Entretien avec Alpha Wann & Sneazzy West (1995)

Les interviews du 95 Klan sont légion, que ce soit sur la toile, dans la presse écrite, à la télé ou à la radio, surtout depuis la sortie de leur album Paris Sud Minute (disponible depuis le 31 décembre dernier). Donc plutôt que de leur poser les mêmes questions que le reste des médias, nous avons demandé à Alpha Wann et Sneazzy West de réagir à des déclarations d’autres MC’s interviewés sur Le Bon Son, sur l’industrie du disque, le rap, les médias, et tout plein d’autres thèmes…

« La supposée mort du rap n’est qu’une illusion créée par certains médias récupérateurs. » (Anton Serra, mars 2013)

Alpha Wann : Effectivement, le rap n’est jamais mort. C’est plus les rappeurs qui ont joué là-dessus que les médias.

Sneazzy West : Une culture qui s’éteint, à part la tektonik, ça n’a jamais eu lieu. Il y a toujours des gens qui sont là pour relever le mouvement et continuer à faire vivre le truc. Entre 2002 et 2010, le rap qu’on pouvait écouter à la radio c’était un peu naze, rempli de clichés, de mensonges… Mais le bon rap ne s’est jamais éteint, y’en a toujours eu.

« J’ai l’impression qu’on dénigre ce qui est gratuit. » (Sidi Omar, mars 2013)

S : Trop en faire te fait rentrer dans une case qui ne te permet plus de faire des trucs payants. Tes fans ne comprennent pas que tu veuilles commercialiser tes titres. Ça nous est arrivé au début, parce qu’on avait balancé beaucoup de trucs gratuits.

A : Ils prennent l’habitude : t’as fait 157 mixtapes gratuites, pourquoi acheter le 158ème projet ?

S : Les rappeurs qui font des projets gratuits ont toujours des projets payants à côté. Donc non, je trouve pas qu’on dénigre ce qui est gratuit. Sur notre set on joue pas mal de morceaux qui ont été faits sur des mixtapes gratuites, donc au final c’est la même chose, les gens apprécient autant. Après peut-être que ça restera moins sur la durée, parce que parfois c’est un peu fait à la va-vite, pas de la même manière.

(À propos des choses qui ont évolué en 15 ans de Hip Hop) « La chose qui change en bien, c’est qu’il y a une bonne vibe entre les rappeurs. » (Sëar Lui-Même, novembre 2012)

A : Sëar il vient des années 90′, donc il a vraiment vu le rap français à son époque hostile. Aujourd’hui c’est beaucoup plus convivial, j’en suis sûr.

S : Mais on fait pas tous partie de la même famille, on se voit pas tous les jours, on est chacun dans notre microcosme à nous. À part dans les évènements rap ou les festivals on se croise rarement.

« Moi je suis comme tout le monde, je regarde ce qui sort, je suis pas replié sur moi-même à faire mes sons. » (Sëar Lui-Même, mars 2013) C’est votre cas ?

S : Pour diffuser notre musique on utilise des supports qui font qu’on est amenés à voir tout ce que les gens font, et ça nous intéresse aussi puisqu’on est des consommateurs de musique, de vidéo… Donc on écoute à peu près tout ce qui sort, que ce soit un ancien qui sort une nouveauté, ou un MC de la nouvelle génération.

« Aujourd’hui tu peux faire un beat dans ta chambre sur ton ordi avec Fruity Loop à peu près bien, tu peux t’enregistrer à peu près bien, et publier dans l’heure sur Facebook via Youtube. Tu peux être exposé avant même d’être prêt à l’être. C’est difficile de juger si t’es bon, puisque t’as pas le temps d’avoir un jury que t’es déjà sur la toile. » (Loko, janvier 2013)

A : Ça c’est vraiment pour ceux qui sont un peu plus jeunes que nous, qui sont vraiment dans internet. Nous on est plus d’une époque, qui date d’il y a pas si longtemps, où avant de venir dire aux gens que tu rappais, et de rapper devant leur visage, il fallait que derrière tu aies travaillé quand même…

S : C’est pour ça qu’on a commencé par la scène, on est pas des rappeurs de studio, ou de chambre. On aime bien le contact avec notre public, ou avec les gens avant même qu’ils aient adhéré à notre musique. C’est pour ça qu’on a fait autant d’open mic et de scènes ouvertes pendant 2, 3 ans. Ce qui fait que moi je valide pas trop ce délire-là de s’enfermer dans sa chambre, faire plein de sons, les balancer comme ça…

Alpha Wann : ‘Le rap n’est jamais mort. C’est plus les rappeurs qui ont joué là-dessus que les médias.

