Rencontre avec Caballero, JeanJass, Senamo, Seyté et Mani Deïz.

La sortie de Trois fois rien de Senamo, Seyté et Mani Deïz mais également de Double Hélice de Caballero et JeanJass a été l’occasion d’une double « release party » parisienne au Petit Bain le 06 mai 2016. Nous avons sauté sur l’occasion afin d’aller rencontrer les artistes venus de Belgique (à vous de trouver l’intrus !) et discuter de ces deux projets qui figurent parmi les sorties phares de cette première partie de l’année.  C’est en terrasse, avant qu’ils montent sur scène et alors qu’ils étaient en train de manger, que nous sommes allés leur poser quelques questions à propos de la tournée et de leurs projets respectifs.

Cette scène que vous partagez ce soir au Petit Bain est la première d’une tournée qui commence pour vous. Si vous vous retrouvez tous ensemble sur scène à défendre vos projets respectifs, est-ce une volonté de votre part et une manière de kiffer davantage la scène? 

Mani Deïz : On voulait complètement le faire. On kiffe complètement davantage. (rires)

Seyté : Ce qu’il se passe, c’est que Caba, JeanJass, Senamo et moi, on travaille tous avec la même équipe de Back in the Dayz. Ce sont eux qui organisent les concerts. On souhaitait faire un concert à Paris, la date au Petit Bain s’y prêtait bien et on va tourner ensemble pendant une bonne partie de l’été. C’est familial, on se connait depuis très longtemps et on est contents de tourner comme ça.

JeanJass : Je les trouve très sympathiques. (rires)

Caballero : On a uni nos forces comme une fois de plus. Plus on est de noms, plus on a de chances de remplir la salle. PAF !

Senamo : C’est le côté clair de ce sombre rap !

C’est une manière de représenter le rap belge tous ensemble dans l’hexagone en prolongeant ce que vous souhaitiez faire avec « A notre tour » [Collectif créé en 2013] ?

Mani Deïz : Ouais ! Je peux répondre pour eux ? (rires)

Seyté : Le truc c’est qu’on vient tous plus ou moins du même endroit de Bruxelles. Après certains viennent de Charleroi, de Namur mais la Belgique, c’est petit, d’autant plus la Belgique francophone donc on se connaît tous et on se côtoie tous. A l’époque d’A notre tour, c’était intéressant d’unir tous nos forces et on reste dans cet esprit-là avec Back In the Dayz à faire des choses ensemble. Caballero l’a dit : « l’union fait la force » et on est contents d’avoir des amis toujours avec nous.

Pourquoi ne pas avoir poussé davantage « A notre tour » ?

JeanJass : A notre Tour c’est une vingtaine de personnes. Là on est quatre. C’est vachement plus facile rien qu’au niveau logistique. Là, en ce moment, on est tellement actifs sur plein de trucs que c’est pas possible.

Senamo : On a donné toute la force qu’on avait à A notre tour. On a vu que ça ne prenait pas alors que c’était des concessions pour chacun. Il y avait des egos, des caractères. On s’aime tous humainement, on l’a faite cette expérience, mais on est passés à autre chose.

JeanJass : On a la chance de tous bien s’entendre. Humainement c’est une super aventure, mais d’un œil extérieur, les gens ne se rendent pas compte du travail que c’est et des concessions que chaque entité doit faire.

Comment réussissez-vous à gérer les scènes des uns et des autres ? Je pense à Caballero qu’on a vu plusieurs fois venir backer ses potes à Paris.

Caballero : Comment tu gères tes heures de taf ? Bah c’est la même.

JeanJass : C’est H24 ! Le rap c’est mon métier. Tous les jours j’ai un truc à faire : une prod, un mix, un clip, un texte.

Malgré cet esprit de collectif, vous sortez pendant la même période deux projets « Trois fois rien » et « Double hélice » qui apparaissent comme radicalement différents, que ce soit au niveau des textes ou des sonorités.

Seyté : Ouais, et tant mieux !

Caballero : La différence n’est pas si radicale. Ce que tu veux dire, c’est que leur projet est essentiellement boom-bap et que chez nous, tu vas retrouver des trucs boom-bap parmi d’autres.

JeanJass : Dans notre projet tu as dix morceaux. Dans ces dix morceaux, tu as cinq titres qui vont être plus proches du boom-bap et cinq titres qui vont être plus proches de tempos plus actuels on va dire. Ce n’est pas radicalement différent, mais effectivement il y a des différences.

