NQNT 2 – VALD et le triomphe de l’absurde.

Depuis le 25 septembre pullulent dans la sphère médiatique du rap français des chroniques, critiques et interviews de Vald à propos de la sortie de l’EP NQNT2. Chaque média y va de son article, et même Olivier Cachin en a fait une chronique pour le qualifier de « grand album de rap » (c’est dire l’importance que beaucoup de spécialistes hip-hop confèrent à la sortie de cet EP). Tous en disent quelque chose, mais de là à pouvoir affirmer que tous en disent quelque chose qui ait un intérêt, il y a un gouffre que l’on n’oserait pas franchir. On trouve un peu partout des spécialistes du rap français pour parler de Vald, mais pas un pour tenter de penser le phénomène qu’il représente dans le rap français. Personne pour tenter d’expliquer le succès d’un morceau comme « Bonjour » ou bien pourquoi « Selfie », un morceau qui n’a rien de hip-hop et qui est l’incarnation même de toutes les formes les plus stupides que peuvent prendre le rap, a pu fonctionner auprès du public. Alors, ici on se décide à poser la bonne question : Comment NQNT2 est-il possible ?

Il y a deux ordres de réponses : la première consiste à voir dans la création artistique le produit d’une inspiration de l’artiste lui-même, et adopter son point de vue de créateur. Sauf que Vald lui-même récuse une telle possibilité lorsqu’il affirme sans sourciller dans ses interviews qu’il n’en a absolument rien à foutre et qu’il écrit comme ça lui vient. Alors, on serait tenté d’y voir du génie, et ils ont été nombreux ceux qui ont affirmé que Vald est un génie. Mais pour cela il faut croire au génie, mot magique dans lequel se drapent certains artistes pour faire oublier que le génie n’est rien d’autre que du travail, de la drogue, du travail, des couilles (et au vingt-et-unième siècle un gros coup de marketing).

Puis il y a une seconde réponse. Une réponse qui consiste à envisager la chose sous un angle différent en tentant de comprendre quelles sont les conditions de possibilité d’un tel EP. Identifier ces conditions de possibilité, c’est essayer de comprendre ce projet en profondeur, non pas simplement en s’en tenant à ce que l’on a sous les yeux (ou en l’occurrence dans les oreilles), mais en déchiffrant ce qui a pu préparer le public à apprécier un EP au discours tellement étrange qu’il semble radicalement trancher avec le reste de la scène française. Plutôt que d’en rester, comme beaucoup l’ont fait, à une analyse superficielle, peut-être faut-il s’intéresser à ce qui entoure ce disque et qui rend possible un projet sur lequel on peut à la fois tout dire et ne rien dire, crier au génie comme à l’absurdité la plus totale, avec ce paradoxe fondamental propre au jugement de goût : quoi que l’on dise, on aura toujours raison !

Mon idée première en commençant cet article était de montrer que l’on pouvait dire tout et n’importe quoi de NQNT2. Il est possible de réaliser une chronique soulignant à quel point NQNT 2 est génial et d’en réaliser une autre soulignant à quel point NQNT 2 est à chier. Mais on irait trop vite en besogne à analyser cet EP de cette manière-là en oubliant que finalement, ce ne sont pas tant les avis qui sont intéressants, mais les questions qu’il nous fait nous poser à l’écoute. Vald sait comment faire douter les auditeurs de leurs certitudes. L’emploi de multiples personnages qu’il décline en fonction de son humeur, par exemple comme dans « Urbanisme » en étant porte-voix d’un vieux râleur avant de l’être d’un jeune désœuvré, manifeste bien qu’il ne le cherche pas à dire les choses clairement, mais en prenant des détours qui laissent la part belle à l’interprétation.

Bien entendu, toute interprétation d’un morceau se présentera toujours comme légitime, et on aboutit ainsi à une forme de brouillage qui fait que l’on ne peut s’empêcher de se demander : « Mais qu’a-t-il pu vouloir dire ? », alors que la question a se poser devrait être : « A-t-il vraiment voulu dire quelque chose ? ». En conséquence, tout le monde parle et dit tout et n’importe quoi, et cela fonctionne à merveille en ce qui concerne le buzz. Vald est un homme de son temps qui a compris mieux que tout le monde ce qui était en jeu aujourd’hui dans ce « game ». Alors plutôt que de faire de Vald un génie sorti de nulle part, il est temps de le remettre dans son époque en montrant que finalement, il en est le produit, le dernier fruit, celui qui ne pouvait pas ne pas arriver et qui n’a fait qu’actualiser ce qui était déjà là en puissance. Vald est la fin de l’histoire. Pour le meilleur ou pour le pire.