« On repasse à une médiatisation d’un rap proposant un discours différent, auquel les gens s’identifient plus. » (Shurik’n, avril 2012)

A : Je sais pas si les gens s’identifient plus.

S : Ben si, ils s’identifient plus au discours d’Orelsan, du nôtre, de celui de la Sexion d’Assault, Youssoupha… qu’à celui des dix dernières années. On voit un rap beaucoup plus diversifié, c’est cool !

A : Ouais, c’est vrai.

« J’aime juste pas le truc bête et méchant, j’aime quand c’est technique et méchant. » (Loko, janvier 2013)

A : Moi j’aime quand c’est bête et méchant aussi.

S : Plus quand c’est bien fait.

A : Quand ça veut être bête et méchant et qu’en plus c’est bien fait, c’est cool.

« Un album est une oeuvre en soi, doté d’une couleur globale, bien particulière, et ne constitue pas une sorte de compilation de tout ce qu’un MC est capable de faire. » (Scylla, janvier 2013)

A : Ben oui, ça c’est une mixtape. On est d’accord avec lui.

« J’ai l’impression que certains abusent de la technique au détriment du sens. » (Nakk, mars 2012)

A & S : Ah oui !

S : Quand tu apprends à rapper, au bout d’un moment tu comprends plein de trucs dans les règles de l’écriture. Tu en abuses parce que tu peux découvrir de nouveaux trucs, inventer des schémas de rime. Et c’est clair que certains rappeurs se focalisent que sur ça. Après c’est une des facettes du rap, ça me dérange pas. Si à l’oreille je kiffe, je peux ne rien en avoir à faire du sens.

Le Bon Son : En écoutant l’album, on a l’impression que vous avez tenu compte des critiques sur le côté freestyle de certains morceaux passés, que vous vous êtes plus accrochés à un fil conducteur sur les morceaux.

A : On a pas travaillé dans ce sens. C’est juste que quand les gens nous ont découverts, on était plus jeunes artistiquement. On se rapproche d’une certaine maturité, sans l’atteindre. On grandit.

S : Quand j’écoute nos deux EP’s précédents et notre album, je vois pas de différence là-dessus. On a toujours su aborder des thèmes et les tenir jusqu’au bout. Sur La Suite, « Comme un grand » aurait pu se retrouver sur notre album, « Comment dire ? » aussi… Au final, c’est un peu vite dit. Ce qui fait dire ça aux gens c’est qu’on a fait des milliards de freestyles sur YouTube, des vidéos freestyle, on nous a vu partout rapper à la radio. Et quand t’essaies de donner une impression comme ça, t’essaies pas de rester sur un thème. Faire une vidéo freestyle où tu racontes la crise économique, ça va pas intéresser les gens. Faut que tu arrives et que tu sois technique ! C’est ce qu’on a fait pendant trois ans, et c’est peut-être pour ça qu’il y a eu un petit ras-le-bol, et qu’on a pu penser qu’on ne savait pas aborder les thèmes.

A : Après il suffit d’écouter les morceaux.

« Beaucoup ont trop regardé les DVD’s de Jay-Z, genre on arrive en studio sans avoir rien préparé, on gratte vite fait, on pose vite fait et ça devient un hit ! C’est faux. » (Loko, janvier 2013)

A : Y’en a à qui ça peut arriver, et si tu as le budget pour faire ça en studio c’est bien. Nous on a jamais été comme ça, parce qu’on travaille différemment. Déjà au début on travaillait chez Flav. Quand on venait et qu’on écrivait sur place c’est qu’on allait poser la semaine d’après. Après oui il y a des rappeurs qui pensent que c’est comme ça, chacun a sa discipline de travail. Moi je peux arriver et écrire mon couplet en studio, mais ce sera juste un 16 mesures pour le morceau de quelqu’un d’autre, pas pour un de mes morceaux.

Sneazzy West : ‘Nos premiers moments d’adrénaline c’était sur scène, dans les open mic, dans les caves, pas en studio.’

