Violence, rimes, solidarité et Bakhaw – #LeBonSonEstPasséChezSo

Peu nombreux sont ceux qui le connaissent de l’époque du label Karismatik, la plupart l’ont découvert avec les épisodes de #JeSuisPasséChezSo. Fianso vient de renaître, et c’est en pleine lumière qu’il est apparu tant il crève actuellement tous les écrans. Entre les interviews, les passages radio et les ventes de son projet, difficile de passer à côté du phénomène « Sofiane ». Mais alors que le succès et la diffusion à grande échelle d’un rappeur entraînent toujours son lot de réactions plus ou moins amicales (PNL en est l’exemple le plus frappant), la particularité de Fianso est qu’il semble avoir mis tous les auditeurs de rap sur la même longueur d’onde : de l’underground jusqu’au grand public, personne n’a été là pour crier au scandale.

L’ironie de l’histoire, c’est que l’explosion de Sofiane du Blanc Mesnil va avoir pour point de départ les quartiers nord de Marseille, et plus précisément un clip tourné dans la cité de la Castellane. Premier épisode de la série #JeSuisPasséChezSo qui aura pour aboutissement l’album éponyme, il s’agit d’un petit événement puisqu’il marque la rupture avec le Sofiane de Blacklist 2, voire même avec le titre « Rapass » sorti il y a tout juste un an. Véritable tournant dans la carrière du rappeur, Sofiane est prêt à se révéler aux yeux de tous et il le fera en juillet 2016 avec le titre « 93 empire », un featuring avec Kalash Criminel qui va lui permettre de passer un stade en termes de visibilité. Il est donc difficile de comprendre #JeSuisPasséChezSo et la réussite de Sofiane sans retracer la genèse d’un projet intimement liée à la série des dix épisodes. Pourtant l’album ne s’identifie pas avec cette série puisque la moitié des titres présents sur le projet (sept au total) ne sont pas des épisodes encore sortis. Sofiane a donc fait le choix de surfer sur le succès de cette série tout en offrant au public de nouveaux titres, qui devraient d’ailleurs à terme être clipés. Le travail de Fianso est assurément aussi visuel qu’auditif : il ne fait pas que parler à la rue, il la montre telle qu’elle est, et c’est en partie en cela que réside son originalité.

Si elle ne saute pas immédiatement à l’oreille, la qualité d’écriture de Fianso est bien réelle. On se laisserait avoir à ne percevoir que le côté hardcore, hyper-violent d’une écriture de qualité qui se dissimule plus qu’elle ne se montre. L’interprétation, qui passe par un flow agressif et forcé, et la musique, des sonorités trap au BPM lent avec des basses marquées, font passer au second plan des textes qu’il a délibérément épurés afin de les rendre plus accessibles. A titre d’exemple, il est intéressant de comparer un titre comme « Mon instru va craquer » sorti en 2008 et un autre comme « Ma cité a craqué » sorti en 2017 : l’écriture est différente et donne l’impression d’une simplification, mais Fianso sait toujours écrire, il a conservé ce sens de la formule et de la punchline qu’il emploie sans jamais complexifier son langage. Alors lorsqu’il parle, il parle directement à ceux de qui il veut se faire entendre : la rue et ses habitants. A l’instar d’un Salif, les textes sont violents, mais ils sont authentiques dans la mesure où ils racontent quelque chose. Lui qui rappait dans sa « Lettre à un jeune rappeur » : « Le rapport de la rue au rap je te le donne en un cours », force est d’admettre que #JeSuisPasséChezSo est un cours magistral.

De ce point de vue, on mentionnera tout particulièrement l’intro du projet « Un boulot sérieux » et l’outro « Tout le monde s’en fout » : deux titres qui témoignent d’une capacité de Sofiane à ne pas s’en tenir à de la trap mais à jongler sur plusieurs terrains et à rapper sur des beats plus classiques. Sans détruire la cohérence d’un disque dont le cœur est résolument hardcore, Sofiane semble, avec son parcours, armé pour rapper des titres aux mélodies plus légères sans pour autant sacrifier le fond. En même temps et dans un autre registre, quand on est capable d’avoir un titre dont le refrain est « C’est nous les condés », on se dit qu’il faut aimer la prise de risque tellement il serait facile de tomber dans la caricature ou la parodie. Mais le rappeur de Blanc Mesnil relève à chaque fois le défi avec brio, allant même jusqu’à rendre hommage à son pote Boozoo aka Bakhaw en faisant de lui un nouveau mot de l’argot français. Peu importe sur quel beat il rappe ou dans quel délire il se projette, Sofiane parvient à garder ce côté réel qui le rend immédiatement sympathique.

