et 2009, lors de notre prise de contact. La démarche de Sony qu’il rapporte, nous l’avons en fait nous-même provoquée en contactant la major une semaine plus tôt, dans un but précis : connaître, enfin, la date exacte de parution de Si Dieu veut. En toile de fond, notre rétrospective « 1997 en 20 disques de rap français » , dans laquelle nous avions initialement placé le premier album de la Fonky Family.

Dans les bacs le 13 janvier 1998

La difficulté d’accès à cette simple information nous a d’abord paru aberrante pour un album d’une telle envergure artistique et statistique, certifié double disque d’or en 2000, et désormais « disque de platine selon les critères de l’époque » – dixit Karim Thiam. Mais elle est bel et bien devenue réalité, la majorité des sources (Karim Hammou [1], Mehdi Maizi [2], Discogs…) plaçant la sortie en 1997 quand quelques résistants, Julien Valnet [3] en tête, la décalaient d’une année. Plus surprenant encore, notre vérification auprès des artistes accentuait le doute : Don Choa nous indiquait le 13 janvier 1998, quand DJ Djel évoquait le mois de mars de la même année, et un potentiel « délire » en rapport avec la planète éponyme.

Sony Music expédiait ensuite notre appel par un étonnant « 13 janvier 1997 » avant d’opter pour le 13 janvier 1998, sur informations de Karim Thiam donc – ce que nous ignorions. Ce même Karim Thiam vers lequel nous nous sommes finalement tournés, en dernier recours avant une datation au carbone 14. Vint alors la salvatrice confirmation : « La sortie commerciale de Si Dieu veut est datée du mardi 13 janvier 1998. Et c’est rentré au Top Albums dès le mardi 20 janvier 1998. »

1997 : Mixtape, maxi et K7 promo

Outre les multiples références à 1997 dans les lyrics de l’album, enregistré et peaufiné tout au long de l’année, deux facteurs semblent à l’origine des incertitudes. La parution en 1997, d’abord, de deux morceaux finalement intégrés au projet. Une première version de « Sans rémission » sort « au printemps » sur la mixtape Opération : coup de poing (sur le label Passe-Passe de Thibault de Longeville). Le titre, « fondamental » pour le groupe selon Sat, est « tellement kiffé » par ses membres qu’il est réenregistré et replacé sur Si Dieu veut, en troisième position. « « Sans rémission » est parue avant qu’on signe le groupe. On l’a travaillée après, et elle est rentrée en playlist sur Skyrock dix mois après la sortie de l’album, en octobre 1998. Le tournage du clip a eu lieu en septembre 1998, la sortie en octobre » appuie Karim Thiam. Deuxième jet sonore de la FF en 1997 : le maxi La furie et la foi (vinyle et CD), lui aussi clippé et présent sur l’album.

Mais c’est la parution d’une cassette promotionnelle en novembre 1997 qui a le plus contribué à brouiller les pistes. « Une cassette simple avec un artwork blanc qu’on a fabriqué chez l’incontournable Claude Arpel (Copie Conforme) pour les avoir vite. Si mes souvenirs sont bons, on en a fait 150. » C’est d’elle que dérive l’inscription  »1997 » sur le CD commercial de 1998, et par ricochet sur Discogs, allié généralement fiable des diggers 2.0. Karim Thiam : « Quand tu es producteur de disques, tu fais générer des codes ISRC, c’est-à-dire le numéro d’identification d’un titre. Dans ce code, il y a une racine qui correspond au pays, ensuite une référence qui correspond à la maison de disque, puis l’année… Donc quand tu demandes ton ISRC pour pouvoir faire ta cassette promo en 1997, forcément, tu as une racine de 1997. » « Aucun retard » de parution à signaler, donc. Cette cassette explique aussi l’évocation d’un concert promotionnel par un article des Inrocks daté du 30 novembre 1997.

EDIT (13.01.2018) : La cause technique du référencement de Si Dieu veut en 1997 est en réalité la parution d’un disque promotionnel d’artistes Sony à la Noël 1997. Pour les détails, voir notre long entretien avec Karim Thiam en date de novembre 2017, ici


[1] Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Éditions La découverte, 2012, 2014
[2] Mehdi Maizi, Rap français. Une exploration en 100 albums, Le mot et le reste, 2015, 2016
[3] Julien Valnet, M.A.R.S., Histoires et légendes du hip-hop marseillais, 2013


Bonus : Les éléments annexes de notre entretien avec Karim Thiam nous paraissaient intéressants à exploiter. Les voici ci-dessous, de Squatt et Lionel D à S.M.A.L.L et la FF.

De Squatt à Sony Music Associated & Licensed Labels (S.M.A.L.L)

« S.M.A.L.L était le label spé de Sony Music. On y développait des projets qui devaient initialement sortir sur EPIC ou Colombia, mais que ces labels ne savaient pas trop bosser : du rap français, cainri, mais aussi de la pop anglaise, qui à l’époque n’était pas aussi développée qu’elle a pu l’être dans les années 2000, par exemple. De l’électro aussi. Il y a eu des artistes qui ont cartonné après – rétrospectivement, ça parait facile de s’être dit qu’ils allaient cartonner, mais pas forcément à l’époque : les Fugees, Oasis, Jamiroquai, Travis… Ces artistes n’avaient pas forcément de médias pour les développer puis finalement, comme ils avaient des formats assez crossover, ils ont pu se retrouver sur des radios comme Skyrock, NRJ… Du coup, une cellule qui s’appelait Squatt a d’abord été créée en 1989 ou 1990. Sa mission était d’identifier ce type de projets et puis de commencer à faire un travail de développement. Si je ne me trompe pas, le premier succès a été « 7 Seconds » de Youssou N’Dour et Neneh Cherry. A partir de 1994 ou 1995, le label a changé de nom et s’est appelé S.M.A.L.L. A partir du moment où les projets de certains groupes avaient du succès, leur projet suivant était automatiquement dans le label. S.M.A.L.L est donc devenu un label assez gros, mais jamais de la taille d’EPIC et Columbia. »

 

S.M.A.L.L et la FF

« On va dire que la Fonky Family est vraiment le premier groupe de rue signé chez S.M.A.L.L. Avant, on a eu Ménélik, Réciprok… Il y a eu Lionel D, à l’époque où S.M.A.L.L s’appelait encore Squatt. Si Dieu veut est une production Côté Obscur, signée en licence chez S.M.A.L.L. Quand le groupe a été signé en 1997 et qu’on a commencé à travailler dessus, j’étais assistant marketing. A la fin de l’exploitation de Si Dieu veut, Côté Obscur a revendu à S.M.A.L.L le contrat de la Fonky, avec les solos. Donc à partir de Art de rue (2001), et jusqu’à la séparation du groupe en 2006 après Marginale musique, tous les albums des artistes de la FF ont été des productions Sony Music, en contrat d’artiste. Pour Mode de vie… béton style (2000), c’était hors-contrat : Le Rat était déjà en travail de maquette avant le « transfert », et comme des labels concurrents voulaient le signer, on lui a fait un contrat à part. Quand on a arrêté de bosser Si Dieu veut, l’album était à un peu plus de 250 000 ventes. Dans les faits, il a été double disque d’or au printemps 1999. Vu qu’on a demandé la certification un peu tardivement, il a officiellement été certifié au printemps 2000. Puis quand on a sorti Art de rue, qui a vraiment été un très gros succès, ça a relancé les ventes de Si Dieu veut, pas loin de ce qui avait déjà été vendu sur la première commercialisation. Aujourd’hui, il n’est pas loin des 500 000 exemplaires. »

Partagez:

3 commentaires

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.