« J’aime pas trop les annonces du genre : Hou hou, je vais envoyer une vidéo demain à 18h ! «  (Flynt, août 2012)

A : Flynt il fait très peu d’apparitions aussi, c’est une autre façon de travailler. Nous on est plus jeunes, plus dans le délire d’être partout. Mais grand respect à Flynt !

« J’aime beaucoup le format EP. Il permet de tenter des choses très différentes d’un projet à un autre et surtout cela peut se faire très vite. J’évite en général les projets qui s’étendent sur une trop longue période : je trouve que cela tue un peu l’unité d’écriture et la cohérence musicale. » (Lucio Bukowski, octobre 2012)

A : Moi j’aimais bien les EP’s avant, mais maintenant que tout le monde en fait, ça me saoule un peu. Ça n’a plus de sens.

S : On a remis ça au goût du jour un peu. Quand on a sorti La Source, personne ne savait ce qu’était un EP à part les rappeurs qui avaient fait 10 ans de carrière. C’était pas un délire de nombre de titres. On voulait pas faire une mixtape, parce qu’on avait déjà montré ce qu’on pouvait faire sur des faces B, sur des morceaux qui ne sont pas les nôtres. On s’est dits : « Faisons un ou deux EP’s, ou on va pouvoir montrer ce qu’on vaut sur des thèmes. » Pour montrer ce qu’était notre couleur musicale. On a eu la chance d’avoir de la promo sur les deux, donc c’est cool. Pour revenir aux EP’s, c’est devenu un peu n’importe quoi.

A : En fait les gens comme ils connaissent pas, eux-même ils donnent le nom EP.

S : Ils peuvent te faire un EP de 19 titres sur internet !

Alors que c’était l’Extended Play…

A : Oui, et au-dessus de l’EP, c’était le LP (Long Play).

« Tout rappeur qui se respecte à un moment donné se remet en question et veut arrêter ou prendre du recul par rapport au rap… » (Vicelow, juin 2012)

A : Artistiquement, tu as souvent des périodes de remise en question. Tu as des trucs que tu aimes plus, d’autre que tu n’aimes plus. Après, si comme Vicelow tu as rappé intensément, forcément tu as de grosses remises en question. Mais oui, ça arrive toujours. Tu en as des petites quand tu es un petit rappeur, alors quand tu as été en haut de l’affiche…

« Si tu viens pas de Paris, tu n’es pas pris au sérieux, voire ignoré pour ce simple fait. » (Furax Barbarossa, février 2012)

A : Moi je suis d’accord.

S : Moi je ne suis pas d’accord. Orelsan se débrouille très bien par exemple.

A : Oui, mais c’est l’exception qui confirme la règle.

S : Et IAM aussi !

A : C’était une autre époque. Ce qu’il veut dire, c’est qu’aujourd’hui pour un rappeur c’est beaucoup plus chaud quand tu viens pas de Paname. Moi je suis d’accord avec lui.

S : Moi je suis pas d’accord. C’est plus dur pour avoir des plans, mais si je venais de province il se serait passé la même chose.

A : Tout le biz il est à Paname !

« Je me retrouvais 10 fois plus dans les prods samplées, j’faisais mes recherches pour trouver ce genre de son et j’me suis retrouvé bloqué dans les années 90. » (Georgio, juin 2012)

A : Moi je suis très années 90′, et la quintessence que je recherche dans la musique, je la retrouve dans les années 90′. Après c’est seulement mon opinion…

S : Moi j’écoute pas mal de son des 90′, mais aussi pas mal de sons actuels, pour ne pas faire la même chose. J’aime bien quand il y a de l’évolution. J’écoute pas trop de rap en ce moment, plutôt d’autres trucs.

« Mon plaisir le plus intense est dans les moments de freestylerie. » (Nemir, octobre 2012)

S : Moi c’est plus sur scène.

A : Avant je t’aurais dit la même chose. Maintenant c’est quand je suis en studio, en train d’apprécier le morceau que je suis en train de faire.

Alpha Wann : ‘En vrai tout ce qu’on fait en dehors du groupe, c’est sur notre temps libre en dehors du groupe justement.’

« Avec internet l’offre s’est beaucoup étoffée. Je pense qu’il y a un vrai regain d’intérêt pour le rap. » (Morad, février 2012)

A : L’avantage c’est que tu peux te faire connaître plus facilement. Mais c’est le cas pour beaucoup plus de monde qu’avant.

