Chronique : Swift Guad – Vice et Vertu Volume 2

Le 9 octobre est sorti Vice et vertu vol.2 la nouvelle mixtape-album de Swift Guad. Un an après La chute des corps, Swift Guad nous revenait avec un projet de dix-sept titres. Quelques mois auront été suffisants pour prendre la mesure du changement initié par la mixtape Vice et vertu vol. 1, et apprécier les derniers projets aux couleurs surprenantes en comparaison aux sorties antérieures. A posteriori, on peut dire aujourd’hui que Swift a impressionné par sa capacité à se renouveler, et les quelques clips sortis pour annoncer Vice et vertu vol.2 laissaient présager un album dans la veine du précédent du point de vue des instrumentales, mais avec des thématiques plus sombres et plus « trash ». Sauf que les auditeurs savent bien que les extraits promotionnels qui précèdent la sortie d’un album n’en sont pas toujours représentatifs. Alors la question se posait : « Fleur de lys », « Armstramgram » « Martin Luther » ou encore « Xcuze my french » étaient-ils caractéristiques de ce Vice et Vertu vol. 2 ? Pour y répondre, voici la petite chronique d’une plongée musicale dans les bas-fonds d’un album complexe entre sadisme, drogue, révolte et violence.

Fort de cette dichotomie entre le vice et la vertu qui lui sert de fil conducteur, Swift a travaillé son propos pour nous faire un album d’une couleur beaucoup plus noire que La chute des corps. Il s’agirait presque d’un euphémisme de dire que l’univers de Swift Guad n’a jamais été très joyeux. Depuis les premiers albums, le rappeur montreuillois se plaît à dépeindre une société malade. Toutefois, La chute des corps semblait opérer un tournant de ce point de vue-là : on y retrouvait des sons plus aériens, moins dans l’engagement et duquel les références politiques étaient beaucoup moins apparentes (ce qui ne signifie pas inexistantes). Bien entendu, ce n’était pas le cas pour la totalité des sons et Swift a su conserver par beaucoup de points l’esprit original qui avait fait de lui l’un des rappeurs les plus estimés de l’underground français. Toutefois de nombreux morceaux ont fait réagir un public de la première heure qui n’était pas préparé à de tels changements.

Ce n’était pas uniquement le cas du point de vue auditif, mais également du point de vue visuel : l’esthétique qui entoure le rappeur s’est faite plus soignée, plus léchée, et cela ne s’est pas fait sans interpeler. Par-delà de la nécessité d’entrer dans une dimension beaucoup plus artistique, il y avait un aspect promotionnel certain et on pouvait se demander comment Swift allait tenir cette direction sur la longueur. La sortie d’une marque de vêtement intitulée « Vice et vertu » laissait présager une volonté de business qui n’était pas sans faire peur aux plus réfractaires d’entre nous concernant l’ouverture du rap à une dimension beaucoup plus commerciale. Quelle identité allait-il lui rester s’il se mettait à vouloir construire son business ?

Cela était sans compter sur sa capacité à se renouveler en dehors des carcans dans lesquels on l’aurait trop vite confiné. Ce projet Vice et vertu vol.2 en est l’exemple même. C’est en s’enfonçant un peu plus dans la noirceur que Swift a réussi à surprendre avec un projet qui mélange égotrip bien trash, revendications sociales et célébration du vice, en ajoutant cette petite dose nécessaire d’apologie de la vertu pour nous séduire encore un peu et montrer qu’il y a encore un peu de lumière là où le vice semble avoir tout dévoré.

En ce qui concerne les instrumentales, cet album repose sur une dizaine de prods de Blixx, mais on y retrouve en vrac Tony-O, DJ Yep, Oner, Automate et Mani The Dog. On s’en doute parce que c’est Swift Guad : les ambiances sont hyper variées, même si enchaînées les unes après les autres, elles dispensent une énergie qui fait qu’on ne ressort pas de l’écoute des dix-sept sons sans se sentir passablement énervés. Il ne s’agit pas d’un album reposant, et c’est peut-être le point de rupture fondamental avec La chute des corps. Swift s’essaye à tout, de la trap aux sonorités plus classiques (oui, il y en a encore), et il ne semble plus avoir de barrières. Peu importe l’instrumentale, les mots s’enchaînent à l’aide d’un flow tout terrain qui ne périme pas, quand bien même il s’essaye parfois à des ambiances plus dans la veine d’un « cloud » rap ou encore à chanter sur les refrains.

