Chronique : « Martyrs modernes » – Pejmaxx, Nefaste, Ol Zico & Mani Deïz

La sortie du projet Martyrs modernes regroupant Pejmaxx, Néfaste, Ol Zico et Mani Deïz a été annoncée pour le 21 octobre 2016. Si la compatibilité entre ces quatre artistes semble à première vue évidente du fait d’un certain air de famille, il s’en faut de beaucoup pour que cela suffise à faire un album de qualité. La difficulté quand on réunit une équipe de talents est de réussir à la faire fonctionner, puisqu’une somme d’individualités, mêmes galactiques, ne fait pas une équipe. C’est donc avec une certaine curiosité que l’on a écouté cet album, en se demandant ce qui nous avait été concocté par le chef d’orchestre Mani Deïz et ses acolytes lyricistes.

L’actualité du beatmaker du quatuor est intense : pas moins de quatre projets pour l’instant en 2016 (son album 42 Grammes avec LaCraps, son EP solo Comme les autres, Trois fois rien avec Seyté et Senamo et Martyrs Modernes) ainsi qu’un quatrième avec Swift Guad prévu pour le 25 novembre. Pejmaxx s’est fait beaucoup plus discret depuis la sortie d’ Enfant de la République en 2012 et on l’a seulement vu poser par-ci par-là. Il en va de même pour Ol Zico puisque le dernier album du groupe Bazané qu’il forme avec Warlock est sorti en 2007. Seul Nefaste a sorti son album Premier pas dernièrement en 2015. C’est dire si l’attente que certains auditeurs peuvent avoir et les interrogations que ce disque peut susciter sont justifiées.

Disons-le de suite, musicalement, Martyrs modernes ne surprendra personne. S’il fut un temps où Mani Deïz avait la capacité de magnifier les rappeurs qui posaient sur ses instrumentales, nous nous y sommes aujourd’hui habitués et il ne suffit plus de poser sur une de ses galettes pour faire du bon son. C’est donc aux rappeurs de magnifier les instrumentales de Mani Deïz, et c’est assurément le premier challenge que devait relever Ol Zico, Pejmaxx et Nefaste (ainsi que Mani Deïz lui-même que l’on retrouve sur « Jour de gloire » et « PCDTG »). A bien des égards, dès l’introduction de l’album on comprend que le challenge a été relevé avec succès, mais il est évident que ce n’est pas le fruit du hasard. La rencontre entre les quatre artistes a été manifestement travaillée, et lorsque l’on sent l’osmose qui se dégage de l’ensemble du projet, on imagine bien que rien n’a été fait à la va-vite.

La force de Mani Deïz, sur un album continu, est d’arriver à rendre l’écoute totale de l’album parfaitement agréable. Tout coule, peu importe le rythme de l’instrumental. La monotonie est évitée du fait d’alternance dans le rythme des productions, de lignes mélodiques qui changent, et bien sûr de la qualité des rappeurs. La différence avec un album sur lequel il y a plusieurs beatmakers, c’est qu’on ne se surprend pas à passer un son et que l’on peut laisser l’album du premier au dernier sans jamais être agressé musicalement du fait de ruptures musicales radicales entre les titres. Les différences entre les morceaux sont là, mais l’unité est bien réelle. On comprend pourquoi Mani Deïz semble particulièrement apprécier ce format.

Si le nom de l’album en lui-même incite déjà à la réflexion, si la violence de la pochette ne peut laisser indifférent, il en va de même pour ce qui est du contenu des paroles. Indissociable du contexte social et politique de la France du vingt-et-unième siècle, la clef de compréhension de Martyrs modernes se trouve autour de nous. Or, si on sait à quel point on apprécie une œuvre quand elle nous permet de détourner le regard de la réalité, on oublie parfois le fait qu’il peut y avoir un vrai plaisir à entendre des individus nous décrire la réalité telle qu’elle est, en mettant en musique et en rimes un discours qui n’a rien de consolatoire. Ce plaisir, qui semble si difficile à comprendre pour certains, on le ressent sur un album comme celui-ci, dans lequel réside une véritable réflexion sur la place qui est la nôtre en tant qu’individu au sein d’un Etat, au sein des différentes communautés, autour des nôtres et par rapport à nous-même.