« C’est sur scène qu’on va chercher l’adrénaline et ça finit par devenir une drogue dont tu ne peux plus te passer. » (La Jonction, mai 2012)

A : Oui, depuis la première fois.

S : On a commencé par là et on a pas lâché. Nos premiers moments d’adrénaline c’était sur scène, dans les open mic, dans les caves, pas en studio. Personnellement ce que je kiffe le plus, c’est d’être dans les festivals, quand tu as 20 000 personnes qui ne te connaissent pas, et que tu dois prouver que tu sais y faire sur scène. C’est même plus du rap, c’est du rock. Je ne pense pas pouvoir me passer de la scène. Après il y a des périodes où il faut se calmer un peu, mais c’est vraiment essentiel pour notre musique. Sans ça, ça ne sert à rien de continuer.

« Y’a plein de gens qui sont uniquement MC’s et qui pourront jamais produire leur disque parce qu’ils sont pas organisés ou qu’ils n’ont pas la capacité pour le faire. » (Flynt, août 2012)

S : Bien sûr, c’est le cas de 99% des rappeurs français et des gens qui font de la musique en France. Aujourd’hui, et pas que dans le rap, ceux qui envoient des vidéos sur internet espèrent être signés vite en maison de disque. Ils le font tourner sur twitter aux DA… On a envie de leur dire de concentrer leurs dépenses et leurs efforts sur une bonne qualité d’enregistrement, le mix, le mastering. Au final, ça peut ne pas revenir trop cher, sans être trop compliqué. Nous on a galéré au début, mais au fur et à mesure on a appris à le faire tout seuls. Avec l’aide d’une major pour la distribution.

Le Bon Son : Une des raisons de votre succès, c’est ce côté super organisé aussi…

S: Le fait d’être 6, et un mec très organisé, Fonky Flav, qui fait un taf de manager sans l’être vraiment.

A : À un moment tu es obligé d’être organisé sinon ça marche pas. Un minimum. Le jour où il a fallu qu’on s’organise un minimum, on s’est organisés au maximum. Et encore on est pas encore au vrai maximum ! (rires)

Certains d’entre vous sont très prolifiques en dehors du groupe, avec des collectifs, projets solos, participations, etc. Comment arrivez-vous à concilier tout ça ?

A : En vrai tout ce qu’on fait en dehors du groupe, c’est sur notre temps libre en dehors du groupe justement. On arrive toujours à gérer.

Il y a une priorité pour 1995 ?

A : Oui oui.

S : Ça dépend des membres. Je pense que Nekfeu n’a pas de priorités. C’est juste qu’1995 a avancé beaucoup plus vite que S-Crew, L’Entourage, etc. Donc il y a beaucoup plus de choses à faire avec 1995 : beaucoup plus de promo, de dates… C’est pareil pour nos solos. C’est aussi important qu’1995. Mais là je n’ai pas d’actualité solo. Quand j’en aurai ça sera différent. Mais oui, 1995 reste une priorité.

Si vous deviez n’emporter qu’un disque de rap français pour finir vos jours sur une île déserte ?

S : J’ai pas envie de dire Poétiquement correct [de Dany Dan, ndlr] parce que les prods m’ont saoulé.

A : Temps mort [de Booba, ndlr] ou Poétiquement correct.

S : Poétiquement correct, mais je demanderais à mon DJ de faire des remix pour pas entendre les prods un peu nazes que j’aime moins sur l’album.

Et pour finir, si vous pouviez choisir un MC et une époque, pour poser avec ? Par exemple « AKH en 1994″…

S : Dany Dan, 2006.

A : Dany Dan, 2002/2003. Parce qu’il était encore plus fou à cette époque-là. Tu as la mixtape Spécial Dany Dan Vol.1 avec des trucs des années 90, et sur la Vol. 2 [sortie en 2003, ndlr] il est incroyable, trop de phases.

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3 commentaires

    • Tu peux pas nier qu’avant La Source ça faisait un bail qu’on avait pas vu d’EPs dans le rap français… Et que maintenant c’est l’avalanche.

      • les EP ca a toujours existé (rap us, ou dans l’electro) ils ont ptetre remis ltruc au gout du jour dans le rap français parce que tous leurs soss entourage suivent mais deriere t’as tjrs les projets de lapwass par exemple

Commentaires

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