Chronique : Jay Rock – « 90059 »

On aura beaucoup entendu parler de Compton en 2015. Biopic sur NWA sur vos écrans, dernier album de Dr Dre cet été, To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar au printemps dernier.

À quelques hectomètres de là, Watts. Zip code : 90059.  Le quartier est célèbre pour ses émeutes raciales de 1965 et 1992, souvent référencées dans la culture rap. On y a vu éclore les Watts Prophets, artistes engagés, adeptes du spoken word considérés comme précurseurs du hip-hop. C’est là qu’a grandi Jay Rock, un des fleurons de TDE, et quatrième larron de Black Hippy.

90059, c’est donc le nom de l’album. Sortie très attendue après un Follow Me Home de qualité paru en 2011. Quatre ans, c’est long. Étant donnés la qualité du premier opus de Jay Rock, et la qualité des dernières sorties chez Top Dawg Entertainment, l’attente devenait insoutenable. Longtemps annoncé en 2016 ou fin 2015, c’est finalement en ce 11 septembre que 90059 nous a été mis à portée d’oreille.

Durant l’été déjà, on avait eu l’eau à la bouche avec « Money Trees Deuce » puis l’éponyme « 90059 ». Magnifiquement clipé, le titre est un énorme teaser de l’album, reprenant également quelques phases de « Easy Bake » ou « Vice City ». Succession d’iconographies, on y voit un Jay Rock malade mental, grimé en sorte d’Hannibal Lecter, se transfigurer en rappeur déchaîné et possédé façon ODB en mode Brooklyn Zoo. Les scènes sont entrecoupées de plans de course poursuite dans la nuit angelena. La photographie du clip est magnifique, entre somptueux panoramiques, reflets de feu de Bengale dans des débris de jungle urbaine, et gyrophares nocturnes de la maréchaussée de South Los Angeles. Surtout, la production signée Tae Beast est bonne, et on y voit un Jay Rock au top de sa forme.

C’est sûr l’univers de cet album va être fou. C’est avec une faim de rap bien sale, une dalle de sons lourds et entêtants qu’on se jette sur les 11 pistes de cet album.

« Necessary » fait le taf en guise d’amuse-bouche. Comme si on n’avait pas compris, Jay Rock scande « 90059 be the zip »  Bienvenue chez lui. Il rappe Watts et ses codes : « either kill or be killed ». Comme une plaidoirie pour ses basses actions, sortes d’actes de survie en milieu hostile, le Rock implore le seigneur de son pardon. Oui, il commet des méfaits, oui c’est indispensable pour continuer à respirer chaque jour. Véritable amende honorable ou façon de se justifier en montrant les gros bras ? Le registre est connu chez les rappeurs californiens. Rien de nouveau : même sous le soleil, l’homme est un loup pour l’homme.

Un peu plus loin, Jay Rock se dévoile à nouveau. Cette fois, avec ses potes de Black Hippy, ils exposent leur pêchés sur un « Vice City » endiablé. Putain de banger, instant classic, ce morceau remuera tes tympans autant en club, que seul avec ton casque vissé aux oreilles.

Et le clip fera suinter, les basses bien graves, relevées de quelques kicks, agrémentent à la perfection le déferlement de chair, de galbes et décolletés plongeants. Dans ce hangar qui s’ouvre sur Kendrick Lamar, on devinerait l’image d’un corps déballant au grand jour les pulsions de chacun des 4 MC’s. Ils y décryptent eux-mêmes les boîtes noires de leurs cerveaux. Tour à tour, Kendrick, Jay, Ab-Soul et ScHoolboy Q tombent, lâchent leur envies, leurs plaisirs coupables (vraiment ?). Inutile de dire que les flows sont au diapason. On croit rêver tant les timbres, les styles, les fausses nonchalances, et les talents de chacun s’accordent à merveille. La production, impeccable, est signée de Cardo et Yung Exclusive, de la relativement peu connue team Gold Mobb.

On croise d’autres invités sur cet album. La chanteuse SZA, dont le passage sur « Easy Bake » était déjà présent sur le teaser de « 90059 » (cf plus haut), nous envoûte de sa voix suave. Isaiah Rashad vient lui aussi montrer son badge TDE. Présent sur « Wanna Ride » il est notamment accompagné notamment du producteur Antydote, un combo qu’on a également apprécié cette semaine sur un autre projet, avec le son Nelly. Sur 90059, on aurait juste aimé l’entendre poser sur plus qu’un refrain, aussi bien exécuté soit-il. Sur « Fly On The Wall », on est surpris mais ravi d’entendre Busta Rhymes sur une belle instrumentale co-produite par le français AAyhasis (interview à lire ici chez Ninkimag). Le quadra Busta, tout en douceur, speede sur le beat. D’une grande sobriété son passage est néanmoins efficace. Finalement on a l’impression qu’hormis sur « Vice City », les featurings sont surtout là pour servir Jay Rock, pour lui faire la passe décisive et lui laisser mettre les points. Comme Isaiah Rashad avant lui, Lance Skiiwalker avait par exemple pris les refrains et laissé les couplets sur le single « Money Trees Deuces » ou sur « Telegram ». Même recette avec l’excellent « The Ways » avec SiR. Mais chaque fois Jay Rock transforme l’essai.

Et puis le MC n’a pas forcément besoin des potes pour le mettre en valeur. Sur « Necessary », « Gumbo », « 90059 » et « The Message », il est (efficacement) seul au rendez-vous.

90059 est une sortie bien plaisante, on y retrouve la patte TDE et on peut dire que le label sait produire des albums pouvant mêler beats froids, nappes chaudes, grosses basses ou snares chatouillantes, doux refrains ou couplets gangstas. Sans intégrer de compromis regrettables, Jay Rock et ses potes réussissent à réunir tous ces ingrédients dans cet album. C’est pour quand déjà le prochain Black Hippy ?

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Date de sortie : 11 septembre 2015 // Label-distribution : Top Dawg Entertainment

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