Tribute to Salif : le beautiful loser du rap français

Disparu de la circulation depuis son dernier album Qui m’aime me suive, Salif a occupé une place forte dans le paysage rap français durant près de 15 ans. Alors qu’Alkpote révélait dans son interview pour L’Abcdr qu’il tenait désormais une sandwicherie dans le 92, il était impossible pour nous de ne pas revenir sur une des carrières les plus intéressantes du rap français, tout juste 5 ans après sa dernière trace discographique.

Au sommet d’une montagne, dans une plaine verdoyante, on distingue quelques silhouettes à l’horizon. L’une d’elles ne ressemble à aucune autre. Une corpulence épaisse, des bulles d’air sous la plante et une casquette vissée sur le crâne. On s’approche un peu et on peut constater son épais blouson de cuir, même sous ce soleil de plomb. Assis sur un banc aux côtés de Fabe et Mysa, il observe ce qui se passe sous ses yeux. Le monde du rap est agité et le trio rigole en observant les faits et gestes de ses acteurs. Depuis quelques années, beaucoup n’ont pas supporté l’air lourd de la montagne et sont redescendus faire les clowns dans le marasme épais qu’est devenu ce game. Entre ceux qui sont restés au premier relais de l’escalade, ceux qui ne grimpent pas bien et qui sont retombés en bas, et les plus jeunes qui ne savent pas où ils mettent les pieds, on distingue un petit sommet sur lequel Booba, d’une main, souffle les cendres de Sinik, Rohff et La Fouine dans les yeux de Kaaris tout en tenant un chalumeau dans l’autre. La scène amuse Fabe qui, jamais avare de bons mots, lance une plaisanterie sur l’état du dos de Booba. Salif rit jaune. La vision de cette montagne lui est amère car il avait largement le potentiel pour y trôner.

S’il nous prenait de tenter des métaphores footballistiques douteuses, on pourrait comparer Salif à Rinus Michels, l’homme qui inventa le football total, à cheval entre les années 60 et 70. Arrivé un rien trop tôt, il n’aura pas récolté tout ce qu’il méritait alors qu’il aura été un véritable précurseur dans le rap street. Peut-être mal entouré, mal aiguillé sur ses choix de carrière, on ne peut pas considérer Salif comme un éternel espoir puisque qualitativement il a largement fait ses preuves, mais on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait été le game avec lui sur le trône.

Dans sa discographie, on compte cinq projets solos dont trois albums, trois projets avec son acolyte EXS et un petit nombre d’EPs, maxis, compils et albums avec IV My People qui ne sont intéressants que pour l’avoir lancé dans le grand bain avec les singles de « Eenie Meenie Miney Mo » et « C’est ça ma vie ». Des singles au grand succès qui lanceront son premier album sur un pont d’or. L’album est salué par la critique mais restera une petite déception au niveau des copies vendues, loin des gros de l’époque comme Ärsenik ou la Fonky Family. Cet album restera aux yeux du grand public comme la meilleure production du Boulogne Boy. Salif parvient à allier la qualité d’écriture (beaucoup de multi-syllabisme, chose plutôt rare à l’époque, richesse lyricale) et la fraîcheur du gamin de 20 ans qu’il est quels que soient les thèmes abordés. Encore aujourd’hui cet album est considéré unanimement comme l’un des tous meilleurs du début de siècle.

Dans la foulée, Salif continue avec IV My People puis sort en 2005 L’asphaltape, premier véritable disque avec EXS. Des morceaux comme « On vit l’époque », « Que s’passe t-il ? », « Le ghetto brûle » ou « Les kings » resteront au panthéon du rap street qui domine le creux de ces années 2000. Mais la suite en solo va se compliquer. Critiqué pour son deuxième album solo qui traîne, il sort un mitigé Boulogne boy en 2007, projet dit « album avant l’album ». Il n’aura pas su confirmer toutes les attentes placées en lui après l’excellent Tous ensemble chacun pour soi. En 2008, toujours pas d’album mais un street CD réunissant un grand nombre d’inédits mais aussi la plupart des collaborations laissées sur son chemin. Un disque très hardcore, et extrêmement mésestimé par la critique en général. Etiquetté rappeur de rue après Boulogne boy, on en oublie l’excellente qualité d’écriture que conserve Prolongations dans des morceaux comme « Killbill », « Le ciel nous attend » ou « Anthologie ». Mais surtout, Salif a quelque chose en plus. Une façon de raconter qui ne ressemble à aucune autre, qui se démarque par la précision avec laquelle il raconte son vécu. L’exemple parfait est « Journée en enfer » qui compte sans doute parmi ses tous meilleurs morceaux. Il enchaîne ensuite avec Si si la famille, deuxième album avec Nysay mais un large ton en dessous de L’asphaltape. Il n’aura été un succès ni critique ni commercial, et tuera dans l’œuf la carrière collective des deux MC’s.

Mais Salif est en pleine bourre, et fin 2009, son deuxième album, Curriculum Vital sort enfin. Longtemps teasé par des interviews en forme de CV où il revient sur son enfance et ses débuts dans le rap, l’album se classe 9ème des ventes la semaine de sa sortie propulsé par le single « J’hésite » mais ne reste dans les charts qu’une petite semaine. Qualitativement il reste très inégal. Salif perd en qualité d’écriure et l’album contient de nombreux morceaux inutiles comme « Cash converter », « Blow » ou « HLM Story ». Mais il contient aussi son lot de pépites comme « Eh l’ancien », « Cursus scolaire » ou l’immense « R.U.E ». Le Black Skin décrivait l’album comme très personnel et finalement ce sont ces morceaux qui sont les plus réussis.

Seulement quelques mois après cet album, Salif annonce que sa carrière prendra une nouvelle tournure. Le titre de l’album Qui m’aime me suive parle de lui-même. Très mal annoncé par des morceaux plus que médiocres comme « Statut quo », « Jeans slims » et surtout « Ouais mon pote », Salif cache aux auditeurs la seconde partie, pourtant infiniment meilleure que la première. C’est là que le bât blesse car Salif a sans doute pensé que c’est ce changement d’horizon qui a poussé son public à lui tourner le dos, alors que, compenser un gros essoufflement dans la qualité d’écriture par des thèmes nouveaux, des instrus plus teintées de rock et des passages chantés où il exploite mieux une voix qui transporte, était une idée brillante. Salif a voulu marquer la transition en coupant son album en deux parties, avec l’aide de l’excellent « Salif vs Salif », probablement l’un de ses tous meilleurs morceaux. Mais on pensait que Curriculum vital voulait marquer son détachement de cet univers street et racailleux avec cet album aux allures de confessionnal. Seulement les morceaux présents dans la première partie de Qui m’aime me suive font sans doute partie des plus mauvais de sa discographie si l’on excepte  » Assurance hebs », « Banlieue française ou l’entraînant « On allume ».

Au final, que retenir de la carrière de Salif ? Une étoile montante qui n’aura commercialement jamais confirmé ses excellents débuts et une fin de carrière précipitée par des choix plus que discutables ou une envie de s’éloigner ? Et pourquoi pas pour mieux revenir ? N’oublions pas que c’est Rinus Michel qui était à la tête de la Hollande lors de son unique sacre à l’Euro 1988.

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