Mala, l’interview « 10 Bons Sons »

Actif depuis le milieu des années 90, Mala est à la fois un homme de l’ombre et une figure incontournable du rap boulonnais. Une des grandes constantes dans sa carrière est de s’être tenu à l’écart du game, ne partageant le micro qu’avec ses proches, peu importe le niveau de renommée. Ses débuts avec Malekal Morte et le Beat De Boul, ses faits d’armes avec le 45 Scientific puis le 92i, les premières sorties de son label O.G. Gang, sans oublier son unique et désormais mythique album Himalaya… Retour avec Mala sur vingt ans de carrière.

#0 – Les Sages Poètes de la Rue – Soirée coupe gorge (Qu’est-ce qui fait marcher les sages, 1995)

C’est une intro pour un morceau des Sages Poètes. (« Un noir tue un autre noir », ndlr) On y explique une soirée qui s’est mal passée, je ne dirai pas l’endroit parce que c’est chaud… Bon si, c’était au centre commercial des 3 Moulins à Issy-Les-Moulineaux, on s’était battus avec des gens, et on expliquait la terreur de ces mecs qui avaient osé terrifier des gars à nous, tu vois ce que je veux dire ? Ça s’appelle une expédition punitive.

C’était du réel donc.

C’était du réel oui, c’est une vraie histoire, on n’a rien inventé du tout. On était en train de parler entre nous, et ils nous ont enregistrés. Ça a peut-être inspiré les Sages Poètes pour décrire ce qu’on appelle « une soirée coupe gorge » chez nous.

Vous rappiez déjà avec eux à cette époque-là ?

(Il réfléchit, ndlr) On rappait ensemble oui. On allait en soirée avec eux, à leurs concerts… On traînait ensemble.

#1 – Malekal Morte – Catch à l’arrière (Beat De Boul – Dans la sono, 1997)

Il y avait le Beat De Boul, mais Dany Dan avait un groupe derrière lui, qui s’appelait les Chololoz, et je traînais souvent avec eux, j’étais tout le temps avec Dany. Un soir, en tournant en voiture dans les rue de Boulbi normal en mode « loups » (comme on n’était pas véhiculé c’était dans la voiture de la daronne d’un des gars), et il y avait deux potos en train de se mettre des coups à l’arrière de la voiture. Le refrain est parti de là : « Ok ok, va y avoir du catch à l’arrière ! » Et voilà, j’ai posé ce refrain sur un morceau, Brams, allah y rahmou, m’a suivi, et Issaka aussi. C’est vraiment tout simple. Les morceaux partent toujours sur un coup de vibe comme ça.

C’est le premier morceau de Malekal Morte ?

Ouais… Ah non, il y avait eu le morceau qu’on avait fait chez Ziko de La Brigade avant !

Pour sa mixtape C2 La Balle ?

Oui voilà, c’est là-dessus qu’on m’a entendu pour la première fois, avant les Beat De Boul et compagnie. Big up à Ziko.

Comment s’est créée la Malekal Morte ?

On a tous grandi ensemble ! Si Zoxea n’avait pas le droit de sortir j’allais chez lui ! (rires) On est tous originaires de Boulbi. A la base je ne rappais pas, et en rentrant de vacances au Sénégal, on m’a proposé de faire un truc avec les autres, et c’est là que Zoxea nous a gérés. Je le dis haut et fort : c’est lui qui m’a formé, qui m’a mis le pied à l’étrier, et qui m’a expliqué comment rapper.

Toi et toute l’école de cette époque-là…

Tout le monde en fait, personne ne pourra dire le contraire ! Que ce soit Mov’ez Lang, Malekal… Tout part de Zoxea et des Sages Poètes, point barre. On l’a toujours dit, haut et fort, et celui qui nie, qu’il vienne me voir. (rires)

#2 – Mala – Dire que toutes ces meufs (BOSS Volume 1, 1999)

Pour ce morceau-là je sortais de prison, j’avais écrit un truc, et Zox’ m’avait orienté vers BOSS parce qu’il leur fallait de la matière. Joey Starr était à la recherche de trucs très différents, et dès qu’il m’a entendu il a accroché direct. Il était un peu réticent au début, mais après une première écoute il m’a un peu orienté dans une vibe que j’ai gardée jusqu’à aujourd’hui. Il m’a managé et a fait en sorte qu’il y ait un truc en plus qui ressorte, au même titre que Zoxea, Ali ou Booba. Respect à lui.

Il était réticent au début ?

Oui ! Tu te souviens combien il y avait d’artistes dans BOSS ? Gérer les choses et se retrouver aux manettes, c’était chaud pour lui. Mais quand il m’a entendu, il est passé aux manettes et il y est resté, il a confectionné le truc de A à Z.

