Interview – Akhenaton : « JE SUIS EN VIE est une sorte de synthèse des albums précédents. »

Plus prolifique que jamais, Akhenaton vient de sortir son cinquième album solo, Je suis en vie, un an à peine après les sorties rapprochées d’Arts Martiens et …IAM avec son groupe. Retour avec Chill sur la genèse de ce nouvel opus.

Le Bon Son : Le titre de ton nouvel album, « Je suis en vie », est une référence à un livre d’Eiji Yoshikawa, « La parfaite lumière », accompagné d’une pochette qui illustre la phrase dans son contexte. Avec un titre pareil, ne t’es-tu pas dit qu’on l’interpréterait comme une façon de t’affirmer en tant que MC sur lequel il faut encore compter ?

Akhenaton : Des fois ça a été compris comme ça c’est vrai, mais à chaque fois j’ai eu l’occasion de clarifier. Il n’y a pas eu l’once d’une arrière-pensée sur ma musique, ma carrière ou quoi que ce soit dans le choix du titre. C’était plus des réflexions sur la vie, le titre éponyme l’explique bien, que ce soit le concept du morceau ou la pochette. Personnellement dans ma vie, dans mon parcours, et dans ce que je vis actuellement, j’ai choisi délibérément de me dépolluer et de me débarrasser des choses qui étaient futiles, et de me concentrer sur les choses qui me paraissaient importantes dans mon quotidien, importantes à mon bien-être et ma manière de voir les choses. Quand je me lève tous les matins, j’essaie de me conditionner, de me dire que tout ce qui va m’arriver est une bénédiction, je me l’applique vraiment.

Faut-il aussi y voir une référence à IAM ?

Akhenaton : Oui, c’est ça, il y a une forme de référence, d’allégeance, d’appartenance à ce groupe. D’ailleurs les membres du groupe IAM sont très présents sur l’album. Ils ont même été physiquement très présents puisque la majeure partie de l’album, je l’ai écrite et composée en leur compagnie, pendant la tournée avec le groupe. Des fois j’avais mes machines branchées en backstage, où je posais mes démos cinq minutes avant de monter sur scène. Je faisais écouter des couplets ou des passages aux membres du groupe et j’avais leur avis en temps réel, ça a beaucoup compté pour moi. C’est un album solo fait en groupe.

Sur cet album tu collabores avec beaucoup de marseillais, que ce soit en featuring ou pour la partie instrumentale (avec Just Music Beats et Alien Geometry). Etait-ce une volonté de ta part ?

Akhenaton : C’est plus dû au timing dans lequel j’ai fait l’album. Ça s’est fait dans un temps tellement court que même si j’avais voulu me tourner vers des gens de l’extérieur ça aurait été difficile. Il y a quand même Cut Killer qui est parisien. Je voulais avoir Lino mais malheureusement, à cause de nos agendas respectifs, nous sommes arrivés au constat que nous ne pourrions pas faire notre morceau. Mais ce sera pour une prochaine fois, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup artistiquement et humainement. Après il y a aussi une canadienne, Meryem Saci, et un américain, Tyler Woods. J’avais fait un morceau que je n’ai pas eu le temps de finir, qui est peut-être le deuxième gros regret de mon album, avec Ken Boothe, une légende du reggae, un chanteur jamaïcain extraordinaire. Je le mets de côté, je le garde pour bientôt… On espère pouvoir le sortir un de ces jours.

Finalement tu avances avec beaucoup de gens de ton entourage géographique alors qu’à une époque on te reprochait de ne pas assez mettre en avant les rappeurs marseillais…

Akhenaton : Pour moi c’est important. L’autre jour au Before j’ai voulu que REDK soit présent par exemple. C’est important de mettre les gens du coin en avant, surtout quand ils ont du talent. Je ne fais pas du népotisme ou du clientélisme, mais c’est important de dire aussi que chez moi, à Marseille, il se fait encore du bon rap, avec de bons beatmakers et de bons rappeurs. Tout comme j’en croise ailleurs en France. On a fait plus de 110 dates avec IAM, et j’ai croisé plein de gens talentueux. Récemment j’écoutais des albums de rap américain, et je voyais avec fierté que les prods étaient de So Fly, ou encore Aneeway Jones qui est originaire de Grenoble. Pour moi il y a une véritable évolution du rap en France, une évolution qualitative.

Tu disais récemment en interview que tu ne samplais plus directement, mais que tout était rejoué, ce qui représente un changement dans ta façon de faire de la musique. Qu’est-ce qui n’a pas changé ?