Le premier extrait de l’album qui nous a été dévoilé « Dans les yeux » (seconde piste du disque) laissait déjà présager ce qu’il allait en être : un discours incisif dans la pure veine de ce que ces trois rappeurs ont l’habitude de faire. La concordance entre les trois artistes est de ce point de vue parfaite. Rares sont les albums où on adhère spontanément à la totalité du propos de l’artiste et où il n’apparaît aucune contradiction dans les différentes phases. C’est d’autant plus vrai quand il n’y a pas qu’un mais plusieurs rappeurs. Mais c’est pourtant le cas dans cet album où l’on reconnaît une volonté de la part de tous de prendre de la distance par rapport aux idées reçues et d’apporter un regard critique sur la manière dont on se définit spontanément. « Ecrire son autocritique est un dur métier » avoue Nefaste dans « Peine capitale », et pourtant, il n’y a aucun meilleur remède contre le communautarisme. De ce point de vue, le titre « Martyrs modernes » qui donne son nom à l’album est un modèle. Au cœur de cet album, il y a la question de notre conscience en tant qu’individu appartenant à une société : dois-je me fier à ce que l’on me dit ou dois-je faire l’effort de penser par moi-même ? A entendre Mani Deïz lancer « Je pense donc je ne suis pas la foule » dans l’un de ses couplets sur « PCDTG », on comprend que le choix est fait.

Ce projet, c’est donc un mélange de violence, de colère et de rage, avec de la bonté, de l’amour et de la génoristé. Tout du long il s’agit de savoir quelle est notre place ici et maintenant dans cette société. Loin des discours moralisateurs et des postures, Pejmaxx, Ol Zico et Nefaste rappent ce qu’il y a de plus concret dans cette réalité qui nous touche directement. Lorsque dans « PCDTG », Pejmaxx affirme : « J’ai jamais poucave même pas mon pire ennemi, je peux même couvrir un keuf qui m’a tabassé en disant que je suis tombé dans l’escalier », c’est à notre éthique en tant qu’homme et face à nos propres contradictions qu’il nous renvoie. De même, si Ol Zico rappe dans « Anarchie » : « J’ai purgé ma peine, être bon ça paye pas », il affirme néanmoins qu’il n’y a pas d’autre solution que cette bonté à l’égard des autres. Finalement, ce que l’on peut apprécier par-dessus tout dans cet album, c’est que les discours justifient la révolte face à l’injustice d’un système violent, sans jamais tomber dans la réaction stupide de la violence brute. Martyrs modernes se situe à un chemin entre la vertu et la révolte en arrivant à laisser une place aux deux. « Trop bon mais pas assez con pour faire les porteurs de valise » dit Pejmaxx à son tour dans le titre « Anarchie ». Etre bon ne signifie pas tout accepter, mais cela signifie savoir qui on est.

Si, sur le papier, si Martyrs modernes laissait espérer de grandes choses tout en laissant subsister certaines interrogations, on peut dire que dès la première écoute les doutes auront été dissipés. Les regroupements de rappeurs le temps d’un projet sont très loin d’être toujours des succès, mais avec Mani Deïz à la baguette celui-ci fait mouche. Ol Zico démontre que son retour dans le rap est une vraie réussite, Pejmaxx confirme qu’il fait partie des meilleurs lyricistes et Néfaste tout le bien qu’on pensait de lui après la sortie de son album.  De la musique aux flows en passant par les discours, il ressort de ce projet une véritable unité et une cohérence, pour une écoute stimulante aussi bien musicalement qu’intellectuellement. Bref, le quatuor galactique a réussi son coup.

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