La connexion s’était faite par Zoxea donc ?

Oui, il m’a orienté vers Joey Starr malgré le fait qu’il soit chez IV My People. Je kiffais plus BOSS, c’était plus ma vibe, plus underground. En plus j’avais de petites affinités avec Joey donc c’était bien.

#3 – Mala – Faut que je m’y mette (Beat De Boul – Dans ma ville, 2000)

Ça c’est les rappels de mes grands frères, c’est par rapport à eux, et à moi-même aussi. « Faut que je m’y mette », mais il faut être patient aussi. « La patience est la plus grande des vertus ! »

C’est ton deuxième morceau solo donc, tu t’imaginais déjà faire un album solo ou tu ne pensais que collectif à cette époque ?

J’étais toujours dans l’optique « collectif », sinon j’aurais préparé des morceaux solos de mon côté. Donc on pensait plutôt à sortir un truc en groupe, mais les aléas de la vie nous ont tempérés, on a été ralentis. Tout le monde connaît les aléas de la vie à un moment, même toi, même les auditeurs !

#4 – Malekal Morte – Le chant de la haine (Maxi Stargate / Le chant de la haine, 2000)

Ouais… Jim Profit à la prod, c’est mon pote, respect à lui. Je crois que c’est plus pour lui que j’ai fait ce morceau. C’est un bête d’ami à moi, et pour le morceau je lui disais « Mets ça, mets ci », et il mettait d’autres trucs… Il m’a tellement mis la haine, m’a tellement embrouillé qu’à la fin j’ai écrit un « chant de la haine », puis le refrain est venu et c’était réglé. C’est mon russe à moi, le tonton de Napoléon (le chat de Mala, ndlr) !

Ce morceau est un inédit paru sur le maxi « Stargate »qui faisait partie de la salve de vinyles sortis par 45 Scientific cette année-là, et annonçant la compilation du label. Sur les refrains de ces deux morceaux, on reconnaît ce qui commence déjà à faire ta touche, à savoir ce timbre de voix et cette musicalité propres à ton rap… Ça t’est venu naturellement ou on t’a dirigé un peu ?

Non c’est à moi ça, c’est ma vibe, ma voix. Quand je rentre dans un studio ils ont déjà mes voix, ils savent. Tout bon studio dans Paname connaît ma voix ! (rires)

D’où est venu le nom « Malekal Morte » (l’ange de la mort) ?

Le précurseur, le MC champion  ! (référence au morceau « Qu’est-ce qui fait marcher les sages », ndlr) C’est Zoxea qui nous a formés et mis sur les rails quand je m’en foutais de rapper… Bref, il a repéré un truc que j’avais, m’a un peu guidé, puis j’ai continué et j’ai appris les bases. Apparemment, tout ce qui sort de Boulbi ça pète hein !

Au regard de ta discographie, on se rend compte que tu as peu posé en dehors du microcosme Boulonnais. 

On pense ça parce que beaucoup de morceaux n’ont pas été médiatisés, mais moi j’ai posé avec beaucoup de personnes, surtout ces temps-ci. Après je comprends qu’on ne relaie pas parce que c’est souvent des featurings avec des petits qu’on connaît pas. On s’attend plus à des trucs comme Mala / Rim’K par exemple, mais je préfère partager le peu de puissance que j’ai avec les petits qui m’en demandent plutôt que faire des morceaux avec des gens plus connus en sachant que ça ne va pas aller loin. Je préfère donner de la force en ce moment, j’ai un grand programme derrière. J’ai mon label, je dois produire des gens, je préfère mettre en avant les petits que j’aime bien, plutôt que d’aller chercher des anciens, sans vouloir donner de blazes. Mais ça, ça viendra plus tard, je vais revenir avec des gens qu’on n’attend pas forcément. Les gens seront surpris, enfin les puristes. Les petits jeunes non, ils sont dans une vibe qui n’est pas vraiment la nôtre. Déjà que la vibe d’avant n’était pas trop la mienne…

#5 – Mala feat. Lunatic – Hommes de l’ombre (Nouvelle Donne II, 2000)

C’était sur Nouvelle Donne II. On a vraiment galéré au début, mais pris par la vibe du son, j’ai trouvé le refrain et le délire « hommes de l’ombre », et tout est sorti ensuite : Ali s’est mis à écrire, Booba pareil, je les ai suivis à mon tour… J’ai fini j’étais cuit. (rires) Sans Booba et Ali j’aurais juste fait le refrain, sans mentir. Ce qui fait cette puissance qu’on a entre rappeurs, c’est qu’on est toujours en train d’écouter ce que l’autre a fait, ça te pousse à donner le maximum de toi-même. On est toujours en compétition, ça a toujours été le cas : Beat De Boul est né de ça, c’est une école de compétition, pas un truc de copains. Il faut travailler. Tu as taffé, tu ramènes un texte qui fait flipper tout le monde, et les autres vont essayer de faire mieux, d’être meilleurs que tous les autres. Sachant qu’on était une quinzaine je te laisse imaginer… Ça t’oblige à repousser les limites de tes performance musicales.