L’excellence d’un album de rap se mesure également à ses featurings, et de ce côté-là, Swift Guad a réussi à ramener du beau monde : Demi-Portion, Jarod le caméléon, La Race Canine, Paco (la base !) et Original Tonio, ainsi que sur le surprenant « Fais bédave » des emcees comme Chedi Chaka, Titan, G-Keys & Likmagik. Des featurings assez hétéroclites mais qui ont le mérite d’être originaux et qui témoignent du fait que, comme dit plus haut, Swift peut rapper avec tout le monde tout en conservant son identité et la qualité. Une mention spéciale à Original Tonio que l’on a pu découvrir dernièrement sur l’album de VII et qui démontre que c’est un rappeur dont on risque de parler de plus en plus. « MSN », le featuring, avec Demi-Portion casse tout et est véritablement dans les meilleurs sons de l’album ! Quant à la collaboration avec Paco, elle fait toujours plaisir, d’autant plus quand il se fait sur de la trap sur laquelle on n’a pas l’habitude de l’entendre.

« Mon rap des fois est sombre, lunatique, étrange et cérébral, d’autres fois il est con, suce ma bite et mange tes céréales » – MSN.

Écouter Swift Guad de manière soutenue est difficile, car c’est du texte, du texte et encore du texte. Mais analysés à tête reposée, il y a deux sons qui s’apparentent à des exercices d’écriture difficiles et qui manifestent à quel point Swift a une facilité déconcertante à manier les mots. Le premier a fait partie des premiers extraits sortis : « Amstramgram » qui reprend les références de notre enfance pour les confronter à la réalité de la vie d’adulte. Quant au second, il fut le dernier extrait sorti juste avant l’album : « Paris mon amour ». En tant que rappeur parisien, écrire sur Paris est un peu un passage nécessaire à un moment, mais l’originalité de Swift est de décrire Paris avec Paris elle-même, c’est-à-dire tous les noms que les parisiens connaissent bien et qu’ils croisent tous les jours en poussant la porte de chez eux. Un son qui est un véritable hommage et qui mérite de compter parmi les meilleurs sons sur Paris.

En ce qui concerne les thématiques de l’album, il y a une dimension présente dans les projets précédents mais qui ne l’a jamais été autant, c’est la sexualisation du discours. En ce qui concerne ce projet, on pourrait presque parler d’hyper-sexualisation tant les références à la sexualité sont extrêmement présentes, et quasi-exclusivement de l’ordre du « trash ». Couplée à l’apologie de la drogue, et notamment de la cocaïne autant aimée que décriée, cela confère à l’album une couleur proche de ce que serait une forme de « sadisme » moderne. Toujours dans l’égotrip, les références multipliées au sexe et à la drogue, corrélées à une esthétique extrêmement recherchées, permettent à Swift de se distinguer des rappeurs moins littéraires que lui qui pourtant sont nombreux sur ces thèmes. Pour preuve, on ne peut s’empêcher de sourire sur certaines phases quand bien mêmes elles possèderaient un caractère choquant pour l’auditeur non-averti.

« Il y en a qui font pas gaffe mais moi le devoir m’appelle » – Flaque 2 sens

Une chose ne change pas : la fidélité à une ligne politique qu’il s’est construite au fil de ses projets. Swift prend plaisir à rappeler qu’il « encule toujours Marine » et que cela n’a pas changé depuis le départ. La colère est toujours présente et le fait de prendre de l’âge ainsi que la nécessité de gagner de l’argent n’y changent rien. Il y a indubitablement une dimension engagée et politique qui s’était faite plus absente sur les projets les plus récents et qui revient en force dans cet album, même si celle-ci passe toujours par le prisme de l’égotrip (ce qui avait été rarement le cas). Entendons-nous bien : là où des rappeurs en resteraient à de l’egotrip qui consisterait simplement en la déclaration de leur supériorité sur le reste du monde, Swift le fait en gardant un côté « engagé », dans le sens où les références mises au service de l’égotrip sont des références politiques, culturelles et historiques. Toutes ces références sont le fondement de textes qui, si on s’en tenait uniquement au fond du discours, seraient pour la plupart proprement ridicules.

En guise de conclusion, on pourra affirmer que Vice et vertu vol.2 est un projet qui vient confirmer le tournant musical de Swift Guad, mais qui vient également apporter une dimension plus « hardcore » que l’on ne lui connaissait pas. Trop complexe dans sa construction pour satisfaire le grand public, l’égotrip trash mêlé à une esthétique poussée satisfera celui qui est à la recherche d’un rap violent mais littéraire, aux instrumentales modernes et musicales, qui ne tombe pas dans la caricature. Si Swift est incontestablement aujourd’hui l’un des piliers du rap français, il continuera à l’être car c’est celui qui semble le plus à même de s’adapter à toutes les révolutions qui sont en train de s’opérer dans un rap en perpétuelle redéfinition. L’avènement du « cloud » rap dans le sillage d’un groupe comme PNL ne devrait pas le laisser hors-jeu. Swift semble bien parti pour durer.

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