Chronique : Testa Nera – Furax

La date fatidique était le 24 mars 2014. Après avoir laissé entrevoir petit à petit, durant trois années, quelques extraits aux curieux qui auraient poussé la chasse au trésor jusqu’à fouiller les lives à la recherche de sons inédits, Furax Barbarossa nous a enfin fait don de ce qui s’annonce être comme son dernier trésor en 17 titres. Cet album tant désiré a-t-il été à la hauteur de l’attente ?  Le Bon Son a ouvert le coffre du pirate et vous en livre l’inventaire.

Testa Nera. C’est le nom qu’a choisi le pirate à la barbe rousse pour ce qu’il a annoncé être son dernier album en solo. L’aventure en solitaire du pirate s’arrêtera donc vraisemblablement sur ce troisième opus, dernier d’une trilogie commencée par Etat des lieux, continuée par En bas de l’échelle, et qui se clôt sur Testa Nera. Dans la continuité de ce que nous avaient montré les deux autres albums, celui-ci ne pouvait être qu’intimement personnel. On entend d’ailleurs, dans ce titre, raisonner les origines de celui qui se présente comme le descendant de l’amiral corse Pascal Paoli. Comme un clin d’œil, on entendra ces origines raisonner également dans le son Oubliez-moi puisque celui-ci est introduit par un chant polyphonique corse.  La Bandera Testa Mora flotte à l’horizon du navire de Furax qui ne pouvait pas nous dévoiler son dernier trésor sans déployer sa propre Bandera. Qui s’étonnera alors que celle-ci soit noire ?

« De haine et d’eau tiède ! Après Testa Nera vient la foudre » [De haine et d’eau tiède]

Noire comme l’existence de celui qui choisit de vivre en marge sur un navire en pleine tempête. La tempête est sociale. Elle naît de la lutte entre le cœur et l’insensibilité de ceux qui ferment les yeux sur le tragique de l’existence. Qui ressortira de l’écoute de cet album sans éprouver de la mélancolie ? L’ambiance de l’album est très sombre. Rien de surprenant pour les auditeurs qui suivent l’aventure depuis quelques temps : l’équipage sur le navire est bien connu. Les instrumentales de Toxine en maître canonnier font mouche. Le choix des mélodies et des nappes n’est pas surprenant : la prise de risques est évacuée avec l’absence d’instrumentales qui se baseraient sur des sonorités plus modernes. Toxine sait ce qu’il fait et a su mettre toute la polyphonie et la complexité de ses instrumentales au service du capitaine Barbarossa. L’alchimie entre les deux est certaine. Dans cette continuité, les producteurs invités sont au diapason. Nous retrouvons les inévitables membres des Kids of Crackling que sont Mani Deiz et Nizi. La petite surprise parmi tous ces noms provient d’Aro qui a su toucher sa cible avec une instrumentale triste, sobre et efficace sur laquelle posent également Scylla et L’Hexaler. Nous ferons au passage une mention spéciale aux extraits de films qui sont une nouveauté sur un album de Furax. Outre cette nouveauté assez anecdotique, nous marchons en terrain connu. L’innovation reste relativement faible et nous sommes dans un album de pur rap français. A n’en pas douter, les auditeurs du pirate seront heureux de retrouver après autant de temps d’attente une terre qu’ils connaissent.

Les compagnons de Furax leur seront également bien connus. On retrouvera sur Testa Nera des featurings avec Sendo, Abrazif, Jeff Le Nerf, Scylla et L’Hexaler. Le choix de ces featurings ne surprendra personne : il s’agit d’un mélange de Bastards et de rappeurs qui ont déjà vogué ensemble sur différents projets. Il fallait bien cela afin qu’ils soient assez complémentaires pour ne pas briser l’atmosphère pesante transmise par l’album. C’est ensemble qu’ils ont changé, et cela se ressent dans cet album. La plume de Furax s’est complexifiée, de telle sorte que les métaphores sont beaucoup plus présentes que sur les opus précédents, ce qui ne va pas sans des instrumentales plus abouties de la part de Toxine. Sendo, toujours présent, ne reste pas sur le côté avec deux couplets de très haut niveau. Abrazif renvoie la balle à Furax dans un son à couper le souffle. Quant aux apparitions de Jeff Le Nerf, Scylla et L’Hexaler, elles sont en symbiose parfaite avec l’univers de Furax. On regrettera seulement l’absence de 10vers qui aurait parfaitement su trouver sa place dans cet album. Il est certain qu’un navire ne peut voguer autant d’années à bon port que si l’équipage se connaît à la perfection, même si cet équipage se présente lui-même comme rien d’autre qu’une meute de chiens. Mais cette métaphore n’est pas le fruit du hasard. Le chien est un ami fidèle qui demande peu. Quelle meilleure image que celle-ci pour symboliser la galère et une fidélité constante au partage, à une certaine idée du rap, et surtout à l’amitié ?

