[Chronique] Lino – Requiem

Dire que Lino a été absent de la scène rap pendant 10 ans serait mentir, mais son dernier album en date, Paradis Assassiné, est sorti en 2005, et la perspective d’un nouvel opus d’Ärsenik paraissait il y a quelques mois aussi probable que la reformation du groupe Lunatic. Radio Bitume, à défaut d’être validé par Mr. Bors, aura permis aux fans de patienter un peu et de reprendre espoir, mais Lino, en préparant Requiem, savait que l’attente serait grande…

Requiem. Une prière pour les âmes des défunts, jouée lors des services funèbres. Finalement, le choix du titre du nouvel album de Lino paraît logique : après l’assassinat du Paradis, vient l’heure du Requiem. Et dès les premières notes de l’album, il ne persiste aucun doute sur les intentions de Mr Bors : l’instru ténébreuse et les images choisies sont en totale adéquation avec ce qu’annonce la pochette. Nombre de titres de morceaux présents sur la tracklist ont d’ailleurs un lien avec la Grande Faucheuse : Choc funèbre, Suicide commercial, Le flingue à Renaud, Requiem, Au jardin des ombres… Le BPM, plus lent que sur les sorties précédentes, confère aux titres en question un aspect sentencieux, définitif, les propos de Lino relevant souvent du champ lexical de la mort. Dans ce registre, l’outro « Requiem », sur fond d’orgues et de chœurs, constitue un bijou de huit minutes en forme d’oraison funèbre.

« La vie m’égorge, j’y laisserai pas la peau, c’est une promesse
J’étouffe dans l’air du temps ; le talent, c’est mon seul fond d’commerce. »
(Choc funèbre)

Cependant, une autre partie de l’album se veut beaucoup plus lumineuse, dans les sonorités comme dans les propos, avec des refrains de Corneille, Dokou, Zaho, Léa Castel, Manon et Fally Ipupa. Des morceaux qui possèdent une dimension universelle, qui flirtent avec le formatage radio sur « Brûleur de frontières » ou « 7 milliards sous le Ciel », ou font mouche comme « Fautes de français » ou l’émouvant « Peuple qui danse », bel hommage au continent Africain, thème cher à Gaëlino. L’ombre de Tefa, qui a participé à la réalisation de grands succès du rap français (Diam’s, Kery James, Sinik…), plane sur l’ensemble de l’opus ; on ressent en effet dans la direction artistique une volonté de rendre plus accessible la musique de Lino, au phrasé et à la plume si particuliers.

« Gosse du pays, épiderme en deuil, à la mort à la vie
Cercueil à ciel ouvert, médicament a besoin d’maladie. »
(Peuple qui danse)

Grand prince, Borsalino invite ses copains rappeurs sur leurs terrains respectifs. Et quand Youssoupha, Calbo et Tkilla s’en sortent plus qu’honorablement (on se prend même à imaginer un retour d’Ärsenik à trois), le MC du 9.5. se place au-dessus de la mêlée, tant au niveau des lyrics que des placements, sur le dernier couplet du crapuleux « Narco » en featuring avec Sofiane et Niro.

Cette absence de concession lyricale constitue le fil rouge du projet, une exigence qui unit les titres les uns avec les autres sur cet album aux diverses facettes. En commençant par cette capacité hors du commun à mélanger jargon de la rue et langage soutenu, pour un résultat inédit dont seul Lino a le secret. L’écriture est dense, cinématographique, et les rimes se croisent et se mêlent au gré des vérités et bons mots de Mr Bors. On se délecte à décortiquer les images et les saillies au fur et à mesure des écoutes successives, le plus frappant restant ce sens de la formule, qui caractérise son rap depuis « Balltrap ».

Pour ce qui est du format, malgré une légère actualisation dans la production (assurée entre autres par Stan-E Music, Hopsalaprod, Assumani Imani, Medeline…) au niveau des rythmiques et des BPM, Requiem n’est pas l’album de l’innovation pour Lino. Cette légère actualisation lui permet cependant de rester dans le coup, de ne pas « tomber du top 5 » , ce qui ne l’empêche pas d’assumer et revendiquer son statut d’old timer. Dans ce registre, « VLB » et ses références aux 90’s constitue le seul véritable OVNI de l’opus, que l’on doit en partie à la prod de Wealstarr qui sort du tryptique piano / cordes / chœurs, et au refrain énergique de T.Killa. Du haut de ses 20 ans de carrière, le MC se permet aussi quelques tacles bien placés à la tendance prédominante tout au long de l’album, plus particulièrement sur « Suicide commercial » et « Ne m’appelle plus rappeur ». L’exigence textuelle inchangée permet de pardonner en partie les quelques productions et refrains destinés à de la grosse fréquence de rotation en radio, qui constituent la seule véritable ombre au tableau, mais qui devraient faire mentir la formule « suicide commercial ».

« C’est l’heure de l’addition, les perdants raquent,
C’est peut-être ma dernière apparition, j’ai jamais rêvé de carrière dans le rap. »
(Requiem)

Requiem aura donc permis à Lino de conserver son statut de grand lyriciste de ce rap jeu, il démontre une envie d’en découdre qu’on ne lui avait pas connue depuis longtemps… La sortie du projet dans de bonnes conditions devrait lui permettre un retour sur le devant de la scène, et qui sait, peut-être aurons-nous droit à une nouvelle livraison solo avant 2025 ? Aux dires du MC de Villier-Le-Bel, le troisième album d’Ärsenik est dans le four. Restons confiants.

requiem

Requiem : disponible depuis le 12 janvier.

Lire aussi : l’interview « 10 Bons Sons » de Lino

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Olivier LBS

Doyen et autocrate en chef de cette incroyable aventure journalistique. Professeur des écoles dans le civil. Twitter : @OlivierLBS

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