Mani Deïz : Radical, tu as peut-être été un peu loin. (rires)

Senamo : Ce qui est clair, c’est qu’il s’agit une autre manière d’approcher le rap, toujours avec le même amour mais c’est une autre manière de le faire. Il y a plein de types de courses différentes : tu as la course de fond et le sprint, mais c’est de la course quand même.

Seyté : C’est cela qui est intéressant en 2016. Tu en as pour tous les goûts. Le rap a évolué : c’était revendicateur, c’est devenu street, gangsta, égotrip, conscient, du rap réfléchi qui veut faire penser. Puis on est arrivés à la trap, à des trucs plus mainstreams qui dansent. Cela veut dire qu’il y a mille facettes dans le rap et aujourd’hui en 2016 tu peux tout faire. Tu as des représentants de chaque branche.

Mani Deïz: Tu peux tout mettre dans un même album. Cela ne gêne plus et c’est normal.

On a l’impression que c’est souvent le rap US qui donne la tendance en Europe. C’est à dire que c’est seulement une fois que c’est validé aux Etats-Unis que cela apparaît chez nous.

JeanJass : Le rap est une musique américaine et anglophone à la base. C’est le vaisseau-mère. A titre personnel j’aime le rap britannique parce que chez les anglais il y a plein de trucs intéressants, mais les américains sont la maison-mère que ce soit pour le rap ou le cinéma.

Senamo : Au-delà de valider, c’est de la musique. Je pense qu’aucun de nous n’est dans un effet de mode, de faire de la trap ou du boom-bap parce que c’est à la mode. Il s’agit d’un truc personnel, on fait ce qui nous plaît. Si tu aimes la musique en général, il y a moyen que tu te tournes vers la trap parce que c’est comme une terre vierge que tu dois débroussailler. C’est une question de goûts personnels.

Seyté : Il y a des milliers de rappeurs que personne ne connaît et qui font leurs trucs dans leur style. Il y a des gens qui font du rap électro, du rap latino, du rap rock et c’est cela qui est bon. C’est un mélange de tous les styles .

Peut-on y voir un signe de la vitalité du rap aujourd’hui ?

Mani Deïz : Je suis d’accord. Du moment qu’il y a du jus ! (rires) C’est ce que je te disais tout à l’heure. En 2016, cela ne gêne personne que chez les jeunes, il y ait de tout sur un même projet. Cela ne me choque pas que sur un projet il y ait de la trap, puis du boom-bap, trap, boom-bap… C’est pas gênant. On a toujours essayé de séparer Est-Ouest, etc. Il y a toujours des séparations à la con, au final ça reste du rap. Donc nique sa mère Hervé Villard ! (rires)

Senamo, tu nous disais lors de notre interview en juillet que Mani Deïz était « le fer de lance de toute cette scène de l’école française classique d’aujourd’hui. C’est le gourou. Il a la french touch. » Tu confirmes après la sortie du projet qu’il s’agit du dernier projet du type boom-bap classique ?

Mani Deïz : Oh putain ! Tu fais plaisir là ! (rires) Qu’est-ce qu’il a dit après ?

Senamo : On sort les mots de leurs contextes, cela peut être mal interprété. (rires) Le style « Mani Deiz » est une valeur sûre car c’est l’école qui nous a formés. On a tous écouté des sonorités de ce type. C’est toute cette école française qui passe son temps à prendre des samples, à assembler des trucs, il travaille à fond à la MPC, toujours à sortir mille vinyles. C’est une école bien particulière et c’est un peu ça qui a fait notre éducation du rap français. Je pense ne pas être le seul à pouvoir dire qu’il s’agit d’un des gars qui ride le plus ce truc là. Il y a pas mal de gens qui le suivent principalement pour ses prods, et c’est assez rare dans le milieu autant d’engouement pour un beatmaker.

JeanJass : Pour un beatmaker c’est très rare et assez particulier.

Tu avais mis un post facebook annonçant que c’était ton dernier projet dans ce style et que tu souhaitais passer à autre chose.

Senamo : Ouais, c’est confirmé et c’est toujours d’actualité.

Cela fait longtemps que vous y pensiez à ce projet commun Senamo – Seyté – Mani Deïz ?

Seyté : On cherchait un beatmaker pour un projet et on a pensé à lui. Ce qui est sûr c’est que l’idée était d’avoir une couleur qui était la même de A à Z, qu’elle plaise ou pas. Après il y a des gens qui n’aiment pas du tout ce style-là. Je trouve que c’est une belle couleur pour raconter ce que tu as envie de raconter, c’est un style de rap bien à part !

C’est un style de rap différent de celui qu’ont produit Caballero et JeanJass qui ont fait un album dans lequel il y a beaucoup plus d’egotrip.