La prod d’ « Hommes de l’ombre » est devenue une face B classique, souvent utilisée pour des freestyles, mais quand on entend ton refrain dessus, elle donne l’impression d’avoir été créée sur mesure.

On a écrit dessus, on s’y est cassé la tête. Généralement j’écris un texte, et je vais l’adapter aux sons que je vais écouter avant d’en choisir un. Pour « Hommes de l’ombre » on a vraiment écrit dessus, c’était une galère pour moi, un truc que je n’aime pas trop faire.

#6 – Mala – Bientôt (Ma Zone, 2003)

C’est l’outro. J’annonce ce que je vais faire si tu écoutes bien. Rien que la phase « Tout le monde va nous pomper » par exemple. « Voir la couleur de nos sapes sur tes mans » : tu as vu où en est Unküt aujourd’hui ? Je dis que je vais me marier, que je vais avoir des marmots et ça a eu lieu. J’étais déjà dans le futur. (rires)

Peux-tu nous rappeler le concept de la mixtape ? C’est ton premier projet à toi, sans être un solo…

J’avais du matos à la maison, et quand tu te retrouves avec 10 rappeurs dans ton salon avec du Beat De Boul, du 45 Scientific… Tu vois l’équipe ? Tu as tout le monde dans ton salon, tu ne vas pas rester à jouer à la console ! Il y a du matos derrière en plus, donc on enregistre ! Comme on enregistrait tous les soirs, je me suis dit qu’on allait faire une mixtape. Je l’ai appelée « Ma Zone » parce que ça sort de chez moi : 1732 allée du Vieux Pont De Sèvres ! (rires) Tout part de là.

J’avais effectivement lu une interview de Sir Doum’s dans laquelle il disait que tout le monde se retrouvait chez toi.

Tout le monde, pour de vrai. Je te dis, on se retrouvait à quinze, ça jouait à la console d’un côté, ça mangeait d’un autre, là-bas ça faisait du business… Et ça enregistrait dans un coin. Tout part de chez moi pour de vrai, personne ne peut le nier.

A cette époque-là, l’aventure Beat De Boul est terminée, mais on retrouve quand même Dany Dan sur le projet.

Toute l’équipe est là, et bien sûr qu’on retrouve Dany Dan ! C’était fini musicalement mais on était toujours amis. Si je croise Dany dans la rue il n’y a pas de problème, pareil pour Zoxea, Melopheelo, L.I.M, Mov’ez Lang, Booba, Ali… Tout le monde ! Musicalement on s’est un peu mis sur le côté parce qu’on a des projets. Chacun a ses projets, normal, mais il n’y a pas de pépin.

#7 – Booba feat. Mala – Commis d’office (Panthéon, 2004)

C’est davantage un titre de Booba là, c’est lui qui a trouvé le refrain. « Commis d’office » il est dur, et il s’est vraiment fait à la vibe, c’est comme ça qu’on fonctionne. Et comme on marche ensemble, on ne fait pas de micmacs de genres. Quoi que je dise ça va coller. Il a posé, j’ai vu vers quoi il partait, j’ai posé en suivant, on a mis un refrain, et c’était réglé. J’avais moult textes, mais j’aurais pu écrire dessus. Mais comme on est tout le temps ensemble, on écrit pratiquement la même chose, sans que ce soit pareil, tu vois ce que je veux dire ? Quelle que soit la direction dans laquelle je partirai dans mon texte, elle rejoindra le frère.

Tu as choisi un texte que tu avais en stock ?

Oui, j’ai cherché dans mon répertoire et ce texte-là allait bien. Et lui il fonctionne pareil.

#8 – Mala – La Malekal (Himalaya, 2009)

« La Malekal » c’est un morceau pour la famille, Lahani ! (rires) C’est Berny à la prod, un beatmaker avec qui j’ai travaillé pendant plus de 10 ans, et c’est le seul son que je lui ai pris pour l’album, sur lequel on se soit accordé. Ils sont galères les beatmakers ! Ils mettent pas ce que tu leur demandes… (rires) Lui il a travaillé avec beaucoup de monde.