« Mimi Mathy : reptile très petit. Pyramide, pentagone, pentacle et triple six. Dilapide v’là la daube en musique, dans les films, en radio. BHL : reptile très hostile. Reptile très toxicomane aussi. Y’a même Laure Manaudou qu’a des écailles » – Barême

En ce 25 septembre, il fallait qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour que Vald puisse réussir un EP comme NQNT 2. Premièrement, il fallait un rap-game en déliquescence qui ne sait plus comment choquer tant le folklore auquel il nous a habitués devient lassant et caricatural. Deuxièmement, était nécessaire un foutoir médiatique tel que tout le monde peut dire tout, n’importe quoi, crier au génie un jour et crier au sombre demeuré le lendemain tout en étant pris au sérieux. Troisièmement, il fallait ajouter à cela des adolescents qui se cherchent des idoles subversives mais stylées, ainsi qu’une culture du buzz par dessus tout. Le décor était planté pour que jaillisse sorti tout droit de l’esprit d’un « génie » dérangé le fameux NQNT 2. Enfin, pas simplement jaillir, mais aller jusqu’à éblouir les auditeurs dans un tel halo de lumière et de sainteté que toute la presse rap allait en faire l’un de ses gros titres. Pendant que tout le monde crie au génie, Vald fait ce qu’il a à faire en donnant ses interviews où il montre clairement qu’il s’en branle. Il a bien raison. Tout cela n’a aucun sens. Voici venu le triomphe du cynisme. La prophétie annoncée par Vald pouvait se réaliser : le moment était venu de la baise ultime, celle qui serait tellement mauvaise qu’elle en deviendrait géniale. Par devant ou par derrière ? Probablement les deux en même temps.

NQNT 2 est absurde car il n’a aucun sens (en accord avec le titre « Ni Queue Ni Tête »). Alors on les voit venir les apôtres du sens qui nous disent qu’il faut lire entre les lignes, que tout cela a bien un sens et que si l’on regarde bien, il y a un véritable message. On va même tenter d’en faire une explication sur RapGenius en tentant de justifier les phrases les plus stupides. Mais inutile de se perdre dans les explications de RapGenius  pour comprendre que tenter de donner un sens, ce n’est jamais que tomber dans le piège tendu par Vald (les explications de certaines phrases sont plus troublantes que les phrases elles-mêmes). Si Vald est un phénomène, c’est parce qu’il a fait un projet qui est en adéquation totale avec l’esprit de son temps : une légèreté ayant simplement l’apparence de la profondeur. Il suffit d’ouvrir n’importe quel magazine ou journal mainstream pour comprendre que tout cela est bien dans l’air du temps.

A l’image d’Alkpote qui n’hésite pas à affirmer qu’il n’est que le produit des sionistes qui l’ont créé, Vald tient pour responsable de l’état du monde les reptiliens. Mais qui peut croire sérieusement que tout cela est sérieux ? Il n’y a pas plus absurde qu’une théorie qui consiste à dire que les humains sont les esclaves de reptiles qui prennent l’apparence humaine. Mais le cynisme est d’autant plus fort que certains auditeurs prendront cela pour un engagement politique de la part de Vald… Le risque étant alors que l’entreprise de décrédibilisation de la parole du rappeur puisse s’appuyer sur ce type de déclarations d’apparence politisées, mais qui en réalité ne le sont pas et correspondent simplement à un énorme foutage de gueule des thèses complotistes les plus absurdes. L’entretien de cette confusion est manifeste d’entrée avec l’extrait audio de Houellebecq, chantre de l’islamophobie et de la pensée réactionnaire, choisi simplement parce que la phrase était « classe ». On atteint le degré zéro de la pensée car c’est vider le sens même de la parole (dans un tel extrait, il est impossible de faire abstraction de « qui » le dit) et de toute tentative sérieuse de pouvoir penser la politique à partir du rap français.

Il ne manquerait alors plus que de faire de « Bonjour » une exhortation au respect et à la politesse, ainsi que de « Selfie » une « ode à la pudeur » (comme Vald le déclare dans ses interviews) pour dévoiler ce que NQNT 2 est réellement : la marque d’un esprit qui a compris que plus rien n’a de sens, qu’après tout il ne s’agit jamais que de musique et que l’on peut se permettre tout et n’importe quoi. Alors, le rap devient ce qu’il n’était peut-être pas censé être, mais ce qu’il ne pouvait pas ne pas être au vu de son évolution de ces dernières années. On aura trop vite jugé de ce qu’il est en lui conférant uniquement une essence politique, revendicatrice ou émancipatrice. Il n’aura jamais eu vocation à n’être que ça. Cette prise de conscience qui se généralise progressivement, Vald est celui qui l’a véritablement dégagée en poussant cette idée jusqu’à l’absurde, et c’est cela qui fait qu’aujourd’hui il peut avoir un tel impact. Vald n’est pas Joffrey de Game of Thrones car il ne prend pas le jeu au sérieux. Il est Tyrion, celui qui joue de son influence et qui connaît l’absurdité du monde et du pouvoir, mais qui se situe au-dessus de tout cela pour le dépasser. C’est en ce sens que Vald est cynique, parce qu’il a perçu que tout cela n’était jamais qu’un jeu : un jeu de cartes qu’il suffit de rebattre pour recommencer.