JeanJass : On a fait un album qui est plus divertissant !

Seyté : Le gars qui est en soirée et qui va écouter l’album de Caballero et JeanJass, il va vouloir sortir, s’enjailler et faire la fête. Celui qui écoute Trois fois rien, il va peut-être comprendre des choses, entendre des choses, vouloir rester chez lui, fumer plein de bédos et sombrer (rires). Cela veut dire que ce sont deux approches différentes et cela déchire. Notre album prête plus à réflexion, le leur prête plus à la fiesta et les deux côtés sont hyper intéressants.

JeanJass : Si on faisait tous la même ce serait chiant. Si tout le monde posait sur le même beatmaker, ce serait nul.

Qu’est-ce que cela change dans la manière d’aborder un projet de travailler avec un seul ou plusieurs beatmakers ? Comment on choisit son beatmaker pour un morceau ?

Caballero : Selon les contacts que tu as dans le carnet de contacts, tu connais plus ou moins les styles de chacun, alors selon ce que tu as envie de faire tu appelles l’un ou l’autre en espérant avoir une bonne pioche.

JeanJass : BBL, par exemple, on est arrivés chez lui on lui a dit qu’on avait besoin d’une prod dans ce style-là. On est retournés chez lui quelques jours après, il l’avait faite le matin-même, le soir-même on l’avait enregistré.

C’est comme cela que vous avez construit l’album ? Vous vouliez tel son comme ça, tel son comme ça ?

JeanJass : Ouais, on se disait qu’on voulait un morceau dans ce style. Quand on a écouté les prods de Seize, il n’y avait pas de questions possibles, celle qu’on a pris c’est ce qu’il fait de mieux ! Il n’y a pas de recette qui marche à chaque fois. Cela dépend des morceaux.

Caballero : Il n’y a pas une façon bien déterminée de travailler. Cela peut se faire de différentes manières en fonction des circonstances : si tu as les lyrics mais pas l’instru, si tu as l’instru mais pas les lyrics. Tu écoutes un son tu veux changer les caisses claires, mais une fois que tu as posé dessus, tu ne veux plus les changer. Il n’y a pas de truc déterminé. Il y a beaucoup de chimie et d’expériences dans le labo, jusqu’à avoir le bon truc que tu recherches.

Cela s’éloigne assez de la manière dont vous, Senamo et Seyté, avez pu procéder avec Mani Deïz?

Senamo : C’est Mani qui nous a passé des packs de prods. Je sais que personnellement j’ai toujours bien aimé quand Seyté m’envoyait ses textes à lui, que je pouvais voir son texte et faire un parallèle avec. Pour trois ou quatre sons, cela s’est fait dans ce sens-là, pour trois ou quatre autres sons cela s’est fait dans l’autre sens avec lui qui essayait de faire un texte parallèle au mien. C’est surtout comme cela que le projet s’est construit.

Quant à Caballero et JeanJass, vos textes ont également été écrits en commun ?

JeanJass : Je dois dire la vérité : Cab’ écrit plus vite que moi.

Caballero : Toi tu as deux casquettes aussi.

JeanJass : Possible que ce soit ça ouais. Mais ce qui s’est passé généralement, c’est que Caba avait une idée et moi je trouvais ça cool ou pas cool. La plupart des idées m’ont plu. Par contre, pour certains morceaux ça a été l’inverse. La démarche était : cette prod nous plaît, on verrait tel style dessus. En général cela se faisait en un jour. C’est très spontané comme projet et c’est pour cela que le style libre est le principal thème du projet.

Tu disais à ce propos dans une interview pour Perspectives Parisiennes la chose suivante : « Disons que Pont de la reine et Goldman (nos projets solos) étaient des films d’auteur et que là, on a sorti notre blockbuster. Un film avec des grosses voitures, des flingues, des jolies filles et un max d’humour. »

JeanJass : C’est exactement ça. Je suis persuadé que Pont de la reine et Goldman sont des projets plus puristes. Pont de la reine on a fait du rap « Queensbridge » malgré quelques petits écarts, et Goldman ça reste quelque chose où je souhaitais me présenter, je l’ai fait pour moi sans réfléchir. Ce projet-là avait une approche différente. Ici, avec Caba, on avait une idée bien définie du projet que l’on voulait : quelque chose de fort, que les gens puissent danser dessus, qu’il y ait un morceau qui puisse passer en club, on voulait un maximum de style !

On sent qu’il s’agit d’un projet sur lequel vous vous êtes éclatés.