Akhenaton : Le beatmaking pur et dur. C’est à dire la MPC pour faire la rythmique, c’est quelque chose qui n’a pas changé. C’est la même chose, même si maintenant j’utilise une MPC Renaissance au lieu d’une MPC 3000 ou d’une SP 12. Après c’est vrai que la composition (assurée en collaboration avec Sébastien Damiani, ndlr) est complètement différente. Avant on samplait, on kiffait ça. Et j’adore encore sampler, mais quand on voit les sommes extravagantes que les gens demandent, honnêtement ce n’est plus viable. Ce n’est plus possible économiquement de sampler. Du coup on joue, on se prend la tête pour trouver des synthés et des claviers qui sonnent comme à l’époque. On travaille l’engineering maintenant dans le beatmaking. Si on veut que nos musiques sonnent un peu comme du jazz ou de la soul des années 70, il faut qu’il y ait des effets, des plugs qui miment les effets de l’époque. C’est un autre travail, intéressant aussi. Du coup j’adore faire les deux maintenant.

Ces sonorités soul vont parfois avec des tempos un peu plus lents, est-ce que ça a un impact sur ton flow ?

Akhenaton : J’en parlais justement tout à l’heure dans une autre interview ! Effectivement ce côté plus soul, plus lent, plus posé, donne une tonalité de voix plus basse, moins de mordant par rapport à des morceaux de l’époque de L’école du Micro d’Argent ou même par rapport à des morceaux d’IAM un peu plus énervés. Du coup oui, le flow va avec l’atmosphère musicale, qui est plus laid back.

Comment décrirais-tu cet album au regard de l’ensemble de ta discographie solo ?

Akhenaton : Je dirais que c’est presque un grand résumé des quatre albums précédents. Il a un peu de Métèque et mat, un peu de Sol Invictus, un peu de Black album et un peu de Soldats de fortune. C’est un album qui est une sorte de synthèse des albums précédents. Il est à la fois très personnel, très introspectif, mais aussi très poétique et dans la lignée des combats propres à IAM, ces éternels combats qu’on mène dans notre beau pays. Parce que nombre de choses n’ont pas changé, et sont encore à améliorer. Même si on est des privilégiés de vivre ici, il y a des choses à changer, qui pourraient être mieux.

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Deux albums d’IAM sont sortis l’année dernière, cette année c’est ton solo, qu’est-ce qui explique une telle productivité de ta part ?

Akhenaton : C’est la possibilité de pouvoir sortir des choses. On travaille en continu : quand on n’est pas en promo ou en tournée on fait des sons. Enormément de choses qu’on fait finissent à la poubelle et ne sortent jamais ou restent dans les tiroirs. L’avantage c’est que quand on bascule sur la production d’un album on est déjà en jambes. Ce n’est pas comme démarrer un sprint avec les jambes froides et habillé en costume. On sprinte à partir d’un jogging de fond qu’on pratique tout au long de l’année. Les autres, que ce soit les membre du groupe IAM ou d’autres personnes comme Just Music, ils me voient, je suis toujours derrière mes machines. Dès que j’ai un jour off je ne suis pas en train de vadrouiller ou de me promener avec ma voiture, je fais du son.

Être à l’origine d’albums devenus classiques du rap français, systématiquement comparés à tes nouvelles sorties, cela a-t-il un impact sur ton processus créatif ?

Akhenaton : Non par réellement. Je fais mes albums d’une manière totalement égoïste. (rires) C’est triste à dire mais c’est d’abord une autosatisfaction à la base : ils doivent me plaire, il faut que je puisse les assumer. Et j’essaie de ne pas faire de bilan des albums précédents. La pression, les enjeux, je m’en suis vraiment débarrassé. Par contre j’ai la pression de faire bien, et c’est un peu le côté risqué, mais en même temps le côté bandant de l’histoire. S’il n’y avait pas ce risque-là et le côté aléatoire de notre métier, s’il ne s’agissait que de mathématiques, franchement j’aurais changé de travail depuis longtemps.

Comment t’est venue l’envie de te lancer sur un nouveau solo ?

Akhenaton : C’est une proposition de la part de Def Jam que j’ai refusée dans un premier temps puis que j’ai acceptée par la suite. J’ai d’abord refusé parce que j’estimais que cinq mois pour faire un album c’était de la folie. Mais ensuite, un peu charrié par mon entourage, j’ai été un peu piqué au vif avec le mauvais esprit que je peux avoir quand je joue aux jeux vidéos comme PES ou FIFA : « Ah bon, je ne suis pas capable de faire l’album ? D’accord. » Et je suis parti à fond dans l’album. Une fois que je bascule en mode « création », mes proches pètent des câbles. Je suis tout le temps avec mon dictaphone, en train de mémoriser des phrases, des mélodies, à me lever dans la nuit pour jouer des mélodies sur mon clavier. Quand je suis rentré dans ce mode-là, c’est n’importe quoi ! (rires)

Sur cet album, c’est aussi le retour du pépé de Brooklyn, des origines italiennes… Tu as senti le besoin de les reconvier ?