« Je m’en bats les couilles, j’ai d’autres cartes sous le coude » – Cartes sous le coude

Vald est seul dans ce petit jeu. Inutile d’aller chercher d’autres raisons pour lesquelles, exception faite de AD, il n’y a pas de featurings sur NQNT 2. L’univers de Vald est bien trop personnel et absurde pour pouvoir y faire entrer un autre que celui qui le suit dans son délire depuis le début. AD, ce fameux compagnon dont Vald déclare sans cesse qu’il rappe mieux que lui… AD est une énigme, mais rien d’étonnant à cela. Il fait partie du tableau que Vald peint dans l’ensemble de ses créations, productions et déclarations médiatiques.

Finalement, ce personnage qu’a choisi d’incarner Vald dans ses sons est d’une telle complexité qu’il est à la fois tout le monde et personne. Vald est en train de créer une œuvre qu’il emmène vers les sommets de l’absurdité. Cela fonctionne. Plus il gagne en maturité, plus ses sons arrivent à caricaturer un rap game déjà parfaitement caricatural (« Bonjour » n’avait pas d’autre vocation que celle de caricaturer la trap). Quand les rappeurs ne sont plus que des parodies de rappeurs, on peut voir un rappeur qui revendique la parodie devenir un véritable rappeur.

https://www.youtube.com/watch?v=CfB9qIgSMsg

Ce projet de Vald nous indique une chose : afin de comprendre le rap et les bouleversements qui sont en train de se jouer, il s’agit de sortir de l’explication de texte et de l’analyse portée exclusivement sur la personnalité du rappeur pour se concentrer sur une dimension différente : celle des conditions de possibilités de l’émergence d’un certain type de rap. Il y a aujourd’hui une nécessité de s’intéresser à ce qui fait le rap du point de vue structurel. L’arrivée d’un groupe comme PNL n’est pas le fruit du hasard. Il est temps de démystifier la notion de génie en nous interrogeant sur ce qui rend possible les changements. Sans quoi on se ferme toute porte de comprendre un jour comment le rap se produit. Il est temps de détruire l’idée de génie.

Pour en conclure avec NQNT 2, il est une glorification du néant et l’aboutissement d’idées farfelues qui, mises bout à bout, lui donne cette couleur particulière semblable à un patchwork. Mais au-delà de cela, NQNT 2 indique également la fin de l’histoire : le moment où les concepts utilisés par les rappeurs se sont retournés contre eux-mêmes pour, dans une surenchère perpétuelle, se voir entrer sur le terrain de l’absurdité le plus totale. Cette clef de compréhension, c’est Vîrus qui, dans un tweet, l’a donné à la sortie de « Selfie ».

Vald a retourné les concepts contre eux-mêmes. Il s’agit d’un dernier coup de marteau que personne n’a encore perçu comme tel. Mais ce passage du conscient à l’absurde, l’absence de sens du texte qui ne peut prendre sens que dans un contexte précis indique un tournant spectaculaire dans la perception du rap à grande échelle. Comment cet album sera-t-il perçu dans quelques années ? Qui comprendra encore « Selfie » ? Vald n’est que le miroir grossissant de tout ce qui est en train de se jouer actuellement dans l’industrie de la musique. Il en est le produit et la mauvaise conscience. Vald est l’horizon indépassable du rap. C’est l’accomplissement de la prophétie dans la triomphe de l’absurde. Mais Vald le sait très bien, lui dont la lucidité est troublante. Pourvu qu’il reste lucide et que l’album annoncé continue à nous donner à penser. Il est maintenant trop tard pour faire machine arrière. NQNT 2 a ouvert une brèche qui ne se refermera pas. A nous d’en tirer une leçon.

Pour vous procurer NQNT 2, c’est par ici que cela se passe.

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4 commentaires

  • Lourd article ! Respect, bien écrit, bien pensé, prenant, intéressant et intelligent. Ton article n’est ni trop long, ni trop chiant et sans trop de mots incompréhensibles 😉
    Peace

  • Vald est au rap ce que le courant post-moderne (Elkin, Vonnegut etc) est à la littérature. Les gens encense le cynisme consistant à dire que tout se vaut puisque plus de repères, la fin des grands discours classique en gros. Vald est bien dans l’air du temps, il peaufine et polisse la maturation d’un discours dans lequel on revient dessus dans pas mal de milieu même si ça marche toujours (les critiques de Houellebecq par ex). L’imposture est graissée à l’ironie et au trash pour mieux passer, fournissant un cota de subversion digérable qui passe izi pour une démarche innovante (c’est pas comme si ça faisait les années 80 qu’on nous vendait ça). Pas étonnant qu’un Vîrus qui a la fâcheuse tendance de confondre désenchantement et ironie cautionne ce genre de personnages.

    Perso, je vois un fossé énorme entre la démarche ironique (dans le sens « faire semblant de faire semblant d’avoir telle posture » de Belhadj Kacem), et celle désenchantée, méchamment lucide d’un Veence Hanao par ex.

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