Des beatmakers pour la plupart inconnus du public viennent mettre en musique un album aux sonorités modernes. Citons pêle-mêle : Zeg P, Yasser Beats, 2050 Beats, Yalatif Beatz, Ladjoint, Suther Kane Films, Seezy, Ovagroundprod et Fabien Carlin.  Inutile de chercher les violons, les titres de cet album sont davantage agrémentés de bruits de déflagration que de belles mélodies. Mais peu importe, Sofiane impressionne avec son aisance au micro : chaque titre est une démonstration technique qui ne peut laisser de marbre les amateurs de rap. Pour le reste, les featurings sur ce projet n’apparaissent quasiment jamais dans nos articles mais sont pour certains des têtes de gondole du rap français : MHD, Kalash Criminel, YL et Timal. On y trouve également des jeunes en pleine ascension comme The S’ (XVBARBAR), Riane, Ninho, GLK et Graya ; ainsi que des amis de Sofiane, Boozoo et Bakyl. Des invités d’univers différents qui viennent colorer un projet qui ne se laisse définitivement pas épuiser à la première écoute.

Briller par son naturel n’est pas facile dans un monde du rap où tout le monde semble préférer envoyer du rêve que rapper le réel. Le rap de Sofiane, s’il n’est pas clairement politisé dans les paroles, l’est pourtant dans sa réalisation. Il suffit de regarder le clip de « 93 Empire » qui regroupe de nombreuses grandes figures du rap du 93 pour comprendre ce que cela signifie : un appel à la réconciliation et au rassemblement par-delà les clivages et les tensions que le rap lui-même est capable de produire. S’il y a bien un côté hardcore chez Fianso, il camoufle en réalité un côté unificateur. Kery James ne s’y était pas trompé quand en l’invitant en première partie de sa tournée, Youssoupha et la famille d’Adama Traoré ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils l’ont invité à se produire pour le concert « Justice pour Adama » à la Cigale. Pour preuve, les clips de Sofiane ne sont pas tournés n’importe où : ils le sont dans ces cités où sont regroupés ces milliers d’anonymes que personne ne considère, sur l’ensemble du territoire français, de la Castellane aux Mureaux. En bref, il y a là une volonté de mise en lumière de ceux dont on ne parle jamais. Une belle façon pour le rappeur de mettre sa notoriété au service des autres.

La violence du rap de Sofiane est donc le reflet de la violence de la rue. C’est certainement la raison majeure pour laquelle Sofiane a pu toucher tant de monde : il a su mettre la rage du peuple en musique en écartant tout le bling-bling qui fait du rap qui passe sur les ondes un rap bien trop édulcoré.  #JeSuisPasséChezSo est cathartique, et s’il ne nous fera pas nous poser de question existentielle, c’est un projet qui a le mérite de n’endormir personne. Y est dépeinte l’image d’une société qui plus que jamais est déchirée, mais dans laquelle chacun essaye de s’en sortir comme il le peut. Avec ce projet, Fianso s’impose dorénavant comme l’un des porte-paroles de cette population qui a « mangé du pain dans du pain » (« X »). Pourvu qu’il continue de jouer ce rôle, tant dans ses engagements sociaux que dans sa musique, et que sa voix et ses images puisse mettre de la lumière sur ceux que la République devra  un jour ou l’autre considérer, parce que « C’est pas qu’du rap mec, c’est la vie des gens » (« Lettre à un jeune rappeur »).

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Un commentaire

  •  » Ma cité a craqué », ce clip ne me plait pas du tout. Je travaille avec des enfants des Mureaux. Certains m’ont parlé de son tournage. Je n’y vois pas le « reflet de la violence de la rue » (si elle n’était que « de la rue », elle serait simple à surmonter, c’est la violence à tous les niveaux dans les rapports humains qui rend la situation de certain jeune inextricable), mais seulement la mise en scène d’un mouvement de groupe par divers moyens. Que veulent dire ces pistolets brandis dans le clip, la bouteille d’alcool et les joints ? Ce sont les questions que je me pose et que beaucoup des jeunes que je côtoie se posent … Où ne se posent plus, acceptant ces images comme une partie de leur univers, puisque des « grands » qui passent sur des écrans les exhibent avec fierté. Cette masse de jeunes vu dans le clip n’existaient pas avant que Sofiane et ses compères utilisent internet et le bouche à oreilles pour leur donner rendez-vous. Chacun vaquait à ses occupations, s’amuser, faisait face à des problèmes que je préférerais ne pas être les leurs. La vie quoi. La  » rue » montrée dans le clip, par contre…

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