Akhenaton : Oui, peut-être parce que ces dernières années j’ai perdu mon père et trois de mes grand-parents. Ça a été des années très compliquées qui m’ont rappelé que ces gens-là m’avaient élevé, et ont fait l’homme que je suis aujourd’hui. Ces personnes-là étaient très attachées à leurs racines, et je pense que le morceau « Oriundi » vient de ça. Et en même temps ça a été écrit pendant la Coupe du Monde. Je me retrouvais dans la chambre avec tout le staff d’IAM, quinze personnes qui voulaient que l’équipe d’Italie se fasse éliminer. (rires) Il y a donc un petit côté « Résistance » aussi. C’est pour ça que je dis : « Nos voiles gonflées sur les navires de Mare Nostrum. / Quatre étoiles sur notre maillot, quatre grosses coupes. » Des références à des vannes internes.

Lors de notre interview d’Imhotep pour Arts Martiens, il nous avait parlé d’un retour au IAM « Canal Historique ». Est-ce que pour « Je suis en vie » c’est aussi du AKH « Canal Historique » ?

Akhenaton : Forcément, cet album est plus orthodoxe que les autres. J’ai eu envie de me débarrasser de cette course à l’innovation et à la nouveauté. J’ai fait pendant cinq mois le rap que je maîtrise le mieux, celui que j’ai toujours aimé faire. Donc forcément on revient vers quelque chose de beaucoup plus basique, d’un rap que je qualifierais d’orthodoxe.

On retrouve aussi de l’egotrip, moins présent sur les dernières sorties… Je pense aux morceaux « Highlander » ou « Vrai missile ».

Akhenaton : C’est important. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce style-là sur des plateaux télés, notamment chez Ruquier face à Natacha Polony qui ne comprenait pas l’egotrip. Je lui ai dit : « Si vous ne comprenez pas l’egotrip, vous n’avez rien compris au Hip Hop. Vous ne pouvez pas juger le Hip Hop parce que l’egotrip fait partie de notre culture, c’est la joute verbale. C’est l’ancrage même des racines africaines, du Moyen Orient et des joutes verbales européennes du Moyen Âge. C’est quelque chose qui renvoie à des racines extrêmement anciennes, et si vous ne comprenez pas ça vous ne comprenez pas notre culture. »

Tu vas défendre cet album avec une tournée solo ou bien avec IAM ?

Akhenaton : Je ne veux pas faire de tournée solo parce que ce sont des conventions qu’on a dans le groupe. Il n’y a vraiment que Shurik’n qui a fait une tournée sur son album « Tous m’appellent Shu ». Je pense que si on le défend sur scène on le défendra tous ensemble, et on essaiera de faire une tournée sur laquelle on ne jouera que des morceaux des albums solos différents. Les fans seront prévenus, il ne faudra pas qu’ils s’attendent à entendre « Petit frère » ou « Nés sous la même étoile ». Ils n’écouteront que des morceaux solos d’IAM ou des morceaux issus des albums solos.

Entre le solo de Shurik’n, ton solo et les deux albums d’IAM, vous avez un gros rythme de sorties. Pensez-vous faire une pause ?

Akhenaton : Je ne sais pas du tout de quoi sera fait l’avenir, mais ça ne ressemble pas à un break. (rires) On nous donne les moyens de pouvoir faire des albums et produire des choses, on a toujours été super créatif. L’essentiel de notre activité c’est de tourner, faire des scènes, dont énormément à l’étranger. Du coup si on disparaît un peu ici, c’est parce qu’on est dans des endroits un peu lointains, et c’est quelque chose sur lequel on va forcer, sur l’année à venir en tout cas. On sera peut-être un peu plus discrets en France, mais présents à l’étranger.

As-tu des projets à annoncer ?

Akhenaton : Je suis commissaire à une exposition à l’Institut du Monde Arabe qui aura lieu au mois d’avril prochain, basée sur la transmission de la culture Hip Hop des Etats-Unis à la France et au monde arabe. On va faire des expos dans lesquelles le Hip Hop des pays arabes qui sera mis à l’honneur. On parlera de la danse, du rap, du DJing, du beatmaking… Je trouve ça plutôt cool de la part de l’Institut du Monde Arabe qui a plutôt des expositions basées sur l’Histoire, sur des trucs plus historiques. C’est une belle reconnaissance qu’ils ouvrent leurs portes à notre culture. Je vais militer pour qu’il y ait aussi des actes live, qu’on puisse faire des concerts adossés à cette expo-là.

Akhenaton - Je suis en vie - Le Bon Son

Akhenaton – Je suis en vie : disponible depuis le 3 novembre.

Photo © 361 Records

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