Across the US : Atlanta, aux origines du dirty south

Longtemps réputée pour sa grande violence et sa criminalité, la capitale de la Géorgie est aujourd’hui un grand centre industriel, où siègent entre autres Coca Cola, Delta Air Lines ou encore CNN. Métropole économique du sud-est des Etats-Unis, la ville surnommée « la grande pêche » est également un haut-lieu de la culture afro-américaine, puisqu’elle a élu en 1974 le premier maire noir, Maynard Jackson, et qu’elle reste profondément marquée par la ségrégation.

Voilà pour le contexte géographique. Mais dans cet article, vous l’aurez deviné, c’est de rap que nous allons parler. Depuis ses premières bribes à la fin des années 80, la scène d’Atlanta a toujours été à l’image de la ville. Marginale dans les années 1990, recrachant la réalité de la vie urbaine de l’époque, elle a commencé dans les années 2000 à s’imposer, devenant d’abord la plaque tournante du sud-est puis du pays entier. La scène rap d’Atlanta, c’est le dirty south. Un terme galvaudé, utilisé à toutes les sauces et maudit par les puristes. Dans une guerre des styles qui s’est souvent résumée à une opposition east coast/west coast, le sud a longtemps eu du mal à se faire sa place.

Le dirty south, comme à peu près tous les raps, trouve ses fondements à la fin des années 1980. Il tire principalement ses racines dans le booty-bass nous venant lui de Miami, qui utilisait déjà le TR-808, cette légendaire et intemporelle boîte à rythme analogique de musique électronique. Le premier tube de ce genre, c’est à MC Shy-D que nous le devons avec Shake it. Si ce dernier ne restera pas dans les mémoires, son producteur connaîtra une toute autre suite de carrière, puisqu’il n’est autre que le mythique DJ Toomp, futur producteur attitré de T.I. dont nous reparlerons plus tard.

https://youtu.be/DXC-w0iVUpI

L’ambiance festive est déjà révélatrice de ce que sera la suite, même si elle était de coutume partout à l’époque. Au début des année 1990, c’est le groupe Arrested Development qui est révélé au grand public. Si l’on n’est pas vraiment dans du dirty south à proprement parler, l’album 3 Years, 5 Months & 2 Days in the line off a au moins le mérite de placer définitivement Atlanta sur la carte du rap avec des tubes comme Tennessee, Mr Wendal ou encore People every day. Mais le groupe qui va définitivement poser sa patte sur le dirty south dans le courant de ces années 1990, récoltant un succès public énorme avec leur premier album Southernplayalisticadillacmusic certifié disque de platine, c’est OutKast. Le duo d’East Point trustera les charts jusqu’au milieu des années 2000 avec six albums qui se vendront à plus de 20 millions d’exemplaires. Ils sont alors membres du tentaculaire collectif Dungeon Family, l’hydre d’Atlanta qui réunit à peu près tous les groupes à succès de la ville. Parmi les têtes de cet hydre, il y a également Goodie Mob, à qui l’on doit le terme « dirty south », cité pour la première fois sur le single du même nom et qui connaîtra un certain succès au milieu des années 1990 avec leur album Soul food. Citons également le groupe de producteurs Organized Noize qui produira en grande partie les albums ATLiens et Aquemini d’OutKast, mais aussi quelques singles de Ludacris comme le fameux Saturday (Oooooh ! Oooooh !).

Après le succès connu par les membres de la Dungeon Family, le collectif décidera de sortir son unique album avec la première génération en 2001, Even in darkness, publié sur le label LaFace Records. Intégralement produit par Organized Noize et ET3 (Mr DJ et OutKast), l’album rencontre un certain succès critique, mais la différence de niveau entre le binôme OutKast/Goodie Mob et le reste est parfois flagrante.

https://youtu.be/t0ljISQGCp4

Après ces vagues de succès, le dirty south voit son arbre se diviser en plusieurs branches. Au début des années 2000, on assiste au phénomène du crunk qui envahira les boîtes de nuit durant ces années. Si le style apparait dès les années 1990 sur l’album Chapter 1 : The End de la Three 6 Mafia, c’est véritablement à Lil Jon qu’il doit ses plus belles heures. En 1997 il sort Get Crunk, Who U Wit : Da Album avec les East Side Boyz, intégralement produit par Lil Jon et DJ Toomp qui imposent déjà le style. Les basses sont très puissantes et le BPM un peu plus lent que dans le rap en général. Mais ce qui différencie les crunkers du reste, c’est surtout la forme. Etant principalement une musique de club, le crunk se caractérise par des textes extrêmement simples et des interprètes qui hurlent de manière très agressive.

Dans le quartier de Bankhead, c’est le snap qui fait son trou. Porté par des artistes tels que D4L et son tube Laffy taffy ou Young Joc et son It’s goin down. Par rapport au crunk, le snap se caractérise par l’arrivée des sifflements et du célèbre subkick 808. Le BPM est quant à lui un peu plus élevé. Un autre point important c’est le claquement de doigts faisant office de caisse claire, d’où le terme snap. Mais comme pour le crunk, c’est un style largement destiné aux boîtes de nuits et pas à grand chose d’autre.

