Chronique : TonyToxik (L’uZine) – « Familia »

Le 27 avril 2015 est sorti le premier album solo de Tony Toxik, membre de L’uZine. Intitulé « Familia » et composé de dix-neuf titres, d’une durée de soixante-treize minutes, l’album figurait parmi les plus attendus des sorties de ce début d’année. Le laps de temps relativement court entre A la chaîne (le double-album de L’uZine sorti l’an passé) et Familia pouvait laisser craindre à l’auditeur une certaine répétition, que ce soit dans les instrumentales ou les thématiques abordées. La question qui se posait avant l’écoute concernait alors la capacité de Tony Toxik à exister indépendamment de ses collègues de L’uZine que sont Cenza et Tonio le Vakeso. Familia allait-il être un prolongement de A la chaîne ou bien allait-il être un album indépendant des autres projets de L’uZine et en rupture avec ceux-ci ?

Qu’il y ait des similitudes entre Familia et A la chaîne n’étonnera personne et était attendu. Tout d’abord, car l’album est un pur produit de l’équipe à l’œuvre dans L’uZine : « Au studio L’uZine pour L’uZine par L’uZine » est inscrit dans le livret et apparaît comme le credo d’indépendance du crew. Ainsi tous les ingrédients qui avaient fait la qualité du dernier album se retrouvent à nouveau dans Familia, avec pour spécificité ce coup-ci de servir le rap de Tony Toxik et non plus l’ensemble du groupe. Ensuite, parce que les rappeurs extérieurs à L’uZine mais dans l’entourage du crew sont restés les mêmes. Outre les inévitables Cenza et Tonio Le Vakeso, ainsi que Biyiway également de L’uZine, on retrouve Lexworxx, Davodka et Nodja. Aucune surprise de ce côté-là, et Tony semble avoir choisi des rappeurs qu’il connaît bien avec lesquels il a des affinités. Quelques cuts de DK Keshkoon et Akamasta pour agrémenter. On ajoutera à cela que les instrumentales sont réalisées pour la très grande majorité par Tony Toxik et MSB, avec une petite excursion hors des sentiers battus sur des prods de Jim, Tobby et l’inévitable Mani Deïz. La participation du beatmaker le plus prolifique de l’underground du rap français peut étonner puisque rien ne laissait penser qu’il serait présent sur cet album, mais les univers de Tony Toxik et de Mani Deïz ne s’opposent pas du tout et on appréciera la collaboration.

« le bon son, la seule chose pour laquelle je milite » – On va pas s’mentir.

De fait, les instrumentales de l’album n’ont rien de surprenant, la plupart du temps on a affaire à une boucle basse-batterie-mélodie, mais on notera une recherche particulière en ce qui concerne la musicalité. A titre d’exemple, le onzième son de l’album « Rien à me reprocher » est une instrumentale se fondant sur l’idée d’une intensité progressive, se complexifiant tout du long et qui laisse la part belle à la composition puisque Tony Toxik est venu poser sa guitare, et Strad son violon. Tony Toxik démontre tout au long de son album, que ce soit sur ses propres instrumentales ou bien sur celles qu’il a choisies, qu’il est possible de faire des instrumentales aux sonorités agréables avec une complexité saisissante et un véritable souci musical, bien loin des sonorités électroniques dont on entend trop souvent qu’elles sont le futur du rap français…

Ainsi, il prouve à ceux qui peuvent en douter que musicalité et rap hardcore ne sont pas incompatibles, et que le renouveau du rap ne tient pas dans la musique électronique que dans davantage de travail sur les sonorités et la musicalité ! Les sonorités prétendument « futuristes » dont raffolent les maisons de disques actuellement n’ont évidemment pas leur place dans cet album, et on constate que le « boom-bap », comme se plaisent à l’appeler ses détracteurs, a encore de beaux jours devant lui.

« Un foutage de gueule permanent à notre égard, quand c’est trop tard je revois mes pires moment, tous mes faux départs. Trop de lâcheté, les auditeurs faut les achever, tu peux vendre ta merde, il y aura toujours un con pour l’acheter » – Parce que

Il est certain que l’atmosphère de l’album est très sombre. Là encore, rien d’étonnant, puisque même quand il « Chante la vie » avec Lexworxx, TonyToxik ne la chante pas vraiment… Ou du moins, s’il la chante, ce n’est jamais en tombant dans la description naïve d’une vie rose et belle, mais toujours dans l’horizon du deuil et de la déception (notons que ce son est dédié à la mémoire d’Amor). Car la force de Tony Toxik est d’arriver à décrire un univers sombre et lugubre avec une poésie terriblement efficace. Sur « Je chante la vie », la partie chantée par Lexworxx est saisissante et témoigne encore de cette recherche musicale dont il était question.

Au-delà de l’aspect purement musical, en ce qui concerne les thèmes de l’album, rien de surprenant au fait qu’un album qui s’intitule « Familia » soit un album intimement personnel. On pourrait presque y déceler un fil conducteur avec les extraits de film vantant la famille parsemés tout au long de l’album. Celle-ci est bien entendue centrale comme pouvait le laisser penser le titre, et apparaît comme le socle fondamental de l’existence. Car c’est tout le contraste de l’album qui se dégage à partir de là, et la clef de compréhension est peut-être donnée dans le son « La peine de vivre » avec Davodka lorsque Tony Toxik affirme : « Heureusement qu’il y a la famille pour remonter la pente des fois ». La famille, les amis et les compagnons de route qui incarnent le côté positif de l’existence, en opposition à tous les coups du sort, les emmerdes et les galères qui incarnent son côté négatif. Tony Toxik navigue entre les deux dans son album, car la vie navigue entre ces deux pôles, « entre ces deux falaises » pourra dire Tonio le Vakeso. Et si on pourrait reprocher à Tony Toxik de ne pas assez varier les thèmes de ces sons, on comprend qu’en inscrivant ses lyrics dans une réalité vécue et non pas fantasmée, ce qui est rappé ne pourrait pas être différent. Qui pourra reprocher à cet album sa fidélité à la réalité ?

On notera en guise de conclusion que le disque, en tant qu’objet physique, est magnifique. L’esthétique basée sur du monochrome, sur des nuances de noir et de blanc, témoigne des talents du graphiste de L’uZine, DPA GraphDesign, qui a su trouver l’accord parfait entre la symbolique de l’image et le son. Le noir et le blanc donnent une impression de lumière en mélangeant le côté sombre de la vie et la lumière symbolisée par la famille. Image du passé, le noir et blanc est également une référence obligée pour Tony Toxik qui dédicace son album à ses ancêtres et participe ainsi au devoir de mémoire cher aux familles du sud. Afin de ne pas être oublié ? Afin de ne pas oublier ? Les photos sont un hommage au passé. « Le temps s’efface, les écrits restent » est-il écrit au dos du livret. On peut être certain que ce disque devra s’inscrire parmi les écrits qui restent, c’est un album qui s’écoute et se réécoute, et c’est une façon pour Tony Toxik d’écrire sa propre histoire. Si le rap sous sa forme actuelle est voué à disparaître, gageons que L’uZine restera, et avec elle, une certaine vision du rap. Ceux qui savent reconnaître l’engagement véritable, la fidélité à ses racines, le travail et la qualité, s’en souviendront. Pourvu qu’ils restent nombreux.

Pour acheter le disque « Familia », c’est sur le site de la FNAC par ici. On vous invite également à aller faire un tour sur le site de L’uZine et à vous renseigner sur le concert ayant lieu le 19 Juin 2015 à La Maroquinerie (Paris).

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