On retrouve beaucoup d’autotune sur Himalaya alors que ça ne se faisait pas trop à cette époque-là dans le rap français, hormis Booba, mais dans une moindre mesure, sur son album 0.9 sorti l’année d’avant…

(Il coupe) Non non, à la base je devais sortir avant, mais il a été décalé à cause d’un petit problème, ce qui a fait que celui du frère est sorti d’abord. J’avais commencé à utiliser l’autotune bien avant, je disais même à Booba d’en mettre, que c’était bon !

Himalaya donne l’impression de ne pas avoir été compris quand il est sorti.

C’est normal, tu es toujours incompris quand tu es trop loin !

Beaucoup d’auditeurs ont pris le temps d’apprécier l’album plus tard, alors qu’il n’a pas trop marché au moment de la sortie.

Pour Himalaya j’ai laissé faire des gens qui n’ont pas su gérer la com’. Je ne pouvais pas être au four et au moulin, ce n’était pas à moi de gérer ça. Mais pour mes projets à venir je serai partout, j’aurai mon mot à dire au niveau de la promo.

Tu penses qu’Himalaya aurait pu aller plus loin ?

Je ne le pense pas, j’en suis sûr : on m’en parle tout le temps, encore aujourd’hui ! Tout le monde l’a, mais ça ne suit pas au niveau des ventes. Ça veut bien dire qu’il y a un truc qui ne va pas. On m’en redemande encore aujourd’hui.

C’est qu’il est dur à trouver en physique, il est bien coté sur le marché du disque d’occasion…

Je sais, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je n’étais pas rentré dans le business en ce temps-là, mais maintenant c’est le cas. C’est aussi pour ça que je mets du temps à sortir mes trucs, sinon ça fait longtemps qu’ils seraient sortis ! Je dois me former moi-même, apprendre des choses. Mais je commence à être prêt, j’ai une équipe qui l’est aussi, et donc ça arrive…

Pour revenir à l’autotune, d’où cela t’est venu ? Du rap américain ?

Je suis de la génération funk moi ! Tu vois Zapp, le groupe de funk à l’ancienne ? C’était des tueurs, ils utilisaient le vocoder : un instrument avec un tuyau à mettre dans la bouche et un clavier sur lequel tu pianotes. J’écoutais du funk, du raï, j’aimais bien cette vibe.

#09 – Booba feat. Mala, Brams & Dje – On contrôle la zone (Autopsie 3, 2009)

C’est l’hymne. C’est bien parce qu’on est tous dedans, avec Brams, Dje et Booba. Après je ne peux pas trop de raconter le morceau en détail, Brams avait tout tué sur le refrain, et je n’ai fait que suivre les frères avec mon couplet. Bête de morceau, j’ai bien kiffé.

On retrouve Dje sur ce projet, qu’on avait peu entendu avant hormis sur L’Alien, le projet de Sir Doum’s. Il a intégré l’équipe plus tard ?

Il a toujours été là Dje ! C’est juste qu’il n’a pas pu être invité sur certains morceaux, ou qu’il a esquivé… On n’était pas que dans la musique dans ce temps-là. Celui qui n’est pas prêt il prend une pause. Et puis Dje est très pointilleux dans l’écriture, il va prendre son temps, alors que nous on n’a pas le temps, on est des machines de guerre ! Celui qui est prêt pose tout de suite, c’est le premier en cabine. Celui qui ne l’est pas ou qui n’est pas satisfait de son texte, il posera sur le son suivant. C’était ça chez nous : l’esprit de compétition. S’il fallait trois seize mesures, les trois premiers posaient sur le morceau, même si on était dix-huit. Et si celui qui finissait après avait un texte meilleur que les autres ce n’était pas grave, il le mettait sur un autre morceau. On s’arrangeait et on s’adaptait parce qu’on parlait pratiquement tous de la même chose. On vient du même œuf.

#10 – Mala – Grimé (Traffic, 2015)

C’est un morceau spécial qui concerne certaines personnes qu’on a aidés il y a bien longtemps, qui sont venus se coller à toute mon équipe pour prendre ce qu’ils pouvaient, et qui se sont permis des trucs par la suite. Ce morceau c’est pour leur dire qu’on est toujours là. Ils se reconnaîtront, ça n’a rien à voir avec ma famille. C’est la suite d' »Ennemis » un peu, ou de « Première sommation », c’est la même chose.

Ce morceau se retrouvera-t-il sur un projet à toi ?

Il sera sûrement sur mon EP.

Peux-tu nous détailler tes prochaines sorties ?

Il y aura une mixtape anthologique sur laquelle on retrouvera des trucs à l’ancienne , la réédition de mon album Himalaya, puis mon EP, et encore d’autres trucs derrière. Il y a une équipe de durs qui suit, la Westaf, dédicace à eux ! Ils arrivent avec des surprises, des combinaisons inédites…

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