Mais le sous-genre qui fera définitivement d’Atlanta une ville phare, et plus tard la capitale du rap aux Etats-Unis, c’est évidemment la trap. Emergeant dans la foulée du snap et du crunk, elle doit son implantation sur la carte à trois princes. T.I. le bon, Young Jeezy la brute et Gucci Mane le truand. Encore une fois les premiers à utiliser le terme et à poser les premières briques au monument sont la Three 6 Mafia, mais aussi UGK dans les années 1990. En 2003, T.I. sort son deuxième album Trap Muzik, certifié disque de platine. Avec des morceaux comme 24’s ou Bezzle, produits par DJ Toomp, il popularise ce nouveau style que l’on connaît tous. La trap va définitivement prendre son envol en 2005, quand Young Jeezy sort Let’s get it : Thug Motivation 101, premier volet de sa trilogie motivation avec The recession et The inspiration. Produit entre autres par Shawty Redd, Drumma Boy ou encore Don Cannon, l’album amène véritablement la trap à un autre niveau. Les productions sombres aux mélodies triomphantes offrent un terrain parfait à Jeezy pour rapper la crasse de la rue. Le thème principal est évidemment le trafic de drogue et la cuisine du crack. Un autre élément important, c’est l’avènement des adlibs (son fameux « Yeaahhhhh »), qui ne quitteront dès lors plus le rap.

Mais celui qui révolutionnera complètement la trap et le rap américain en général, c’est Gucci Mane. L’impact qu’il a eu ne se mesure pas tant musicalement que commercialement. Issu d’une famille aisée, le jeune Radric Davis obtiendra une bourse très rare qui lui paie ses études et tous les frais qui vont avec. Mais cela lui importe peu, il sait que son avenir se trouve dans le business du rap. A partir de 2006, il invente le concept de mixtape gratuite avec Chicken Talk, première d’une liste interminable qui continue encore aujourd’hui. Il devient alors le monstre au cornet de glace tatoué sur la joue, concept qu’il étendra avec son célèbre gimmick, et la trilogie The cold war. Il fera alors fortune en diffusant sa musique dans tous les strip clubs de la ville, qui deviendront le rite de passage pour un artiste d’Atlanta. Pour être validé, il faudra désormais être diffusé en strip club.

Véritable stakhanoviste, il développe un mode de production inédit, ce qui lui permet de sortir pratiquement une mixtape tous les deux mois, tout en enchaînant les peines de prison pour violence et consommation de drogue. C’est à lui que l’on doit l’explosion d’une grande partie des stars de la génération actuelle, que ce soit en rap ou en production. Chicken Talk est en effet entièrement produit par Zaytoven, organiste d’église de profession et l’une des grosses stars actuelles du beatmaking. Découvreur de talent, Guwop va également chercher un certain Mike Will Made It, qui n’est alors âgé que de quatorze ans, le beatmaker superstar qui produit aujourd’hui notamment pour Rihanna et Beyoncé.

A partir des années 2010, la trap prend un nouvel élan et devient définitivement la sonorité numéro un partout dans le monde. Des dizaines de MC’s, d’Atlanta ou d’ailleurs, lancés dans le grand bain par Gucci Mane explosent les charts, de Young Thug à Young Scooter en passant par Chief Keef et Waka Flocka Flame. Avec le tube Versace (produit par Zaytoven), Migos popularise un flow rapide et saccadé qui sera repris par tous les artistes de ce genre. La 808 Mafia devient le groupe de producteurs par lesquels il faut passer pour être reconnu, et les jingles de Metro Boomin, Southside, TM88, Sonny Digital ou encore Tarentino deviennent universellement connus. De cet empire qu’est devenu Atlanta, beaucoup de MC’s s’émancipent de l’influence de Gucci Mane en créant leurs propres univers qui influencera des dizaines de rappeurs plus jeunes. Ancien membre de la Dungeon Family, Future explose en 2015 avec Dirty Sprite 2 et son personnage de dépressif chronique noyé dans le lean, et au rap fusionné avec l’autotune, enfantera bon nombre d’artistes. Il en sera de même pour les excentriques mais très différents 2 Chainz et Young Thug, la bête sauvage Waka Flocka Flame ou l’inclassable OG Maco. Alors qu’avec le snap ou le crunk on avait exclusivement de la musique de club, la trap a rendu le dirty south bien plus universel, et s’écoute dans bien plus de contextes.

Le monopole east coast/west coast sur la scène américaine est terminé depuis très longtemps. Mais rien ne prévoyait une prise totale du pouvoir par une ville autre que Los Angeles ou New York. Le mode de production par mixtapes gratuites a été repris partout sur la grande pomme et a complètement conditionné les rappeurs à agir de la sorte, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux où l’on découvre de nouveaux artistes tous les jours. Longtemps rejeté par les puristes les plus extrémistes, la trap d’Atlanta est aujourd’hui pratiquée par tous les rappeurs de tous les pays, et il faudra bien faire avec.

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