« Finalement, j’croyais être un corps de glace stupide, pourtant, j’ai un cœur mais il a peu d’places, tu piges ? » [Oubliez-moi]

C’est avec ce point que l’on touche alors au paradoxe de l’œuvre de Furax. Ce paradoxe n’est pas nouveau. Tous ceux qui auront saigné des sons comme « Courrier » ou « J’oublierai pas » (pour ne citer qu’eux) sont habitués à celui-ci. Le pirate à la barbe rousse rappe la tristesse de la solitude. Pourtant, ses compagnons de bord sont présents dans chaque son, même et surtout dès lors que Furax est seul face à sa feuille et son micro. L’objet des sons les plus personnels sont toujours ses proches. Même au plus bas, Furax continue de rapper pour les siens. C’est ce qu’une écoute attentive nous révèle : il s’agit tout du long d’une hymne à l’amitié et au respect des siens. Alors lorsque Furax nous dit dans L’exécuteur qu’il a « créé un rap hideux qui méprise les sentiments », nous ne devons pas le prendre au mot. Ces mots ne sont rien d’autres que l’effet de ses maux. Sinon, comment expliquer le sentiment que nous éprouvons sur un son comme Places assises dans lequel Furax et Abrazif échangent leurs places, chacun rappant la vie de l’autre ? Comment expliquer cette amitié durable qui lie entre eux les chiens de cette Bastard Prod depuis tant d’années ? Etre dans le même bateau et dans les mêmes galères rapproche nécessairement, mais éloigne du reste de l’humanité. Vous trouverez ici la raison pour laquelle Testa Nera sera son dernier album : rapper semble ne plus pouvoir être un acte solitaire.

« J’irai pas loin, c’est ce que me dit la glace brisée de ce bar, si pas loin c’est auprès de mes gars alors j’irai de ce pas » [Le chant des hommes saouls]

C’est toujours dans un univers pessimiste que nous attire Furax, mais ce pessimisme est celui de l’existence humaine elle-même : la vie fait que l’on meurt seul. C’est pourquoi cet album est intimement personnel. Mais on aura compris qu’il ne s’agit pas d’un album égoïste. Tout comme Abrazif, Furax a passé « l’âge des ego-trips ». Les trois murs de ma chambre, premier titre de l’album, annonce d’entrée que cet album sera une plongée dans les profondeurs de l’âme de celui qui vit l’écriture comme un exutoire. Furax nous guide vers cette chambre de laquelle il ne semble pas y avoir d’échappatoire, si ce n’est par l’esprit. En même temps, comment faire autrement dès lors qu’il s’agit de vivre seul dans un monde sous Le poids du mal ? Mais vivre seul, ce n’est pas nécessairement être seul. C’est toujours sous fond d’une critique sociale très forte que Furax parle de lui-même, en opposition au reste de l’humanité. La distance avec laquelle Furax dépeint sa vie ou celle des autres est assurément la bonne. Sans cette distance, il serait difficile d’expliquer cette connexion particulière qui se créé entre le pirate et ses auditeurs. Même un son comme Qui m’demande ? laisse une place aux autres, à ceux qui sont prêts à voguer quelques temps avec lui. Mais ce n’est pas sans risque : la mer sur laquelle navigue ce pirate est particulièrement agitée. C’est le risque qui fait de celle-ci une épreuve que nous ne pouvons pas passer seul, et c’est ici que se résout le paradoxe : si nous vivons et mourrons seuls, nous pouvons avoir la chance de trouver des compagnons qui nous facilitent quelque peu l’existence. Toutefois, dès lors que l’existence est une chienne, les compagnons peuvent-ils être autre chose que des chiens ?

« Magnifique sera ma chute, messieurs, mes rires mes frayeurs. Si tout le long je ferme mes yeux c’est pour ne me souvenir que des meilleurs » [Les yeux fermés]

En conclusion, écouter Testa Nera ne rendra personne plus heureux. De toute cette suite de sons naît une humeur mélancolique et triste. C’est une plongée dans l’esprit d’un homme qui navigue sur la mer avec un seul grand chagrin, et qui dès lors dédaigne ce que chérissent la plupart des hommes. Car que reste-t-il lorsque l’on a refusé de fermer les yeux sur la souffrance et le malheur du monde ? A en croire Furax, si on a un peu de chance, il reste des compagnons d’équipages prêt à suivre celui qui le demandera jusqu’au bout du monde… ou bien, plus vraisemblablement, jusqu’à ce qu’il meurt. Finir ainsi, au regard de l’histoire qui nous est contée par le pirate à la barbe rousse dans cet ultime trésor qu’est Testa Nera, ce n’est peut-être pas si mal…

10006611_595836200493067_1362392338_nPour acheter l’album Testa Nera de Furax, ça se passe sur shoptonhiphop puisque la Bastard Prod souhaite « rester indé de la production à la distribution ».

Lire aussi l’interview ‘Testa Nera’ de Furax Barbarossa.

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre la page facebook ou le compte twitter du Bon Son.

Partagez:

3 commentaires

  • Ultime voyage… jéspére qui voguerra vers d’autres projet  » après Testa Nera vien la foudre  » ! Album s’ombre comme nous l’attendions… !

    Vrais Pirate !!

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.