JeanJass : Ouais c’est clair ! Tous ceux qui ont participé au projet, que ce soit Esco qui a scratché, les guitaristes, les trompettistes, les beatmakers qui ont taffé avec nous, tout le monde est content du résultat. On s’est amusés en le faisant et on va s’amuser en le jouant sur scène pendant des mois et des mois !

Pourquoi appeler votre projet « Double Hélice » ?

Caballero : Parce qu’à deux on a deux fois plus de puissance et on va deux fois plus haut !

JeanJass : Tu vois à quoi ressemble un hélicoptère à double hélice ? Ça a de la gueule on est d’accord ? Bah voilà pourquoi ! C’est beau gosse !

Vous ne vouliez pas vous mettre dans un hélicoptère à double hélice sur la pochette ?

Caballero : On a plein d’imageries différentes. On voulait essayer d’avoir un équilibre.

Seyté : Si tu appelles ton projet « hélicoptère » et que ta pochette c’est un hélicoptère, ça craint ! (rires)

JeanJass : En plus, prendre une photo de Google, c’était non ! Et je n’ai malheureusement aucun pote qui ait un hélicoptère à double hélice.

Tu aurais donc un héliport sans hélicoptère ? [Référence au titre « Yessaï »]

JeanJass : J’ai un hélico, mais simple hélice ! (rires) Comme il en fallait un double, je n’allais pas mettre une deuxième sur mon hélico simple hélice. Tu sais, un hélico, c’est cher !

Et pourquoi appeler votre album « Trois fois rien » ?

Seyté : On est passés par toutes les couleurs et par tous les titres. On était trois à décider et je travaillais avec deux gars assez casse-couilles (rires). Tu émets des idées et on te dit « ça pue la merde », « ça pue la merde ». Puis un jour j’ai pensé à « Trois fois rien ». C’est un peu : « On vous donne rien et si vous y trouvez quelque chose c’est bien ». On est trois. Trois fois rien !

Senamo : Trois fois rien, c’est déjà mieux que rien du tout. Il n’y a aucune prétention sur ce projet. Il y a peut être un son où on fait de l’égotrip, mais même si le mot « rap conscient » est horrible, c’est exactement là-dedans qu’on était. On a plongé à pieds joints dedans et on l’a assumé jusqu’au bout. Et puis c’est marrant comme blaze.

JeanJass et Mani, vous êtes des beatmakers qui avez la particularité d’avoir commencé à officier en tant que rappeurs. Mani, le 23 mai tu sors ton projet Comme Les Autres sur lequel c’est toi qui rappes. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment on passe d’un côté ou de l’autre du micro ?

Mani Deïz : Le truc, c’est que j’ai commencé par rapper. Après j’ai voulu faire des prods parce que personne ne savait en faire dans mon quartier. C’est comme dans tout, pour être bon dans la prod, il faut travailler beaucoup. Du coup je n’ai plus fait que de la prod. Après j’avais un petit regret de n’avoir jamais rien sorti en tant que MC. Il m’est arrivé un truc dans ma vie qui a fait que je me suis mis à réécrire donc, du coup, je fais mon kiff et j’arrête. Mais j’y crois à mort !

On t’avait pas mal vu sur scène en tant que backeur avec Paco.

Mani Deïz : Personne ne connaissait ses textes alors j’ai voulu rendre service à mon poto. (rires)

Quand on est beatmaker, est-ce qu’on n’a pas envie de poser sur un autre style de prod que celle que l’on fait soi-même?

Mani Deïz : On a grave envie de le faire, on a envie de le faire davantage ! La prod, tu la fais, tu l’écoutes, tu la mixes, tu taffes dessus, tu la remixes, tu masterises. A la fin, ta fleur anale, c’est un anneau comme dans Sonic. C’est compliqué ! Mais en soi, quand tu trouves le truc ultime, t’es encore plus fier de rapper sur tes prods. Parce que tu te dis que t’as réussi à la subir, à l’écouter cent fois, à rapper dessus donc tu l’as écouté deux cent fois, à la mixer donc quatre cent fois, à la fin tu l’as écoutée sept cent fois et le truc ne t’a pas lassé, c’est l’exigence suprême !

JeanJass : Je suis d’accord avec Mani. Tout à fait d’accord avec lui.

En guise de conclusion, le plus gros kiff pour vous, c’est le studio ou la scène ?

Caballero : Ce que je préfère, c’est le stud’ mais de très près il y a la scène.

Senamo : Je rejoins Caba ! On est tous des vampires…

JeanJass : Moi je suis obligé d’aimer le studio. Je suis ingé-son donc je n’ai pas le choix.

Merci à vous les gars !

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Pour prolonger la lecture, vous pouvez lire nos interviews individuelles de La Smala, Caballero et JeanJass.

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